Chapitre 0 : Physique-chimie et plus si affinités

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David Nikolchev s'était levé du bon pied ce matin. Les oreillers avaient été jetés aux quatre coins de la pièce, une culotte reposait sur l'angle du téléviseur et le sommier s'était éloigné du mur. Après un bref repos rythmé par son souffle haletant, il se dépêtra des bras de sa compagne pour se faufiler, les mains sur l'entrejambe, jusqu'à la salle de bain. L'eau glaciale termina de le réveiller. Lorsqu'elle se réchauffa, enfin il se détendit et commença à se savonner.

Aujourd'hui signait le début de sa carrière professionnelle et David s'en trouvait tout excité. Il avait préparé son concours avec un tel acharnement que plus rien ne l'effrayait. Fraîchement diplômé par le Comité d'Apaisement Français, il pouvait désormais assumer ses fonctions de professeur avec la même fierté qu'un policier recevant son insigne pour la première fois.

Il quitta la cabine et se sécha rapidement. Lilia entra à son tour. Elle défit la serviette que son compagnon avait noué autour de sa taille.

— Encore ? gloussa David.

Elle le poussa doucement et le ramena dans la douche.

— Je ne vais pas te voir pendant une semaine. J’ai besoin de faire des… provisions. Oui des provisions. Comme les écureuils.

*

Habillé d'un jogging et d'un sweat à capuche, David déjeunait copieusement. Les dernières nouvelles d'un journal défilaient sur l'écran digital de sa tablette. Il termina sa tasse et se servit aussitôt un nouveau café. Lilia s'assit sur le divan du séjour, un magazine féminin sous le nez et un masque d'argile sur le visage.

— Tu te souviens, cette soi-disant conduite de gaz qui avait explosé en mars dernier à côté de chez mes parents ? demanda David.

— À Kiev ?

Il acquiesça silencieusement.

— C’est Tareb Motur qui en est responsable. Le comité d’apaisement ukrainien lui a mis la main dessus hier soir.

— C’est l’élu avec le Souffle altéré ?

— Exact. Ils en ont retrouvé des traces sur les lieux de l’explosion, mais l’analyse a pris énormément de temps.

— Une pourriture de moins, trancha Lilia.

La lumière du jour s’engouffra dans la pièce et étira l’ombre d’une bibliothèque suspendue sur le parquet. Dans l’une des cases de rangement, un cadre photo avait été disposé, présentant la famille de David rassemblée autour d’une grande table. Lilia les avait rencontrés pour la première fois ce jour-là.

La jeune femme posa son magazine rejoignit la baie vitrée et tira les rideaux pour ne pas être éblouie. Ils habitaient au huitième étage d'un appartement qu'elle jugeait trop haut à son goût. Cela avait été une des conditions pour que David accepte d'investir dans un bien immobilier. Cette volonté de vivre en hauteur était, pour son compagnon, une manière de se protéger de ce qui se passait en bas, comme un nid posé sur une branche pour se tenir hors de portée des serpents.

Les serpents… pensa-t-elle.

Il y a de cela cinq ans, David avait été victime de crises de panique liées à la foule et Lilia avait observé des changements dans son comportement : il gardait constamment un œil dans son dos lorsqu'il marchait dans la rue, quand ils déjeunaient tous les deux en ville, son regard scrutait chacun des clients attablés et il avait pris la fâcheuse tendance de sonder n'importe quel individu qu'il rencontrait. Ce malaise était survenu après qu'il ait appris être un élu, un possesseur de Souffle.

À l'âge de seize ans, le quotidien de David avait été marqué par une série de phénomènes étranges. Une brume colorée était apparue à plusieurs reprises autour de ses chevilles. Elle surgissait de nulle part, sans aucune raison et le suivait quelques secondes avant de disparaître. À chaque manifestation, des évènements catastrophiques s'étaient produits. Une voiture en bas de son immeuble avait pris feu, la vitre de sa chambre s'était brisée, des rats avaient infesté l'appartement du voisin et l'eau d'une douche qu'il avait prise s'était écoulée dans sa chambre, par le plafond. David avait fait des recherches sur internet pour voir si d'autres cas comme le sien existaient. Rien, pas le moindre témoignage ou article. Puis une drôle de lettre postale avait été livrée à son adresse. Envoyée par un « Comité d'Apaisement » – une branche de l'État gardée secrète – elle l'invitait à un séminaire de sensibilisation à l'utilisation du Souffle. David n'avait rien compris à ce charabia, mais le lien entre la brume et cette lettre semblait évident. Il s'était rendu à l'adresse indiquée, accompagné d'une poignée adolescents inconnus. Dans un centre spécialisé, ils avaient appris à canaliser la force instable qui les habitait. Ce fut lors de ce séminaire qu'il rencontra Lilia. Des années plus tard, les formations pour jeunes élus furent arrêtées. À la place, le gouvernement instaura un réseau de professeurs spécialisés en « prévention des risques liés à la maturité du Souffle ». Ces enseignants avaient pour missions d'intégrer des établissements scolaires susceptibles d'être fréquentés par des élus novices et de les former avant que leur Souffle ne devienne ingérable. David avait poursuivi ses études dans une filière jugée stérile sur le marché du travail et le destin fit qu'il reçut un courrier du Comité d'Apaisement, l'invitant à postuler. Les conditions étaient simples : être un élu et passer un diplôme. En plus de cela, on lui assurait un salaire lors de sa préparation, un salaire pour un étudiant ! Sans l'ombre d'une hésitation, il avait sauté sur l'occasion et rejoins l'Académie du Comité d'Apaisement parisien afin de préparer un double diplôme : physique-chimie pour justifier sa présence dans un établissement scolaire – matière qu'il affectionnait tout particulièrement – et prévention des risques liés à la maturité du Souffle.

