Rien ne sert de courir ; il faut rester chez soi

6 minutes de lecture

 Ne rien faire. Quelle merveilleuse activité ! Aucun effort, aucun souci, aucune répercussion, il n’y a vraiment rien de mieux… Même si je suis parfois dérangé par des personnes trop sociables à mon goût, ce quotidien rythmé par le silence me plaît beaucoup. C’est d’ailleurs tellement plus plaisant en vacances, quand tout ce que l’on a à faire après s’être réveillé est de ne rien faire… Cela me permet de cogiter, de réfléchir, de penser, ce qui est déjà plus que tout ce que ferait quelqu’un de « normal » dans toute sa vie… Mais qu’on ne se méprenne pas : même moi je peux me lasser de ne rien faire. Dans cette situation, je peux lire un petit roman, ce qui encore une fois est déjà plus que ce que lit un étudiant lambda de nos jours… Et lorsque je suis lassé de tout ce que je peux trouver chez moi – c’est-à-dire rien – alors en dernier recours je sors, pas pour m’amuser, mais pour me détendre. Et le Fuji Café est le meilleur endroit pour cela.

 C’est d’ailleurs le programme d’aujourd’hui, un simple jeudi de début août. Ni une ni deux, je m’habille, enfile mes chaussures et vais dans cet endroit insupportablement bruyant qu’est l’extérieur. Le soleil tape vraiment fort et bien que je garde une distance de sécurité entre moi et les autres, je peux sentir l’odeur de transpiration dans l’air. Je pense que seul un asocial aguerri comme moi en est capable. À trop vouloir éviter les gens, on finit par sentir la moindre chose qui émane d’eux. Mais cela reste le cadet de mes soucis. À peine suis-je sorti que j’aperçois Nakashima au loin qui se dirige vers ma chambre. Je décide alors de la contourner. J’ai beaucoup d’expérience dans la dissimulation alors ce n’est pas elle qui pourra me trouver. Je me cache derrière un buisson puis j’attends qu’elle passe. Il me suffit juste de partir sans faire de bruit et le tour est joué.

Tiens ? Elle se retourne ! Elle a dû entendre un bruit !

 Sans sourciller, je saisis une petite pierre par terre et la jette contre le mur derrière elle. Avec un timing parfait, j’ai jeté la pierre à sa droite pendant qu’elle regardait à gauche, elle n’y a vu que du feu. Elle se retourne alors vers le mur et j’en profite pour partir en courant silencieusement jusqu’à ce que je ne sois plus dans son champ de vision. Eh bien… Tous ces efforts n’ont pas été vains… J’ai évité une interminable conversation de justesse… Maintenant il ne me reste plus qu’à aller au Fuji Café pour passer la journée dans le calme.

 Le bâtiment est toujours le même, un établissement au style traditionnel et rustique qui dénote de la modernité du reste de la cité. Seules les personnes âgées ou les gens qui cherchent un endroit calme viennent ici. Mais surtout, aucun son de l’extérieur ne parvient à entrer. Ce bâtiment est très bien isolé, il me ressemble.

 La boisson servie dans cet endroit est exquise. Juste ce qu’il faut pour reprendre des forces : ne rien faire peut aussi être éprouvant parfois… Je profite ainsi du calme de ce lieu.

Mais ce calme… c’est le calme avant la tempête… Qui vois-je arriver au loin ? Celle que j’ai tant bien que mal évitée : Nakashima. Elle a réussi à me rejoindre jusqu’ici… J’entends le bruit de la porte qui s’ouvre et les employés saluer. La jeune fille vient vers moi. Je fais mine de ne pas l’avoir vue et continue à fixer l’extérieur par la fenêtre. Elle répète mon nom d’innombrables fois avant de m’attraper le bras et de le tirer de toutes ses forces pour me faire tomber. En vain. J’ai appris à toujours garder de bons appuis, alors qu’elle n’espère pas me faire tomber un jour… Quoi qu’il en soit, je ne peux plus l’ignorer. Je tourne la tête lentement vers elle avant d’enfin répondre à ses appels.

  • Quoi ?
  • Je t’appelle depuis tout à l’heure ! T’aurais pu me répondre !
  • Désolé, j’avais juste pas envie de me fatiguer à parler.
  • T’es vraiment un cas désespéré…
  • Comment tu as su que j’étais ici ?
  • Je suis allé chez toi mais il n’y avait personne, alors c’est le seul autre endroit où tu pourrais être, asocial comme tu es…
  • (En me levant) Bon, je rentre.
  • Quoi ?

