Chapitre 4

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Mardi 11 Fervrier 2020

Maison Hayes , 3h20.

Lorsque Caleb ouvrit enfin les yeux, la nuit était déjà bien avancée. Il s'étira longuement avant de poser, difficilement, un pied par terre. Du coin de l'œil, il remarqua que son sac ainsi qu'une feuille étaient posés au pied de son bureau. Alex avait dû passer les lui apporter sans le réveiller. Sans une seconde de plus, il sortit de sa chambre et alla se chercher quelque chose à manger. Comme à son habitude, sa mère avait soigneusement recouvert d'un film Cellophane le plat et avait déposé le dîner de son cadet dans la micro-onde. Le brun sourit et enclencha la machine. Il regarda rapidement l'heure qui s'affichait : 3 h 28. Pas étonnant que personne ne soit en bas à cette heure-ci.

Caleb mangea tranquillement, l'esprit totalement vidé. Il en avait presque oublié les lettres. Il voulait juste réduire à néant toutes les images de ces lettres qui revenaient en boucle dans sa tête. Après avoir fini son plat, il rangea doucement la vaisselle faisant le moins de bruit possible. Tout aussi discrètement, il remonta dans sa chambre et alluma la lumière. Caleb attrapa son sac et le vida sur son bureau. Avec soulagement, il y vit son paquet de clopes. De quoi décompresser un peu.

Le brun alluma sa première cigarette, et s'adossa sur sa fenêtre ouverte. Il laissa alors libre cours à ses pensées, retenues jusqu'à maintenant. Pourquoi lui ? Elle aurait très bien pu choisir Alex, où n'importe qui d'autre ! La raison qu'elle lui avait donnée était insuffisante. Attirer les gens ? Et puis quoi encore ? Lui qui faisait tout pour les éviter, c'était bien sa veine d'être choisi à cause de ça. Il savait qu'il y avait une toute autre raison qu'elle s'était décidée à ne pas divulguer. Peut-être qu'elle en parlera plus tard. Il attrapa une deuxième cigarette. Caleb n'était pas un gros fumeur d'habitude, mais c'était un peu une journée exceptionnelle. Elle était dans son lycée, elle traversait les mêmes couloirs, elle voyait les mêmes gens. Cette réflexion ne fit qu'accentuer la pression dans son ventre. Il se sentait espionné, épié. Pour savoir quel était son casier parmi des centaines d'autres, cette fille devait le connaître.

Harassé de fatigue, il retourna rapidement se coucher lorsque sa dernière cigarette fut éteinte. Il avait à peine regardé la feuille d'Alex, où une courte inscription était visible.

« Faut qu'on parle. »

***

Comme à son habitude, Caleb était debout à l'aube, malgré la fatigue très lisible sous ses yeux. Il aimait passer quelques minutes en privilégié en compagnie de sa mère le matin. Pour la première fois, depuis longtemps, le petit-déjeuner se passa en silence. Aucun des deux ne souhaitait parler, ce qui était plutôt surprenant de la part de la Dame Hayes de nature bavarde. Le père de Caleb, David Hayes, descendit lentement les marches de la demeure familiale en direction de sa cuisine. Il fut très surpris de ne pas entendre la voix de sa femme en provenir. Habituellement, la cuisine était remplie de bruitages de casseroles, de machine à café où de ragots que sa femme colportait à son fils. Mais là, rien. Il haussa négligemment les épaules, et s'installa en face de son fils.

Les gens extérieurs à la famille, auraient pu se dire que David ne s'occupait pas de ses enfants. Mais en réalité, il était juste plus maladroit que sa femme. Lui n'avait pas l'instinct maternel. Il ne savait pas trop comment se comporter avec ses fils. Mais il avait toujours été là pour eux, et il pensait avoir rempli son rôle de père. Ça lui suffisait amplement.

