Tout est bien qui finit mal (partie 1)

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Dans un coup de reins, Lola, les bras chargés de ses paquets, poussa la porte de l'appartement qui claqua sous la poussée inverse de son derrière. Ses talons aiguille claquèrent sur le carrelage de la cuisine. Elle déposa ses victuailles dans le frigo. Puis retourna dans l'entrée, ôta ses escarpins avec bonheur et déposa son sac à main sur la console.

Le pas léger, elle se dirigea vers la salle de bain pour prendre une douche. Un sourire coquin ourlait le bord de ses lèvres à l'idée de passer une soirée romantique avec Kévin. La première depuis une semaine ! Elle en rêvait !

Elle stoppa net en arrivant dans le salon en étouffant un cri de surprise. Les yeux ronds, la main plaquée sur la bouche, elle étudia Kévin prostré sur le canapé. Les coudes posés sur ses genoux, il se tenait la tête à deux mains. Sa tenue débraillée, lui qui d'habitude était toujours impeccable, ses cheveux en bataille et le verre de whisky posé sur la table basse ne présageaient rien de bon.

Lola sentit le sol s'ouvrir sous ses pieds… Le pire était donc arrivé !

Elle essaya de déglutir mais une boule d'angoisse lui piquait la gorge. Elle se mordillait la lèvre en s'approchant de lui à pas de velours.

— Kévin ? Tu vas bien ? ânonna-t-elle d'une voix ténue.

Kévin ne sembla pas l'entendre. Il demeura immobile, plongé dans son mutisme.

— Kévin ? répéta-t-elle. Tu m'entends ?

Il releva et tourna la tête vers cette voix qui l'apostrophait. Il la regarda sans vraiment la voir. Ses traits livides trahissaient la douleur qui le rongeait. Ses yeux bleus azur avaient perdu leur éclat, laissant la place à une couleur filasse. Lola paniqua devant son silence. Elle jeta un coup d’œil apeuré au verre d’alcool. Elle éprouvait un fort désir de l'enlacer, de le consoler, de le bercer dans ses bras mais redoutant sa réaction, elle s’abstint. Elle s'assit donc sagement à côté de lui, posant ses mains sur ses genoux.

— Kévin ? Parle-moi… dit-elle d'une voix douce. Que s'est-il passé ? Réponds-moi, je t'en prie.

— Rien ! Il ne s'est rien passé… l'entendit-elle lui répondre juste avant qu'il ne trempe ses lèvres dans le liquide ambré. Sa voix était blanche.

— Comment ça… il ne s'est rien passé ?

Pas de réponse ! Il continuait de siroter son verre, le regard perdu dans le louvoiement de son esprit.

Lola lui toucha le bras. Il sursauta.

— J'ai foiré la présentation, c'est tout ce qu'il y a à dire, pesta-t-il contre lui-même. J'ai pas envie d'en discuter avec toi pour l’instant.

— Foiré ? Mais ça veut dire quoi ? continua-t-elle faisant fi de sa remarque.

— Tu connais la définition du dictionnaire… Non ? Maintenant, laisse-moi, tu veux bien ! lâcha-t-il d'un ton sardonique. J'ai besoin de silence, de calme… J’ai besoin d'être seul pour réfléchir.

Il reprit une gorgée ambrée.

Vexée d'être mise à l'écart aussi vulgairement alors qu'elle-même avait tout donné, tout supporté pour lui et son satané projet, Lola sentait son sang bourdonner dans ses veines. Elle respira profondément pour retrouver un semblant de sérénité mais elle ne pouvait se résoudre à en rester là. Elle avait droit à une explication !

— Bon sang Kévin ! Explique-moi ce qu'il s'est passé ! J'ai autant à perdre que toi dans cette histoire.

— Oh non Lola ! Je ne crois pas que tu puisses te comparer à moi après ce que je viens de vivre. J'ai passé une journée de merde… psychologiquement épuisante… Les actionnaires ne sont que des requins qui veulent résultats, sans la moindre concession… Devant mon incapacité à leur apporter illico ce qu'ils réclamaient au nom de leur sacro-saint profit financier, je me suis senti impuissant, nul et par-dessus tout vexé et insulté d'être exposé ainsi aux opprobres de ces magnas du fric ! Alors, excuse-moi mais je ne pense pas que tu puisses ressentir la même chose ! cracha-t-il d'une traite, le regard intense et prolongé, sans l'ombre d'un clignement de paupières.

