Tout est bien qui finit mal (partie 5)

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— Laisse-moi partir, réussit-elle à glapir d'une voix étranglée. Dieu sait à quel point j'exècre ce que t'a fait subir cette Clara mais tu fais un transfert sur moi et tu me fais payer à moi, son comportement à elle.

À l’évocation de Clara, l'atmosphère s’était chargée d’électricité. Un crépitement douloureux courait sous la peau de Lola. Dans le regard glacé de Kévin passaient des éclairs, prémices d'un orage dévastateur. Ses muscles roulaient sous sa mâchoire crispée. Les bras tendus comme les cordes d’un arc le long de son corps, les poings désespérément serrés, il luttait contre le monstre en lui…

Voulant à tout prix éviter une altercation, la jeune femme s'arma de courage.

— Kévin ! Je t'en prie… Laisse-moi partir sans faire d'histoires et je te promets de ne pas porter plainte pour coups et blessures.

Lola parlait d'une voix monocorde mais son regard demeurait directif. Elle espérait ainsi lui faire comprendre non seulement sa détermination sans faille mais également son intérêt d’être à l'abri d'une procédure judiciaire.

Mais au lieu de ça, Kévin renversa sa tête en arrière et explosa d'un rire tonitruant, déstabilisant complètement la jeune femme. Les yeux ronds, elle le fixa.

— Des coups ? De la violence ? Tu y vas un peu fort là ! ironisa-t-il. Tout de suite, les grands mots ! On s’est juste disputé ma chérie !

De son index, la jeune femme écarta le foulard et lui montra les marques de strangulation qui lui marbraient le cou.

— Fort ? Voilà un mot qui te caractérise parfaitement… dans tous le sens du terme ! le coupa Lola, excédée. Maintenant, laisse-moi passer ou j'appelle mes amis qui m'attendent.

— Je n'ai pas voulu ça… Tu le sais très bien ! riposta-t-il en fixant sa peau bleuie par ses doigts. Je t'ai laissé des dizaines de messages sur ton portable, pour m'excuser…

— Je ne les ai pas écoutés et je ne veux pas les écouter ! le coupa-t-elle à nouveau. Tu es allé trop loin cette fois. Je t’avais pourtant prévenu qu’au moindre écart de violence, je partirais. J'ai déposé le téléphone et ta bague sur la table du salon… Adieu Kévin !

Elle se redressa la tête haute et reprit ses bagages en main. La démarche assurée, le dos bien droit et le menton relevé, elle se dirigea vers la porte. Cependant, elle tremblait de tous ses membres, priant le ciel qu'il ne fasse pas d'esclandre. Encore quelques mètres et je serai libérée, exhortait-elle en son for intérieur.

Mais Kévin ne mit pas longtemps à réagir. Avec une rapidité sans pareille, il la devança et se planta à quelques centimètres d'elle. Le bleu de ses yeux fonçait sous l'effet de la colère qui montait crescendo en lui. Le regard noir, il la dévisagea avec hargne. Sa respiration bruyante et rapide soulevait son torse puissant. Le buste tendu comme un arc, les poings serrés et les bras contractés à l’extrême, il tentait de dominer la bête rugissante, tapie dans ses entrailles.

— Je suis le seul à pouvoir décider si tu dois partir ou rester ! MOI et MOI seul ! Tu m'entends ? Tu m'appartiens Lola… siffla-t-il entre ses dents. Ses yeux brillaient comme deux billes de charbon.

À ces mots, le pouls de la jeune femme s'affola dangereusement. La gorge nouée, elle essaya en vain de déglutir pour chasser la boule qui s'y était formée.

— Laisse-moi passer Kévin ! Cath et Paul sont derrière cette porte et ils m'attendent, marmotta-t-elle d'une voix blanche. Elle espérait sincèrement que cette dernière argumentation allait désamorcer la situation, annihiler le monstre sommeillant. Qu'il prenne conscience qu'il avait perdu la partie… Qu'elle n'était pas seule et désarmée contre lui.

Fulminant, Kévin pencha la tête de côté et plissa les yeux.

— Tu as appelé ce connard et sa salope à ton secours ! railla-t-il.

