Chapitre 1

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C’est à l’âge adulte qu’un diagnostic a établi et que j’ai appris que j’étais autiste Asperger. Avant cela, je me croyais folle tant j’étais différente des autres. Je ne comprenais pas les gens et les gens ne me comprenaient pas parce que j’étais et je suis toujours incapable de me faire comprendre. Aujourd’hui je ne comprends pas plus les gens et le monde extérieur tout comme eux ne me comprennent toujours pas non plus. Mais au moins j’ai pu mettre un nom sur mon problème. Je sais que c’est un problème. Je sais que je ne guérirai jamais. Mais je sais au moins que je ne suis pas folle, ni handicapée mentalement.

Je ne comprends toujours pas la société et les autres. Les gens. Le monde extérieur. Je ne comprends pas leur manière de penser, d'agir, de raisonner. Pourquoi ils ressentent les choses d’une façon tellement différente de moi. Je comprends qu’ils fonctionnent d’une certaine manière, mais je ne comprends pas pourquoi. Je suis quand même parvenue à me fondre dans la masse et ne plus paraître trop différente, au fil du temps. Mais je ne me sens pas mieux pour autant. J'ai toujours le sentiment d'être obligée de jouer un rôle, de n'avoir pas le droit d'être naturelle.

J’ai appris à faire semblant d’être normale.

Quand on ne sait pas ce dont on souffre, ça fait peur. Surtout lorsqu’on commence à se rendre compte à quel point on est différent des autres.

Longtemps je me suis demandé si j’avais ma place au sein de la société et même au sein de ma famille. La réponse je l’ai découverte avant même d’apprendre de quoi je souffrais, et le fait de mettre un nom sur mes souffrances n’a rien changé à mon mal-être ni au sentiment de n'être à ma place nulle part.

Je sais juste que je ne suis pas folle, au sens où la médecine l’entend, ce qui n’est qu’une maigre consolation.

Il parait, d’après mon parrain, que jusqu’à 3 ans j’étais une petite fille normale. Je parlais, je chantais, je dansais, je paraissais heureuse et épanouie. Après, toujours selon mon parrain, c’était comme si j’étais devenue une autre enfant que celle qu’il avait connue.

Mon parrain est le frère de ma mère. Pour ne pas causer de disputes au sein de la famille, plutôt que d’en faire lui-même la réflexion à sa sœur, il a préféré expliquer ce qu’il ressentait à sa mère, ma grand-mère maternelle. Il pensait que sa sœur l’accepterait plus facilement de la part de sa mère que de sa part à lui.

Ma mère a haussé les épaules, a répondu que j’avais un caractère de cochon et est passée à autre chose. Pour ma mère, les réponses à tous ses problèmes se situent dans mon caractère de cochon.

Ma mère n’a jamais supporté que tout n’aille pas au mieux. Lorsqu’il y a des problèmes, elle transforme les faits afin de se persuader qu’en réalité il n’y avait pas de raison de s’inquiéter et que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Elle ne sait pas faire face à la vie. Elle est fragile et naïve. Elle n’a jamais voulu qu’il y ait des problèmes avec ses enfants, ni avec qui que ce soit d’autre, donc il n’y en n’avait pas. C’était aussi simple que cela.

Nous ne manquions de rien. Nous étions bien habillés. (Ma mère travaillait chez un importateur de vêtements pour enfants!) Nous avions des jouets, des livres, des jeux. Le frigo était toujours plein. Nous sommes toujours partis en vacances. Nous avions une grande maison, une maison de campagne avec un jardin. Nous étions montrés au pédiatre tous les mois. Nous avions le droit de faire des études. Nous n’avions pas besoin de trouver un job étudiant pour avoir de l’argent de poche.

Alors où pouvait-il y avoir un quelconque souci ?

J’ai l’impression que pour ma mère, le fait d’avoir un problème représentait une tare, une humiliation. Comme si elle avait raté quelque chose dans sa vie. Comme si ç’aurait été obligatoirement de sa faute. Comme si elle estimait devoir montrer qu’elle était plus forte que tout, y compris de la maladie et de la nature, peut-être justement parce qu'elle était faible.

C’est sa manière de voir les choses qui m’a appris à avoir honte de tout ce que je faisais et disais. Quand je disais quelque chose de faux ou de pas tout à fait juste, quand je me trompais, quand je ne parvenais pas à comprendre quelque chose, quand je transmettais mal quelque chose, mes parents me faisaient comprendre à quel point je devais être honteuse de moi. A quel point c’était humiliant de rater ce que l’on essayait de faire ou de dire.

