Le syndrome du crapaud (partie 2)

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Une lumière aveuglante filtrait au travers des voilages du salon lorsque Lola ouvrit difficilement les paupières. Elle protégea de sa main ses yeux chassieux, le temps de s'habituer à la clarté du jour. Quelle heure pouvait-il bien être ? Elle chercha le radio réveil puis se redressa vivement en se remémorant la soirée d'hier et ce fut à ce moment qu'elle l'aperçut. Surprise, elle recula au fond du canapé puis l'observa de ses yeux gonflés et rougis d'avoir trop pleuré.

Kévin était assis en tailleur sur le moelleux tapis de laine, celui-là même où ils avaient fait l’amour pour la première fois. Les coudes appuyés sur les genoux et la tête penchée en avant, son menton reposait entre ses mains. Il posait sur la jeune femme, son doux regard langoureux qu'elle connaissait si bien. Il n'y avait que lui pour la regarder ainsi. Il était si beau ! Les rayons du soleil caressaient doucement son visage et ce visage-là n'avait plus rien à voir avec celui qu'il affichait la veille... Il irradie ! s'émerveilla-t-elle.

Il ne prononça aucun mot, se contentant de la dévorer des yeux, un large sourire pendu à ses lèvres gourmandes. Il garda cette posture silencieuse un long moment. Lola était mal à l'aise. Nerveuse, elle tortillait une mèche de cheveux dans ses doigts, tout en se mordillant la lèvre inférieure. Le temps lui paraissait interminable et ce silence… insoutenable.

Elle eut un soubresaut lorsqu'elle entendit enfin le son de sa voix suave.

— Bonjour ma puce.

— Bonjour Kévin… Tu as bien dormi ? baragouina-t-elle, peu sûre d'elle.

— Hum…

Lola ne savait pas trop comment s'y prendre. Devait-elle aborder le sujet de suite ou était-il préférable d'attendre ? Elle se sentait tellement ridicule. Pourtant, il fallait qu’elle crève l’abcès et Kévin semblait calme et disposé à écouter.

Elle poursuivit donc en s'armant de courage.

— Je tiens à m'excuser pour hier soir. Je n'aurais pas du t'engueuler et… et te faire toutes ces critiques. Je suis consciente que tu travailles dur pour nous et je me sens tellement stupide de te reprocher de vouloir assurer notre avenir commun… Mais comprends-moi…

Elle marqua un temps d'arrêt, cherchant ses mots.

— Tous les soirs, dans ce grand appartement, je n'en peux plus d'être seule… de t'attendre rentrer à des heures indues. J'en arrive à envier tes collègues avec qui tu passes plus de temps qu'avec moi… J'en suis presque jalouse. Je suis tellement amoureuse de toi que je deviens parano quand tu n'es pas près de moi. Pardonne-moi… Tu veux bien ? Je te promets de faire des efforts.

Elle avait parlé d'une traite, de peur de ne pas pouvoir aller jusqu'au bout.

Tout au long de sa plaidoirie, Kévin n’avait cessé de la regarder dans les yeux, sans se départir de son petit sourire en coin. Et il sut à cet instant précis qu'elle était totalement et pour toujours à sa merci.

Les nerfs à fleur de peau, Lola guettait son assentiment mais dans l'immédiat, il se contentait de la fixer intensément.

— Tu veux bien ? lui répéta-t-elle après plusieurs minutes d'attente insupportable.

Avec grâce et élégance, Kévin se leva et la rejoignit sur le canapé. La jeune femme buvait des yeux chacun de ses gestes. Assis au plus près d'elle, de son index il lui souleva le menton et effleura ses lèvres d’un léger baiser.

— Oui, je veux bien mon cœur, finit-il par dire. Je tiens aussi à m'excuser de mon comportement. Je ne voulais pas te faire peur mais tu m'as poussé à bout. J'avoue aussi avoir ingurgité quelques verres de trop et j'ai pété les plombs lorsque tu m'as fait tous ces reproches injustes. Je comprends également que ça ne soit pas facile pour toi de te retrouver seule le soir dans cet appartement. Alors je te promets aussi de faire des efforts.

Lola opina du chef, soulagée.

Kévin ouvrit alors ses bras pour l’accueillir. Elle s’y blottit, heureuse de retrouver sa chaleur humaine. L’abcès crevé, maintenant il fallait qu'elle lui pose la question qui la taraudait depuis hier soir.

— Dis-moi, c'est quoi cette histoire de mariage ? l'interrogea-t-elle d'une toute petite voix.

— Comment ça, c'est quoi ? Tu ne rêves donc pas de te marier ? De fonder une famille ? Ne suis-je pas celui que tu attendais depuis toujours ? l'interrogea-t-il à son tour. Parce que pour moi, tu es celle qui emplit tout mon être.

— Si… Non… bafouilla celle-ci, prise au dépourvu. Heu… SI… Bien sûr que je veux me marier et avoir des enfants mais pas tout de suite, je suis trop jeune. Avant, je veux profiter de ma jeunesse... et de la vie avec toi !

