Un prince pas si charmant (partie 1)

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— KEVIN ! KEVIN ! hurla-t-elle en claquant violemment la porte d'entrée.

Sa voix se perdit dans le silence de l'appartement.

Un nœud d'angoisse se forma dans sa poitrine et son pouls s'accéléra dangereusement. Une lumière aveuglante lui fit plisser les yeux lorsqu’elle actionna l'interrupteur. Lola jeta à terre ses escarpins et sa pochette puis se précipita dans le salon en criant son nom à s'en faire péter les cordes vocales.

Arrivée dans la pièce, la jeune femme stoppa net et resta un temps immobile devant le spectacle qui s'offrait à elle. La bouche ronde de stupeur, ses prunelles se posèrent sur le corps inerte de Kévin, étendu sur le canapé.

Les premiers signes de panique vibrionnèrent dans son ventre. Elle s'approcha, tremblante.

— Kévin ! continua-t-elle à l’appeler d'une voix blanche…

Kévin ne bougea pas d'un pouce… Aucune réaction !

Alors que la peur et l'angoisse lui tenaillaient de plus en plus les entrailles, elle l'aperçut. Là… bien en évidence, posée sur la table basse : la coupable ! Celle qui était responsable de l'état misérable de Kévin : la bouteille vide de whisky !

Malgré elle, Lola ressentit une première vague de soulagement à laquelle se succéda immédiatement, une sorte de rage sourde. Elle bouillonnait de l'intérieur. Elle s'était faite un sang d'encre pour lui, s'imaginant les pires choses. Son cœur avait failli exploser en le découvrant inanimé sur le canapé, elle l'avait cru mort… Alors qu'il était tout bêtement ivre mort ! Elle se sentait frustrée et tellement stupide. La moutarde lui monta au nez et la colère la gagna rapidement.

Lola le secoua comme un prunier dans l'espoir de le réveiller. Kévin émit à peine un grognement d'être ainsi malmené mais ne bougea pas d'un iota. Verte de rage, elle se rendit à la cuisine d'un pas décidé et revint avec un grand verre d'eau froide qu'elle lui lança à la figure… Et tant pis pour le cuir du canapé !

D'un bond, Kévin se redressa complètement hébété. Émergeant des vapeurs d'alcool, les cheveux dégoulinants, il la toisa, un rictus mauvais sur les lèvres.

— T'es complètement folle ma pauvre fille ! débita-t-il la langue pâteuse en s'essuyant rageusement le visage de la main.

La jeune femme explosa.

— Non mais t'as vu dans quel état tu t'es mis ? J'ai eu la trouille de ma vie en te voyant. J'ai roulé à tombeaux ouverts croyant qu'il t'était arrivé quelque chose de grave et résultat… je tombe sur quoi ? Sur un ivrogne dans le salon. Tu m'avais promis de ne plus boire autant !

— C'est de ta faute si j'ai trop bu, la coupa-t-il en pinçant les lèvres.

— MA faute ? C'est la meilleure de l'année celle-là, fulmina la jeune femme.

Faisant fi du ton sardonique qu'elle employait, Kévin poursuivit.

— J'ai travaillé jusqu'à très tard au bureau et me retrouver ici, fatigué et seul, m'a mis le bourdon. J'avais besoin d'entendre ta voix… juste ta voix pour me réconforter mais bien sûr, Madame avait coupé son portable ! J'étais si mal, si angoissé que j'ai descendu quelques verres en essayant en vain de te joindre toute la soirée. Donc OUI c'est entièrement de ta faute ! cracha-t-il d’une traite.

— Mais j'étais avec Beth, tu le savais bien, se défendit Lola. Quelques verres ? Elle souleva un sourcil perplexe en lorgnant sur la coupable. À ce que je sache, ce n'est pas moi qui t'ai vidé la bouteille entière dans le gosier… T'es gonflé je trouve ! Et puis merde, j'ai quand même le droit de sortir avec mes amis…

L'air exaspéré, les poings sur les hanches, la jeune femme soutenait son regard sans ciller.

— Je t'interdis d'éteindre ton portable ! Tu m'entends ? Je veux pouvoir te joindre, savoir où tu es, avec qui tu es, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit ! À moins que tu n'aies quelque chose à me cacher, l'accusa-t-il dans un rire pincé.

Lola en resta comme deux ronds de flan.

— Et puis… c'est quoi cette robe ? Et c’est quoi ce collier miteux et pas celui que je t'ai offert ? Cette robe est à appel au viol ! Mais bordel… regarde de quoi tu as l'air !

Piquée au vif, des larmes perlèrent à ses paupières mais Lola ne se démonta pas.

