Ne parle pas à un insensé, il mépriserait ta sagesse (1)

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  • Dis, Papa, tu vas m'apprendre quoi ?
  • Ne me parle pas aussi familièrement !!
  • Dites... Père... Qu'allez-vous m'enseigner ?
  • Je vais t'apprendre à communiquer.
  • À communiquer ?
  • Oui, Kei. Tu vas apprendre à communiquer comme un véritable Yamatori.

 Cette scène de mon passé résonne dans ma tête. Cette forêt familière, cet homme, mon père, qui me regarde avec fermeté, tout me ramène à mon passé. Mais peu à peu, les images deviennent floues, les paroles deviennent troubles, mes pensées se reconnectent, et je reprends conscience. Je m'étais assoupi dans la salle de classe pendant la pause déjeuner. La tête dans les bras, je continue à faire semblant de dormir tout en observant ce qui m'entoure. La pause se termine dans une demi-heure. La salle est presque vide. Il ne reste qu'Arima et son groupe d'amis, ainsi que mes partenaires pour le tournoi, à savoir Fuyuno, Kagami, Nakashima et son père. Ils sont réunis et semblent discuter de la compétition de demain. La salle est donc peuplée de deux groupes, ainsi que d'un marginal : moi. Je sens le regard plus insistant qu'avant du président. Durant toute cette journée, il n'a pas cessé de m'observer. Il m'a discrètement suivi lorsque je suis allé manger sur mon banc habituel. Il m'a aussi pris en filature durant toute la matinée. Je le soupçonne d'enquêter sur moi pour une raison que j'ignore. Il pense probablement que je ne l'ai pas remarqué... Mes sens sont plus aiguisés qu'ils n'en ont l'air, mon passé en est la cause.

  • Hé, tu m'entends ? Je sais que tu ne dors pas vraiment !

Il s'agit d'Arima Akio, l'élève le plus populaire de la classe. Il avait quitté son groupe d'amis pour venir me parler. Tous les regards se tournent désormais vers nous. Je relève la tête d'un air fatigué et je regarde mon interlocuteur.

  • Qu'est ce que tu veux ?
  • Je voulais te demander, pourquoi tu es toujours seul ? Tu pourrais venir avec nous !
  • Non merci.
  • Je vois... dit-il d'un air déçu (Il fait une pause avant de reprendre de manière plus enjouée) Tu sais si tu as besoin d'aide je peux t'aider !

Exaspérant. C'est le seul mot qui me vient à l'esprit. Je soupire puis le regarde d'un œil plus ferme.

  • Tu es vraiment un gars sympa, Arima...
  • Dans ce cas...

Je le coupe sèchement.

  • Mais, arrête ça tout de suite. Je ne sais pas si tu es vraiment gentil ou si tu veux juste faire bonne impression mais dans tous les cas je te prierai de ne pas venir faire copain-copain avec moi.

Il reste silencieux quelques secondes, je peux voir qu'il est troublé.

  • Mais être seul tout le temps, ça ne te rend pas malheureux ?

C'en est trop. Je me lève et le fixe droit dans les yeux de ce regard froid dont j'ai le secret.

  • La solitude est le remède à tous les maux.
  • Hein ?
  • C'est ma devise.
  • Mais...
  • Je suis très bien tout seul, arrête de prendre ton cas pour une généralité.

À ces mots, je ne le laisse pas répondre et sors de la salle pour prendre l'air en attendant la reprise des cours.

 On dit que la société change, mais c'est faux. Quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, tout le monde aura toujours pitié – pour les plus bienveillants – ou méprisera toujours ceux qui sont seuls. Il est commun d'entendre les gens dire qu'ils luttent contre les inégalités. Mais les solitaires sont-ils défendus ? La réponse est non. On se contente de dire que la solitude est mauvaise et on lutte contre. Oui, la solitude est mauvaise, c'est un fait. Mais elle n'est mauvaise que si elle n'est pas voulue. Un solitaire contraint et un solitaire délibéré ne sont en rien similaires. L'un est malheureux et l'autre ne l'est pas. Cependant, cette société ne semble pas faire la différence. Elle rassemble tout dans le même sac, et se vante ensuite de lutter contre les inégalités. Mais je vais vous dire une chose : personne n'est égal. Ou plutôt, personne ne reste égal. Nous naissons égaux, mais ne le demeurons pas. L'éducation contibue en grande partie à cet écart entre les gens. Inconsciemment, nous mettons les différentes personnes dans des cases. Le docteur et l'ouvrier, le sans-abri et le bourgeois, le solitaire et le sociable... Ils sont égaux en tant qu'humains, mais pas en tant qu'individus. D'ailleurs, si tout le monde était égal, nous nous ressemblerions tous. Ce monde est déjà terriblement ennuyeux, alors si tout le monde se ressemblait...

***

 Le jour du tournoi est arrivé. Il est huit heures et je me dirige vers le terrain. Tout est décoré, des gradins ont été installés. Le père de Nakashima est déjà sur place, seul. En me voyant, il me fait signe pour que je le rejoigne.

  • Bonjour, tu n'as pas croisé ma fille ?
  • Non, elle va sûrement arriver.

Quand on parle du loup...

  • Bonjour, Yamatori, bonjour Papa !
  • Bonjour, ma fille ! dit le président enjoué.

 Nos deux autres coéquipiers arrivent quelques minutes plus tard. Peu à peu, l'endroit se peuple d'élèves en tenue sportive. Les spectateurs n'arriveront que dans une demi-heure. Le père de Nakashima demande à l'Équipe Verte de se regrouper.

  • Bien maintenant que tout le monde est là, je vais pouvoir vous donner vos bandeaux. Ils sont, comme vous l'aurez deviné, de couleur verte. Normalement un professeur est assigné à chaque équipe pour l'encadrer, mais j'ai fait en sorte de remplir ce rôle.

Chacun met son bandeau au front. Ils ont l'air ridicules. Je préfère donc l'attacher à mon bras. Soudain, le président m'interpelle.

  • Au fait, Yamatori, j'ai regardé ton dossier, et je me suis rendu compte qu'il est incomplet, tu n'as pas mentionné ton responsable légal.
  • En quel honneur avez-vous consulté mon dossier ?
  • (Il a l'air surpris et agit comme s'il voulait cacher quelque chose) Eh bien... J'ai consulté les dossiers de chacun de vous, euh... pour mieux encadrer l'Équipe Verte !
  • Je vois...

Il me tend la feuille pour que je la remplisse.

  • Tu dois en mettre au moins un.

Le père regarde avec attention ce que j'écris.

  • « Nishizaki Alice », c'est le nom de ta mère ? me demande le président.
  • Oui, réponds-je posément.
  • Alice ? Ce n'est pas un prénom japonais... s'étonne Kagami.
  • Cela me rappelle que tu es né à l'étranger, n'est-ce pas ? me dit le père.
  • C'est vrai ?! s'étonne Nakashima.
  • Oui, je suis né à Bristol en Angleterre mais de parents japonais. Je n'ai jamais vécu là-bas, expliqué-je lassé.

Je rends la feuille à Horikawa et me dirige dans un coin isolé en attendant le début des épreuves. Je n'ai aucune motivation pour cette journée. Le tournoi est divisé par promotions. Ainsi, les premières années se disputent la victoire aujourd'hui et demain, et les deuxièmes années le feront les jours suivants. Les troisièmes années, quant à eux, ne participent pas. C'est le matin mais je ne désire déjà qu'une seule chose : la tombée de la nuit, pour que je puisse me reposer...

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