Le plus fort est celui qui sait se vaincre lui-même

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 Il est bientôt neuf heures. Il semblerait que je me sois levé assez tôt pour un jour de vacances. Je n’ai rien à faire, mais c’est très bien ainsi. Ne rien faire est justement ce que j’aime le plus faire. J’irai probablement au café Fuji dans l’après-midi, si le cœur m’en dit. Alors que je m'apprête à retourner faire un énième tour de ma petite chambre, la sonnerie de la porte retentit. Je regarde par le judas, c’est Kuroshiro Katsuo, le garçon populaire du lycée Higashi. C’est avec lenteur que j’ouvre la porte, et lui demande ce qu’il fait là.

  • Salut, Yamatori ! Ça fait longtemps ! En fait j’ai un service à te demander… lance-t-il en souriant.
  • Un service ?
  • Oui... En fait, Nakashima m’a invité à aller au parc d’attraction, pour me remercier de l’avoir sauvée, explique-t-il en me regardant droit dans les yeux.

Je vois, Nakashima est enfin passée à l’action, il était temps. Je regarde longuement mon interlocuteur avant de lui répondre naturellement et sans aucune émotion.

  • C’est génial, ça, alors pourquoi tu as besoin de moi ?
  • Eh bien… En fait elle a invité Fuyuno avec elle, donc je serai le seul garçon, je voulais donc que tu viennes aussi…
  • Étonnant, je ne savais pas que tu étais timide avec les filles…
  • Ce n’est pas le cas, juste que l’atmosphère sera trop tendue, alors que quand tu es là elles semblent plus vivantes.
  • Bof… Je ne pense pas, elles aiment me faire faire des efforts pour rien, c'est tout…
  • Justement ! Alors, qu’est-ce que tu en dis ?

Nakashima est vraiment sotte parfois… Si elle voulait séduire Kuroshiro, elle aurait pu l’inviter seul, pour un rendez-vous en tête à tête… Enfin, ce n’est pas mon problème, mon véritable problème est qu’on me demande de venir. C’est vraiment ennuyant, mais j’ai une dette envers Kuroshiro, donc je n’ai d’autre choix que d’accepter…

  • Bon… J’ai pas le choix, je viens…
  • Super ! On se retrouve à dix heures au parc Mimi Land de la Cité Étudiante ?
  • Ça me va.
  • D’accord ! Allez, à tout à l’heure !

« Mimi Land »

Ce nom pitoyable résonne dans ma tête alors que je regarde Kuroshiro s’en aller. Il n’y a vraiment plus rien en ce monde qui ait un minimum de dignité ?

« Mimi Land »

 Qu’est-ce que c’est que ce nom ?! Vais-je vraiment devoir aller dans un tel endroit ? C’est le genre de lieu adapté à une personne comme Nakashima, mais moi, je vais probablement faire tâche dans le décor… Je n’ai pas envie d’y aller…

Mais une promesse est une promesse…

***

 Il est 9h55. Je marche en direction de ce fichu parc, quand une voix familière m’interpelle. Il s’agit de Nakashima, qui est accompagnée de Fuyuno.

  • Hé, Yamatori, salut !
  • Salut.
  • Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-elle en accourant alors que Fuyuno la rejoint.
  • Bah c’est évident, je vais avec vous à ce foutu parc d’attractions…
  • (Elle écarquille les yeux) Ah bon ? Mais comment…
  • C’est Kuroshiro qui m’a dit de venir.

Elle s’avance alors un peu trop près de moi et me lance avec un ton provocateur :

  • Hmm ? Je savais pas que tu aimais sortir…
  • Lâche-moi, je fais ce que je veux.
  • Bon ben allons-y alors !
  • T’as pas invité Kagami ? demandé-je.
  • Non, malheureusement elle a trop de travail au Conseil des Étudiants… même pendant les vacances…
  • Je vois...

Fuyuno, quant à elle, me regarde de travers. Elle n’a pas l’air heureuse de me voir… Tant mieux car moi non plus.

 Nous arrivons devant le parc. Effectivement, c’est bel et bien le genre de décor où je fais tâche… Des peluches, des oursons, des clowns, des enfants, et des adultes à l’air débile, voilà les ingrédients de ce lieu. Fuyuno a l’air aussi dépitée que moi de cette ambiance. Nous apercevons Kuroshiro et le rejoignons. Nakashima tente de le saluer avec son plus grand sourire. Elle est vraiment transparente, on peut voir qu'elle est amoureuse à des kilomètres...

 Il est ensuite temps d’entrer dans le parc. Nous montrons nos cartes d’étudiants et nous voilà à l’intérieur. L’ambiance niaise est encore pire de l’autre côté des portes… Nakashima se retourne vers nous, et nous fait une suggestion.

  • Dites, on commence par la Mimi Adventure ? C’est la toute nouvelle attraction !

Je ne réponds pas, Fuyuno non plus. Devant ce silence, Kuroshiro tente de répondre. Il lance un sourire puis parle en feignant l’enthousiasme.

