Un prince pas si charmant (partie 4)

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Il était vingt trois heures et la jeune femme commençait à papillonner des yeux.

— File vite au lit, lui ordonna gentiment Kévin. Je vais dormir sur le canapé. Nous avons besoin de temps pour nous retrouver pleinement et j'attendrai le temps qu'il faudra… Je t'aime tant ! Je ne veux pas prendre le risque de te perdre.

Lola voulut ouvrir la bouche mais il la couvrit de son index pour la faire taire…

— Chuuut ! Ne dis rien… Va vite te coucher. Sa voix était douce et sincère. Il lui déposa un baiser sur le front.

Elle se leva docilement.

— Bonne nuit Kévin… Dors bien.

— Bonne nuit ma princesse… Je t'aime fort ! Et n'oublie pas demain de prendre rendez-vous avec le gynéco, rajouta-t-il sérieusement.

Lola hocha la tête en signe d'assentiment.

Lorsqu'elle se glissa dans les draps, elle ne put réprimer un pincement au cœur en pensant à Kévin, seul sur le canapé. Elle s'attendait plutôt à ce qu'il réintègre d'autorité le lit conjugal suite à leur réconciliation. Quelle délicate attention, songea-t-elle alors en posant sa tête sur l’oreiller. À peine eut-elle fermé les yeux que, quelques minutes plus tard, elle dormait d'un sommeil profond.

Dans le salon, Kévin se tortillait nerveusement dans sa couverture. Il aurait tellement aimé s'endormir auprès de Lola. La chaleur de son corps lui manquait. La douceur de sa peau lui manquait. Même ses ronflements lui manquaient. Mais il ressentait la sensibilité à fleur de peau de son amante, et il préférait que ce choix vienne d'elle. Il voulait qu'elle le désire auprès d'elle. Il se tourna et se retourna mainte fois à la recherche du sommeil avant de sombrer, au petit matin.

*****

Un bip strident retentit du portable posé sur le chevet. Lola se redressa en sursaut, la tête à l'envers. Grommelant, l'esprit encore embrumé, elle regarda l'écran, les yeux plissés.

Un sms de Kévin.

« Je suis déjà au travail. Je n’ai pas osé te réveiller, tu dormais si profondément. Je t’appelle plus tard. Je t’aime. »

Elle lut le message, un léger sourire aux lèvres. Puis elle se rallongea de tout son long, jambes et bras écartés. Le regard rêveur, elle garda la position de l'étoile de mer de longues minutes avant de se soustraire à contrecœur à la chaleur de son lit.

Lola engloutit une tartine grillée et avala une tasse de café rapide puis prit une douche tout aussi rapide. Elle entreprit ensuite de faire un peu de ménage ; avec minutie, elle nettoya, épousseta et passa l'aspirateur comme elle le faisait tous les lundis, jour de repos.

Son état mental allait beaucoup mieux. Elle avait compartimenté sa douleur au fin fond de son cerveau, l'avait cadenassée à double tour et en avait jeté la clé. Non qu'elle veuille oublier la perte de son bébé, ça elle ne le pourrait jamais. Elle garderait cette cicatrice à tout jamais mais la jeune femme voulait guérir de ses blessures pour continuer à vivre comme « Madame Tout le Monde ».

Doucement, elle se remettait tant bien que mal du traumatisme subi et reprenait les automatismes de la vie courante. L'amour sincère et inconditionnel qu'elle portait à Kévin n'était certainement pas étranger à sa résurrection. Et cette passion dévorante, ils la partageaient tous les deux.

Sa besogne domestique terminée, Lola se servit une seconde tasse de café avant de composer le numéro de téléphone de sa gynécologue.

Au bout de trois sonneries, une voix professionnelle, celle de la secrétaire, retentit à l'autre bout du fil.

— Bonjour, Cabinet du Docteur Hélène Baudis.

— Bonjour, Lola Delaire à l'appareil. J'aimerais un rendez-vous avec le Docteur Baudis, s'il vous plait… C'est assez urgent, rajouta la jeune femme, anxieuse.

La secrétaire la fit patienter un instant, le temps de consulter l'agenda.

