Chapitre 3 : Un lycée ordinaire

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— Pouvez-vous me rappeler les raisons de votre détour ? interrogea Hervé Repiton, le commissaire de la ville.

— Pour échapper à votre détraqué de fils et ses amis, lança Andrew.

— Andrew ! tonna sa mère.

Hervé caressa sa moustache et fit le tour de son bureau. L’équipe qu’il avait envoyée était encore sur les lieux, immortalisant la scène à l’aide de leurs appareils photo. Elle avait conservé le moindre indice dans des sachets transparents et Andrew avait dû hausser le ton pour qu’on lui rende son téléphone qui était tombé de sa poche.

— Je peux rentrer chez moi maintenant ?

— Nous avons presque terminé. Est-ce que vous avez entendu ou senti quelque chose quand vous étiez au lycée ? Une secousse, une explosion, un souffle chaud, quoi que ce soit ?

Sa question sonnait comme une tentative désespérée de faire retrouver la mémoire à un amnésique. Peut-être Andrew avait-il omis un détail ? Un rien du tout insignifiant dans la tête d’un adolescent, mais un indice crucial dans celle d’un flic ancien ?

L’adolescent fit non de la tête.

— C’est un meurtre, pas vrai ?

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? s’étonna Hervé.

— Une seule personne n’aurait pas pu provoquer un tel désordre.

Il voulut approuver mais se retint. Décidément, il finirait bredouille ce soir. Il n’avait rien obtenu de l’autre gamin, Antoine Bellecour. Ce dernier paraissait bien plus effrayé à l’idée d’aller en prison que de se faire attraper par le tueur. Lorsqu’il avait posé une main rassurante sur son épaule, Antoine avait sursauté et ses fesses l’avaient propulsé sur la moquette. Ses parents avaient plongé leur visage entre leurs mains, exaspérés. Hervé avait été surpris de l’indifférence qu’ils lui témoignaient. Il avait pourtant été victime d’une traumatisante découverte, mais sa mère avait préféré vérifier que son petit frère ne manquait de rien en salle d’attente. Une fois l’entrevue terminée, M Bellecour, un homme rigide au costume trois-pièces impeccable, avait finalement parlé.

— Désolé que mon fils vous ait causé des problèmes. En vous souhaitant une bonne soirée.

Quelle tête de con, avait pensé le commissaire en le remerciant, sa moustache soulevée par un sourire préfabriqué. Ces mots d’excuse l’avaient profondément agacé. Le gosse avait trouvé un corps, il ne l’avait pas déposé, nom d’un chien !

Seulement, il se demandait s’il était légitime de sa part de critiquer ces parents. Qu’en était-il de sa famille à lui ? De son détraqué de fils, comme le lui avait fait remarquer Andrew ? Lucas n’était pas un voyou comme le disaient les habitants de la ville, l’histoire était plus complexe que ça. La disparition de sa mère l’avait peiné au point de le couper du reste du monde, et ça depuis son plus jeune âge. De ses cinq ans jusqu’à ses dix ans, il ne décrocha pas un mot, de même avec la psychologue qui venait jusqu’à sa chambre un fois par semaine.

Puis l’inespérable arriva. Lucas entra au collège et se lia d’amitié avec trois enfants de son âge : Émile, Romain et Simon. Inexplicablement, ils s’étaient attirés comme des aimants. Lucas parlait très peu, mais ses nouveaux camarades se contentaient de ses silences. Elle était presque angoissante, cette connexion qui s’était établie entre eux.

Les années se succédèrent, les ennuis avec. Infraction par-ci, dégradation par-là. Hervé ne savait plus où donner de la tête et il appliqua la politique de l’autruche : rien ne devait s’opposer à cette union. En secret, il espérait que les parents des autres réagiraient.

Ainsi, les quatre adolescents étaient devenus les crapules d’Ezerton, fuis comme la peste et craints comme la mort.

Au diable ce que pouvaient penser les autres, le bonheur de son enfant passait avant tout.

— Nous allons te laisser. Merci pour le café, parla Mme Laudabre.

Les yeux vitreux du commissaire se ranimèrent et il leur adressa un signe de tête. Andrew fut le premier à sortir et tomba nez à nez avec Vincent Daborde, un officier de police à la musculature impressionnante. Avec sa peau ambrée et ses tatouages maoris sur les bras, il était une réplique parfaite de Dwayne Johnson

— Alors gamin, s’exclama-t-il. On déterre les cadavres ?

Isabelle se racla la gorge et l’enthousiasme de l’officier s’effaça.

— Bonjour Vincent.

— Bonjour madame. Vous allez bien ?

