Le propre de la puissance est de protéger (1)

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 Il est tôt et le lycée émet déjà un bruit atrocement assourdissant. Certains étudiants parlent d'une personne qui serait arrivée ce matin. « Il est là », telle est la phrase que j'entends à chaque coin de couloir. Lorsque finalement j'arrive en classe pour commencer cette ennuyeuse journée, quelque chose y avait changé. La classe est bel et bien animée comme à l'accoutumée, mais une personne que je n'avais jamais vue est présente. Nakashima tourne son regard vers moi, et l'homme qui est à ses côtés fait de même. C'est quelqu'un d'assez robuste et imposant. Son âge tourne sûrement autour de quarante-cinq ans. Ses cheveux noirs laissent s'échapper quelques mèches que le temps a blanchi. Il porte un costume classique et semble être un homme important. Ses yeux noirs comme une nuit sans lune me fixent avec sévérité. Il semblerait que je ne sois pas très apprécié de cet inconnu. N'en ayant que faire, je l'ignore et prends place sur ma chaise.

 Alors que tout le monde discute ou joue à des jeux absurdes et stupides, je ne fais qu'observer l'énorme horloge accrochée au dessus du tableau. L'aiguille des secondes défile rapidement, tandis que celle des minutes semble ne jamais bouger. Lorsque la trotteuse a fini son tour, aucun changement ne semble avoir eu lieu, et pourtant, une minute s'est écoulée. Ce cycle infini est extrêmement long lorsque l'on le fixe, mais très court lorsque les yeux viennent à s'enticher d'autre chose... Quoi qu'il en soit, au moment même où l'heure des cours est enfin parvenue à se montrer, Akatsuki-sensei en fait de même. C'est une première. Jamais je n'avais vu notre professeure principale être à l'heure. Il y a sûrement des circonstances qui l'ont poussée à cela et l'homme inconnu qui se tient désormais derrière moi n'est certainement pas sans implication.

 Nakashima n'est pas dans son état habituel. Elle semble réservée et n'ose pas regarder autre chose que son cahier. Ses joues ont tourné au rouge, comme si elle redoutait quelque chose. La professeure réclame le silence.

  • (En baillant) Bon... Vous vous demandez sûrement qui est cet homme au fond de la classe... Vous allez le savoir tout de suite. Si vous voulez bien vous présenter, monsieur.

Il est rare que l'enseignante s'adresse à quelqu'un avec respect. L'inconnu s'avance donc vers le bureau d'Akatsuki-sensei en me bousculant légèrement au passage. Il écrit son nom au tableau. À ce moment, les yeux de mes « camarades » s'écarquillent. Ils semblent reconnaître ce nom qui m'est inconnu. L'homme commence sa présentation.

  • La plupart d'entre vous ont sûrement deviné qui je suis, mon nom est Horikawa Ichirô. Je suis aussi le père de Nakashima Aiko.

À ces mots, le reste de la classe semble encore plus surpris.

  • Hein ?
  • Sérieux ?
  • Nakashima, c'est génial !

Il est vrai que cette annonce est inattendue. Mais pourquoi le père de Nakashima viendrait-il au lycée ? Au vu de la réaction des autres élèves, il a l'air important. Suis-je le seul à ne pas savoir qui il est ? Quoi qu'il en soit, il revient sur ses pas en me fixant froidement, puis s'assoit sur une chaise derrière sa fille. Akatsuki-sensei commence alors la leçon.

 Le cours de biologie passe assez vite, pour une fois. La journée suit son cours normal. À la pause déjeuner, alors que je m'apprête à quitter la salle, le père de Nakashima m'interpelle.

  • Hé, toi ! J'aimerais savoir ton nom.
  • Yamatori Kei, réponds-je sans motivation.

Je me retourne pour quitter la salle, mais il m'interpelle encore.

  • Tu ne manges pas en classe ? me demande-t-il de sa voix rauque et sévère.
  • Je préfère manger dans le calme.
  • Tu n'as donc pas d'amis ?
  • Bien sûr que non, réponds-je sèchement.

 Je quitte alors la salle. Nakashima me regarde partir. Jamais je ne comprendrai cette société. Pourquoi faudrait-il obligatoirement manger avec quelqu'un ? Quelle est cette absurdité ? Si certains aiment manger en groupe, d'autres non. Les gens qui prennent leur cas pour une généralité me débectent. Il n'y a rien de mal à vouloir avoir de la compagnie, certes, mais il y a encore moins de mal à vouloir rester seul. Que l'on ne se méprenne pas : je ne suis pas contre le fait de former des groupes, mais je ne veux pas en faire partie.

 À mon retour en classe pour débuter l'après-midi, les choses n'avaient pas changé. Toujours ce regard inquiet de Nakashima. Toujours ce regard méprisant de son père. Toujours cette agitation au sein de la classe...

 Le cours de mathématiques commence. Il est soporifique à en mourir. La nuit blanche accentue encore plus mon envie de rejoindre Morphée. Que me veut cet homme ? Il ne me connaît pas sinon il ne m'aurait pas demandé mon nom. Ou bien était-ce pour me tester ? Il a l'air de ne pas m'aimer, ce qui n'est pas une mauvaise nouvelle. Lorsque l'on est détesté, on est ignoré, car le contraire de l'amour n'est pas la haine, mais l'ignorance. Être ignoré me convient parfaitement, et c'est pourquoi je ne cherche pas à me faire aimer. De temps en temps, je regarde dans la direction de l'homme aux yeux sévères. Nos regards se croisent à chaque fois. Plongé dans mes pensées, j'en suis sorti rapidement par Sûjimoto-sensei, le professeur de mathématiques.

  • Yamatori, tu m'entends ? Alors, réponds !
  • Ah... Pouvez-vous répéter la question ?
  • La question 2 de l'exercice que vous aviez à faire pour aujourd'hui.

Je regarde la question. C'est une équation simple du second degré. Elle n'est pas sensée être au programme de première année, mais ce lycée est spécial, tout comme cette cité. Ils ne font jamais rien à moitié. Nous avons tout de même un an d'avance sur les autres lycées...

« x²+4x+4 = 0 »

  • J'ai trouvé -5, réponds-je machinalement.
  • C'est faux, me dit le professeur. (Il soupire) Fuyuno donne nous ta réponse...
  • -2, répond froidement la jeune fille
  • Bien, prends exemple sur elle, Yamatori, et travaille un peu...
  • Ouais... réponds-je lassé.

Fuyuno me foudroie du regard. Ses yeux me disent « Pourquoi as-tu répondu faux ? ». Je lui réponds « Je fais ce que je veux » avec la même technique du regard avant de me tourner vers le tableau. Le père de Nakashima semble me regarder lui aussi avec suspicion. Tous ces regards commencent à me déranger fortement. Fort heureusement, les cours sont vite passés et j'ai pu retourner dans ma chambre.

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