  • Oui, pourquoi pas, il faut bien commencer par quelque chose… haha… !

Même les attractions ont un nom comme ça… Je crois que je ne m’y ferai jamais. Je peux lire sur le visage de Fuyuno qu’elle pense la même chose.

 Nous arrivons devant la « Mimi Adventure ». Il y a plus de queue que devant les autres. Heureusement, elle passe vite. C'est une sorte de montagne russe, avec des têtes de chats moustachus en guise de wagons… deux places par véhicule, je vais donc me retrouver avec Fuyuno…

  • Si je me mets avec toi c’est parce que je veux laisser les deux tourtereaux ensemble, mais sache que ça me déplaît fortement, me dit-elle avec un regard froid comme le marbre.
  • Si tu crois que ça m’intéresse…

 Nous montons dans le wagon, et c’est parti pour un tour. Tout le monde crie ou lève les mains en l’air, ou les deux. Il n’y a que deux personnes qui restent stoïques : il s’agit bien évidemment de moi et Fuyuno. C’était ennuyeux, je ne vois pas où les gens trouvent des sensations fortes dans ce genre de divertissements... Le reste de la journée s’est déroulé de la même manière. Toutes les attractions de ne payaient pas de mine. C’est tout au plus un bon parc pour les enfants, mais pas pour des lycéens bien portants...

 La journée est tout de même passée vite. Nous avons fait la majorité de ce que propose cet endroit. La grande roue est prévue pour la fin, en dernier. Nakashima tentera peut-être de se déclarer en tête à tête avec son bien-aimé. Mais avant ça, il reste une attraction à essayer.

  • Venez, faisons la Maison des Horreurs ! lance Nakashima.
  • Pourquoi pas ! répond Kuroshiro, qu’est-ce que vous en dites ?
  • (Fuyuno regarde le sol) Oui, allons-y.
  • Je m’en fiche, faites ce que vous voulez… réponds-je inintéressé.

Soudain, une annonce retentit non-loin d’ici. Il s’agit justement de la Maison des Horreurs.

  • Approchez, approchez, aurez-vous assez de courage pour visiter la terrriiiible Maison des Horreurs ? Si vous vous sentez l’âme d’un chasseur de paranormal, rejoignez-nous pour la dernière visite de la journée !

C’est notre dernière chance de faire l'attraction. Nous nous dépêchons pour pouvoir en profiter. Les visites se passent par binôme donc pour la énième fois je vais devoir me mettre avec Fuyuno. Nakashima et Kuroshiro semblent quant à eux s’être bien rapprochés. Tout va pour le mieux… Lorsque leur tour est arrivé, ils sont partis dans la joie pour visiter cet endroit lugubre.

 La file d’attente est aussi très sombre. Seules des citrouilles éclairent le couloir d’une petite lumière orange tamisée. Je me tourne vers Fuyuno, elle regarde encore le sol en fronçant les sourcils.

  • Je sais que c’est pénible d’être avec moi mais tu pourrais au moins garder un air stoïque… lui dis-je avec une légère exaspération.
  • Hein ? Ah oui, pardon mais c’est impossible de cacher mon mécontentement…
  • Je vois…

 C’est enfin notre tour. Nous entrons dans le faux manoir pour essayer d’en venir à bout. Il fait noir, une odeur de poussière se fait sentir et une ambiance oppressante règne. Nous avançons alors lentement. Fuyuno est en retrait.

Au bout de quelques minutes, j’entends un bruit de respiration fort derrière moi. Je me retourne et vois Fuyuno immobile, qui regarde le sol, respirant avec difficulté et bruyamment. Son corps tout entier tremble et ses pupilles sont rétractées au maximum. Elle a peur. Je me dirige vers elle et lui mets la main sur l’épaule. Cela a pour effet de la faire sursauter et de la faire reprendre ses esprits.

  • Qu’est-ce que t’as ? lui demandé-je calmement.
  • Non… rien… continuons…

Je soupire, puis attends quelques secondes avant de répondre.

  • Bien.

Je lui prends alors violemment la main et la conduis de force avec moi.

  • Mais qu’est-ce que tu fais ?!!
  • Ça se voit pas ? Je pars d’ici.
  • Mais pourquoi ?!!
  • C’est bon, tais-toi et suis moi.

Je pars dans la direction inverse pour retourner à l’entrée. Une fois à la case départ, le responsable de l’attraction nous demande ce qui se passe. Nous l’ignorons et sortons.

 Je laisse Fuyuno s’asseoir sur un banc pour reprendre ses esprits, puis je vais acheter deux cafés dans un stand non loin de là avant de retourner la voir. Elle regarde toujours le sol mais a l’air de s’être calmée.

  • Tiens, lui dis-je en lui tendant le gobelet.

Elle lève le regard lentement vers moi et prend la boisson.