Caleb vida la fin de son café et commença à se préparer à partir. Il avait envie d'arriver un petit peu en avance aujourd'hui, pour être plus longtemps seul. Le brun se demanda quand arriverait la lettre. Peut-être dans la journée, peut-être ce soir... Après un bref au revoir, il sortit de chez lui. Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, c'était comme si le monde autour de lui avait disparu. Il était tellement loin, la tête dans les nuages, qu'il n'entendit pas une voix l'appeler au loin.

  • Hé ! L'interpella une voix. T'as fait tomber ça mec !

Un adolescent d'environs une quinzaine d'années lui tendait une enveloppe. Caleb sentit un long frisson lui secouer le dos. Évidemment, c'était la lettre. Quoi d'autre ? Il arracha la lettre des mains du garçon et, sans un regard, partit en courant. Il monta dans le premier bus qu'il croisa et s'installa au fond. Il ne savait pas où il allait, et il n'avait pas envie de le savoir. Il avait juste envie de lire cette nouvelle lettre.

Il n'attendait que ça depuis hier.

« Bonjour Caleb !

Hier, j'ai vu que tu étais absent.. Tu es malade ? J'espère que tu te rétabliras bien vite !

Donc, nous en sommes à la deuxième lettre. Petit rappel, je suis en troisième, je viens de me faire parier par mon copain et là, j'ai changé de collège.

J'avais encore déménagé. À Fontana en Californie, dans un appartement. Déjà que j'étouffais dans la maison d'avant, maintenant, je manquais d'air complètement. Et cette ville était tellement laide.. La chaleur y était si intense, qu'aucune forme de nature ne pouvait y survivre. J'avais plusieurs fois essayé d'y faire pousser quelques plantes... En vain. Le début de ma troisième s'est très bien passé. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'avais de vrais amis. On était un groupe super soudé, j'avais une place. Je commençais à reprendre goût à la vie, j'avais de nouveau une vie sociale. Même si mon frère continuait à être désespérément absent.

Je ne me suis pas rendue tout de suite compte que quelque chose clochait... Ma mère était de plus en plus absente. Des fois, pendant des jours, elle partait puis revenait d'un coup comme si de rien n'était. Mon père était très pris par son travail de chirurgien, et moi, je ne pensais qu'à profiter de ce bonheur. Tous les deux n'avons rien vu venir.

C'est moi qui aie en premier compris. Enfin, j'ai surtout vu. J'étais censée finir à 17 h ce jour-là, mais plusieurs de mes professeurs faisaient grève. Je pouvais donc rentrer à 14 h. Mes deux parents travaillaient encore, je pensais avoir l'appartement pour moi toute seule. Pourtant, quelque chose clochait, la voiture de ma mère était garée devant la maison, avec le coffre grand ouverte. Mon premier reflex fut de penser qu'elle venait de faire les courses. Je refermais le coffre avant de rentrer dans l'immeuble.

Notre appartement était au rez-de-chaussée, je n'avais pas un grand chemin à parcourir. Ce qui m'étonna encore plus, fut de voir la porte grande ouverte, avec un bordel pas possible à l'intérieur de l'appartement. J'entendais quelqu'un s'activer, des bruits de pas pressés. Bizarrement, je commençais à avoir peur. Je ne comprenais pas.

En m'approchant, je découvris ma mère, en train de faire des... Valises.

- Maman ... ?, murmurais-je. »

Immédiatement, ma mère se redressa et me regarda droit dans les yeux. Elle blêmit, et me sembla apeurée. Sa voix était chevrotante..

- Chérie ? Qu'est-ce que tu fais là ? Bégaya-t-elle.

- J'ai fini plus tôt les cours... On part en vacances ?

- Euh... Pas exactement en fait..

- Ah ? Et c'est quoi ces valises alors ? Pour la déco ? »

Je commençais à m'énerver sérieusement. Elle ne me répondait pas, et continuait à me regarder avec son air ahurie coller au visage. Ma mère semblait chercher une excuse valable. J'entendis d'autres pas, puis une voix d'homme.

- Puce, on y va ? T'as bientôt fin.. C'est qui ça ?

