Tarragone

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Face à moi, cette double porte qui aborde fièrement une gravure de l’armoirie d’Europa et l’inscription « Conseil d’Europa ». Après avoir reçu la convocation, je n’ai pas perdue de temps en allant enfiler mon uniforme pour me rendre à la Mairie. Je souffle un coup avant de pousser fermement les portes. L’ensemble du Conseil est déjà présent, silencieux. Mais plus encore, le chef de la Légion est présent. D’autres personnes sont aussi présentent, je reconnais parmi elles les Directeurs de chaque Territorialité d’Europa. Les autres sont des civils, des personnes éminentes mais qui ne sont pas liées à la politique, des industriels, des scientifiques… L’holo-écran du Conseil est allumé et prêt à une diffusion.

L’holo-écran diffuse une vidéo d’un des drones de patrouille d’une ville dans la Territorialité d’Espagne. Il ne se passe rien pendant quelques instants quand d’un coup je peux voir une explosion à quelques centaines de mètre du drone. Les réactions des gens sont immédiates, il y a des cris et des gens qui paniquent. Le drone s’approche de la zone de l’explosion… et une seconde déflagration à lieu, détruisant le drone. La vidéo prend fin sur cette conclusion inquiétante.

  • Il y a eu un double attentat à Tarragone, explique le Dirigeant de la Territorialité concernée. Les morts… se comptent en centaines. C’est arrivé pendant la nuit. Cependant votre décision de mettre en place des contrôles renforcés dans les villes a été payante car les terroristes ont été capturés.
  • Comme tu t’en doutes déjà, reprends Evans, il s’agit de personnes de Sojusz. A vrai dire, nous n’avons pas eu à les chercher, ils sont allés directement combattre la police venue sur les lieux de l’explosion. Ils ont montré une féroce combattivité et un armement bien supérieur à ce que l’on croise habituellement dans la zone morte notamment.
  • Qu’est-ce que vous voulez dire ? D’ailleurs comment ils pouvaient être dans Europa ?
  • Ils présentaient un uniforme différent des rebelles habituels, les deux avaient le même uniforme de blanc et de noir… je parlerais même d’une armure. Imitant un squelette. Par ailleurs, tant que j’y suis, nous avons aussi fait la capture d’une rebelle lors d’une opération dehors, ce serait une chef d’un groupuscule allié à Sojusz.
  • Elle sait quelque chose sur l’attentat ? Qu’avez-vous fait d’elle ?
  • Non. On l’a interrogée mais elle n’a rien dit, par contre elle n’a pas eu de mal à donner le nom de ceux de son groupe. Actuellement elle est encore en prison.
  • Cette femme, est-ce qu’elle a du sang sur les mains ?
  • Elle s’est un peu défendue mais a décidé de se rendre pour sauver la vie de ses compagnons. Ils sont aussi en prison.
  • Bien. Voyez s’ils ont des compétences particulières pour Europa. Si c’est le cas faites en sorte que la… persuasion – pour ne pas dire propagande – fonctionne. Je ne pense pas qu’ils soient très utiles pour le Projet Solace mais nous pourrions peut-être les échanger contre de nos otages. Que faisons-nous pour les deux autres ?

Evans m’explique qu’ils sont encore en détention dans une des prisons dissumulées de la Légion, ils ne risquent pas de s’échapper d’un tel endroit ou d’être secourus. Nous décidons de régler le problème de façon radicale, bien que Samy et quelques personnes soient contre cette façon de procéder, encore une fois. Mais depuis la dernière fois, Samy est bien plus discret. A vrai dire, il ne m’interpelle plus et se contente de m’écouter, parfois en secouant la tête.

Je me lève donc et me place devant l’holo-écran. Les caméras du Conseil sont braquées sur moi pour la diffusion d’un message à l’adresse de tout le réseau Europan, et même en piratant les communications Sojusz, chose que nous faisons régulièrement pour leur passer des messages de façon informelle.

Je n’apprécie jamais cet exercice. Parler à un plusieurs centaines de millions de personnes en direct est quelque chose d’angoissant. Derrière ces caméras, ce sont autant de pair d’yeux qui me regardent. Je prends une inspiration, l’air grave. Les caméras sont allumées, la diffusion est lancée. Je remue mes lèvres… prononce un premier mot d’un discours improvisé.