— Et de quoi ai-je l'air ? Sa voix siffla sur un air de défi.

— D'une pute ! laissa-t-il tomber le plus naturellement possible.

Aussitôt, la dispute s'envenima. Kévin était allé trop loin dans ses paroles… et ses paroles sitôt prononcées poignardèrent Lola au plus profond de son cœur. Pâle comme un linge, le regard en feu, elle le gifla, histoire de lui faire ravaler ses propos insultants.

Mais la riposte fut immédiate.

L’œil noir, brillant comme du pétrole, Kévin arma son bras. Le dernier mot fut pour lui quand il lui flanqua une gifle magistrale. L'impact fut si violent que Lola heurta la table du salon avant de s'écrouler au sol.

Sonnée tel un boxeur dans les cordes, la jeune femme, en prenant appui sur la table, mit un genou à terre afin de se relever. La pièce tournait autour d'elle. Elle avait un goût de sang dans la bouche. Elle essaya de déglutir mais une forte envie de vomir la saisit. Sentant son estomac sur le point de se retourner, elle se mit debout dans un ultime effort. Chancelante, elle se précipita dans la salle de bain… Kévin sur ses talons.

Elle s'y enferma à double tour et bloqua la porte avec la chaise qui se trouvait là. La tête dans les toilettes, Lola laissa ses boyaux se déverser. L'intérieur de la joue éclaté, elle cracha le sang qui lui obstruait la gorge.

Peu à peu, elle reprit ses esprits. Flageolante sur ses jambes, elle se redressa pour se diriger vers le lavabo. La figure tuméfiée par les larmes, le regard en feu, elle se passa de l'eau fraîche sur le visage avant de regarder son reflet dans le miroir. Kévin tambourinait toujours à la porte et la suppliait d'ouvrir. Elle l’ignora.

Une marque rouge lui barrait la joue et sa lèvre inférieure était gonflée sous l'impact de la gifle reçue. D'une main tremblante, elle la toucha délicatement du bout des doigts. La brûlure lui arracha un cri étouffé et ses larmes redoublèrent de plus belle.

Complètement anéantie, la jeune femme se laissa filer sur le froid du carrelage. Roulée en boule, Lola laissa s'échapper toutes les larmes de son corps.

— Pardon ma puce, entendait-elle de l'autre côté de la porte. Ouvre s'il te plaît ! Je t'aime ! Tu sais bien que je t'aime ! Je n'ai pas voulu ça ! Je m'en veux si tu savais …

Affalée sur le sol, Lola était dévastée, ravagée par le chagrin, sa vie tombait en ruine. Recroquevillée sur elle-même, elle n'arrivait même plus à penser de manière rationnelle, sonnée par ce triste constat.

Soudain, une forte douleur l'assaillit !

Cette douleur fulgurante lui arrachait le bas-ventre. Souffrant le martyr, elle pressa fermement les paupières et serra les dents. Ce déchirement la pliait en deux. Les entrailles en feu, de ses bras elle comprima son abdomen dans l'espoir d'adoucir le mal. Entortillée sur elle-même, elle sentit se répandre un liquide chaud et humide, coulant le long de ses jambes. Elle entrouvrit ses yeux et poussa un cri de terreur.

Une mare d’un épais sang presque noir suintait entre ses cuisses. Le bébé ! Elle perdait le bébé… SON bébé ! Une partie d’elle-même mourait et se détachait de son corps. Dans un état léthargique, une désillusion sans nom sur sa vie, sur son couple l’envahissait.

Puis, il y eut un moment de répit et Lola put reprendre un peu son souffle, le front perlé de sueur. Anesthésiée par le mal incrusté dans sa chair, la jeune femme était incapable de réagir. Elle renversa sa tête contre le mur. Les yeux fermés, levés vers le plafond, elle s’appliqua à réguler sa respiration.

Soudain, un spasme cuisant la tenailla au plus profond de son ventre, lui déchiqueta la matrice. Une sensation de chaleur, de vive brûlure lui labourait l’utérus en de fortes douleurs térébrantes. En position fœtale, ses poings serrés comprimèrent son bas-ventre avec force quelques minutes qui lui parurent des heures.

Les contractions s’estompèrent pour finir par cesser ; son supplice s'atténua enfin. Couverte de sueur, haletante, elle reprit peu à peu sa respiration. Une profonde tristesse, une désolation indicible s’encrèrent dans son cœur. Un vide immense envahit son esprit. Baignant dans son sang, Lola hurla son désespoir, son affliction, sa souffrance et sa colère. Elle pleurait de la perte de son enfant qui ne verrait jamais le jour se lever !