  • Pourquoi tu es parti ?
  • Idiote, si t’as peur du noir il fallait le dire.
  • Je… je n’ai pas peur du noir…
  • Mais oui, bien sûr…
  • Ne… ne dis rien aux autres…
  • Tu veux garder ton image de femme forte ? Alors que tu as peur du noir ? dis-je d’un ton narquois.
  • La ferme, espèce de sale rat asocial !
  • T’es pas plus sociable que moi…

On se moque souvent des peureux. Sans vraiment de raison valable. La peur est un sentiment naturel. Sans elle, comment avoir conscience d’un danger ? La société la place comme une mauvaise chose, quelque chose de risible, alors que c’est le premier sentiment qui nous sert à nous protéger.

  • Tu sais… Ce n’est pas une honte d’avoir peur, et ce n’est pas synonyme de faiblesse. Au contraire, c’est la peur qui permet de se dépasser, dis-je en me retournant.

Fuyuno a l’air surprise. Ses yeux brillent à nouveau comme avant.

  • Incroyable… Tu es donc capable de dire des choses sensées parfois…
  • La ferme.

 Inconsciemment, les gens considèrent la peur comme nuisible, embellissant le courage. Cependant, ce que la plupart d'entre eux oublie, c'est que la peur et le courage sont les deux faces d'une même pièce.

 Quoi qu’il en soit, la réaction de Fuyuno dans le manoir n’était pas de la simple peur, pas comme celle d’un enfant effrayé à l’idée de dormir seul. Elle avait plutôt l’air d’être traumatisée. Mais même si je lui demandais, elle ne me répondrait pas…

  • Pourquoi tu es venu à ce stupide parc ? me demande-t-elle, ce n’est pas ton genre d’accepter docilement une requête…
  • J’avais juste une dette envers Kuroshiro.
  • Pour ce qui s’est passé à la sortie d’intégration ?
  • Exactement.

Kuroshiro et Nakashima nous rejoignent. En arrivant, ils ont l’air joyeux.

  • C’était amusant ! lance Nakashima.
  • Nous vous avons attendus à la sortie mais vous n’êtes jamais venus, dit Kuroshiro.
  • Je ne me sentais pas bien… expliqué-je sans motivation.
  • Hmm ? Alors comme ça tu as peur du noir ? provoque Nakashima.
  • Qui a dit que c’était de la peur ? Idiote.

Je sens le regard surpris de Fuyuno, elle croyait que j’allais tout leur dire ? Je suis peut-être asocial, mais je sais tout de même respecter les gens.

  • Bon, on va à la grande roue ? propose Nakashima.
  • Je… je vais rester là, allez-y si vous voulez, je vous attends… répond Fuyuno
  • Pourquoi ? demande Kuroshiro.
  • Je suis un peu fatiguée.
  • Je reste aussi, ajouté-je.
  • Hein ? Toi aussi ? me demande Nakashima.
  • Je me sens toujours un peu mal.
  • Je vois, c’est dommage, déplore Kuroshiro, dans ce cas nous y allons, à tout à l’heure !

Une fois qu’ils sont partis, Fuyuno engage la conversation.

  • Pourquoi es-tu resté ?
  • Idiote, comme si j’allais te laisser seule dans cet état...

Fuyuno reste alors quelques secondes sans parler, surprise, puis répond brièvement.

  • Je vois...

Il est bientôt vingt heures, mais il fait encore jour. Kuroshiro et Nakashima sont actuellement dans la grande roue. Leur histoire va-t-elle se passer comme dans ces fictions romantiques et leur amour va-t-il fleurir lorsqu’ils seront tout en haut ? Ou bien cela sera-t-il un drama, une tragédie ?

***

 Dix minutes plus tard, les deux tourtereaux nous rejoignent. Nous nous dirigeons vers la sortie puis, lorsque nous arrivons à l’extérieur, Kuroshiro nous remercie et s’en va vers son lycée. Il ne reste alors plus que les deux filles et moi. Nakashima a l’air déçue.

  • Alors, tu as conclu ? demande Fuyuno.
  • (Elle soupire) J’ai même pas tenté… répond Nakashima.
  • Idiote… marmonné-je
  • Comment ça, idiote ?! Comme si t’y connaissais quelque chose, espèce d’asocial ! s'énerve-elle.
  • J’en connais déjà plus que toi on dirait…
  • Comment ça ? Tu as déjà eu une copine ?!

Cette question a aussi piqué l’intérêt de Fuyuno, puisqu’elle s’approche immédiatement pour écouter ma réponse. Probablement pour mieux me charrier ensuite…

  • Quelle question, idiote… Je ne suis l’ami de personne, et personne n’est mon ami, c’est évident non ?

Les deux filles soupirent alors d’exaspération.

 C’est dans cette ambiance que nous sommes rentrés. Cette journée dans ce stupide parc est enfin terminée, je vais pouvoir profiter pleinement de mes vacances, en ne faisant rien de mes journées. Quel bonheur !

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