Chapitre 6 : Un cadavre dans le placard

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Assit sur sa chaise à roulettes, le commissaire pianotait maladroitement son clavier. Des volutes de fumée s’échappaient de la cigarette coincée entre ses lèvres. Sa moustache en brosse frémit et des cendres vinrent s’allonger sur son bureau. Il les vira d’un geste las et écrasa son mégot dans un cendrier rempli.

Vingt-deux ans que cette pièce était devenue son antre, sa tanière imprégnée de l’odeur du tabac. À défaut de l’avoir décoré, Hervé l’avait au moins parfumé.

Une unique photo familiale trônait sur une étagère. On pouvait y voir Lucas, un ballon de foot au pied et la main bienveillante de sa mère sur l’épaule. Avec le temps et les tracas du quotidien, cette image ne l’affectait plus. Hervé avait fait son deuil et les seuls souvenirs qu’il lui restait de sa femme ne le blessaient plus. Ils le faisaient sourire, parfois même rire, mais le chagrin avait laissé sa place à une nostalgie apaisante. En revanche, pour Lucas, ça avait été une autre paire de manches.

Sur l’écran de son ordinateur était affiché un exemplaire de « L’écho d’Ezerton », un ancien journal local fermé depuis, avec en gros titre « Une vague de violence déferle sur la ville ». Ce n’était pas la curiosité qui l’avait amené à retrouver ce vieil article, mais plutôt sa mémoire. La découverte du corps calciné lui avait rappelé une sombre époque où des fusillades avaient éclaté en ville. Sa femme avait été abattue en sortant d’un magasin et Philippe Laudabre – le père d’Andrew – avait péri dans les flammes. Un véritable désastre.

Hervé suivait les lignes de l’article en les soulignant de son annuaire. Lorsque le nom de sa femme apparut parmi les victimes, son doigt freina ostensiblement. Visiblement, il n’y avait aucun lien entre ces faits et la découverte du cadavre dans la forêt du Vondan, excepté l’état du corps : brûlé, comme Philippe Laudabre.

Sauf que Philippe s’est immolé. Rien à voir avec notre macchabé.

Le docteur Plantier – légiste attitré de l’affaire – avait été formel : le John Doe¹ n’avait pas succombé sous les assauts du feu. On lui avait craqué la nuque avant de le brûler et ses dents avaient été arrachés. Des précautions qui compromettraient sérieusement l’identification du cadavre.

Malgré tout, Hervé voulait s’assurer qu’il n’y avait aucune autre coïncidence. Cet article de « L’écho d’Ezerton » était sa jurisprudence dès que son instinct de policier s’activait.

Un autre élément le chiffonnait. Il avait personnellement inspecté la scène de crime, dans la forêt du Vondan, et il avait été surpris de découvrir un tel désordre. La flore semblait encore épouvantée par ce qui s’y était passé. Les arbres étaient striés d’entailles, la terre avait été remuée, les rochers explosés, sans parler du cratère. Et cette impression de suffoquer.

C’était trop gros, cette histoire sentait mauvais. Il fit le tour de son bureau, histoire de se dégourdir les jambes. Depuis huit heures ce matin, il attendait un rapport complémentaire de la part du légiste. Patienter, il pouvait se le permettre. Excepté ce corps, il n’avait aucune autre affaire en cours.

Va dire ça aux parents du petit Marc Piermond ! Eux doivent toujours chercher leur fils !

Hervé avait laissé l’affaire à Vincent, son officier, et ce dernier lui avait fait part des maigres avancées. Aucun témoin, aucune piste, un rien angoissant.

Pour vu que ce soit une simple fugue.

La culpabilité l’envahit. Ce petit connard d’Émile s’était amusé à l’humilier, à lui uriner dessus et les autres, dont son fils, avaient ri. Pas étonnant que le gamin ne souhaitait pas revenir à l’école. Avec ces deux affaires sur les bras, Hervé avait préféré jouer la carte de la sécurité, c’est pourquoi la directrice du lycée allait venir le rencontrer d’une minute à l’autre.

On frappa à la porte.

— Entrez.

La silhouette parfaitement droite de Mme Lescard apparut. Elle s’avança dans son tailleur élégant.

— Bonjour Sophie.

— Bonjour Hervé. Tu as demandé à ce que je passe te voir.

— Oui. Assois-toi, je t’en prie.

Il repoussa le dossier de sa chaise et s’y installa. La femme contempla sa mine fatiguée avec compassion.

— Tu es au courant pour ton élève, Marc Piermond ?

La directrice hocha la tête en silence.

— Nous nous sommes tout de suite intéressés à la piste de la fugue, mais si l’on tient compte des récents évènements…

— La découverte du corps ?

Le commissaire acquiesça.

— Je me demandais si ce macchabé ne serait pas plutôt… La seconde victime.

La directrice se figea.

— C’est donc un meurtre, conclut-elle. Tu supposes que Marc Piermond est tombé sur le même tueur ?

— Oui.

— Tu ne m’as pas demandé de venir pour me faire part de tes trouvailles, je me trompe ? devina Mme Lescard.

— À vrai dire, j’ai un mauvais pressentiment. La scène du crime m’a rappelé l’époque où…

— Je vois, le coupa la directrice. Et donc ?

Hervé se dandina nerveusement.

— J’aimerais que tu emmènes tes élèves camper au manoir quelques jours, à partir de lundi jusqu’au plus tard possible, le temps que je m’assure de quelque chose. Loin de la ville, ils seront en sécurité. Si des parents n’acceptent pas de les envoyer là-bas, qu’ils gardent leurs enfants, ça m’est égal. Tant qu’ils ne circulent pas dans la ville.

— Tu souhaites les éloigner ?

— J’ai besoin de clarifier la situation et je ne peux me permettre d’avoir une armée d’ados dans les pattes.

— À t’entendre, tu crains leur grand retour.

Le commissaire fut parcouru d’un frisson.

— Tu n’as pas à te sentir mal à l’aise, lui confia la femme. Nous n’avons pas à regretter nos actes. C’était un autre temps.

— Certes…

— Je ferai ce que tu me demandes. À une condition.

Hervé releva la tête.

— Je veux une arme. Si ces criminels reviennent, je souhaite pouvoir me défendre.

Soulagé de voir la directrice accepter si facilement, il accepta sa requête.

— Je peux te prêter un Sig…

— Je veux le gros, celui dans le sous-sol.

— Sophie, s’indigna-t-il. Reste raisonnable.

— Le gros, insista-t-elle. Tu me dois bien ça, après t’avoir sauvé la vie.

— D’accord, d’accord, je verrai ce que je peux faire. Pendant un instant, j’ai bien cru que tu allais me demander celle…

Intéressée, la directrice haussa un sourcil.

— N’y pense même pas.

Définition John Doe : expression qui désigne une personne non identifiée.

*

Élu

En l’an -5, les dieux se questionnèrent sur l’intérêt d’attribuer le Souffle aux humains qui subissaient les assauts d’Hébès. Après un vote remporté à la majorité, le traité n°1.1 fut signé et le Souffle offert aux Hommes et aux Femmes.

En l'an 1 après la disparition d'Hébès, le conseil des Sœurs Gornogue demanda la modification du traité : le Souffle doit être un don héréditaire et non périssable. La requête fut acceptée et le nouveau traité (n°1.2) fut ratifié par les dieux.

Encyclopédie CherchTou, par Miracus Seleston.

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