Chers Europans. C’est avec grand chagrin que je dois vous informer du terrible attentat ayant eu lieu à Tarragone. Encore une fois… oui, malgré toutes nos précautions, encore une fois, Sojusz a frappé Europa. Encore une fois, j’hausse la voix, des innocents payent le prix des querelles politiques ! Comme toujours, c’est vous, ceux que je dois protéger, à qui l’ont fait couler le sang. Depuis toujours, le peuple a toujours subit les guerres au profit d’une minorité d’élite, de politiciens, de ceux qui ne sont jamais sur le front ! Je comprends votre colère… je commence à pleurer. Cependant, je suis moi-même issue de ceux qui ont subis ces guerres, ma famille a combattu lors de la Nouvelle Guerre pour les forces russes. J’ai grandis dans les ruines d’Astrakhan, entre les pilleurs, assassins, bandits, violeurs… Les petits criminels que l’on voit, et par lesquels on oublie souvent les grands criminels en col blanc, de la corruption aux réseaux les plus infâmes, impunément ils ont toujours agis et agissent toujours ! Ils ont toujours détesté le peuple. Europa a bannit ces conceptions depuis sa création, même en ces temps difficile, nous avons un Conseil. Alors même que je porte le titre de Dictatrice par interim, je jure aujourd’hui et maintenant face à vous tous que jamais je ne serais de ce genre de gouvernante. Parce que je le dis, jamais je ne laisserais Europa être attaquée, jamais je n’accepterais que des Europans soient tués à cause de mes actions. J’en prends l’entière responsabilité, ce n’est ni la vôtre, ni celle du Conseil. C’est la mienne. Et c’est pourquoi je le dis à tous ici, Sojusz, si vous devez attaquer une seule personne à Europa, alors vous connaissez son visage, je fais un sourire sombre, le message est clair.

Je prends ma respiration quelques secondes avant de reprendre.

Les terroristes ayant fait exploser deux bombes à Tarragone ont aussi attaqué le personnel de pompiers et de secouristes venus sur place, tuant certains d’entre eux. Il n’y a guère plus lâche que de tuer ces personnes héroïques dont les métiers ont de tout temps étaient d’une véritable noblesse. Mais en plus de cela, ils se sont aussi attaqués aux militaires et forces de l’ordre présents sur place. Après plusieurs minutes de fusillades, ils ont été appréhendés et capturés vivants grâce au talent de nos soldats. Ces terroristes, qui sont en prison, on fait l’objet d’un débat au sein de la réunion de crise qui se tient actuellement. Les crimes retenus à l’encontre des auteurs sont les suivants : attaque terroriste à l’encontre d’Europa, multiples homicides prémédités à l’encontre de Diplômés Europans, attaque armée à l’encontre des forces militaires et policières Europannes, présence illicite sur le territoire d’Europa. L’ensemble de ces crimes sont chacun passibles de peine de mort selon le Code Europan, c’est pourquoi, moi ainsi que décidé à la majorité par les personnes présentent ici, avons décidé de déclarer, sans aucune possibilité de procès, la peine capitale.

  • N’est-ce pas un peu trop fort Dictatrice ? Me demande Anu, une fois le discours terminé. Ce n’est peut-être pas une bonne chose de procéder à la peine de mort… j’ai encore du mal à ce qu’elle soit toujours en vigueur, ça ne représente pas l’esprit d’ouverture et de modernité d’Europa. Cette façon de traiter les prisonniers date de la guerre, inadaptée à la civilisation que nous avons construite !
  • Anu a raison Avdeeva, rajoute le Conseillé Samy. Europa n’a pas procédé à une exécution depuis des décennies… Nous ne sommes plus dignes de ces procédures d’un autre temps. Nous pouvons garder ces deux terroristes en prison…
  • Si vous vouliez vivre en humaniste, il fallait naître au 21e siècle. Je me fiche bien de devoir exécuter des rebelles qui ne cessent de faire souffrir Europa. Je ne fais qu’appliquer le Code Europan.
  • Des fois, il faut savoir se détacher des règles et des codes Avdeeva…
  • Des fois, il faut savoir retenir sa langue si tu tiens à ce que ta tête reste attachée à ton cou. Je crois que vous n’avez pas encore compris, je suis la Dictatrice ! Je n’ai pas besoin d’un Conseil et encore moins de votre avis, si vous êtes encore là c’est parce que je pensais que le Conseil réunit par Lucien serait capable d’être ferme contre des terroristes qui attaquent sans relâche Europa. Mais visiblement le sort de ces rebelles vous importe plus que celui des morts qu’ils ont faits à Tarragone aujourd’hui ! Mais visiblement ce n’est pas le cas ! Visiblement vous n’êtes pas compétents !
  • Voyons Lina tu exagè…
  • Toi, Samy, tu fermes ta putain de gueule, je n’ai plus envie de t’entendre t’as compris ? Je t’entends… non, je te vois ne serait-ce que remuer les lèvres et tu dégages du Conseil pour de bon. Quant à toi Anu Eloranta, tu es jolie fille, on dirait une princesse avec tes beaux cheveux blonds et ta belle frimousse. Mais tu viens de Finlande n’est-ce pas ? Ce n’est certainement pas le pays dans lequel on vit le plus à la dure dans notre monde aujourd’hui, tu es beaucoup trop gentille et complaisante, bien trop innocente. Tu ne sais pas prendre de décisions fermes, tu es peut-être la meilleure Chercheuse Technologie, la meilleure Conceptrice, mais tu ne sais pas prendre une bonne décision. Alors reste à ton poste de Gestionnaire Recherche Technologie, ce que tu fais très bien, mais ne vient pas me dire comment faire mon rôle de Dictatrice.