Trois semaines après sa rentrée des classes, un simple devoir de routine avait mis le feu aux poudres. Un professeur avait distribué une étude de cas concernant l'explosion de l'usine AZF. Les faits dataient de 2001 et David connaissait particulièrement bien ce triste épisode de l'histoire pour l'avoir vu et écouté à travers le vieux téléviseur de sa tante.

Il avait ouvert le document et pris connaissance de l'incident. « Un stock de nitrate d'ammonium explose dans l'usine le 21 septembre 2001. L'explosion creuse un cratère de 70 mètres de long et de 40 mètres de large ». Des choses qu'il savait déjà, rien de nouveau, jusqu'à ce qu'il tourne la page. Des documents confidentiels décortiquaient les antécédents judiciaires de deux paques – groupes d'élus – concurrentes connues pour leur violence. David s'était attribué quelques minutes de réflexion : en quoi l'explosion de l'usine AZF avait-elle un lien avec la paque des Gémuni et celle des Trador ? Sourcils froncés, il avait senti son cerveau s'engourdir.

Puis arriva le sujet de dissertation : « Quels étaient les enjeux de l’affrontement qui a opposé la paque des Gémuni et celle des Trador ce jour-là à l’usine AZF ? Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus et présenterez votre devoir en deux parties. » David en était resté bouche bée. Avec toutes ces histoires de complot, de machination et de manipulation, il avait pris l’habitude de filtrer ce que lui donnait le journal télévisé. Mais l’explosion accidentelle de l’usine AZF, il y avait cru. Personne ne pouvait se cacher derrière une catastrophe pareille. Ça ne pouvait être un mensonge.

Revenant lentement à la réalité, il avait levé la main de manière à attirer l’attention de son professeur.

— Oui ?

— C’est la vérité ? Tout ce qui est écrit ici ?

Le quinquagénaire l’avait dévisagé surpris.

— En effet.

— Vous en êtes certain ? L’explosion n’est pas due à un problème de confinement ? avait insisté David.

— Non, c’est une mascarade. Le document explique tout ce qu’il faut savoir, je ne peux pas t’aider davantage.

— Mais depuis quand est-ce que le comité d’apaisement connaît l’identité des responsables ? Je veux dire, de ces deux paques ?

— Depuis des années. Cette histoire a eu lieu il y a belle lurette, tu sais. Écoute, je sais que tu viens tout juste d’arriver, mais il va falloir te mettre rapidement dans le bain.

— Depuis des années…

Immédiatement, des souvenirs avaient surgi de la mémoire de David. Des témoignages à la radio, des articles de journaux, des reportages, des enquêtes partiellement élucidées. Chaque zone d’ombre s’était engorgée de lumière.

— Combien d’affaires sont en lien avec les élus ? Combien de personnes meurent par leurs fautes ?

— Je ne sais pas David, s’était impatienté son professeur. Il y en a tous les jours ! Heureusement pour nous, dès qu’une explosion retentit, des terroristes la revendiquent. Nous n’avons même plus besoin de nettoyer le merdier.

Il n’avait pas écrit un seul mot de toute l’épreuve et son teint blafard avait inquiété ses camarades. David voulait comprendre.

— L’attentat du casino au Mexique en 2011 ?

— La paque des Consitre contre Abraham Tituran, un élu de renommé, avait-il répondu en rangeant ses stylos dans sa sacoche.

— Le Wold Trade Center ? s’était emballé David.

— Non, pour une fois, nous n’y sommes pour rien.

— Les attentats de Londres en 2005 ?

— David. Si tu continues comme ça, tu vas exploser. À partir de maintenant, tu es capable de comprendre et c’est un trésor tout comme c’est un fardeau. Rentre chez toi et repose-toi. Je vois bien que la nouvelle est un choc pour toi.

