Tout est bien qui finit mal (partie 2)

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Chez Beth, Lola retrouva un peu de sérénité et de calme. Elle avait bien pensé téléphoner à sa meilleure amie pour tout lui raconter mais connaissant son tempérament fougueux, elle ne voulait pas qu'elle prenne le volant en pleine nuit au risque qu'il lui arrive un accident. Elle l'appellerait demain.

Assise à la cuisine, une tasse de café à la main, la jeune femme se reprochait son manque de discernement dans sa relation avec Kévin. Malgré ses sentiments profonds, elle aurait du le quitter dès l'apparition des premiers symptômes de sa violence. Elle était si amoureuse que les excuses, les promesses, la quête du pardon, tous les efforts qu'il déployait pour se racheter, le transformaient en ce prince charmant qu'elle aimait depuis le début de leur idylle.

Devenue aveugle à cette violence invisible, elle avait manqué de courage. Voilà la vérité ! Elle aurait du refuser la tolérance, l'acceptation de cette violence. Portant sa main sur son cou bleui par la strangulation, maintenant elle savait tout ça…

La sonnerie de son téléphone la sortit de ses réflexions. Elle regarda l'écran et fut prise de tremblements nerveux quand elle vit le nom de Kévin s'afficher. Ses yeux angoissés fixaient le mobile, sa peur refaisait surface. Elle ne décrocha pas, il ne fallait pas qu'il sache où elle se trouvait. Figée sur place, elle attendit que le silence revienne dans la cuisine. Un bip lui signala qu'elle avait reçu un message sur son répondeur. Après une hésitation, elle prit le Smartphone d'une main tremblante et l'éteignit sans prendre la peine d'écouter sa boîte vocale.

Elle essaya de respirer calmement mais les larmes roulaient sur ses joues sans qu'elle ne puisse les contenir. Elle était seule et sa crainte grandissait à la pensée qu’il puisse venir ici, lui faire encore du mal. Il connaissait l'adresse de Beth. Affolée, elle courut jusqu'à la porte d'entrée et vérifia qu'elle l'avait bien fermée à clé. Elle s'y adossa le cœur battant d'inquiétude, réfléchissant à toute vitesse. S'il venait jusqu'ici, fou de rage qu'elle n'ait pas répondu à son appel, qu'adviendrait-il d'elle ? Elle ne pourra pas se défendre, il était beaucoup trop fort pour elle. Ce cauchemar de réflexions lui nouait les tripes. Elle ne pouvait pas rester isolée dans cet appartement, le danger était trop grand. Lola était perdue ! Qui pouvait-elle prévenir ? Beth était trop loin pour lui venir en aide…

« Cath, bien sûr ! s'écria-t-elle à haute voix. Ne lui avait-elle pas laissée sa carte en lui disant qu'elle serait toujours joignable en cas de besoin ? »

Rassérénée par cette pensée, elle se précipita dans la chambre à la recherche de son sac à main. Maladroitement, elle en vida le contenu sur le lit. Soulagée, le précieux sésame en sa possession, elle se saisit du téléphone de l'appartement et composa le numéro.

— Allo ! répondit Cath au bout de trois sonneries.

— Cath ? Aidez moi s'il-vous-plait ! supplia Lola.

Sa supplication s'étouffa dans un sanglot.

— Qui est à l'appareil ? s'inquiéta Cath. C'est vous, Lola ?

— J'ai peur Cath ! Il est devenu fou ! hoqueta la jeune femme.

— Calmez-vous Lola ! Que s'est-il passé ?

Entre deux crises de larmes, Lola lui fit le récit de l'enfer qu'elle avait vécu. En parler était difficile pour la jeune femme. Elle avait toujours réfuté les insinuations déplacées de Cath sur Kévin mais ce soir, elle devait bien admettre que sa nouvelle amie avait vu juste et dans l’immédiat, elle était son seul espoir.

Celle-ci l’écouta sans l'interrompre mais son sang bouillonnait dans ses veines. Incapable de se soustraire à la tristesse et à la douleur qui l’envahissaient, elle revisitait son passé à travers ces exactions. Paul à ses côtés, sourcils froncés, observait sa femme. Il ne connaissait que trop bien ce regard. À l'autre bout du fil, un appel au secours se jouait et Cath n'en n'était pas à son premier sauvetage.