— Vous avez de la chance, claironna-t-elle, reprenant la communication. Nous avons une patiente qui a annulé son rendez-vous, vendredi prochain à dix-sept heures. Cela vous convient-il ?

— C'est parfait ! Merci.

La jeune femme nota le rendez-vous, lui souhaita une bonne journée et raccrocha.

Kévin lui téléphona à sa pause déjeuner. Il voulait s'assurer que tout allait bien à la maison. Ils bavardèrent quelques minutes. Lola lui confirma le jour et l'heure de son rendez-vous et il lui certifia sa présence. Pour finir, il lui promit de rentrer vers vingt heures puis retourna pressement à son travail.

Le reste de la journée, à la cohue des supermarchés, Lola préféra le calme de l'épicerie du coin. La fin d'après-midi, elle la passa sur la terrasse à profiter du soleil estival : farniente et bronzette.

Faire le vide dans sa tête… Ne penser à rien !

Avec la précision d'une horloge, Kévin rentra à l'heure prévue. Ils dînèrent simplement à la cuisine. Lola n'osa pas troubler le silence religieux qui régnait entre eux. Ce fut à peine s'ils échangèrent quelques mots.

Un masque de fatigue peint sur le visage, les traits tirés et les yeux grands ouverts, Kévin partit ailleurs, à des années lumière de l’appartement. Le temps l’absorba dans le néant. Il batailla contre un démon inconnu, expulsa un souffle désespéré, secoua la tête. La mine lointaine, ses sourcils formaient un V sur son front. De nouveau, il secoua la tête, chassa sa pensée nauséabonde avant de revenir à la réalité du moment, un sourire las sur les lèvres.

En l’observant, la jeune femme sut tout de suite que quelque chose le tracassait. Elle le vit se resservir un second verre de vin. Elle en éprouva un sentiment de malaise mais elle ne pipa pas mot. Elle se contenta de le dévisager avec inquiétude. Il avala l’ultime gorgée et croisa son regard affolé. Il comprit d’instinct d’où provenait son trouble.

— Fini pour ce soir, la rassura-t-il en posant son verre sur la table. C'était le dernier, n'aie aucune crainte. Sa voix était douce, apaisante.

Soulagée, Lola relâcha sa respiration. Elle l’avait bloquée sans même s'en rendre compte. Elle le remercia timidement d'un hochement de tête.

Le repas terminé, la jeune femme débarrassa la table et fit la vaisselle. Kévin lui proposa un « Expresso ». Elle refusa.

— Non merci. Je crois que je vais aller m'allonger dans le lit et lire un moment. Je veux être en pleine forme pour le travail, demain.

— Très bien… Dans ce cas là, je vais aller travailler pour combler un peu le retard accumulé, laissa-t-il tomber d'une voix morne.

— D'accord mais ne te couche pas trop tard quand même, répondit-elle d'un ton protecteur. Il faut aussi que tu dormes.

— Promis ! Bonne nuit mon cœur… Dors bien.

Naturellement, il effleura ses lèvres des siennes. La jeune femme en fut troublée !

— Et le canapé est très confortable, rajouta-t-il d'un ton railleur, tout contre son oreille.

Un sentiment de culpabilité parcourut Lola à ces mots malicieux.

— Bonne nuit Kévin, marmotta-t-elle en quittant la cuisine.

Le dos voûté, la tête baissée, elle traîna les pieds jusqu'à la chambre, tel un coupable condamné à l'échafaud.

*****

Il était sept heures trente. Un soleil généreux brillait dans un ciel d'un bleu céruléen. Pas l'ombre d'un nuage à l'horizon. Prémices d'une journée magnifique, chaude et ensoleillée.

En pyjama, Lola croquait avec appétit dans sa tartine grillée. Kévin, rasé de près, fringant dans son pantalon au tombé impeccable et chemise tout aussi impeccable avalait sa dernière gorgée de caféine.

Il attrapa son porte-document et sa veste sur le dossier de la chaise. En deux pas, il fut vers Lola. Du bout de ses doigts, il pianota de haut en bas le long de son échine, puis déposa un baiser appuyé sur ses cheveux.

Lola frissonna.

— Passe une bonne journée. Je file… Je suis déjà en retard.

