Vie de merde

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Vie de merde, aucune expression n’est plus apte que celle-là à décrire mon quotidien.

Nombreux sont ceux qui disent la même chose de leur vie, et ceux qui le pensent sont encore plus nombreux. Alors les états d’âme d’un personnage de fiction… Si tant est qu’il en ait une, insinueront certains.

Une âme ? je ne sais pas ! mais ce crétin d’auteur, démiurge démoniaque, m’a doté d’une conscience. De quoi s’agit-il ? D’accéder à l’information, d’y réfléchir posément, longuement, et de partager cette information avec d’autres. Moi, y réfléchir longuement ? Je ne fais que cela depuis des... jours ? Non, des mois ! Les partager, car il y en a plusieurs, c’est ce que je fais en m’adressant à vous, donc je suis incontestablement conscient.

Au début, j’ai cru que j’étais amnésique, car je ne sais ni qui je suis, ni où je suis, ni comment je suis arrivé là, ni ce que je suis censé y faire : mais la vérité, c’est que je n’ai pas de passé… pas de parents, pas d’enfance, pas d’amis, encore moins de petites amies, rien, même pas de nom. Si ça, ce n’est pas une vie de merde, qu’est-ce que c’est ?

L’homme est enfermé dans un scaphandre spatial, il erre sur un corps céleste dépourvu d’atmosphère. C’est tout ce que mon… mon quoi au juste ? Mon tourmenteur ? C’est tout ce qu’il a écrit. A-t-il fait une attaque et est-il décédé ? A-t-il retiré la feuille de la machine à écrire et l’a-t-il rangée dans un tiroir ? A-t-il sauvegardé cette unique phrase dans un fichier ? Qui suis-je ? Un héros, un antihéros, un personnage secondaire, un figurant, une silhouette ? Si ça, ce n’est pas une vie de merde, qu’est-ce que c’est ?

Quelles sont donc ces informations sur lesquelles j’ai réfléchi pendant des mois, avant d’éprouver le besoin de les partager avec vous ? Ma nature : je suis un homme, mon créateur l’a voulu ainsi, pas une créature avec des tentacules ou des flagelles, ouf, quoique… Ma raison d’être : je n’en ai trouvé aucune, j’en suis donc arrivé à la conclusion que je devais mettre fin à cette existence dépourvue de sens. Sur un corps céleste dépourvu d’atmosphère, c’est relativement facile… A priori, parce que je n’ai pas plus réussi à déchirer mon scaphandre, qu’à briser la visière ou à retirer le casque. Je continue donc à divaguer sans but sur un rocher errant. Si ça, ce n’est pas une vie de merde, qu’est-ce que c’est ?

Pour ma survie dans le casque se trouvent une paille me permettant de m’abreuver et un distributeur de tablettes nutritives. J’ai bien sûr pensé à me laisser mourir de soif, c’est plus rapide que de faim, mais si je reste trop longtemps sans boire ou manger le système de survie doit ajouter un peu de N2O dans l’oxygène, qui circule dans ma combinaison, car je deviens euphorique et m’hydrate ou me nourris. Je continue donc à chercher comment mettre fin à mon calvaire. Si ça, ce n’est pas une vie de merde, qu’est-ce que c’est ?

J’ai un cathéter sur le pénis, comme un préservatif muni d’un tube pour recueillir mon urine dans un sac. Il y a un sac de collecte de matières fécales qui adhère à mon trou du… pardon, à mon anus. Si ça, ce n’est pas une vie de merde, qu’est-ce que c’est ?

Au début, je pensais que le truc lourd qui me pèse sur le dos contenait des réserves de survie : oxygène, eau et tablettes nutritives. Mais après plusieurs mois, j’ai bien été obligé de me rendre à l’évidence c’est un système de recyclage. Le seul truc qui était stocké, c’étaient des arômes, et il n’y en a plus. Ça, c’est incontestablement une nourriture vie de merde.

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