Il but une autre lampée de whisky et se resservit une rasade aussitôt son verre terminé.

— Je comprends… s'impatienta Lola en jetant un œil anxieux sur le liquide ambré. Mais tu pourrais au moins me dire si le projet est tombé à l'eau, si tu as été viré, si…

— Bordel de merde Lola ! Ce que tu peux être chiante avec tes questions ! la coupa-t-il d'un ton autoritaire voire menaçant. Pour ta gouverne, puisque tu veux tout savoir, la concurrence présente son prototype la semaine prochaine à la presse spécialisée… Il fonctionne et pas le mien ! En une semaine, je ne ferai pas de miracle ! Je n'ai pas de baguette magique ! C'est bon ? Ta curiosité est satisfaite ? Maintenant, tais-toi !

Mais Lola ne l'entendait pas de la sorte et repartit à la charge. Elle le bombarda de questions auxquelles il ne répondit pas, absorbé par le néant. Elle repoussa le verre d'alcool sur le côté de la table, hors de portée de Kévin. Il n'émit aucune contestation à son geste. Elle en fut soulagée.

Puis elle retourna à son monologue. Ce n'était pas de la curiosité malsaine, comme il le lui reprochait mais simplement, elle voulait comprendre s'il existait le moindre espoir qu'il puisse faucher l'herbe sous le pied à la concurrence. Elle était prête à patienter, à le partager encore une semaine avec son boulot si ça pouvait l'aider à mener son projet à terme. Elle voulait qu'il soit fier de son travail accompli car son bonheur à elle en dépendait aussi.

Seulement, Kévin restait sourd à sa plaidoirie. Enfermé dans son mutisme, il était fatigué de son babillage inutile. Il était crevé, énervé par cette journée difficile.

— TAIS-TOI ! lui hurla-t-il à maintes reprises.

Mais Lola, emportée par son tempérament, continuait à lui tenir tête bien qu'il lui ait dit avoir besoin de silence et de calme… pour se calmer justement. Il fallait qu’elle arrive à lui faire cracher ce qu’il avait sur le cœur pour enfin avoir une conversation constructible.

Kévin sentait la colère brasiller en lui. De plus en plus excédé, il fermait les poings pour tenter de la contenir jusqu'au moment où il ne put la retenir plus longtemps. Poussée à bout, elle se libéra telle une traînée de poudre.

Il empoigna Lola par les épaules et la secoua sauvagement en lui hurlant au visage, une fois de plus de se taire. Épouvantée, la jeune femme eut tellement peur qu'elle cria à pleins poumons. Ses cris de frayeur lui étaient insupportables… Kévin la gifla violemment pour qu'elle se taise enfin, mais son geste eut l'effet inverse. Ses hurlements redoublèrent d'intensité, de violence, de rugosité. Dans un état second, emporté par sa colère, le regard en croix, il mit ses mains autour de sa gorge sans serrer fort mais suffisamment pour lui faire mal… juste pour qu'elle se taise, pas pour l'étrangler.

Lola suffoquait sous la pression exercée par ses doigts. Les yeux exorbités, elle ouvrait la bouche à la recherche d'oxygène, ses poumons la brûlaient. Derrière un rideau de larmes, elle voyait sa vie défiler comme dans un film. Elle tenta de se débattre mais il était beaucoup plus fort qu'elle, il l’étouffait littéralement sous sa poigne de fer. Dans un ultime effort, elle s'agrippa à lui et tira sur ses poignets dans l'espoir de le faire réagir et lâcher prise.

Kévin sursauta au contact de ces mains accrochées à sa peau. Les yeux injectés de sang, il revint à la réalité. L'air abasourdi, il porta le regard sur son cou. Assommé par ce qu'il faisait, il la lâcha immédiatement comme si le contact de sa peau sur la sienne le brûlait. Lola s'écroula sur le canapé. Elle inspira goulûment. Ses poumons se remplirent d'air. Elle toussa plusieurs fois, sa gorge était en feu. Lorsqu'elle retrouva une respiration plus ou moins calme, elle porta sur Kévin un regard apeuré. Elle tremblait de tous ses membres. Une onde glacée la traversait de part en part. Il fallait qu'elle parte loin de cet homme. Ne pas rester une minute de plus ici, sa vie en dépendait !