Victime elle-même de violence conjugale par le passé, elle s'était reconstruite petit à petit au côté de Paul qui, avec une infinie patience, lui avait démontré que les hommes n'étaient pas tous les mêmes, tous n'étaient pas des bourreaux, des brutes épaisses. Le chemin de la guérison avait été long et fastidieux mais elle s'en était sortie.

Exhortée par son mari, Cath était désormais bénévole dans une association pour femmes battues. Ayant vécu le même enfer que ces victimes, elle avait pris conscience que les excès de violence, les dérapages incontrôlés n'arrivaient pas qu'aux autres. Une fois la porte fermée, personne ne pouvait se douter de ce qui se passait à l'intérieur des murs. Certains récits étaient à vous glacer le sang ! Ça faisait peur ! C'était pour cette raison qu'elle gardait ses yeux grands ouverts pour protéger et mettre en sécurité, autant que faire se peut, ces victimes innocentes. Elle les écoutait sans porter de jugement. Elle comprenait leur détresse, leur désespoir, la honte qu'elles ressentaient à porter cette étiquette qu'on leur collait sur le front. Elle les incitait à réagir avant d'être complètement terrorisées, à refuser l'acceptation de cette violence. Elle insistait sur le fait qu'elles ne devaient pas avoir peur d'en parler à quelqu'un… La parole était le premier pas vers la liberté. Briser le silence… Briser ce tabou !

Il lui était même arrivé d'héberger certaines d'entre elles qui, à bout de force, s'enfuyaient du domicile.

La voix affolée de Lola la sortit de sa torpeur.

— Cath ? Cath ? Vous êtes toujours là ?

— Je suis là Lola ! répondit-elle enfin. Dites-moi où vous êtes et j'arrive tout de suite.

La jeune femme lui donna l'adresse de Beth.

— Je serais là bas d'ici trente minutes… En attendant, enfermez-vous à double tour, n’ouvrez à personne et ne répondez pas au téléphone !

— Merci, murmura Lola soulagée avant de raccrocher.

*****

Lola sursauta. On venait de frapper deux fois à la porte. Horrifiée à l'idée que cela puisse être Kévin, elle avança sur la pointe des pieds jusque dans l'entrée. Aux aguets, elle retint sa respiration et tendit l'oreille.

— Ouvrez-moi Lola ! C'est Cath ! entendit-elle de l'autre côté.

Rassurée, la jeune femme tourna la clé dans la serrure et ouvrit la porte.

— Oh Cath ! s'écria-t-elle larmoyante en se jetant dans ses bras.

Durant de longues minutes, Cath la serra affectueusement contre elle sans prononcer un seul mot, à l’instar d’une mère. La détresse de Lola était palpable, elle s'abandonna sans honte, pleurant comme une enfant. À travers ses larmes, la jeune femme libéra toute la tension qui lui nouait les boyaux, le corps secoué par une atroce douleur. Petit à petit, rassérénée de ne plus être seule, sa peur perdit de son intensité et Lola put reprendre le contrôle de son corps. Elle renifla bruyamment. Cath lui tendit un mouchoir puis l'entraîna amicalement à la cuisine, un bras encerclant ses épaules.

Elle la fit asseoir et partit à la recherche de glace dans le bac à glaçons. Improvisant une poche de froid, elle revint vers Lola et l'appliqua sur son cou. La jeune femme frissonna au contact du linge glacé.

— Merci, articula-t-elle dans un filet de voix.

Cath s'assit près d'elle et posa sa main sur la sienne. Elle attendait que Lola se livre d'elle-même. Ne pas la brusquer ! Elle se contenta donc de la soutenir d'un regard bienveillant.

Paul accompagnait sa femme comme il le faisait à chaque fois qu'elle volait au secours d'une de ses protégées. Sa présence était importante pour Cath, cela la rassurait car elle n'était jamais à l'abri d'un potentiel retour de maris ou petits amis disjonctés. Son époux restait toujours en retrait car bien souvent, ces femmes étaient affolées par une présence masculine après avoir subi la violence de leur compagnon. Mais avec Paul à ses côtés, Cath voulait également démontrer à ces femmes que tous les hommes n'étaient pas des hommes des cavernes, des brutes ancestrales à l’esprit rudimentaire.

Avec Lola, bien qu'il la connaisse, Paul exécuta la même procédure. Il s'effaça. Il ne prononça aucune parole. Il laissait à sa femme, le soin de trouver les mots justes pour que la victime soit en confiance. Lui, il se contentait juste d'être là et de préparer du café.