- Ça, c'est sa fille. Et vous, vous êtes ? »

Personne ne me répondit. J'avais compris toute seule, ils n'avaient pas besoin de dire quoi que ce soit.

- Oh, je vois. Vous êtes le mec que ma mère se tape. Intéressant. Elle est bonne au moins ? Histoire qu'elle ne trompe pas mon père pour rien. Et là, vous faites quoi ? Tu te casses, c'est ça ? Tu t'en vas parce que t'as une crise de la quarantaine ?

- Écoutes, tu ne peux pas comprendre, c'est des histoires d'adultes..

- Des histoires d'adultes ? Laisse moi rire. Tromper son mari avec un jeunot, se casser sans rien dire à personne c'est adulte peut-être ? Parce que oui, tu espérais que Papa et moi ne nous en rendions compte que ce soir, une fois que tu serais loin. Tu me dégoûtes tellement...

- Ne me parle pas sur ce ton ! Je reste ta mère, et ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas !

- Ma mère ?! Ma mère qui couche avec le premier venu ? C'est sûr que je te dois du respect ouais !

- T'as du répondant.. Bravo. »

La gifle était partie. Elle avait était tellement forte que j'en étais tombée sur le lampadaire. L'ampoule brisée m'avait entaillée le bras. Ma mère avait vainement essayé de me toucher pour me soigner.. Mais je l'avais immédiatement repoussée, le plus fort possible. Avant de murmurer des mots haineux, qui firent apparaître de l'eau salée dans les yeux de ma mère.

Son amant avait assisté impuissant à la scène. Il me tendit la main pour m'aider à me relever, mais je lui crachais dedans. La haine m'aveuglait, et je me comportais comme la pire des pestes, j'en avais conscience. Je réagissais comme une enfant. Mais ça me faisait tellement mal de voir ma mère nous trahir ainsi...

J'ai immédiatement appelé mon père, malgré les prières de ma mère. Dès qu'il m'avait entendu parler, il avait compris que quelque chose de grave s'était passé et il rappliqua aussi vite. Quand il nous vit tous les trois, il sut. Il n'eut aucune réaction. Il se dirigea vers ma mère, et dit d'une voix que je ne lui connaissais pas :

- C'est uniquement parce que tu es une femme, et que tu es la mère de mes enfants que je ne te mets pas un poing à la figure pour avoir blessé ma fille et pour m'avoir blessé.

- S'il te plaît, ne m'en veux pas...

- Vas-t-en.

- Écoutes, on peut en parler.

- Soit, parlons en. Qu'as-tu à dire pour ta défense ? Il est tellement beau que tu n'as pas pu t'empêcher de coucher avec lui ? - Dis, tes jambes tu les as ouvert combien de fois pour des mecs comme lui ?

- Je ne vous permets pas de parler d'elle comme ça !

- J'ai partagé 16 ans de ma vie avec elle, alors je pense en avoir le droit ! Hurla-t-il. Tu penses qu'ils vont penser quoi de toi tes enfants ? Hein ? T'y as pensé ?

- Ça ne les regarde pas, ils comprendront.

- Non, ils ne comprendront pas. Parce qu'il n'y a rien à comprendre. Maintenant sors d'ici et ne reviens plus. Je ne veux plus te voir !

- M-Mais.. Tu ne vas pas m'enlever ma fille quand même !

- À partir du moment où tu as couché avec cet homme, tu nous avais déjà rejeté Papa et moi. Toute seule.»

Ma mère me regarda avec des yeux tristes, mais ça ne me faisait rien. Mon père prit ses valises et les jeta dehors. Moi, je restais là, dans le salon, à attendre que ma mère et son « ami » quittent l'appartement. Ma mère me lança un dernier regard suppliant, auquel je répondis par un regard emplis de haine. Lorsque j'entendis la porte claquer, je laissais mes larmes couler. Depuis le début de cet horrible après-midi, je n'avais pas laissé une seule goutte s'échapper.

