Bien mieux seul qu'avec des sots

7 minutes de lecture

 Les cours passent lentement mais les journées passent vite. Pour les gens que la société considère comme « normaux », c'est-à-dire les gens sociables, il semblerait que les journées passent encore plus vite. Le lycée est en effervescence en cette période de rentrée et c'est à peine si l'on peut s'entendre penser. Aujourd'hui, j'utilise ma pause déjeuner pour visiter la Cité Étudiante et me familiariser avec les lieux. Cet endroit est énorme, il ne porte pas le nom de « Cité » pour rien. C'est une espèce de Tokyo concentré. De toutes les boutiques et les stands, je décide de m'arrêter dans un café. C'est un petit établissement au style traditionnel qui porte le nom de Fuji Café. À peine rentré, une serveuse vient me voir pour prendre ma commande.

  • Un café, s'il vous plaît.

Ma place est dans un coin où il n'y a pas beaucoup de monde, elle me convient parfaitement. Le café est savoureux. Je n'aurais jamais cru qu'un café fait par quelqu'un d'autre que moi puisse être bon. Il reste tout de même à des années lumières d'un café préparé par mes soins. En savourant ce breuvage, j'entends soudain une voix qui me semble familière. On dirait même qu'elle prononce mon nom. Je lève les yeux et qui vois-je ? Nakashima. Elle vient vers moi et me demande ce que je fais ici.

  • Qu'est-ce que tu veux faire d'autre dans un café à part boire un café ? dis-je d'un air désintéressé.
  • Oh, t'es pas drôle Yamatori, t'aurais pu me répondre plus gentiment...

Elle affiche encore ce sourire éternel. Pourquoi aurais-je dû être gentil ? Quoi qu'il en soit, elle me parle pendant de longues minutes avant de me demander une chose.

  • Hé, Yamatori, viens à la table là-bas, il y a mes amis, je peux te les présenter, comme ça tu pourras faire connaissance !
  • Non, j'ai pas envie de bouger.

En effet, après avoir trouvé une bonne place, il n'est pas question de la laisser juste pour rejoindre d'autres personnes.

  • Et ben alors je vais les appeler ! Hé venez, je veux vous présenter quelqu'un ! dit-elle en agitant le bras frénétiquement pour faire signe.

Ses amis viennent. Ils veulent visiblement me connaître. Je n'ai plus le choix. Je me lève.

  • Désolé Nakashima, mais j'ai pas envie de faire connaissance.

Loin de moi l'envie de vouloir connaître ces gens là, j'ai donc dû m'en aller. Nakashima me regarde partir d'un air déçu. J'entends ses amis derrière moi.

  • C'est qui, lui ?
  • Il a pas l'air très sociable.
  • C'est juste une tapette qui a peur des gens...

Qu'ils disent ce qu'ils veulent. S'ils en arrivent au point de critiquer quelqu'un dans son dos, c'est qu'ils n'en valent pas la peine. Je ne parle à quelqu'un que si j'en vois l'intérêt. Or ces gens n'ont pas eu mon intérêt dès le début et ils viennent de perdre toute leur crédibilité. Quoi qu'il en soit, j'ai continué de visiter jusqu'à la fin de la pause déjeuner pour ensuite retourner en cours. Les deux heures qui ont suivi sont passées, comme à leur habitude, très lentement. Nakashima ne m'a pas parlé durant tout ce temps. Mes oreilles n'en sont que plus heureuses.

***

 Jeudi, le jour du cours de sport. Il semblerait que l'on commence avec du tennis. Tous mes « camarades », si l'on peut les qualifier ainsi, choisissent donc leur partenaire de jeu. Je vais dans un coin pour jouer contre le mur. Au bout de quelques minutes, je vois une balle de tennis qui n'est pas la mienne rebondir sur mon adversaire le mur et se diriger vers moi. C'est sans la moindre difficulté que je l'esquive. Que l'on ne me sous-estime pas. Je tourne la tête et aperçois Fuyuno. Elle a attaché ses longs cheveux. Elle a l'air à la fois surprise et déçue. Ce crime était donc prémédité.

  • Dommage pour toi, je l'ai vue venir, dis-je en lui rendant la balle, tu feras mieux la prochaine fois.
  • Je ne visais pas la tête mais j'ai raté mon tir. Heureusement que tu l'as esquivée. Mais ne t'attends pas à des excuses.
  • J'en veux pas de toute façon. Allez, retourne jouer ailleurs.
  • Ça ne va pas être possible. Personne ne s'est approché de moi pour jouer et comme tu es seul, le professeur m'a dit de jouer avec toi.
  • Eh bien tu iras dire au professeur que j'ai déjà un partenaire et c'est le mur.
  • Je pense que tu connais déjà sa réponse. Ça ne me plaît pas non plus mais il va au moins falloir faire semblant.

En soupirant, je ramasse ma balle et me dirige vers un terrain libre. Fuyuno commence à servir. Nous échangeons alors la balle. Aucun esprit de compétition n'est présent, ni chez elle, ni chez moi.

  • J'imagine que tu n'as pas de binôme pour la sortie, dit-elle en frappant la balle.
  • J'ai pas besoin de chercher de partenaire, puisqu'il viendra à moi demain. Quand tout le monde aura son partenaire, quelqu'un sera forcément tout seul. Je me mettrai avec cette personne. J'imagine que tu es dans le même cas.
  • Ne me compare pas à toi. Si je n'ai personne c'est parce que personne ne vient parler.
  • Mais ça te convient, n'est-ce pas ?
  • Absolument.