Derrière la porte, Kévin entendait ses cris de détresse. À présent totalement dégrisé, il paniquait et tapait sauvagement du poing contre le bois. Lola ne répondait pas et n’ouvrait pas pour autant. Inquiet de son silence, l’homme menaça alors de défoncer la porte. La jeune femme l’en savait capable. Dans un état second, elle se traîna jusqu’à la chaise, l’enleva et tourna la clé.

Doucement, Kévin actionna la poignée. Il franchit le seuil et entra, un air penaud sur le visage. Lorsqu'il vit Lola effondrée au milieu de tout ce sang, il se précipita à ses côtés, les yeux horrifiés. Avec précaution, il l'aida à se redresser et l’adossa contre le mur. La soutenant par les épaules, il chercha son attention et l'interrogea du regard. Prostrée, la jeune femme le dévisageait avec des yeux vides. Il était le responsable de la perte de son bébé mais sa douleur affective était si intense qu’elle n'arrivait même pas à se mettre en colère contre lui. Elle était si abattue qu’elle ne pouvait prononcer un seul mot. Des larmes silencieuses roulaient inexorablement sur ses joues sans qu'elle ne puisse les arrêter. Mais Kévin insista pour avoir des réponses, il la secoua doucement pour la faire réagir. Péniblement, Lola leva un bras et de l’index, lui désigna la poubelle.

Il fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'elle essayait de lui dire.

— Dans… dans la poubelle, réussit-elle à articuler dans un souffle.

Kévin fit ce qu'elle lui dit sans savoir ce qu'il cherchait mais il comprit très vite lorsque ses yeux se portèrent sur le test de grossesse jeté le matin même.

Un masque de tristesse tomba aussitôt sur son visage en regardant Lola. Il la berça tendrement dans ses bras. Blottis ainsi l'un contre l'autre, ils pleurèrent ensemble.

— Je suis tellement désolé, se lamenta-t-il entre deux sanglots. Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? Pardonne-moi, je t'en prie ! S'il te plait, pardonne-moi !

— … dire ce week-end, hoqueta la jeune femme entre deux spasmes.

Il resserra son étreinte.

— Je t'aime si fort ! Pardonne-moi mon amour, répéta-t-il larmoyant. Je vais m'occuper de toi, ne bouge pas.

Il ouvrit les robinets de la baignoire et fit couler un bain. Il la déshabilla avec beaucoup de précaution. Atone, Lola se laissait faire.

Délicatement, il la souleva dans ses bras et la déposa dans l'eau tiède qui se teinta de rouge. L'eau apaisa son corps endolori… La jeune femme ferma les paupières. Les yeux mouillés, Kévin la contempla un instant. Il se maudissait d'être le responsable de son état. Puis il se saisit de la fleur de lavage. Avec des gestes tendres, il nettoya méthodiquement le corps de cette femme qu'il adulait. Lola ne réagissait toujours pas.

Il partit dans la cuisine remplir une poche de glaçons puis revint bien vite dans la salle de bain. La jeune femme poussa un petit gémissement de douleur quand il l'appliqua sur sa lèvre endolorie.

— Pardon, s'excusa-t-il.

Elle lui sourit machinalement avant de refermer les paupières.

Il entreprit alors de nettoyer le carrelage. Muni de la serpillière, il effaça, dans les larmes, les traces de sang.

Sa sale besogne accomplie, Kévin aida Lola à sortir de la baignoire. Il l'enveloppa dans son peignoir. Elle claquait des dents. Il la frictionna pour la réchauffer. Amorphe, la jeune femme était plongée dans une profonde léthargie… le regard ailleurs. Aussi désarticulée qu'une poupée de chiffon, son corps ne lui obéissait plus. Kévin la porta jusqu'à la chambre à coucher et l’allongea sur le lit. Il versa un peu d’eau dans un verre, lui souleva délicatement la tête pour qu’elle puisse avaler un somnifère. Elle but une gorgée en grimaçant puis reposa sa tête sur l'oreiller. Kévin remit la poche de glace sur sa lèvre et Lola ferma les yeux.

— Pardonne-moi… Pardonne-moi mon amour ! Je t'aime si fort ! furent les dernières paroles qu'elle entendit avant de plonger dans les ténèbres.

Kévin veilla sur elle toute la nuit. Il appliqua régulièrement de la glace sur sa joue. Les yeux embués, il la regarda dormir d'un sommeil agité. Il s'en voulait tellement de son geste mais si elle ne l'avait pas giflé, il n'aurait pas perdu son self-control. Et s'il n'avait pas bu ce maudit whisky… Il en était persuadé…

Il était incapable de lui faire du mal… du moins le pensait-il…

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