Son air solennel fit glousser Andrew qui mima des gestes obscènes avec ses mains.

*

Le lendemain matin, Andrew s’arrêta devant la maison des Bellecour. Antoine fit irruption dans la cour, une veste légère par-dessus sa chemise en jean mal boutonnée et un bonnet orange tiré sur son crâne.

— On va devenir des stars ! s’écria-t-il.

Andrew fronça les sourcils. Son ami allait sortir une connerie.

— Toutes les chaînes de télé vont venir nous interroger ! On a trouvé un corps !

— Non, répondit-il avec assurance.

Antoine réfléchit. Il prit un air illuminé qui s’effaça aussitôt, ouvrit la bouche puis la ferma.

— Pourquoi ça ?

— Tout ce qui se passe à Ezerton reste à Ezerton. Tu te rappelles quand la vieille femme qui habitait l’immeuble en face de chez Victor a sauté du huitième ? La nouvelle s’est dissipée aussi vite qu’elle s’était répandue. Même les journaux locaux n’en ont pas parlé.

— Fais chier. Pour une fois qu’il se passe quelque chose dans ce trou paumé.

— Vois le bon côté des choses, l’interrogatoire t’as fait sauter un soir de punition.

Ils pressèrent le pas en remontant le col de leur veste.

— Mes parents étaient super énervés, à croire que c’est moi qui l’ai tué ! D’ailleurs, ils ont identifié le corps ? Ce doit être quelqu’un de la ville !

— Pourquoi ça ?

— Personne ne cherche à entrer à Ezerton. À en sortir, je veux bien. Mais certainement pas à y entrer.

Tous les deux rirent de bon cœur.

Un peu avant de quitter le quartier, des grincements en provenance d’une vieille grange abandonnée les interpellèrent. Stupéfaits de la rencontrer si bruyante, ils l’observèrent en silence.

Des bruits de pas résonnèrent à l’intérieur.

— Cette grange me fout les jetons, grimaça Antoine.

Il lut la pancarte de chantier accrochée à sa façade et chercha le nom du propriétaire.

— Le Royal ? C’est bizarre comme nom. Je ne sais pas ce qu’ils lui ont trouvé d’intéressant à ce taudis, mais j’espère qu’ils vont le détruire.

Ils reprirent leur route et empruntèrent le véhicule brinquebalant qui les déposa au lycée.

À peine descendirent-ils du bus qu’on leur jeta des regards en coin. Des élèves échangeaient à voix basse et Andrew intercepta une conversation qui ne manqua pas de l’agacer.

— Il a encore trouvé un moyen de se rendre intéressant celui-là.

— Il veut se faire remarquer, comme d’habitude, surenchérit sa voisine.

Sans l’ombre d’un doute, ils faisaient référence à la découverte du cadavre dans la forêt. Ils essayèrent de ne pas y prêter attention, mais Antoine éprouva des difficultés à occulter toutes ces paires d’yeux braquées sur lui.

— À tous les coups, c’est l’attardé qui l’a tué, clama un garçon.

Ses amis rigolèrent.

Andrew sentit la colère le gagner. Ses membres devinrent lourds et son champ de vision s’étriqua.

La brume !

Il tourna sur lui-même et chercha le voile fantomatique. Rien.

— Andrew, l’appela Agathe, le visage fermé. Qu’est-ce qu’il s’est passé hier ? J’aurais dû être la première informée ! Tu as pris des photos ?

— Comment ça ?

Agathe pinça l’arête du nez, agacée.

— Tu me fatigues. C’est pour le journal du lycée, articula volontairement la jeune fille comme pour faire comprendre le message à un demeuré.

— À quoi est-ce que tu t’attendais ? On parle d’un mort Agathe, pas d’un coup de vent qui a décroché le toit d’une grand-mère !

— Tu sous-entends que tous mes articles s’y apparentent ?

Oui.

— Non, ce n’est pas ce que je voulais dire.

— T’es vraiment naze.

— Merci du compliment. Ce sera tout ?

— Oui, je n’ai rien d’autre qui me vient.

Elle lui tourna le dos et partit rejoindre Charlotte et Victor.

Excédé, Andrew se dirigea vers l’aile Ouest, pressant les sangles de son sac à dos sous ses doigts. Ils commençaient tous à lui taper sur les nerfs et il préféra s’isoler dans le bâtiment où son premier cours avait lieu. Adossé au mur du couloir, il aperçut Julie Matron qui s’approchait, ses cheveux roux se balançant derrière elle. Elle se planta devant lui et ses joues rougirent légèrement.

— Salut, articula-t-elle timidement.

— Salut, grogna-t-il.

