Tout est bien qui finit mal (partie 3)

9 minutes de lecture

Dans la chambre de Beth, Lola trouva deux grands tee-shirts de nuit dans l'armoire. Cath lui avait proposé de lui préparer un petit quelque chose à manger mais elle ne pouvait rien avaler de solide, sa gorge la faisait trop souffrir.

Allongée dans le lit, Lola ne parvenait pas à trouver le sommeil. Elle tournait et se retournait dans les draps. Une avalanche de doutes, de questions dévalait dans les méandres tortueux de sa tête. Qu'allait-elle devenir ? De quoi, demain sera-t-il fait ? Comment ça va se passer demain ? Saura-t-elle partir ? En aura-t-elle seulement la force ? Kévin savait tellement se faire ange quand il était sobre. Allait-elle réussir à lui tenir tête ? S'en sentait-elle capable ? Serait-elle assez forte ? Parce qu'elle savait que lorsqu'elle le verrait avec son visage défiguré par la tristesse et les remords, avec ses yeux rougis par le manque de sommeil, avec son envie de mourir, avec… avec… Mon Dieu ! Comment allait-elle faire pour lui résister ?

— Vous dormez ? demanda-t-elle à Cath installée dans le fauteuil de la chambre. Vous savez, on peut dormir dans le même lit, ça ne me gêne pas. On le fait tout le temps avec Beth.

— J'accepte volontiers ! C'est si gentiment proposé, ironisa celle-ci en se relevant péniblement. Ce fauteuil n'est pas très confortable et mon dos ne résistera pas longtemps, à mon âge.

Étendues l’une à côté de l’autre, Lola se sentait bien mieux cependant le sommeil ne voulait toujours pas d'elle.

— Cath ?

— Hum…

— Je peux vous poser une question ?

— Hum…

— Comment ça va se passer demain ? lui demanda-t-elle, une pointe d'angoisse dans la voix.

Cath se redressa sur les oreillers, alluma la lampe de chevet et la regarda, l'enveloppant d'une douce quiétude.

— Comment veux-tu que ça se passe, TOI ?

Elle était passée au tutoiement naturellement. Sa voix était maternelle, emplie d’une infinie douceur. Leur relation venait de passer un cran au dessus.

— Je veux le quitter ! Enfin… je crois… En fait, je ne sais pas ! Enfin si ! En réalité, j'ai tout simplement peur ! Demain, Kévin sera dégrisé et doux comme un agneau. Il va me déchirer le cœur pour mieux le piétiner plus tard… Ça maintenant je le sais mais malgré tout j'ai si peur de ne pas pouvoir lui résister. Quand il me dit qu'il m'aime plus que tout, je sais qu'il est sincère et il sait y faire avec moi pour me convaincre. Il a une telle emprise sur moi. J’aurai besoin d'une amie et d’une bonne dose de courage pour m'aider à le quitter…

— Je serai tout près… Je ne te laisse pas ! Tu sais, il y a tellement de choses que tu devrais savoir sur la violence dans le couple.

— Raconte-moi…

Cath prit son temps, à la recherche des mots justes.

— Tout d'abord, commença-t-elle, il existe plusieurs formes de violences toutes aussi insidieuses les unes que les autres : tu as les violences psychologiques telles que des propos méprisants, humiliants qui renvoient à la victime une image de nullité, d'incompétence. Peu à peu, la victime perd toute confiance en elle, elle s'isole et s'enferme dans la honte, elle n'ose plus rien entreprendre de peur de mal faire. Ensuite il y a les violences verbales comme des insultes, des grossièretés, des obscénités ou des injures sexuelles qui maintiennent la victime dans un climat de peur permanente, la tension est insupportable. Puis il y a les violences physiques, les coups, les brûlures, les fractures… La victime est tellement terrorisée qu'elle se laisse cogner dessus sans rien dire, priant juste le ciel que les coups s’arrêtent. Elle ne vit pas, elle survit seulement, se contente juste de respirer. Elle fait tout ce qu’elle peut pour éviter les coups, pour cela elle se plie en quatre pour assouvir le moindre désir de son bourreau qu’elle considère malgré tout comme son mari. Elle est tellement emprisonnée dans cette spirale de peur qu'elle en vient même à excuser le comportement de l'autre. Elle finit même par croire que s’il la bat, c'est qu'elle l'a mérité, que tout est de sa faute. Elle devient en quelque sorte une experte en culpabilité. Elle s'accroche à n'importe quel mot, n'importe quel geste gentil pour finir de se persuader qu'il l'aime toujours. Elle croit dur comme fer qu'elle a mérité la punition infligée, elle croit dur comme fer que ça va s'arranger avec du temps, de l’amour et de la patience… Mais ce qu'elle ne sait pas, parce qu'elle est totalement soumise et tétanisée, c'est que cette violence ne s'arrêtera jamais… Parce qu'elle ne sait pas que cette violence est toujours là, en embuscade, prête à se déchaîner pour un rien, pour une broutille.