Mais il était déjà trop tard et le jeune homme sombra peu à peu. Le monde entier pouvait tourner dans un sens, David le voyait tourner dans l’autre. Les mots en cachaient masquaient la vérité, les passants étaient peut-être des élus et cela ne s’arrêtait jamais. Ce traumatisme s’était accentué avec les attentats, les incendies, les tremblements de terre et les raz de marée qui avaient secoué les cinq continents. Plongé dans sa folie, il avait épinglé contre les murs de sa chambre des articles de journaux, des photos, des dessins, des théories fulminantes. Lilia, qui l’avait suivi à Paris redoutait l’instant où il disjoncterait. Si, dans sa paranoïa, il venait à se servir de son Souffle devant des inconnus, le comité d’apaisement le jetterait en prison, ni plus ni moins.

Par amour, elle était intervenue. Peu de temps après son vingt-quatrième anniversaire, elle avait dilué des somnifères dans sa bouteille d’eau avant de le « kidnapper » de nuit, avec l’aide d’une collègue de boulot. Une fois le paquet installé sur le siège passager de la voiture, elle avait roulé sur plusieurs centaines de kilomètres.

David s’était réveillé cinq heures plus tard. Le soleil se levait à peine. Une forêt clairsemée d’arbres fin jalonnait un lac à l’eau émeraude et une brume délicate stagnait sur les feuilles mortes. Un petit chalet rustique se dressait devant lui.

— Lilia ? s’était écrié David, emmitouflé dans une couverture.

Alertée, elle était sortie de l’habitation.

— Merde, je pensais avoir mis plus de somnifères que ça. Bon, tant pis.

Il était sorti de la voiture, complètement désorienté.

— Qu’est-ce que c’est ? Où sommes-nous ?

— Nous allons passer quelque temps ici. Et ne me regarde pas comme ça, tu n’as pas le choix. Pas de télé, pas de radio, pas d’internet. Quelques livres, de la tisane, une tronçonneuse pour que tu ailles te défouler et des préservatifs. Une montagne de préservatifs.

Malgré une pointe de colère grandissante, David n’avait pu réprimer un éclat de rire. Lilia s’était approchée de lui, s’était hissée sur la pointe des pieds et avait collé ses lèvres aux siennes.

— Je n’en pouvais plus de te voir dans cet état. Je te perdais, alors j’ai décidé d’agir.

Trois semaines, c’était le temps qu’il avait fallu à David pour se rétablir.

Par la suite, il avait continué de s’informer sur le monde tout en conservant une distance de sécurité. Il avait limité son exposition aux médias et avait joui d’une vie bien meilleure.

Hélas, l’année 2015 accoucha d’une série d’évènements tragiques et ses démons revinrent, plus forts que jamais. Un attentat avait résonné non loin de leur domicile parisien. La barrière protectrice qu’était la télé s’était effritée et, de leur salon, ils avaient entendu l’écho des détonations claquer dans les airs. Le soir même, David en avait fait des cauchemars et s’était réveillé en sueur, son Souffle déployé dans la chambre. Leur projet de voyage devint alors très urgent, à tel point que Lilia acheta de nouveaux billets d’avion pour le lendemain. Deux mois à visiter l’Asie. Sa compagne n’avait pas lésiné sur les moyens pour effacer les séquelles.

Il termina de déjeuner et attrapa les clés de sa voiture sur le comptoir de la cuisine.

— J’y vais ma puce !

— Déjà ?

— Je reviens dans une semaine !

— Oui, mais c’est long une semaine. Tu es sûr que nous n’avons pas le temps de…

— Non, Lilia, rigola David.

Elle se leva et l’embrassa langoureusement.

— Je t’aime Nikolchev.

— Je t’aime aussi.

Il ouvrit la porte et s’en alla, toujours habillé de son survêtement. Il martela l’interrupteur de l’ascenseur, soudain excité. Il partait s’installer dans une petite ville, loin du tumulte urbain qui régnait ici, et cela s’apparentait selon lui à la grande aventure que l’on est amené à vivre une seule fois dans sa vie. Il allait être le professeur, le mentor, le guide, le conseiller, pour de jeunes adolescents avides de savoir.

David le mentor ! Ça en jette !

L’ascenseur s’ouvrit dans un grincement et il s’engouffra dans l’habitacle. Au rez-de-chaussée, il traversa le hall silencieux, un sac de sport passé par-dessus l’épaule, et trouva son rejoignit son Opel Corsa garée sur le parking.

Une brise se leva et agita un carillon en bambou. David l’interpréta comme un au revoir.

Il entra dans la voiture, tourna les clés dans le contact et démarra sans plus attendre.

— Ezerton, me voilà !

*

L’Eter

L’Eter est le monde que les Dieux ont créé pour les Hommes et les Femmes. Suite à la vanité d’Eliode (voir déf. 9), un autre monde appelé la Terre est apparu. Aujourd’hui, ces deux mondes parallèles sont appelés des facettes et il est possible de voyager entre elles à l’aide d’un transfacette.

Encyclopédie CherchTou, par Miracus Seleston.

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