Sa réponse la perturba et elle laissa échapper un hoquet de surprise.

— Je suis désolée, je ne voulais pas te déranger, s’excusa Julie en faisant demi-tour.

— Attends, je n’aurais pas dû te parler comme ça. Ta cousine m’a mis en rogne… Qu’est-ce que tu voulais me demander ?

— Je voulais prendre de tes nouvelles. J’ai appris pour ce qui s’est passé hier soir.

— Tu t’inquiètes pour moi ? sourit Andrew.

Julie se ferma.

— Absolument pas.

— C’est gentil. Et je vais bien.

Si Agathe apprend que sa cousine est venue prendre de mes nouvelles…

— Bien, je vais y aller.

La sonnerie retentit et elle disparut dans le flot d’élèves qui s’engouffra dans l’aile. Andrew suivit le mouvement et entra dans sa classe. M Vula, un professeur squelettique, déchargeait des livres de son sac et les disposait sur sa table. Comme un sixième sens qui détecterait la position d’une menace, l’homme se figea et laissa son cou décharné pivoter sur ses épaules. Il y était presque.

Non… Pas une année de plus !

Ses yeux se posèrent sur Andrew tout comme ceux de l’adolescent s’étaient posés sur lui. Tous deux dégageaient une aversion à la limite du supportable. Ils n’y croyaient pas, c’était une erreur administrative, rien de plus. Mme Lescard s’était certainement emmêlée les pinceaux en réalisant les listes. Oui, ce devait être ça.

Les élèves étaient installés, stylo en main et cahier ouvert, mais Andrew et Vula n’en démordaient pas. C’était irréel et malheureux. Terriblement malheureux.

Le professeur se racla la gorge et s’adressa à la classe.

— Bonjour à tous.

Sa voix fit frissonner Andrew qui s’installa aux côtés d’Annabelle, la fille qui avait partagé son bureau le premier jour.

— Comme vous le savez…

Parmi la vingtaine d’étudiants et, comme un ver de terre dans sa salade, Andrew Laudabre le lorgnait d’un air écœuré. Cela le déstabilisa un peu.

Tu ne le vois pas. Ce petit con n’existe pas et il ne gâchera pas ton année.

Car cette année, l’inspecteur allait trouver ses prouesses éducatives hors du commun. Il l’enverrait dans l’une de ces grandes écoles parisiennes où des parents richissimes étaient prêts à débourser des sommes colossales pour permettre à leurs progénitures de côtoyer les plus grands. Mais pour arriver à ses fins, il devait se débarrasser du garçon par les tous les moyens. Le souvenir de ce merdeux, accompagné de son camarade Antoine Bellecour, le répugna. Il serra le poing. S’ils n’avaient pas été là l’an passé, alors peut-être y serait-il déjà.

Andrew s’étira et laissa son dos épouser le dossier de sa chaise. M Vula allait être son professeur d’histoire-géographie, une fois de plus.

Il expulsa bruyamment l’air de ses poumons et se retourna pour découvrir ses voisins de table.

— Tiens, salut Maxence ! Qu’est-ce que tu racontes de…

L’interpellé se retourna et lui fit un doigt d’honneur.

— D'accord, je comprends.

Annabelle rit discrètement.

L'année dernière, Andrew et Antoine s'étaient amusés à verser un sachet de laxatif dans la bouteille d'eau de Maxence pendant une pause déjeuner. Personne ne les avait soupçonnés, à par cette garce de Marie qui était allée les cafter. Mais le temps que la dénonciation ne se fasse, Maxence avait déjà bu la totalité de sa bouteille et s'était évaporé dans la nature. Nature qui se situait dans les toilettes du lycée. Antoine avait dû vider son sac à dos sur le bureau de Mme Lescard et la sanction avait été lourde, très lourde même, tout comme la punition que lui avait attribuée sa mère. Rien que le fait d'y repenser, Andrew en eut la chair de poule.

M Vula sonda les alentours et s'arrêta sur lui avec une lueur de démence dans ses petits yeux globuleux. Un spasme, similaire à un toc, le gagna et sa tête ronde bascula violemment sur la gauche. Andrew crut avoir affaire à un robot dysfonctionnant.

— Vais-je… devoir… vous supporter pendant trois ans… Monsieur… Laudabre ? dit-il d’une voix grinçante et saccadée.

Andrew acquiesça d’un air faussement compatissant.

— Vous aussi, vous avez l’impression de vous être fait avoir ?