Foutue ! Ce fut le mot que Lola pensa en abandonnant ses bagages à ses pieds. Jamais il ne la laisserait franchir la porte de l'appartement. Une onde glacée cascada le long de ses os, s’immisça dans sa chair jusque dans ses veines. La peur la submergea telle une lame de fond et ses pensées se noyèrent rapidement dans un océan de terreur. Elle tenta d'appeler à l'aide mais ses cordes vocales ne produisirent aucun son. Prise de panique, elle se précipita à toutes jambes vers la sortie. Mais avant qu'elle ne puisse se saisir de la poignée de la porte, ouverture sur sa survie, sur sa liberté, Kévin l'attrapa par les cheveux et la tira fortement en arrière. Lola tituba et tomba à genoux, le souffle coupé, maintenue par cette poigne de fer. De sa main libre, l’homme verrouilla la porte et jeta la clé de toutes ses forces, droit devant lui. Puis il fit volte face, un sourire malsain ourlait le bord de ses lèvres.

La bête hideuse jaillit tel un clown maléfique de sa boîte prenant l'ascendant sur Kévin. Elle savourait son emprise sur sa proie… Et Lola était la proie. Cette bête monstrueuse se nourrissait de sa peur, s’abreuvait à la source de sa frayeur. À présent, elle seule menait la danse macabre.

Au sol, la jeune femme regardait cet homme qu’elle avait tant aimé, les yeux épouvantés baignés de larmes. De ses mains accrochées à ses poignets, elle tenta de se dégager mais Kévin la maintenait fermement par sa longue chevelure d’une poigne de fer. Son cuir chevelu la brûlait et son sang tapait dans ses tempes à lui faire exploser la tête. Il la contraint à se relever en tirant d'un coup sec. La suppliciée suffoqua littéralement sous la douleur. Ses jambes flageolèrent. Elle avait toutes les peines du monde à se tenir debout. Les joues maculées de larmes, Lola supplia d'arrêter mais plus elle suppliait, plus cette bête immonde asseyait son emprise. Elle l'apercevait à peine, la tête embrumée dans un épais brouillard de panique.

Au loin, quelqu'un semblait crier son nom, on tambourinait sauvagement à la porte. Son envie de vivre était la plus forte, Lola fit un effort surhumain et se concentra sur les brouhahas qui lui parvenaient, c'était son seul salut.

— CAAAAAAAATH ! À l'aide ! hurla-t-elle comme une désespérée lorsqu’elle reconnut la voix.

Un rictus sardonique se forma aussitôt sur les lèvres de Kévin. Les yeux horrifiés de Lola le dévisagèrent. Il n'avait plus rien d'humain.

La jeune femme entendit son amie lui crier depuis le palier que la police avait été prévenue. Il fallait qu'elle tienne le choc jusqu'à leur arrivée. Gagner quelques minutes précieuses à sa survie. Elle reprit alors espoir. L'adrénaline courut dans ses veines, décuplant ses forces et son courage, elle se débattit comme une tigresse en furie. Dans des mouvements désordonnés, elle lui donna des coups de pieds, lui infligea des griffures au visage, ses dents se plantèrent sauvagement dans son avant-bras. Elle luttait énergiquement pour se dégager de sa poigne de fer. Au prix d'une poignée de cheveux arrachés, il la lâcha enfin sous ses assauts désespérés mais Lola cria victoire trop tôt et déchanta très vite. Elle eut à peine le temps de savourer son exploit que le poing de Kévin la percuta en pleine figure. Le coup, d’une force inouïe, l'envoya rebondir sur le mur. Tout se mit à tournoyer autour d’elle, un épais brouillard l’enveloppa, annihilant ses pensées dans le néant. Telle une poupée de chiffon, la jeune femme s'écroula sur le sol, le nez explosé et la lèvre éclatée.