Je venais de jeter un tel froid dans la cellule de crise qu’aucune des personnes présentes n’osa dire quoi que ce soit, j’en avais même oublié les observateurs externes au Conseil présents ici. Ni Samy, ni Anu, ne me répondent, se contentent de rester silencieux. Tout le monde savait pertinemment que les Europans soutiendrait la décision de l’exécution, tout le monde ici présent savait pertinemment qu’en tant que Dictatrice j’ai un contrôle total et les pleins pouvoirs sur les décisions d’Europa. Ce n’est certainement pas une décision prise avec le cœur et le sourire aux lèvres que d’en arriver à de telles extrémités, aussi bien mes propos envers les Conseillers que de devoir exécuter des prisonniers, mais ceux-là avaient fait beaucoup trop de mal, tant bien que la mort me semble une peine encore trop douce.


A l’issue du Conseil, j’ai fait venir Horus, Redsky et Astronaut avec moi à la prison où sont retenus les deux terroristes. Les échanges de regard sont un peu gênants entre moi et elle, j’ai autant le goût de ses lèvres sur les miennes que celles de Lucien. Je ne sais pas encore comment me situer dans cette histoire… Je ne sais pas quel goût doivent avoir mes lèvres, l’amour pour celle en vie et me souris, ou pour celui qui est mort mais m’a tout donné. Elles ont le goût de tout cela : d’Horus, de Lucien mais aussi d’Europa, de ma sœur et de mes parents. Elles ont le goût de l’amour, le goût de la peur, de la douleur, de la colère, le goût du sang, des morts, des larmes, de la politique, des fous, de ceux que je ne peux plus aimer, je ne peux plus voir, de ceux que je dois détruire, de ceux que je dois fuir, de mes craintes… De mes larmes peut-être ?

  • Pourquoi pleures-tu Lina ?

Horus me parle, je relève le visage.

  • Lina, ça ne va pas ? Ne pleure pas, j’ai apprécié… Je…
  • Non, je… J’essuie mes yeux. Ce n’est pas le problème. Je pensais… à autre chose. Peu importe, est-ce vous avez contactés ces Légionnaires dont vous m’avez parlé ?
  • Oui, me répond Astronaut. Ils sont déjà sur place. Nous arrivons.

Seulement quelques mètres carrés, du béton armé pour chacun des murs. Sous-terraine, aucune fenêtre, pas un rayon de soleil. Aucun droit de sortie, pas de toilettes, pas de lits, pas de meubles… La prison de Marseille-Ciotat est l’une des plus effroyables d’Europa. Alors que quelques centaines de mètres au-dessus de nous, c’est une ville riche qui vit, sans avoir connaissance de ce qu’il se passe sous leurs pieds.

Accompagnée des gardiens de la prison et de deux Légionnaires que les Faucheurs ont contactés, nous nous rendons à la cellule de nos chers terroristes. Je souhaitais que Redsky et Astronaut s’occupent de leur cas mais ils m’ont rétorquée qu’ils ne sont pas des tortionnaires ni des bourreaux, qu’ils avaient des personnes plus qualifiées dans le domaine. Le premier est un homme, d’une trentaine d’année, le crâne chauve, d’une taille moyenne et plutôt fin, dont les paroles me semblaient être un mélange de sagesse et de malice.

  • Ne vous en faites pas Dictatrice, nous allons nous occuper d’eux. Ces terroristes sont des lâches, seuls les animaux tuent les civils... Je n’aurais donc nulle compensation pour ces sous-êtres.

Sa voie est douce, mais sa phrase se ponctue de tels mots avec un rictus des plus inquiétants.

  • Ils ont tués des enfants, ce n’est pas pardonnable. Je serais aussi cruelle que ne peuvent l’être ceux qui tuent les innocents.

La seconde est une jeune adolescente, qui ne doit avoir guère plus de dix-huit ans. Elle dégage la même aura que son compagnon, je ne sais pas où ils vont chercher leurs membres dans la Légion mais certains sont vraiment inquiétant, et c’est deux-là m’ont tout l’air d’avoir le comportement d’un fou prêt à trouver des excuses pour libérer ses villes pulsions de tueur… Je préfèrerais ne pas avoir recours à ce genre de personnalité, mais je n’ai pas le choix.

  • Gardiens, sortez les terroristes de leurs cellules.
  • Bien Dictatrice.

Ces personnes qui sont présentées à moi sont dans un état pitoyable, leurs yeux sont cernés de privation nocturne et de nuits sur le sol froid. Le visage pale du manque de soleil, le corps maigre d’un manque de nourriture… Et ce n’est rien à côté de ce qu’ils vont subir maintenant. Nous les faisons amener dans une petite salle bien secrète de la prison, qui fort heureusement ne voit pas grand monde, la salle de torture.

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