Toujours cette arrogance. J’aimerais t’écraser avec ma voiture, briser chacun de tes os minuscules pour…

Le professeur regretta ses pensées. Il voulut esquisser le geste de la croix, mais se retint. Une telle frasque dans un établissement public en début d’année et il pourrait tirer un trait sur son avenir prometteur.

Contre toute attente, la séance se déroula sans anicroche. Les deux ennemis échangèrent des regards rebutés mais n’allèrent pas plus loin. Trente minutes s’écoulèrent sans que rien ne se passe, excepté l’apparition d’orages à-travers le ciel gris. De grosses gouttes frappèrent les vitres du lycée Raymond Charles II.

Le sommeil appuyait sur la tête d’Andrew et la berceuse que lui jouait la pluie dehors ne l’aidait pas à se réveiller. Au moment où il s’apprêta à sombrer, le stylo de sa voisine glissa sur la table et buta contre son bras. À la manière d’une toupie, il tourna frénétiquement sans que personne ne le touche.

Comment c’est possible ? La brume ! percuta Andrew.

Il vérifia sous ses jambes et ne trouva rien.

Interpellée par le phénomène, sa voisine eut un mouvement de recul. Le stylo cessa de tournoyer et s’écrasa contre le dossier de la chaise d'en face. En une fraction de seconde, un élève se tomba au sol, les vertèbres douloureuses.

Comment j'ai fait ça ? se demanda Andrew. Antoine avait raison, j’ai des pouvoirs ! Je suis un sorcier !

Annabelle rassembla ses affaires et se leva précipitamment. Juste avant de partir, elle posa sa main sur celle d’Andrew.

— N'en parle à personne, je t'en supplie, dit-elle à voix basse.

Elle quitta la salle en vitesse.

M Vula fusilla Andrew du regard.

— Je vois que je ne suis pas le seul à essayer de vous fuir, lança furtivement le professeur.

Des rires s’élevèrent.

Déçu par la révélation de sa voisine, Andrew réalisa qu’il n’était pas un sorcier.

Mais alors, cette fille, qui est-elle ? Ou plutôt qu’est-elle ?

Des nuages noirs s’amoncelèrent au-dessus de la ville et un éclair violet s'abattit entre les maisons, libérant dans son estocade un déchirement puissant.

Tim et son frère traversèrent la classe, sac sur le dos, et partirent eux aussi.

— Restez ici ! brailla Vula.

Ses globes oculaires gonflèrent et sa tête en forme d’ampoule trembla de colère. Andrew voulut s’en moquer, mais quelque chose l’en empêcha. Dans quel genre de classe était-il tombé ? Une fille moitié étudiante – moitié sorcière et des frères chasseurs d’éclairs… violets ?

Un éclair violet ? s’insurgea Andrew. Ils vont finir par me rendre timbré !

À la pause, il retrouva Antoine sous le préau de la cour intérieure et sa mine préoccupée l'inquiéta.

— Ça ne va pas ?

— Tu as appris pour Marc Piermond ? demanda-t-il.

— Apprendre quoi ? Il était absent hier et je ne l’ai pas vu aujourd’hui. Il est sûrement malade, non ?

— Ses parents viennent de signaler sa disparition. Il a fugué et c’est de leur faute ! s’enragea Antoine

*

Guerre de création (en l’an -5 avant la disparition d’Hébès jusqu’en l’an -1)

Le dieu Hébès décida, en l’an -5, que l’Homme et la Femme ne devaient plus vivre. Il jugea la création mauvaise et partagea son avis avec ses confrères, mais tous lui donnèrent tort. Aigri, il préféra s’exiler un temps pour réfléchir et se calmer.

Des semaines plus tard, il annonça son retour et ses semblables l’accueillirent à bras ouverts. Le soir même, ils organisèrent une fête en son honneur, mais Hébès profita de l’évènement pour dérober le pinceau Vérénice. Caché dans une grotte, il dessina une armée d’êtres abjects qu’il envoya sur l’Eter dans le but de détruire les humains (an -5 : début de la guerre de Création). Les Dieux, réticents à l’idée d’intervenir physiquement, offrirent à leur création un don unique qui le permettrait de venir à bout de l’oppression monstrueuse : le Souffle.

En l’an -3, l’Homme et la Femme remportèrent une première victoire.

Hébès s’enragea et imagina une nouvelle créature capable de rivaliser avec ce don. Ainsi naquit le Zépal. Le conflit reprit de plus bel et les humains, destinés à survivre, terrassèrent la menace au prix de grands sacrifices.

En dépit de tous ses efforts, Hébès perdit la guerre de création en l'an -1. Ses confrères l’arrêtèrent et le pinceau Vérénice lui fut retiré.

Encyclopédie CherchTou, par Miracus Seleston.

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