Le syndrome du crapaud (partie 4)

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Lola se réjouissait à l'avance de passer la soirée avec sa meilleure amie. La veille, elle s’était contrainte à arpenter les magasins et par chance, très vite, elle avait craqué, chez H&M, pour une robe bustier noire, courte. Avec des escarpins, sa tenue serait parfaite.

Cependant, lors de son essayage, une chose l'avait troublée voire inquiétée : elle avait pris des formes ! Elle dut acheter une taille au dessus de sa taille habituelle. Ses hanches s'étaient légèrement arrondies et sa poitrine était gonflée. Après un rapide calcul, elle s'était rendue à l'évidence : elle avait un retard de règles de plusieurs jours. Elle, qui était réglée comme une horloge…

Lola commença par s'affoler. Ce n’était pas le moment de tomber enceinte ! Elle repensa à cette panne d'électricité et son cœur pulsa jusque dans ses tempes.

Non ! Impossible ! se rassura-t-elle mentalement un instant. Puis retrouvant son pragmatisme, elle acheta un test de grossesse à la pharmacie… Il était inutile d'extrapoler. Et ce matin, avant que Kévin ne se lève, elle avait su … POSITIF !

« Dans la salle de bain ce matin là, prostrée devant le résultat de longues minutes, les yeux fixés sur le stylet, les deux petits traits attestèrent qu'elle était bel et bien enceinte. Perdue dans ses pensées chaotiques, sa main se posa machinalement sur son ventre. Elle le caressa avec tendresse.

Lorsqu' elle revint à la réalité, elle s’aperçut de son geste et sourit. Jamais elle n’aurait pensé qu'une telle nouvelle puisse lui faire autant plaisir… surtout à son âge. Elle ne s'imaginait pas être mère si jeune… mais cependant, comment réfuter le fruit de son amour pour Kévin ? Ce petit pois… ce petit être… elle l'aima aussitôt … aussi fort qu'elle aimait Kévin !

Kévin… Mon Dieu… Quelle va être sa réaction ? Voudra-t-il de cet enfant ou vais-je devoir avorter ? Une foule d’interrogations douloureuses se bousculaient dans sa tête. Non ! se persuada-t-elle finalement en secouant la tête avec détermination. Impossible… Kévin ne veut que notre bonheur. Et un enfant… ce n’est que du bonheur !

Ne disposant que peu de temps ce matin pour en discuter avec lui… et du temps il en fallait pour une discussion de la sorte, Lola décida de se taire sur sa probable mais quasi-certaine grossesse jusqu'à demain et seulement demain… parce que c'était le week-end… ils prendraient le temps d'en parler calmement mais surtout ils prendraient, ensemble, la décision la meilleure.

Rassérénée par ses réflexions, elle jeta le stylet dans la poubelle de la salle de bain et commença sa journée comme si de rien n'était, même si l'attente lui nouait les tripes. »

Aussi lorsque Kévin lui avait joué son petit numéro d’homme abandonné dans la cuisine, elle fut à deux doigts de tout laisser tomber pour passer la soirée avec lui.

*****

Encore une bonne journée palpitante mais aussi très fatigante pour Lola. Avec ce soleil estival et les beaux jours à venir, un bataillon de clientes débarqua à la boutique, en quête de vêtements plus légers. Avec Fanny et Sylvia, elles furent sur tous les fronts, ne s'accordant qu'une pause-déjeuner rapide.

Malgré toute cette effervescence, la jeune femme aimait ce genre de journée, elles étaient tellement stimulantes. Elle s'y sentait utile et appréciée. Mais à contrario elle savourait tout autant de se retrouver dans le calme de l'appartement.

D'un côté, passer la soirée à ne rien faire, à buller sur son canapé n'était pas pour lui déplaire mais de l'autre, cette sortie avec Beth la réjouissait. Décompresser… s'évader du quotidien allait lui changer la tête.

Elle déposa au frais, les quelques courses faites sur le chemin du retour. Elle était même passée chez le traiteur du coin, acheter un plat préparé pour Kévin. Il fallait bien qu'il se restaure... Comme il comptait travailler tard, il serait certainement fatigué et il n'aurait pas la force de se préparer quelque chose, en rentrant à la maison. Puis après tout, se dit-elle, c'est mon rôle de « femme de la maison », s'enorgueillissant de ce statut.

