Un prince pas si charmant (partie 5)

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À l'approche des soldes d'été, le travail ne manquait pas à la boutique. Ce qui ne déplaisait pas à Lola. Elle se jeta corps et âme dans l'évaluation des stocks et des remises de prix, sans compter les attentions professionnelles apportées aux clientes venues nombreuses pour l'occasion.

Durant la semaine, Paul Meyer ne la questionna plus mais elle le surprit à maintes reprises, qu'il l'observait à la dérobée d'un air soucieux. Même Fanny et Sylvia s’étonnèrent voire s’inquiétèrent de son comportement taciturne inhabituel. Lola les rassura prétextant la fatigue accumulée due à l'effervescence des soldes. Explications tout à fait plausibles vu le degré d'implication qu’elle fournissait.

Je suis devenue la championne du mensonge, même s'il y a un peu de vrai dans tout ça, se dit-elle pour elle-même. Tous les jours, je suis était prête à en inventer un nouveau pour que personne ne sache…

Exactement comme la veille où elle avait demandé à Paul si, aujourd'hui vendredi, elle pouvait sortir une heure plus tôt. Elle avait prétexté un rendez-vous urgent chez l'ophtalmo qu'elle n'avait pas pu remettre. Lui ayant trouvé les yeux rouges plusieurs fois, un peu comme si elle avait pleuré, il lui avait accordé la permission de finir une heure plus tôt, sans poser de questions. Cependant il restait perplexe…

À quinze heures trente précises, Lola salua tout le monde, leur souhaita un bon week-end et se dépêcha de rejoindre l'appartement. Elle devait encore se doucher avant son rendez-vous de dix-sept heures.

*****

À peine ferma-t-elle la porte d'entrée de l’appartement que son portable émit un sms. C'était Kévin.

« Serais en retard, je fais mon possible et je te rejoins au cabinet ! Je t'aime »

Déçue, Lola jeta son téléphone sur le canapé. Il avait promis pourtant…

Dans l'armoire de la chambre, elle attrapa des sous-vêtements, un jean et un tee-shirt propres qu'elle emporta dans la salle de bain.

À seize heures quarante cinq, elle poussait la porte du cabinet gynécologique. Elle se présenta au secrétariat puis attendit son tour dans la salle d'attente. Trois personnes étaient là : une mère et sa fille adolescente et une femme enceinte. Lola eut un pincement au cœur en posant ses yeux sur son ventre rebondi.

Sur sa chaise, la jeune femme feuilletait énergiquement un magazine de mode. Elle regarda sa montre pour la énième fois. Il était dix-sept heures trente et Kévin n'était toujours pas arrivé. À présent, elle était la dernière à attendre et son tour approchant, elle se demandait s'il serait là à temps ou si elle allait devoir y aller seule.

Jambes croisées dans un balancement nerveux, elle trépignait d'impatience. Se mordillant la lèvre, elle leva la tête quand la porte s'ouvrit. Kévin entra et se confondit en excuses.

— J'ai fait au plus vite, laissa-t-il tomber en s'asseyant mollement auprès d'elle.

Elle n'eut pas l'occasion de lui répondre, le Docteur Baudis vint les accueillir. Après leur avoir serré la main, elle les introduisit dans son bureau.

Lola et Kévin prirent place sur les deux sièges qu'elle leur désigna poliment d'un geste de la main avant de s'asseoir à son tour dans son fauteuil de spécialiste. La cinquantaine, le Docteur Hélène Baudis, cheveux courts balayés de quelques filaments grisonnants, devait mesurer un mètre soixante, soixante-cinq évalua Kévin qui faisait connaissance avec le médecin. Un visage rond, le nez chaussé de petites lunettes toutes aussi rondes, elle affichait un sourire professionnel en écoutant Lola décliner l'objet de sa consultation.

— Bien, passez à côté, je vais vous ausculter. Monsieur, attendez ici, dit-elle d'autorité en regardant Kévin.

Celui-ci opina de la tête.

Sa patiente allongée sur la table d'auscultation, le Docteur Baudis s'assura tout d’abord de sa tension artérielle. Celle-ci était légèrement élevée mais rien d'inquiétant, les pulsations cardiaques étaient rapides mais normales ; sûrement dues à l’anxiété. Ensuite, elle lui examina le ventre, lui demandant si elle éprouvait une douleur sous la pression de ses mains expertes.

Lola fit un signe de dénégation.

