L'intrépide

3 minutes de lecture

Le lendemain, Bertrand Pascal au nez éméché, marchait d’un pas ferme en direction de l’unique agence de voyages de son village. Il n’était jamais parti loin en vacances et se sentait donc animé d’un emballement un peu saugrenu. Son patron lui avait accordé des congés extraordinaires dans la foulée, suite à cette funeste occasion. Il avait les joues rouges et ses yeux brillaient intensément. Le somnifère avait eu sur lui un effet boomerang qui se traduisait par une sorte de léger délire euphorique.

L’agent de comptoir de l’agence connaissait l’énergumène et le trouva même un peu plus allumé que de coutume tant il parlait avec un lyrisme décalé de son projet de métamorphose grâce à son voyage vers l’inconnu. Il désirait mettre le cap vers le Sud, sentir l’écume de la mer, goûter son sel, se laisser bercer par le roulis des vagues… Face à son enthousiasme extravagant sur tout ce qui faisait référence à la grande bleue, la jeune femme lui proposa une place de dernière minute sur une croisière en méditerranée avec un départ le lendemain. Elle sut qu’elle venait de viser juste quand, à l’entendre prononcer le mot « paquebot », Bertrand se figea, les yeux dans le vide, la bouche béante. Quelques secondes plus tard, il s’écriait : « Banco ! Bingo ! Tchao ! ». Il ignorait tout de la destination et des escales, mais il était partant. Il fallait partir. Il devait partir. Il voulait partir. Il allait enfin partir. Cette situation était bel et bien inédite. Il sentit son cœur s’emballer, ses joues rougir un peu plus, ses guiboles flageoler. Ce fut compliqué de dénicher son portefeuille dans sa sacoche en bandoulière et encore plus pour en extraire la carte de crédit tant ses mains tremblaient. Il ressemblait carrément à une portion de gelée à la fraise en train de se trémousser sans vergogne sur elle-même. Il n’osait plus regarder la jeune fille dans les yeux. Elle-même se trouva dépourvue face à cet homme visiblement dans un état de stress intense. Par chance, le téléphone sonna et mit un terme à cet embarras silencieux. Bertrand flageoleait un tantinet moins alors que des frissons envahissaient déjà son dos.

Il rentra chez lui et prépara son sac en pilote automatique, ne sachant guère ce qu’il y mettait. Il passa sa journée à espérer la fin de la journée. Le lendemain, il conduisit jusqu’au port de Marseille sans faire aucun arrêt sur la route. Il ne s’impatienta pas face à l’interminable file d’attente serpentant devant l’imposant paquebot. Ce n’est que la voix sensuelle de l’hôtesse à bord qui le sortit de son état hypnotique. Cette plaisancière était ravissante, elle lui indiqua son numéro de chambre à quatre chiffres. L’idée de l’y inviter lui vogua à l’esprit, mais trop tard. Quand il se retourna, elle était déjà en train de distribuer d’autres numéros gagnants. Un bel hidalgo s’empara de ses bagages en souriant et il se retrouva planté à l’avant du bateau, libre comme l’air. Il pensa à ses collègues du bureau. Ils devaient brasser du vent comme à l’accoutumée alors que lui était sur le point de se prendre de vrais embruns en pleine poire. La classe en terrasse.

Surexcité, il s’engouffra dans la gueule du monstre des mers à l’ambiance feutrée, tapissé de moquette. Une infinie opulence comme il n’en avait jamais côtoyé. Des couloirs, des escaliers à n’en plus finir. L’odeur alléchante de croque-monsieur, de pizza quatre fromages ou encore de hamburger. Un éclairage considérable, des baies vitrées énormes. Des salons à perte de vue. Perdu, étourdi par tant de sollicitations d’un coup, Bertrand ressortit sur le pont extérieur avec l’envie subite de se concentrer sur un concept pratico-cérébral. Alors, il se mit à parcourir de long en large l’embarcation, déterminé à en calculer les distances. Il marchait à grands pas, faisant des comptes d’apothicaires dans sa tête tout en se parlant à voix haute. Il ne vit pas les gens autour de lui le regarder bizarrement. Quand il eut enfin une idée des dimensions approximatives du paquebot, il se sentit rassuré.

L’objectif suivant était de trouver sa cabine numéro 2222. Il se laissa guider par le circuit fléché d’une facilité déconcertante. Il découvrait à peine son refuge pour les sept prochains jours quand la corne de brume sonna le départ. À travers le hublot de sa chambre, il rêvassa le temps que la terre s’éloigne et disparaisse. Puis d’un coup d’un seul, il eut envie de composer le numéro de téléphone du chasseur de têtes artistiques.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Anaid Retinperac ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0