Elle mourrait d'envie de se prélasser dans un bain moussant mais craignant de s'y endormir tant elle était vermoulue, elle opta pour une douche. Pendant de longues minutes, elle fit couler l'eau chaude sur ses épaules nouées. Au bout d’une vingtaine de minutes sous les jets brûlants, elle sentit la tension accumulée au fil de la journée se désintégrer avec bonheur. Devant le miroir, elle choisit un maquillage léger qu'elle peaufina avec soin. Simple et discret, il accentuait le soyeux de sa chevelure qu'elle décida de laisser libre. Enfin, elle enfila sa robe bustier puis admira sa silhouette dans la grande glace du dressing. Elle sourit à son reflet, elle se trouvait tout simplement sexy ! Et avec le collier Rope de sa mère, elle serait divine !

À dix-neuf heures pétantes, son amie toqua à la porte. Enthousiaste, Lola ouvrit. Beth poussa un sifflement d'admiration en la découvrant.

— Mazette ! Tu es à tomber par terre !

— T'es pas mal non plus, la congratula-t-elle à son tour, en l'embrassant.

Effectivement, Beth était très chic. Pas le style décontracté qu'elle portait habituellement mais un pantalon noir à pinces, très classe avec sa large ceinture assortie et un chemisier de soie crème sous une veste cintrée courte.

— Si tu es prête, on y va ? J'ai retenu une table au Royal Vendôme.

Lola écarquilla les yeux d'émerveillement.

— J'arrive ! Je griffonne juste un mot pour Kévin et on y va.

« Tu trouveras ton repas au frigo, juste le passer au micro onde. Je t'aime ».

Elle déposa son étole sur ses épaules, attrapa sa pochette et retrouva Beth dans l'entrée.

— Soirée filles : pas de mecs et on éteint les portables ! déclara son amie d'un ton solennel tandis que Lola tournait la clé dans la serrure.

Amusée, celle-ci obtempéra. La soirée pouvait commencer.

*****

Le Royal Vendôme était une brasserie chic à deux pas de la célèbre Place Vendôme. Bien que situé dans un quartier prisé et luxueux, ce restaurant aux allures de bistrot était une adresse de choix pour un repas agréable à prix tout doux. Ses grands miroirs, son ambiance feutrée et intimiste faisaient du Royal Vendôme, une brasserie traditionnelle très appréciée.

Les deux amies furent prises en charge par le personnel dès qu’elles franchirent les portes. Guidées par une jeune demoiselle, elles traversèrent la longue salle à manger ; deux grandes rangées de tables de bistrot alignées de part et d’autre des murs formaient une sorte d’allée ; à intervalle régulier, de grandes colonnes sur lesquelles l’éclairage rappelait les réverbères des années 50. La serveuse les mena jusqu’au fond de la salle où leur table et trois autres étaient dressées dans une sorte d’alcôve. Sur les murs, des lithographies de scènes de la vie parisienne ; au dessus de chaque table, une suspension diffusait une lumière intime. Installées confortablement sur les larges banquettes de cuir rouge, elles portèrent leur choix sur la gargantuesque salade « Place Vendôme » et la délicieuse crème brûlée, spécialité de la maison. Le restaurant était bondé mais malgré l'affluence, le service était discret, rapide et grâce à l'agencement des lieux, l'intimité de chaque tablée était préservée.

Lola passait une agréable soirée. Se retrouver avec Beth ravivait, comme à chaque fois, leur jeunesse passée ensemble. Nostalgique, elle savourait d'autant plus cet instant sachant que bientôt sa meilleure amie allait être absente durant plusieurs mois.

La conversation était joyeuse, rythmées d’anecdotes. Les deux copines jaspinaient à tout rompre, éclataient de rire, indifférentes aux regards outrés que leur lançaient leurs voisins de table. Cette démonstration euphorique, c’était un peu comme si chacune voulait graver dans son esprit cette ultime soirée tant l'absence prochaine de l'une d'entre elles les déchirait. Depuis leur plus tendre enfance, elles avaient toujours été ensemble… connectées comme deux âmes sœurs… jamais séparées plus de quelques jours.