Puis elle lui palpa les seins en oscillant la tête d'un mouvement entendu, ils n'étaient ni gonflés, ni douloureux. Invitant la jeune femme à prendre position, les pieds dans les étriers, elle introduisit un spéculum dans son vagin afin d'examiner le col de l'utérus.

— Tout est normal lui affirma-t-elle, votre col est fermé.

La gynécologue approcha ensuite une machine d'échographie portative près de la table. Étalant un gel froid sur son ventre, à l'aide d'une « douchette » elle ausculta son utérus sur l'écran. Il était de taille normale et les parois n'étaient pas épaisses, comme à la fin des règles. Elle ne nota également aucune anomalie quant aux trompes et aux ovaires.

L’examen terminé, la professionnelle lui tendit des serviettes en papier afin que sa patiente puisse essuyer le gel sur son abdomen. Puis Lola se rhabilla et retourna s'asseoir dans le bureau aux côtés de Kévin. Les mains posées sur les genoux, elle attendit que le Docteur Baudis finisse de compléter son dossier sur son ordinateur.

— Bien ! dit celle-ci en s'adressant à la jeune femme.

Elle ôta ses lunettes et poursuivit.

— L'examen gynécologique n'a rien révélé d'anormal. Vu la date de vos dernières règles et sachant que vous avez fait un test de grossesse qui s'est révélé être positif, j'en déduis que vous avez fait une fausse couche très précoce.

Lola la regarda les yeux ronds. Elle n'en avait jamais entendu parler. À ses côtés, Kévin posa sa main sur les siennes et les pressa d'une manière réconfortante.

— Ce n'est pas très méchant, la rassura le Docteur Baudis d'une voix professionnelle. Vous n'avez aucun antécédent et vous êtes une jeune personne. Il est fréquent que cela passe inaperçu auprès de beaucoup de femmes. Si vous n'aviez pas fait le test, vous n'auriez jamais su que vous étiez enceinte. Sachez que selon les statistiques, près de 75% des expulsions d'œufs fécondés surviennent dans les tout premiers jours de grossesse. Par contre, ce qui me surprend et me fait m’interroger, c'est l’intensité de la douleur que vous avez ressentie et l'abondance de sang que vous m'avez dit avoir perdu…

Elle fronça les sourcils un instant pour se donner le temps de réfléchir.

— Vous n'auriez pas subi un traumatisme ces jours-ci ? demanda-t-elle soudainement. Ou peut-être un stress ou une fatigue inhabituelle ?

Lola regarda le Docteur Baudis un instant sans ouvrir la bouche. Elle ne pouvait pas lui raconter les évènements passés, elle en avait ni la force, ni l'envie. Elle sentit Kévin se raidir instinctivement sur sa chaise. Guettant sa réponse, celui-ci serrait un peu plus fort ses mains dans les siennes.

— Non… Rien de particulier si ce n'est une profonde fatigue mais rien d'alarmant, répondit finalement la jeune femme d'une voix qu'elle voulait assurée.

Sur son siège, Kévin se décontracta immédiatement.

Le Docteur Baudis remit ses lunettes sur son nez, pianota sur son ordinateur puis revint vers sa patiente.

— Dans ce cas là, vous avez mon feu vert pour un essai bébé numéro deux. Il n'existe aucune contre-indication. Une prescription de vitamines pour vous requinquer et je pense que tout ira bien, résuma-t-elle en lui tendant une ordonnance.

La gynécologue les regarda un instant tous les deux avec un sourire franc. Elle trouvait qu'ils faisaient un beau couple. Puis elle se leva, signe distinctif que la consultation était terminée.

— N'hésitez pas à revenir si vous êtes prise de fortes douleurs ou de saignements inhabituels entre vos règles, recommanda-t-elle, en les raccompagnant à la porte. Dans ce cas là, nous procéderons à des examens plus approfondis ainsi qu'une prise de sang mais je ne pense pas qu'on en arrivera là. Vous semblez en pleine forme !

— Merci Docteur.

Le couple lui serra la main et sortit du cabinet.

Un petit air bienfaisant s'était levé et la température était agréable. À dix-huit heures trente, la morsure du soleil était bien moins brûlante dans ce ciel pourtant si bleu.

— C'est une bonne nouvelle, souffla Kévin dans un soupir de soulagement. Tu es rassurée maintenant ? On va pouvoir oublier tout ça et suivre le conseil du Docteur Baudis… Faire un autre essai. Il parlait avec un regard coquin.