C’est humiliant de mal se conduire, d’être sujet à des remarques désobligeantes ou disciplinaires. Mais mal se conduire c’était ne pas se conduire convenablement autant que se conduire d’une manière que mes parents désapprouvaient. Et j’ai appris avec le temps que mes parents ne désapprouvaient pas uniquement ce qui était « désapprouvable ». Ils désapprouvaient aussi, ce que tout simplement ils n’approuvaient pas eux, mais qui n’était pas forcément de l’inconduite. Simplement une autre manière de fonctionner qu'eux. Ils désapprouvaient en règle générale tout ce qui était différent d’eux, tous ceux qui n’avaient pas la même opinion sur la vie, la politique, la société, tous ceux qui ne vivaient pas comme eux. Désapprouver est d'ailleurs un mot trop gentil, il faudrait plutôt dire condamner, car pour mes parents tout est noir ou blanc. Il n'y a pas de nuances. Les gens qu'ils aiment n'ont aucun défaut et ont toujours raison. Ceux qu'ils n'aiment pas n'ont aucune qualité et ont toujours tort.

Donc j’ai grandi avec un sentiment permanent d’humiliation qui me collait à la peau et dont je ne parvenais pas à me défaire. Ce sentiment est toujours en moi. Je ne suis jamais parvenue à m'en défaire. Et par la force des choses, jamais je ne me suis mal conduite ! Jamais je n’ai menti. Jamais je n’ai volé. Jamais je n’ai « fait à autrui ce que je ne voulais pas que l’on me fasse ».

J’ai un grand respect pour les autres. Je fais toujours bien attention à ce que ma liberté n’entrave pas celle des autres… mais j'ai fini par réaliser que je suis bien la seule ! Quand on se comporte bien, quand on respecte les autres, quand on les fait passer avant soi, quand on « prend le plus petit morceau », les autres ne se gênent pas pour en profiter, pour prendre le plus grand morceau… et pour en plus oser encore se plaindre et critiquer!

Ce qui fait que je respecte l’humain, les biens, les choses, les lois, les règlements, mais je n’aime pas les gens en général. La nature humaine n’est pas bonne contrairement à ce que j'ai longtemps cru.

Vers l’âge de 3 ans, j’ai changé. Parait-il.

Je ne m’en rappelle pas. Ni d’avoir changé, ni comment j’étais avant. Je ne sais absolument pas ce qui a pu se produire pour que pile à cet âge là quelque chose change en moi.

J’essaie d’y réfléchir, de m’en rappeler. J’ai une excellente mémoire. Je me rappelle encore parfaitement dans le moindre détail, de choses vécues dans mon enfance alors que j’étais très petite. Mais je ne parviens pas du tout à me rappeler ce qui a déclenché le déclic et qui a fait en sorte que je me sois enfermé dans ma bulle. Pourtant je meurs d’envie de l’apprendre, de le comprendre, parce que cela m’aiderait peut-être. Mais non. Rien. Le vide. Le noir complet. Impossible de me rappeler.

Je pense que c’est vers l’âge de 9 ou 10 ans que ma grand-mère maternelle a commencé à m’expliquer que mon parrain trouvait que j’avais fort changé, que je n’étais plus la même enfant qu’avant, que je m’étais complètement renfermée sur moi-même, que je ne parlais plus, que je n’allais plus vers les autres. C’est à ce moment là que j’ai commencé à fouiller ma mémoire, mais en vain.

C’est drôle, je ne m’imagine pas du tout en enfant heureuse et épanouie, allant vers le monde et les gens ! Pourtant mes deux grands-mères, mon arrière grand-mère, mon arrière grand-père, mon grand-père, ma tante, les voisins m’ont raconté des souvenirs qu’ils avaient de ma petite enfance et ils sont trop spontanés pour n’être pas sincères. Et puis d’ailleurs, pourquoi mentiraient-ils ?

Ma grand-mère maternelle et marraine tenait un magasin et parait-il je tenais la discussion avec ses clientes, je les faisais rire, je chantais, je blaguais. Et un jour même, pendant que ma grand-mère discutait avec quelques clientes, j’en ai profité pour ouvrir la boîte à gâteaux d’une des dames et j’ai commencé à manger ses éclairs au chocolat qu’elle venait d’acheter. Ça l’a fait rire et par la suite, chaque fois qu’elle venait au magasin elle m’offrait un éclair au chocolat.

Je me rappelle surtout que le matin avant de partir à l’école, mon père m’asseyait sur le frigo de la cuisine de mes grands-parents qui habitaient au rez de chaussée de notre maison. Je bougeais trop à son goût. Il voulait que je reste calme. J’étais terrorisée. J’avais peur de la hauteur, et pour l’enfant que j’étais, le frigo me paraissait terriblement haut.

Est-ce avant ou après ma rentrée en maternelle que tout a changé ?

J’essaie de comprendre, de trouver des réponses. Et je ne sais même pas si c’est important puisque même si je trouve toutes les réponses à mes questions, je sais que l’on ne soigne pas ce dont je souffre. Je ne deviendrai jamais quelqu’un d’intégré dans la société. Je devrai éternellement faire semblant, mais j'en ai de moins en moins envie.

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