De l'autre côté de la porte, les époux Meyer se rongeaient les sangs. Dans l'appartement, un drame se jouait et les forces de l'ordre n'étaient toujours pas là. Ils avaient entendu un grand fracas puis les hurlements de Lola s'étaient tus. Ils craignaient que le pire ne se soit produit. De ses poings, Cath frappait sans discontinu le bois de la porte… Elle s'époumonait à crier le nom de son amie dans l'espoir d'entendre le son de sa voix. Paul, lui, était comme un lion en cage. Il faisait les cent pas. Marchant de façon erratique le long du palier, il essayait de contenir son énervement. L'attente était trop longue, il fallait agir ! Pas le temps d'attendre les flics…

N'y tenant plus, il demanda à sa femme de se pousser sur le côté puis se posta à quelques centimètres de la porte. Il leva sa jambe et donna un coup de pied latéral assez fort sous la poignée. Sous le choc, la porte bougea. Durant de longues minutes interminables, il réitéra son geste plusieurs fois au même endroit faisant fissurer puis craquer l'encadrement. Un dernier coup et la porte céda enfin sous les impacts successifs.

Les époux Meyer s'engouffrèrent dans la brèche ainsi ouverte, anxieux de ce qu'ils allaient découvrir. Et ils ne furent pas au bout de leurs peines en découvrant la scène d'horreur qui se jouait devant leurs yeux. Cath poussa un cri d'effroi en posant les yeux sur Lola, recroquevillée en position fœtale sur le sol. La jeune femme tentait, tant bien que mal, de se protéger des coups de pied que lui infligeait Kévin… dans le ventre… dans les côtes… dans la tête.

La douleur était si intense que Lola n'avait même plus la force de hurler. Elle se laissait cogner dessus, sans se rebeller… Elle souhaitait juste que ça s'arrête… Qu'il en finisse une bonne fois pour toute avec elle ! Elle était à bout de force… percluse de douleurs et de terreur.

Dans les étages, les époux Meyer entendirent la police gravir les escaliers au pas de course mais Paul n'attendit pas qu'elle soit là. Lola était en danger de mort et elle n'avait plus les forces nécessaires de se protéger de cette avalanche de coups. Remonté comme une boîte à musique, il s'élança vers cet homme abject… ce rebut de la société. Avec rage, il l'attrapa par l'épaule, le força à se retourner et ainsi lui faire stopper son tabassage.

En transe, Kévin ressemblait à une bête sauvage. Le visage vultueux sous l'effet de la colère, il soufflait comme un bœuf en dévisageant Paul. Ses yeux, injectés de sang lui sortaient de la tête et sa bouche était crispée par un rictus hideux. Il voulut frapper ce connard de Meyer qui l'empêchait d'administrer la punition méritée. Lola n'avait-elle pas bafoué son autorité après tout ? Lola lui appartenait ! À lui et à personne d’autre ! Mais Paul fut le plus rapide. Sans réfléchir, il arma son bras et tel un boxeur sur le ring, il lui décocha un coup de poing d'une force herculéenne, envoyant Kévin au tapis. L'arcade sourcilière ouverte, le nez cassé, il pissait le sang, à moitié sonné. La police n'eut plus qu'à le ramasser. Elle lui passa les menottes et l'emmena au poste sans ménagement.

À genoux près du corps inerte de Lola, Cath lui tenait la main. Son corps tout entier n'était que meurtrissure. Une plaie au crâne faisait couler du sang sur son visage tuméfié. Une peur sans pareille se lisait dans ses yeux boursouflés, horrifiés et auréolés de bleus. Une douleur insupportable lui martelait la tête. Elle avait une forte envie de vomir et chaque respiration était une torture.

Un brouillard opaque brouillait sa vue mais il lui sembla voir les secours s'affairer à ses côtés. Elle sentit une aiguille transpercer sa peau et lui arracher un gémissement.

La voix triste mais chaleureuse de Cath lui parvint comme un léger murmure.

— C'est fini ma chérie… Tu es en sécurité… On s'occupe de toi… Accroche-toi !

Lola voulut lui répondre mais elle n'eut pas la force d'articuler le moindre mot. Ses lèvres meurtries refusaient de lui obéir.

La pièce tournait autour d'elle. La victime essaya de résister à l'appel du vide mais ses paupières étaient si lourdes. Elle était à bout de tout courage !

Et Lola perdit connaissance.

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