Occulter le passé ? Lola le voulait de toutes ses forces mais comment pouvait-elle oublier qu'il l'avait frappée ? Si seulement d'un coup de baguette magique, elle pouvait remonter le temps pour contredire « l'accident »… Elle souhaitait tellement qu'il soit son prince charmant pour la vie. Elle n'était rien sans lui et lui n'était guère plus sans elle. Elle devait à tout prix lui montrer à quel point elle l'aimait. Il ne devait jamais en douter en toute circonstance.

Kévin avait exprimé des remords à son geste. Il était clair qu'il était malheureux de s'être ainsi laissé emporter et il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour que leur couple retrouve leur complicité.

Elle avait accepté ses excuses, son amour pour cet homme emplissait tout son cœur, elle avait besoin de ses bras pour se sentir vivante, sans sa présence elle se sentait orpheline donc… Bouges-toi ma vieille ! Le bonheur, ça se mérite, se dit-elle en son for intérieur.

S'extirpant de ses pensées, Lola déglutit puis releva la tête fièrement. Elle coula un large sourire en direction de Kévin auquel il répondit, les yeux brillants.

— Pour venir au rendez-vous, j'ai du laisser un dossier en suspens que je dois absolument boucler ce soir. Faut que je retourne au bureau.

La jeune femme fit une moue boudeuse.

— Je te promets d'être rentré pour vingt heures, lui assura-t-il devant l'expression de cocker qu'elle affichait.

— D'accord… File vite ! capitula-t-elle. Après tout, elle s’était promise de faire des efforts.

Il déposa un baiser furtif sur ses lèvres et se dirigea à grandes enjambées vers sa voiture tandis que Lola rejoignait la sienne.

*****

Lorsqu' elle arriva à l'appartement, Lola prépara le repas du soir : côtelettes grillées et poêlée de légumes croquants puis elle se servit un verre de vin blanc et s'installa confortablement sur le canapé en attendant Kévin.

Elle regardait la télé, sans vraiment se passionner pour l'émission, quand son portable sonna. Elle farfouilla dans le fouillis de son sac, l'attrapa et décrocha.

— Allo ? Elle ne connaissait pas le numéro affiché.

— Salut ma belle ! raisonna la voix de Beth à l'autre bout du fil.

Lola explosa de joie.

— Ohhh… Ma chérie… Comme je suis contente de t'entendre ! Comment vas-tu ? Mais c'est quoi ce numéro ? Tout va bien ? l'interrogea-t-elle, soudain inquiète.

— Je me porte à merveille et tout va bien. Jamais je n'ai été aussi heureuse ! la rassura son amie. Je t'appelle de ma chambre d'hôtel. Nous sommes à Dijon. Demain, c'est la première et je suis morte de tract.

— Je suppose que c'est normal avant d'entrer en scène, ironisa Lola. Je penserai à toi et je croiserai fort. Mais tu vas tout déchirer… J'en suis sûre !

— T'es un amour, merci… N'empêche que j'ai les tripes complètement nouées. Ça a beau être une petite salle de spectacle, j'ai quand même la trouille de ma vie. Et sinon, quoi de neuf toi ? Ton boulot, ça marche ? Kévin va bien ?

— C'est le grand rush à la boutique avec la saison des soldes qui approche mais tout se passe bien. Je m'éclate ! J'adore ce boulot ! Kévin croule sous le travail aussi, il est crevé mais sinon ça va.

Lola ne lui parla pas de « l'accident » et de sa fausse couche. Les deux amies n'avaient jamais eu de secrets l'une pour l'autre, elles se racontaient tout depuis toujours. Et Lola eut honte de lui mentir de la sorte mais elle ne voulait pas l'inquiéter car elle savait très bien son amie capable de tout lâcher pour venir la soutenir et la jeune femme ne se pardonnerait jamais de lui avoir gâché une si belle occasion de vivre enfin son rêve.

— Sinon, tu t'entends bien avec les autres figurants ? demanda-t-elle, pressée de changer de sujet de conversation.

— Y'a une super ambiance ! On se tape de gros délires. Tout le monde est très gentil, surtout un en particulier… J'ai un ticket avec un garçon de la troupe… finit-elle par lâcher, ne pouvant tenir sa langue plus longtemps.

Lola la coupa d'une voix amusée.

— Humm… Et comment s'appelle ce garçon ?