Le divorce fut immédiatement demandé. Évidemment, ma mère se battait pour essayer de me récupérer. Elle avait fait appel à un avocat, portait plainte plusieurs fois.. Mais à chaque fois, je refusais d'aller chez elle, et pour retourner chez mon père.

Son nouveau « compagnon » était un homme horrible. Il était tellement froid, méchant, arrogant. Je le détestais. J'étais la chose qui l'empêchait de fonder sa parfaite petite famille. J'étais le dernier témoin de l'ancienne vie de ma mère. Vie qu'il avait détruite.

Le jour du procès, l'avocat de mon père a souhaité qu'on me demande mon avis sur la garde. Ça m'a beaucoup surprise, vu que souvent, on ne demande pas l'avis aux enfants. L'avocat de ma mère, pensant que je la demanderais forcément, a accepté. Le juge m'a donc fait passer devant tout le monde et m'a dit d'exprimer mon choix. Sans même réfléchir, j'ai dit que je choisissais mon père. Et il m'a eu.

Ma mère est repartie directement, sans même m'adresser la parole. Humiliée, elle a préféré ne pas se montrer. Je ne devais la voir qu'une semaine sur deux pendant les vacances, et quelques week-ends. Largement suffisant.

Le pire, dans tout ça. C'est que le procès a eu lieu le jour de mon anniversaire. Et ma mère ne me la même pas souhaité.

J'allais mieux. Et après ce divorce, ça a empiré. Les parents sont les pires égoïstes du monde quand ils font ça, et pourtant, ils disent se conduire en adulte.

J'étais très en colère contre eux, j'ai commencé à haïr tout le monde. Les gens me rejetaient comme avant, à cause de la haine que je dégageais. Je cherchais des échappatoires, des moyens d'évacuer ma colère. J'ai essayé les cigarettes, j'ai pas aimé. Après, je puais, je sentais comme ma mère. Alors j'ai voulu souffrir pour enlever cette colère qui me brûlait les entrailles. Je me suis tailladée.

Souvent, quand les gens en parlent, ils se disent « Quelle satisfaction peux-tu ressentir en te faisant ça ? » Je me disais la même chose avant que je ne commence. Mais maintenant, je sais qu'on ressent beaucoup de chose. Quand on se taillade, on se sent mieux. La douleur ou la haine qu'on ressentait dans notre corps disparaît pour laisser place à la brûlure de nos bras. Celle-là, on peut la soigner. L'arrêter. Pas la colère.

J'ai de nouveau déménagé. Mais dans la même ville, dans un appartement plus grand. Peut-être trop grand pour deux personnes. Mon père s'est mis à chercher désespérément une nouvelle femme. Il se sentait seul, et malgré tous mes efforts, je ne pouvais pas combler ce vide. Ma mère s'est mariée, vient d'avoir un enfant. Mon frère, je ne l'ai plus revu depuis le jour du procès. Même pour Noël, il ne revenait pas.

Et moi, je plongeais. Mes bras n'avaient même pas le temps de cicatriser avant que je ne recommence. J'avais besoin de le faire. C'était comme ma drogue.

Aujourd'hui, j'en porte encore les traces. Mes bras sont striés de « brûlures» que personne ne peut ignorer. Mais aucun n'ose dire haut et fort ce que j'ai fait. Parce que mes deux parents savent, je crois, que c'est pour eux.

Hier, j'ai appris que tu avais séché les cours... À cause de mes lettres ? Désolée, encore une fois. Ne m'en veux pas, et j'espère que tu comprends.

Regardes ce que tu ne vois pas. »

Caleb releva la tête. Il ne s'était pas arrêté une seule fois dans sa lecture. Ce bus n'avait aucun terminus, il faisait interminablement les mêmes rues. Il était seul dans le car, excepté une personne tout devant, encapuchonnée dans un grand manteau noir. Il était déjà 10 h 15, il avait raté 2 cours... Caleb soupira et sortit de l'auto-bus, les lettres à la main.

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