La jeune femme se leva et croisa son regard hébété. Elle le scruta un instant avant de s'enfuir le plus vite possible. Elle attrapa son sac et ses escarpins dans l'entrée puis claqua la porte de l'appartement. Pieds nus, elle dévala les escaliers en courant.

Mettre le plus de distance entre lui et elle…

Annihilé, Kévin ne chercha même pas à la retenir. Devant ses yeux dansait l'image fantomatique de ses empreintes sur le cou de Lola et l'effroi peint sur le visage de l’amour de sa vie lui glaçait le sang.

Pourquoi et comment en était-il arrivé là ?

*****

D'une main tremblante, Lola fouilla dans son sac à main à la recherche de ses clés de voiture. La peur l'engourdissait, rendant ses gestes désordonnés. Les yeux embués de larmes, elle regarda par-dessus son épaule en s'efforçant désespérément d'introduire la clé dans la serrure. Elle était terrorisée à l'idée de voir apparaître Kévin lancé à ses trousses. Son corps était secoué de sanglots qu'elle tentait de contenir pour se concentrer sur l'ouverture de la portière. Elle s'énerva de ses tentatives malheureuses puis poussa un soupir de soulagement en entendant, enfin, le cliquetis de déverrouillage.

Elle s'engouffra dans l'habitacle et mit le moteur en marche. Elle enclencha la vitesse, appuya sur l'accélérateur, fit un démarrage en trombe et s'enfuit aussi vite qu'elle le put dans la l'obscurité de la ville. Bientôt, il ne resta que deux points rouges brillants qui disparurent dans la nuit quand la voiture tourna au coin de la rue.

Lola roula longtemps, sans se demander où sa fuite allait la mener. Chaque chose en son temps ! Pour l'instant, s'éloigner le plus loin et le plus vite possible de cet homme violent était sa priorité. Une boule de feu coincée dans sa gorge la faisait souffrir à chaque fois qu'elle avalait sa salive. Tenaillée par la peur, elle revoyait le visage haineux de Kévin. La scène cauchemardesque défilait en boucle dans sa tête et la même question lui revenait sans cesse : comment puis-je aimer un monstre comme lui ? Elle se sentait stupide d'avoir cru en ses belles promesses mais elle était dans une telle dépendance affective qu'elle était prête à tout accepter, aveuglée par son amour pour lui… Jusqu'à ce soir.

Alcoolisme, jalousie maladive et violence, l'addition de ce cocktail explosif opérait en Kévin comme une bombe à retardement. Pour la première fois depuis qu'ils étaient ensemble, Lola était sûre d'une chose : cet homme ne changera jamais ! Elle devait partir loin de lui tant qu'elle était vivante… car ce soir, il avait failli la tuer de ses mains ! Cette seule pensée la momifia. Elle stoppa net la voiture et se gara le long du trottoir. Les yeux horrifiés, elle resta inerte, fixant un point invisible devant elle.

« J'ai cru mourir ! Il a voulu me tuer ! se répétait-elle inlassablement à haute voix. » Ses mains serraient si fort le volant que ses phalanges en devinrent blanches et douloureuses.

Cette phrase, ces mots, résonnaient dans sa tête comme une complainte cuisante. Une douleur sourde au creux de son estomac remonta et lui transperça la poitrine. Elle hoqueta et ses yeux se brouillèrent. Le front appuyé sur le volant, elle s'autorisa enfin, à verser toutes les larmes de son corps.

Seule et désemparée, jamais Lola ne souhaita autant la présence de Beth. Assise dans sa voiture en pleine nuit, elle n'avait personne à qui parler et nulle part où aller. Elle renifla bruyamment, sécha ses larmes et regarda où elle se trouvait. Elle tourna la tête plusieurs fois telle une girouette, médusée par l'endroit où elle s'était arrêtée. Elle connaissait cette rue. C'était la rue où habitait Beth. Après avoir roulé sans cesse, au hasard, elle s'était rendue instinctivement dans le seul quartier où elle était certaine de trouver refuge. Elle fouilla dans son sac à main et y trouva les clés de l'appartement. En son absence, son amie l'avait chargée d'arroser les plantes.

Recouvrant un peu de confiance, Lola se précipita à l'extérieur de son véhicule et s'engouffra dans l'immeuble.

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