Kévin partit d'un grand éclat de rire en découvrant le regard implorant qu’elle lui lançait bien malgré elle.

— Ok ! concéda-t-il. Comme tu voudras mais je te promets que tu finiras par m'épouser et bien plus tôt que tu ne le penses. Je peux être très persuasif et tu ne pourras rien me refuser.

Il y avait une telle assurance dans sa voix que Lola en resta bouche bée.

Il l'embrassa sur le bout du nez et se leva.

— Je vais préparer le café.

Se dirigeant vers la cuisine, Kévin s'arrêta puis se retourna.

— Au fait, tu es très belle quand tu dors mais tu ronfles autant qu'un sonneur de cloches.

Lola, gênée, lui tira la langue dans un haussement d'épaules. Il continua sa route, ne pouvant retenir un rire naissant. La jeune femme secoua la tête et sourit de cette moquerie… après tout, elle lui en faisait souvent le reproche… C'était de bonne guerre !

Dans l’immédiat, leur réconciliation était la seule chose qui comptait à ses yeux. Ils avaient surmonté ce drame, cette violente dispute. Maintenant, elle désirait aller de l'avant. Et pour ça, la jeune femme était prête à tout faire pour lui montrer combien elle l'aimait, même si cela impliquait qu'elle fasse des concessions. Elle apprendrait à mieux combler ses désirs, à mieux comprendre ses besoins, les anticipant même. À partir de là, leur vie sera sans nuages et ils seront heureux ! C'était ce qu'elle voulait le plus au monde. Elle fera tout ce qu’il faut pour ne pas le perdre…

Oui, c'était ça… Surtout ne pas le perdre !

Quelques minutes plus tard, rassérénée par son soliloque silencieux, Lola se précipita dans la salle de bain. Avec la nuit épouvantable qu'elle venait de passer, elle devait être affreuse. Rien de tel qu'une bonne douche salvatrice lorsqu'on se sentait poisseux. Avec ses yeux rougis par les larmes et ses cheveux en pétard, elle avait besoin de se refaire une beauté et retrouver visage humain.

Ni Lola, ni Kévin n’eut guère envie de sortir de l'appartement. Ils convinrent donc de passer un week-end cocooning. Ils décidèrent de s'installer sur la terrasse. Allongés sur une chaise longue, dans les bras l'un de l'autre, ils profitèrent du doux soleil printanier qui inondait la ville de ses rayons. Ils éprouvèrent le besoin de se couper du reste du monde… de ne rien faire de leurs journées… excepté jouir l'un de l'autre, rattraper le temps perdu mais surtout s'aimer avec passion.

*****

Tous deux reprirent le chemin du travail après ce week-end qui avait si mal commencé mais tellement bien terminé. Tout ça était derrière eux ! Un mauvais souvenir… Un incident de parcours sur lequel Lola voulait tirer un trait.

Les jours suivants, Kévin fit son possible pour ne pas s'attarder trop tard au bureau. Il s’efforçait d'être rentré à l'appartement vers vingt heures, grand maximum. Certains soirs, il lui arrivait de revenir les bras chargés d’un magnifique bouquet de fleurs. Il était aux petits soins pour Lola qui, elle, était aux anges.

À la boutique, la jeune femme retrouva son entrain habituel et sa bonne humeur. Content de son travail, Monsieur Meyer lui délégua un peu plus de responsabilités. Il avait une totale confiance en ses compétences et se réjouissait d’avoir eu l’œil pour dénicher une vendeuse de sa qualité. Les conseils vestimentaires qu’elle prodiguait aux clientes étaient judicieux et tellement appréciés par ces dames. Lola avait vraiment la fibre de la mode dans le sang. Les décisions qu'elle prenait étaient également louées par l’ensemble du personnel. Elle était une bonne recrue comme aimait la taquiner son chef.

Ainsi, petit à petit, des liens amicaux se tissèrent entre elle et Paul Meyer. De temps à autre, ils buvaient un café ensemble en bavardant gaiement, de tout et de rien. D’excellente compagnie, il avait aussi un grand sens de l'humour que Lola n'aurait jamais soupçonné sous son costume à la coupe impeccable. La jeune femme appréciait leurs discutions, elle retrouvait en lui un père qu’elle n’avait jamais eu.

*****

Un beau matin de mai, Paul lui présenta son épouse, avec qui il devait déjeuner le midi. C'était une femme élégante d'une beauté sans pareille. Son visage aux traits fins et délicats était encadré de longs cheveux bouclés d'un noir soyeux et profond comme l'ébène. Ils cascadaient naturellement sur ses épaules et intensifiaient le vert émeraude de ses yeux.

D’un geste gracieux, cette femme lui tendit la main.

— Bonjour Lola ! Enchantée de vous connaître… Paul ne tarit pas d'éloges sur vous, gratifia-t-elle la jeune recrue.

Lola s'empourpra de ce compliment.

— Bonjour Madame, répondit-elle timidement.