— Thomas ! Il est mi-irlandais, mi-espagnol… Il est trop craquant… mais surtout on s'entend super bien. Je suis sûre qu'il te plairait mais bon, pour l'instant on apprend à mieux se connaître… mais figure-toi ma vieille, ça colle vraiment sur tout entre nous. On a les mêmes goûts, les mêmes passions, le même humour… Et quand je vois ton couple… Toi et Kévin allaient si bien ensemble, j'espère de tout cœur vivre la même chose. J'ai vraiment envie d'approfondir le sujet, si tu vois ce que je veux dire…

La jeune femme se mordit la lèvre une fois de plus pour ne pas tout lui raconter avant de se ressaisir.

— Qu'est-ce-que tu attends ? Fonce ma belle ! s’enthousiasma Lola. On a qu'une vie alors profite un max. Et ce mystérieux Thomas est peut-être le bon !

Elle sentait sa meilleure amie si enflammée de cette nouvelle idylle. Une grande première pour Beth ! Car depuis toujours, dans ses relations amoureuses, Beth avait toujours mis un point d'honneur à ne pas s'attacher et à garder sa liberté.

Les deux amies bavardèrent à bâtons rompus encore quelques minutes et si le reste de la troupe n'avait pas attendu Beth pour aller manger un morceau, elles seraient toujours en train de discuter, pensa Lola en raccrochant.

Entendre cette voix si familière lui fit beaucoup de bien. D'humeur joyeuse, la jeune femme était vraiment heureuse pour son amie et souriait bêtement en pensant à elle quand elle entendit la porte de l'appartement s'ouvrir.

Elle regarda sa montre, il était vingt heures pile.

— Hé oui, je suis à l'heure, la taquina Kévin en entrant dans le salon.

Lola piqua un fard avant de s'excuser.

— Pardon ! C'est pas ça, tenta-t-elle de se justifier. Mais j'étais au téléphone avec Beth et je ne pensais pas qu'il était si tard.

— Et comment va-t-elle, cette charmante Beth ?

— Très bien ! Elle t'embrasse.

Kévin hocha la tête.

Il était épuisé lui précisa-t-il avant de partir se glisser sous la douche et mettre une tenue plus confortable. Pendant ce temps, Lola dressa la table et mit à réchauffer le repas.

Ils dînèrent simplement à la cuisine. Kévin mangea du bout des dents.

— Tu n'aimes pas ? s'inquiéta Lola.

— Si si ! Je n'ai pas trop faim, c'est tout…

La jeune femme fut peinée de ce mensonge feint même si c'était une délicate intention de sa part. Pourtant, ce n'est pas mauvais mais il est vrai que la cuisine de Kévin est mille fois meilleure, admit Lola intérieurement. Ils finirent de dîner en silence.

— Tu as prévu quelque chose demain ? lui demanda-t-il soudain alors qu'ils débarrassaient la table.

— Non… Rien !

— ça tombe bien… On part en week-end. J'ai réservé dans un petit hôtel à côté de Deauville. On a besoin de se retrouver et de recharger nos batteries. Ça nous fera le plus grand bien à tous les deux, le grand air et la mer.

Au souvenir de leur week-end passé sur la Côte d'Albâtre, le regard de Lola s'éclaira. Elle y avait passé deux jours merveilleux !

— C'est super ! s'enthousiasma la jeune femme, avide de renouer avec leur complicité d'avant. Ce week-end ne pouvait que y contribuer.

Kévin esquissa un sourire, soulagé qu'elle accepte son invitation.

Ils passèrent la soirée devant la télévision. Il était bien tard lorsque Lola décrocha un bâillement en se levant du canapé. Elle s'apprêtait à aller se coucher quand la question qu'elle redoutait depuis plusieurs jours, tomba.

— Tu me fais une petite place ?

La jeune femme se figea un instant sur place. Kévin guettait sa réponse, une pointe d'angoisse dans les yeux. Cela faisait une semaine qu'il dormait sur le canapé, sans se plaindre.

— Je serais sage, rajouta-t-il, pour la rassurer. Je veux juste te tenir dans mes bras.

— Oui, bien sûr, finit-elle par lâcher. Il va bien falloir que j'exorcise ce moment, pensa-t-elle en son for intérieur.

Kévin écarta le drap d'un geste lent et se glissa auprès de Lola. Ouvrant les bras, il l'invita à venir s'y blottir. Avec fébrilité, la jeune femme posa sa tête au creux de son torse. Il referma ses muscles sur elle, la serra avec douceur puis fermant les yeux, il respira le parfum de ses cheveux avant d'y déposer un baiser.

Ainsi enlacés, ils plongèrent sans récession dans un sommeil paisible.

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