— Je ne te dis pas que Kévin est ainsi mais il faut que tu saches que bien souvent, ça commence comme ça, par une simple gifle, pour un mot compris de travers, continua-t-elle. Mais si on excuse ce geste… Si on le minimise alors on se met en situation de danger. Il y a toujours des signes précurseurs qu'il ne faut pas négliger. Il faut savoir refuser l'inacceptable !

— Mais pourquoi les victimes ne partent pas, dans ce cas là ? l'interrompit Lola, ébranlée par la réalité de ce descriptif.

— Beaucoup le voudraient et certaines l'ont fait mais dans la plupart des cas, la victime a tellement honte, elle se sent si seule, son esprit est si confus qu'elle n'ose pas partir mais plus que tout, elle a peur ! Elle a peur pour elle, pour ses enfants mais elle a peur aussi que les amis ou la famille l'apprennent, qu'on la montre du doigt, qu'on la juge… Elle se sent démunie alors elle préfère se renfermer sur elle-même et garder tout secret. Dans l'association dans laquelle je suis bénévole, j'ai vu et entendu des choses horribles. Des sévices inavouables, inhumains… des témoignages de mères qui se sacrifient pour protéger leurs gosses… J'essaye au possible d'inciter ces victimes à porter plainte pour les mettre à l'abri et ainsi se reconstruire loin de ce mari ou de ce père violent mais bien souvent elles ne le font pas. Engager une procédure judiciaire peut durer des mois voire des années, ça les effraie et elles sont angoissées à l'idée de devoir affronter un procès, de se retrouver en face de leur tortionnaire ou alors tout simplement parce qu'elles dépendent financièrement de leur bourreau dans la plupart des cas.

La jeune femme était blanche comme un cachet d'aspirine. Lola s'identifiait dans certains travers du descriptif morbide qu’elle venait d’entendre.

— Oh ! Je comprends mieux maintenant, murmura Lola, bouleversée par les paroles de Cath. Pour masquer ma fragilité intérieure, en partie due à mon passé, à la violence subie par ma mère, j'ai toujours donné de moi l'image d'une personne forte. C'est un peu pareil, je pense… C'était, je crois, une façon pour moi de me protéger de la pitié de mon entourage. Je voulais que l'on m'aime pour ce que j'étais… une petite fille heureuse avec sa maman, sans son papa.

Lola resta silencieuse un instant en se remémorant son enfance, les yeux perdus vers l'infini. Cath la couvait du regard, attendant patiemment qu'elle revienne à son récit. Ce que la jeune femme fit en réintégrant le présent.

— J'ai toujours voulu rester maître de ma vie et je croyais vraiment l'être. Je me suis battue toute ma vie pour devenir ce que je suis. Je voulais tellement croire en mon prince charmant. J’avais tellement besoin d’amour. Je suis… J'ÉTAIS tellement persuadée de l'avoir trouvé en Kévin que je suis devenue aveugle et passive face à la réalité… Son amour m’a hypnotisée, il m’a prise dans sa toile, anesthésiant ma lucidité… Je l'aimais tellement, Cath. J'aurais dû vous parler, à toi et à Paul, bien avant ce soir.

Lola marqua une courte pause avant de lui raconter la blessure toujours béante dans son corps.