Cette fille me ressemble. Tout comme moi, la solitude ne la dérange pas. Elle l'a côtoyée depuis toujours.

  • Tu sais, la première fois que je t'ai vue, à la rentrée, j'ai émis une hypothèse à ton sujet, dis-je désintéressé.
  • Hmm ? Intéressant. Quelle était cette hypothèse ?
  • Je me suis dit que tu serais seule et que personne n'oserait te parler car tu es inaccessible. Tu as des bonnes notes, tu es bonne en sport et tu sais à peu près tout faire. Les gens t'admirent mais n'osent pas t'adresser la parole.
  • Impressionnant, tu as vu juste rien qu'en me regardant, dit Fuyuno en liftant la balle.
  • J'ai confiance en mes talents d'observation.
  • Eh bien tu as oublié une chose. En plus de l'intelligence et de mes compétences sportives j'ai aussi toujours été la plus belle de la classe.

Elle est peut-être la plus belle, mais certainement pas la plus modeste. Personne n'est parfait...

La balle continue de rebondir sur nos raquettes, elle n'est toujours pas tombée. À la fin du cours, Fuyuno termine ce long échange par un smash très bien exécuté. En partant pour les vestiaires, je lui dis une dernière chose.

  • Si personne ne vient te demander de former un binôme d'ici demain, nous allons malheureusement être ensemble, dis-je d'un air lassé et sans regarder mon interlocuteur.

Elle ne me répond pas et me regarde avec dédain.

***

 Vendredi, le jour que tout le monde attend à part moi, est arrivé. C'est pendant le dernier cours que nous procédons à l'établissement des binômes. Comme je le pensais, tout le monde en a trouvé un. Ainsi, tous les noms de la classe sont écrits au tableau, sauf deux. Le mien, et celui de Fuyuno. Akatsuki-sensei prend donc une décision.

  • Bien, Yamatori et Fuyuno, vous êtes ceux qui restent, donc vous vous mettez ensemble, compris ? Vous avez de la chance que le nombre d'élèves n'est pas impair.
  • D'accord, disons-nous en même temps sans aucune motivation.

Nakashima se tourne vers moi et regarde le sol avant de finalement se décider à me dire quelques mots.

  • Yamatori, tu es avec Fuyuno, alors ? Bonne chance ! Moi je suis avec Sacchan !

Celle que Nakashima appelle Sacchan est Kagami Sachiko, sa voisine de devant. C'est une fille sérieuse et qui aime étudier. Ses cheveux marron sont attachés par un ruban aussi rouge que les cheveux de la professeure. Ses yeux noisette sont cachés derrière de grandes lunettes. Elle a enlevé la veste de son uniforme pour ne rester qu'avec sa chemise. Peut-être a-t-elle chaud. Elle représente le stéréotype de la future déléguée de classe qui fera aussi probablement partie du Conseil des étudiants. Elle se présente à moi.

  • Bonjour, je suis Kagami Sachiko, ravie de te rencontrer.
  • Tu comptes te présenter comme déléguée et rejoindre le Conseil des Étudiants, non ?
  • Hein ? Mais comment tu le sais ? Je ne l'ai dit à personne...

Encore une fois, j'avais vu juste. Nakashima n'avait visiblement pas l'air au courant. Elle sourit et demande à son amie :

  • Hein ? C'est vrai, Sacchan ? Je ne savais pas. Tu peux compter sur mon soutien !

Elle me regarde alors pendant plusieurs secondes, comme si elle se sentait coupable d'une quelconque chose. Elle se décide enfin à me parler, en changeant complètement de sujet.

  • Euh tu sais, Yamatori, je voulais m'excuser, je ne savais pas que tu n'avais pas de partenaire, sinon je me serais dévouée.

Se dévouer ? C'est comme si elle me traitait avec condescendance, et le moment où elle a voulu me présenter à d'autres m'a fortement déplu. Je la regarde alors fermement et lui réponds sèchement.

  • Je t'ai rien demandé, retire-moi cette pitié forcée de ton visage, et arrête de me parler pour te donner bonne conscience.

Nakashima a l'air troublé. Elle ne répond pas et se tourne vers son cahier. Son sourire habituel avait disparu. Akatsuki-sensei réclame le silence.

  • Bien, maintenant que vous êtes tous casés, je vous laisse partir et vous préparer pour demain. Rendez-vous à 7h à l'entrée du lycée.

 Dois-je être satisfait ou mécontent ? D'un côté, je finis plus tôt, mais je vais devoir me réveiller plus tôt en contre partie. Je déprécie fortement ce genre de contraintes, d'autant plus que si je me lève plus tôt ce n'est pas pour quelque chose d'appréciable. Passer la journée à résoudre des énigmes pour ensuite passer la nuit avec des gens qui ne jurent que par la camaraderie, tout cela ne m'enchante pas le moins du monde, et être avec Fuyuno rend les choses encore plus importunes. Quoi qu'il en soit, je range mes affaires et me lève. Nakashima avait toujours l'air mal en point. Ce n'est pas mon problème. Une journée pénible m'attend demain.

Annotations

Vous aimez lire Yamatori Kei ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0