Lorsqu'elles quittèrent le restaurant, la nuit était douce et étoilée. Un léger vent s'était levé, apportant un peu de fraîcheur après la chaleur étouffante de la journée. Les deux amies décidèrent de marcher au hasard des rues, repoussant au maximum le moment de la séparation. Prolongeant leur conversation, elles longèrent le Jardin des Tuileries, passèrent devant le Musée du Louvre, admirèrent les devantures des grands magasins, sans vraiment s'y intéresser, juste pour faire perdurer le temps.

L'air était si doux, si agréable que les badauds, principalement des touristes, toutes nationalités confondues, étaient nombreux à profiter de la capitale « by night ». Cependant, indifférentes à cette foule bigarrée, les deux jeunes femmes étaient seules au monde en poursuivant leur balade nocturne.

Le temps défilait à une vitesse vertigineuse. Déjà, au loin, l'église de la Madeleine sonnait une heure du matin. Beth devait partir aux aurores, le lendemain. Lentement, leurs pas les ramenèrent à la voiture. Les deux amies grimpèrent dans le véhicule et Lola démarra.

À cette heure-ci, la circulation était fluide et lorsqu'elle se gara devant l'immeuble de Beth, la jeune femme fut submergée par une vague de tristesse à l'idée de la quitter.

Prostrée sur le trottoir, Lola la serra dans ses bras de longues minutes. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux mais avec force, elle les ravala. Elle n'avait jamais aimé les adieux et elle ne voulait surtout pas craquer devant son amie. Elle éprouvait de l'empathie pour Beth depuis toujours et vice-versa. Chacune savait exactement ce que l'autre ressentait.

— Hé ma belle ! Je ne pars pas pour toujours, la rassura sa meilleure amie. Puis tu n'es pas toute seule, tu as Kévin maintenant. Tu verras, ça va vite passer !

La jeune femme renifla ses larmes et acquiesça d’un mouvement de tête, incapable d'émettre un son.

— Et on s'appellera toutes les semaines, rajouta Beth.

De nouveau, Lola opina du chef.

Les deux amies se sourirent, les yeux mouillés puis se serrèrent dans les bras une dernière fois. Beth gravit les quelques marches du perron, se retourna et lui adressa un petit geste de la main avant de disparaître dans le hall.

Lola resta quelques minutes pétrifiée, comme si un poids écrasant lui était tombé dessus. Immobile sur le trottoir, elle fixait la porte qui s'était refermée sur son amie. Et ce fut le pas lourd qu'elle finit par regagner sa voiture.

Dans un automatisme, elle ralluma son portable qui, aussitôt émit une série impressionnante de « bips ». Les yeux ronds, elle regarda l'écran : une vingtaine d'appels en absence de Kévin, sans aucun message.

Paniquée à l'idée qu'il lui soit arrivé malheur, Lola tenta de le joindre à son tour. Sans succès, elle tombait systématiquement sur la messagerie.

Son sang ne fit qu'un tour ! Elle tourna la clé et démarra en trombe, en oubliant les règles de sécurité les plus élémentaires.

Des idées plus noires les unes que les autres, lui traversaient l'esprit tandis qu'elle fonçait dans la ville. Une chance pour elle que le trafic ne soit pas encombré ; elle dévala les artères urbaines, bien au-delà de la vitesse autorisée, totalement inconsciente des risques qu'elle prenait à conduire aussi vite.

Lorsqu'elle arriva à bon port, Lola tremblait de tous ses membres. Elle coupa le moteur et prit quelques secondes pour réguler sa respiration. Son sang tapait si fort dans ses tempes qu'elle crut que sa tête allait éclater tel un ballon de baudruche.

Kévin !

Elle claqua la portière et se précipita d'un pas rapide vers l'immeuble. Elle ôta ses escarpins et gravit quatre à quatre, les marches des trois étages qui menaient à l'appartement. Essoufflée par son ascension fulgurante, la jeune femme dut reprendre sa respiration avant de tourner la clé dans la serrure.

Puis Lola poussa la porte d’entrée sans ménagement et entra telle une tornade dévastatrice…

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