— J'étais enceinte, ânonna-t-elle d'une voix ténue… Kévin ne le savait pas, je ne lui avais pas encore annoncé la bonne nouvelle. Un soir, on s'est disputé. Il était ivre… Je lui ai tenu tête… Il m'a insultée, rabaissée puis il m'a giflée si fort que dans ma chute j’ai heurté la table du salon et j'ai perdu mon bébé… Je ne comprends pas encore aujourd’hui comment j’ai pu lui pardonner son geste… Je suis si désolée Cath ! Si j'avais su… compris à cet instant, que ce geste, que j'ai pris pour un geste d'énervement en partie du à l'alcool, traduisait une violence latente… j'aurais cessé immédiatement de croire en lui… de croire à la belle vie qu’il me promettait… de croire en son amour ! Je ne suis pas stupide et je n'ai pas besoin de lui pour subvenir à mes besoins. J'ai un travail… des amis… une vie sociale. Je ne vais pas attendre que la violence de Kévin explose sauvagement un jour, pour un oui ou pour un non. Je ne veux pas devenir son punching-ball, son souffre-douleur. Je n'ai rien fait qui mérite cette violence… bien au contraire… Je l'ai aimé et soutenu de tout mon cœur… Et d’autant plus fort lorsqu’il m’a raconté son histoire avec Clara, une femme libidineuse qui l’a détruit il y a quelques années. Je l’en ai aimé encore plus intensément. Je ne sais même plus s’il n’a pas inventé cette femme pour me garder près de lui. Du chantage affectif tout simplement. Mais quoi qu’il en soit, je ne me sens pas responsable de son comportement. Il a certainement besoin d'aide mais je sais maintenant que cette aide, je ne peux pas la lui apporter. Je l'aime toujours mais je te jure que je vais trouver la force de partir. Je n'ai plus le choix ! KEVIN ne me laisse plus le choix ! Parce que je ne veux plus avoir peur ! Parce que je veux VIVRE !

Le discours de Cath portait ses fruits. Lola était bien déterminée à en finir avec cette vie de violence, de frayeur une bonne fois pour toute.

— Une rupture est toujours un moment difficile, surtout lorsqu'on aime toujours l'autre, intervint son amie. Je suis intimement persuadée que Kévin t’aime comme un fou mais son amour, si fort, si beau soit-il, ne prévaut pas sur sa violence. Tu veux le quitter et retrouver ta liberté, ta vie et je ferai tout pour t'y aider mais sache que ta peur sera toujours tapie au fond de toi. Le téléphone qui sonne avec juste une respiration à l'autre bout quand tu décroches ou alors dans la rue, des pas qui résonnent dans ton dos et qui te feront accélérer les tiens suffiront à la faire ressurgir. Il faut du temps pour réapprendre à vivre mais je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu te reconstruises. Je ne veux pas t'affoler mais je me dois de te dire ces choses-là, Lola… parce que je les ai vécues. Je ne veux pas te mentir… Le chemin vers la liberté est long et douloureux mais ça en vaut la peine... crois-moi ! Tu sais, les larmes s'évaporent, les bleus s'estompent, les os se remettent en place mais cette peur ne disparaît jamais vraiment… C'est un peu comme si ces hommes nous avaient marquées au fer rouge mais je te promets que tu finiras par la dompter et à vivre avec. À moi aussi, il m'arrive encore de faire des cauchemars et de me réveiller en sursaut, submergée par une terreur sans nom, malgré toutes ces années mais il ne se passe pas un jour où je ne bénis pas le ciel d'avoir rencontré Paul… Je me sens VIVANTE à ses côtés !

Lola était reconnaissante de la franchise de Cath. Grâce à elle, elle apprenait et comprenait beaucoup de choses dans le mécanisme de la violence dans un couple. Dorénavant, elle savait où elle allait et ce qu'elle devait faire. Son soutien et son amitié la rassuraient pour l'avenir… SON avenir, bien loin de toute cette douleur.

Ce soir là, Lola sombra dans un sommeil sans rêve qui lui lava l'esprit de la journée d'enfer qu'elle avait vécue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bel. A ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0