— Bonn… bonne journée à toi aussi, bredouilla-t-elle trop tard. Il était déjà parti.

De dépit, elle haussa les épaules et avala son café du matin.

Comme la veille, elle mit un soin particulier à son opération camouflage. Il ne fallait surtout pas qu'on lui pose des questions à la boutique. Aucune remarque ! Aucun commentaire ! Personne ne devait savoir ! Qu'aurait-elle pu répondre d’ailleurs ? Certainement pas la vérité ! Elle en était incapable…

Satisfaite du miracle de ses pinceaux, la jeune femme acheva de se préparer en s'efforçant à ne penser à rien.

À huit heures quarante cinq, Lola se trouvait devant la boutique. Elle poussa la porte de service d'un geste nerveux, roula des yeux en tous sens à la recherche d'une quelconque présence mais le couloir était désert. Soulagée, elle le traversa à grands pas, ayant une peur bleue de tomber nez à nez avec Monsieur Meyer et s'engouffra dans les vestiaires. Fanny et Sylvia l'accueillirent d'un bonjour jovial auquel elle répondit. Elle ôta sa veste qu'elle déposa dans son placard et troqua ses chaussures confortables contre une paire d'escarpins.

Elle sirotait sa deuxième tasse de café du matin avec ses collègues autour du distributeur lorsque Paul toqua discrètement à la porte. Invité à entrer, il vint les saluer toutes les trois. Il tendit une main chaleureuse à Lola puis l'observa un instant, les sourcils froncés. Paniquée, la jeune femme baissa la tête et regarda le bout de ses chaussures.

— Bien… au travail Mesdemoiselles ! ordonna-t-il après quelques secondes interminables.

Il leur donna leurs tâches respectives pour la journée.

Lola fut chargée de réorganiser entièrement la vitrine : habiller les mannequins de plastique avec la nouvelle collection et apposer les étiquettes des prix, le tout… avec harmonie, bien évidemment. N'ayant aucune envie de parler, cette tâche lui convenait parfaitement.

Elle prit plaisir à accomplir son travail. Bouger, faire quelque chose, s'occuper les mains et la tête l'empêchaient de penser. Son responsable vint la voir plusieurs fois dans la matinée et approuva ses choix. Si bien qu'à midi, la devanture était terminée et Lola, très fière d'elle.

Elle s'apprêtait à aller déjeuner avec ses collègues lorsque Monsieur Meyer l'apostropha.

— Vous allez bien Lola ? Vous avez à peine ouvert la bouche ce matin. Cela ne vous ressemble pas. Il parlait d'une voix inquiète.

— Je vais bien, Paul. Merci.

— Vous êtes sûre ? Il fronça des sourcils désapprobateurs. Où sont donc partis votre sourire et votre bonne humeur communicative ? continua-t-il dans son descriptif. Vous semblez ailleurs ! Vous pouvez tout me dire, vous savez… Je suis votre ami. Si vous avez des ennuis, je suis prêt à vous aider.

Nerveuse, la jeune femme se demandait s'il s'était aperçu d'une trace quelconque sur son visage ou si c'était juste de l'intuition ou bien s'il partait simplement à la pêche aux infos.

Mal à l'aise, elle essaya tout de fois de faire bonne figure. Lola avait honte de lui jouer ainsi la comédie, il était si paternel envers elle. Elle n’avait jamais connu son père et elle était sensible à ses délicates attentions. Elle lui répondit avec un large sourire sur les lèvres.

— Je vous assure Paul ! Ne vous inquiétez pas… Tout va pour le mieux ! Elle posa sa main sur son bras en lui parlant, de façon à donner de l'authenticité à ses propos.

— Bien… Si vous le dites… Mais sachez que je serai toujours une oreille attentive pour vous. Son air était dépité mais il n'insista pas.

— Merci. Bon appétit Paul.

Lola tourna les talons et s'empressa de rejoindre ses collègues au restaurant du coin. Mais à peine eut-elle franchi la porte de la boutique qu'elle poussa un soupir de soulagement mêlé à un sentiment de culpabilité.

Paul Meyer, la mine grave, la regarda s'éloigner d'un pas rapide. Il ne croyait pas un seul mot de ce qu'elle lui avait dit…

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