 Je ne compte pas du tout lui demander ce qu’elle me veut, si c’est pour m’impliquer dans d’autres problèmes, non merci. Je n’ai donc pas d’autre choix que de partir à cause d’elle, comme la première fois que je suis venu. Évidemment, Nakashima me suit à la trace. Pendant que je me contente de marcher les mains dans les poches en baillant, elle ne fait que parler et raconter des choses qui ne m’intéressent pas le moins du monde. Je ne réponds donc pas et continue ma route.

 Arrivé devant mon humble demeure, avec Nakashima toujours à mes talons, j’ouvre machinalement la porte avant de la fermer immédiatement, ne laissant pas le temps à la jeune fille de rentrer. Cette dernière s’offusque et commence à frapper à la porte de plus en plus bruyamment. Je l’ignore et m’assois sur le lit. J’essaie de lire, mais je n’y parviens pas, faute de concentration. Elle frappe vraiment fort, si quelqu’un la remarque dans le dortoir des garçons cela va me créer des problèmes en plus, qui me demanderont des efforts. Je ne peux accepter une chose pareille. Je décide donc d’enfin ouvrir la porte. Nakashima se précipite alors pour me frapper mais je l’esquive habilement.

  • Pourquoi tu m’as enfermée dehors ?!
  • Parce que c’est comme ça.

Elle s’assoit avec nonchalance sur mon lit, sans même demander l’autorisation. Trop flemmard pour la chasser de là, je ferme la porte et écoute ce qu’elle a à dire.

  • T’as cru que je venais te voir par pur plaisir ? Si je viens c’est que j’ai une raison… dit-elle exaspérée.
  • Alors j’ai hâte d’entendre cette raison… réponds-je sans émotion.

Elle se redresse et regarde le sol en rougissant.

  • Euh… Tu veux venir chez moi ?
  • Hein ?

Je la regarde l’air incrédule. Elle met alors quelques secondes pour se rendre compte de ce qu’elle vient de dire.

  • Ah non non non !! Je voulais pas dire ça dans ce sens là !!
  • Ça j’avais remarqué.
  • (Elle regarde à nouveau le sol) En fait, demain c’est mon anniversaire et mon père a organisé une réception pour fêter ça. Il y aura plein de gens riches et importants. Il tient absolument à t’inviter…

Je n’ai aucune envie d’aller à une fête stupide. C’est donc pour cela que j’agrippe soudainement le bras de Nakashima pour la mettre dehors.

  • Qu... Qu’est-ce que tu fais ?!
  • Désolé mais tu diras à ton père que ça ne m’intéresse pas.
  • Mais il a dit que tu devais absolument venir !
  • Il n’a aucun droit de m’ordonner quoi que ce soit.
  • Mais tu lui avais promis de veiller sur moi !
  • Seulement en son absence.
  • Les élèves qui sont encore au lycée pendant les prochains jours doivent aller en cours supplémentaires, tu le sais ?

Je m'arrête d'un coup.

  • Quoi ?
  • C’est mon père qui a rajouté cette règle.
  • Quel fourbe…
  • Alors tu viens, hein ? dit-elle avec un sourire angélique.
  • (En soupirant) J’ai pas le choix…

Ne pourrai-je jamais être tranquille ?! Pourquoi faut-il toujours que quelqu’un me dérange ?! J’en ai plus qu’assez. Voilà pourquoi je préfère la solitude. Je n’aurais jamais dû commencer à parler avec Nakashima ni accepter la requête de son père. J’ai vraiment été idiot.

  • Super ! Alors on se retrouve dans une heure à la gare ?
  • Quoi ? Je croyais que ton anniversaire était demain ?
  • Oui, mais mon père veut que tu viennes dîner chez nous !
  • Tu n’aurais pas pu me le dire plus tôt ?
  • J’ai été prévenue ce matin aussi…
  • Je vois…

Nakashima s’en va alors après avoir convenu du lieu de rendez-vous.

***

 Il est bientôt onze heures. Je dois me préparer. Je mets dans un petit sac quelques vêtements de rechange, de quoi tenir deux jours. Ensuite, sans manquer de soupirer, je me prépare à partir. Je vérifie tout dans ma chambre. La cuisine surtout. Il ne faudrait pas que le four reste allumé… Après avoir tout contrôlé, je suis enfin prêt à partir pour cet endroit où je ne veux pas aller.

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