— Appelez-moi Cath, continua celle-ci sans chichis, un éclatant sourire aux lèvres. Et j'espère que nous serons amenées à nous revoir pour faire plus ample connaissance. Pourquoi ne prendrions-nous pas un café ensemble à l'occasion ?

— Avec plaisir Mada… Cath, balbutia Lola, décontenancée par la gentillesse et la simplicité de cette femme.

— Alors à très bientôt, j'en suis ravie.

Le couple idéal ! pensa Lola en les regardant s'éloigner, main dans la main. De toute évidence, ces deux là étaient amoureux comme au premier jour. Songeuse, la jeune femme s'imaginait de la même façon au bras de Kévin, bien des années plus tard. La clé d'une vie de couple réussie : entretenir la flamme des premiers jours. C'était sa version du bonheur.

De retour à la réalité, elle apprit par Fanny et Sylvia que Madame Meyer… Cath pour tout le monde… mettait un point d'honneur à mieux connaître les employées. Elle suivait le même mode opératoire avec toutes les vendeuses.

« La boutique, comme elle aimait le dire, est une grande famille où chacun doit se sentir comme chez soi. »

Sans vraiment la connaître, Lola appréciait déjà Cath. Elle ne savait pas pourquoi mais elle était certaine de s'en faire une amie.

À midi et demi, la jeune femme ferma la boutique et partit le pas léger, rejoindre Beth pour le déjeuner. Cela faisait une éternité que les deux copines n'avaient pas pris le temps de se voir et elle trépignait d'impatience de pouvoir la serrer dans ses bras.

Beth était déjà arrivée au restaurant, installée à leur table habituelle. L'apercevant, la jeune femme se dirigea vers elle. Les deux amies s'étreignirent de longues minutes dans les bras l’une de l’autre.

— C'est bon de te voir. Tu as une mine splendide, déclara Lola en dévisageant son amie.

— Merci ma belle ! Ça c'est parce que j'ai une grande nouvelle à t'annoncer…

Elles prirent place à leur table.

Lola avait hâte de savoir ce qui rendait Beth aussi radieuse mais le serveur s'approcha pour leur présenter la carte des menus. Elles commandèrent un verre de vin blanc, une salade Caesar et un steak tartare. Le garçon de salle prit leur commande puis disparut en cuisine.

Enfin elles étaient seules !

Lola, coudes sur la table, croisa les mains sous son menton et interrogea son amie du regard. Elle piaffait d'impatience.

— Alors ? Tu me dis… oui ou non ? finit-elle par lâcher.

— Je vais partir en tournée, capitula Beth, amusée devant l'empressement de sa meilleure amie.

Lola fronça les sourcils, attendant qu'elle poursuive. Ce que fit Beth.

— J'ai passé une audition pour un rôle dans une pièce de théâtre et contre toute attente j'ai été retenue…

— C'est fantastique ! la félicita son amie avec enthousiasme. Quelle bonne nouvelle ! J'ai toujours su que tu réussirais dans le métier.

— T'emballes-pas ! la contra Beth d'une voix sérieuse. Ce n'est qu'un petit rôle et on ne va pas se produire dans de grandes salles… Ce n'est qu'une modeste troupe. Nous sommes en pleines répétitions et dans un mois… nous voilà partis pour sillonner les routes de France ! Le cachet n'est pas mirobolant mais tu me connais… La vie de bohème… j'en ai toujours rêvé ! Et je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé avant…

Lola balaya cette dernière phrase, elle était tout simplement ravie pour son amie. Jamais elle ne l'avait vue aussi déterminée à aller au bout de son ambition. Jouer la comédie avait toujours été son choix number one dans la vie, même si être intermittent du spectacle n'était pas considéré comme un métier respectable aux yeux de beaucoup de monde. Son amie s'en fichait complètement, elle réalisait enfin son rêve.

Il fallait toujours vivre ses rêves et non se contenter de les rêver ! Lola réalisait le sien et aujourd’hui c'était le tour de Beth.

— Tu seras absente longtemps ? voulut-elle savoir.

— Pour l'instant, je ne sais pas définitivement, il reste encore des dates à confirmer mais au minimum trois mois mais avec des coupures où je reviendrai pour quelques jours. Mais on s'appellera régulièrement, hein ?

— J'y compte bien ! Je veux un rapport toutes les semaines, ordonna Lola en lui décochant un regard amusé.

— À vos ordres, chef ! obtempéra celle-ci dans un salut militaire.

Lors du repas, leur conversation tourna autour de la future carrière artistique de Beth et le temps passa beaucoup trop vite à leur goût ! Les deux amies eurent l'impression de n'avoir bavardé que depuis quelques minutes mais déjà, l'heure du déjeuner touchait à sa fin.

Elles s'étreignirent dans une longue accolade, sur le trottoir.

— Tu me promets de te libérer un soir, hein ? demanda Beth à Lola. Une ultime soirée entre filles avant mon départ… Tu vas trop me manquer.

— C’est promis ma chérie. Compte sur moi ! Toi aussi, tu vas terriblement me manquer.

Les deux amies émues se séparèrent à contrecœur.

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