Lola leva des yeux surpris sur lui quand il déposa deux tasses fumantes sur la table de la cuisine devant les deux femmes. Elle ne s'était même pas rendu compte de sa présence. Paul lui fit un sourire paternel.

— Je suis désolée Paul, je ne vous avais pas vu, s'excusa-t-elle, confuse.

Elle piqua du nez sur le breuvage brûlant pour se soustraire à son regard.

— C'est moi qui suis désolé pour vous, Lola ! Sa voix était pleine d'empathie.

— Je me sens tellement idiote, continua la jeune femme. Vous avez essayé de me mettre en garde contre Kévin mais je n'ai rien voulu entendre. Je pensais que vous ne l'aimiez pas, c'est tout.

— Votre réaction est tout à fait logique, Lola. Vous êtes amoureuse et l'amour rend aveugle dans bien des cas, tenta de la réconforter Cath.

— Mais vous aviez raison sur toute la ligne ! Je m'en veux tellement ! Je vous ai menti et je me suis menti… J'ai vraiment honte de moi !

— Ca va aller maintenant, la rassura-t-elle en lui tapotant le dos de la main. Nous sommes là et nous allons vous aider. Faites-nous confiance !

Lola la remercia d'un regard douloureux.

— Je ne savais pas vers qui me tourner… Beth est en déplacement et je n'ai plus de famille. Vous êtes les seules personnes auxquelles j'ai pensées, se justifia la jeune femme. Vous êtes venus immédiatement alors que l'on se connait si peu…

— Et vous avez bien fait ! Mais on ne va pas s'arrêter là, on va vous aider jusqu'au bout, lui affirma Cath… Si vous le voulez évidemment…

Elle laissa sa phrase délibérément en suspens et guetta l'attitude de Lola.

Celle-ci opina de la tête, les yeux voilés de larmes.

Elle prononça un « merci » dans un filet de voix qui se bloqua dans sa gorge. Bouleversée, elle sut à cet instant qu'elle pouvait compter sur eux. La détermination des époux Meyer était sans faille. À leurs côtés, elle reprenait un peu de confiance en elle.

— Il faudrait que je prévienne Beth. J'ai éteint mon portable… Kévin a essayé de m'appeler après avoir failli…

Lola avala sa salive avec difficulté et marqua une pause avant de reprendre.

— … Après avoir failli m'étrangler ! Il a laissé un message sur le répondeur mais je ne veux pas l'écouter. Il essaye toujours de se racheter après… À chaque fois il s'excuse, me supplie de le pardonner. Il me dit qu'il m'aime et que cela ne se reproduira plus et qu'il a droit à une seconde chance. Il est tellement convaincant que je lui accorde toujours cette seconde chance et pendant quelques temps, il est l'homme le plus parfait, le plus formidable qui puisse exister… Jusqu'à la fois prochaine. C'était l'homme de ma vie, du moins je le croyais. Je l'aime toujours, c'est plus fort que moi… mais pas comme ça… Non… Pas comme ça, murmura-t-elle. Je ne peux pas continuer à vivre dans ce climat de peur et d'insécurité. J'ai vraiment été naïve pensant pouvoir le faire changer…

Elle se perdit quelques secondes dans ses pensées.

— Il faut que je dise tout ça à Beth ! s'affola-t-elle en écrasant du plat de la main une larme sur sa joue.

— Il est beaucoup trop tard ce soir, nous l'appellerons demain, la rassura Cath. Pour l'instant, vous devez essayer de dormir un peu. Je vais rester avec vous.

— D'accord, s'entendit-elle répondre d'une voix résignée.

— Je vais renter aussi, intervint Paul en se levant. Je vous laisse entre femmes mais je serai là demain à la première heure.

— Je ne vous chasse pas Paul ? s'inquiéta Lola.

— Pas du tout ! Vous serez plus à l'aise pour parler, la rassura-t-il en l'étreignant affectueusement.

— À demain Paul et merci pour tout !

Cath raccompagna son mari jusqu'à la porte d'entrée.

— Ferme à double tour et appelle-moi au moindre pépin, lui ordonna-t-il d’une voix douce mais ferme avant de l'embrasser.

— Ne t'inquiète pas ! Tout ira bien, le rassura-t-elle en lui rendant son baiser. Au pire, j’ai mon spray au poivre dans mon sac.

Une fois son mari sorti, Cath tourna la clé dans la serrure, vérifia la véracité de son geste et partit rejoindre Lola dans la cuisine.

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