Balade de nuit à La Capitale

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Nous nous retrouvons de nuit dans les rues de La Capitale, dont le ciel nocturne, visible entre les gratte-ciels d’un côté et de l’autre de la principale avenue de Néo-Narbonne. Une avenue pleine de vie, de jour comme de nuit, les gens s’y promènent. Lorsque le ciel est bleu et clair, ils se rendent au travail dans leurs uniformes, la remplissant de couleurs et de diversité tout en restant dans l’union et l’identité commune Europanne. Et le soir, alors que le ciel est sombre et clairsemé d’étoile, ils y déambulent pour les loisirs, certains se rendent dans les restaurants, d’autres vont dans un bar, une boîte de nuit, rendre visite à des amis… Et dans cette foule d’Europans en civils, on croise quelques-uns en uniformes qui travaillent de nuit, on les voit de loin en raison du caractère fluorescent des accoutrements de travail. Sur la route pour rejoindre Astronaut et Redsky, mon regard croise celui d’un homme en tenu d’infirmier. Je le dévisage quelques instants, surprit il s’arrête et me salue en ma qualité de Dictatrice, et repart aussitôt. Les questions m’assaillent, je repense à ma sœur qui était fière de me présenter ce quasi-identique uniforme pour ceux qui travaillent à l’hôpital, est-ce qu’elle connaissait cet homme, était-ce un collègue ? Nul ne saurait le dire, alors que l’homme avait disparu dans la foule.

  • Tu m’écoutes Lina ? Me demande Alexane, qui remarque que je suis en train de rêver.
  • Non… Excuse-moi, je pensais à quelque chose, tu disais ?
  • Ils nous attendant au parc, on devrait se dépêcher, je connais un raccourci pour le transport.
  • Je te suis !

Alexane nous fait passer par de petites ruelles perpendiculaires à l’avenue principale, trois mètres de large à peine, dans lesquels on trouve les entrées des immeubles. La ville est construite sur un plan d’avenue large dont les façades des immeubles en parallèle de cette dernière sont chargés en décoration, lieux de loisirs et de travail. Au-dessus des restaurants et autres, se trouvent les habitations, accessibles par les ruelles. On est cependant bien loin des coupe-gorge dont j’avais l’habitude à Astrakhan, où je devais passer pour me rendre à l’école ou en ville, et dans lesquels traînaient souvent des personnes douteuses, entre trafic de drogue, d’armes, de faux papiers, de nourriture. Parfois, ce sont ces sales types, et parfois ce sont des monstres bien pire, des kidnappeurs pour le trafic d’organe ou sexuel, des violeurs, des tueurs… Il n’était pas rare à Astrakhan comme partout en Russie dans nos quartiers pauvres et malfamés de voir des affiches pour la disparition d’une personne. Les autorités prenaient à peine en compte les plaintes des habitants, ils n’en avaient rien à faire, ou alors ils craignent d’avoir à faire aux personnes qui tirent réellement les ficelles de ces trafics. Ma vie, mon enfance, n’a été que ça, apprendre à ma battre, apprendre à tirer, apprendre à survivre.

ECes ruelles Europannes offrent un autre monde, elles sont propres, elles sont pavées, elles sont éclairées, il y a des caméras à chaque entrée d’habitation, et des drones de surveillance. Et depuis l’attentat, avec le Conseil nous avons décidé de redoubler la vigilance à Europa jusqu’à ce que la crise soit terminée, ainsi nuit et jour, les Elite Diplômés Policiers patrouillent dans toute la ville sans relâche, chaque centimètre étant passé au peigne fin, une surveillance de masse pour que rien ne puisse échapper à notre vigilance.

Après une vingtaine de minutes de transport, nous arrivons enfin au parc. Le plus grand parc aménagé à Europa, sur l’ensemble de la Clape. On y retrouve Astronaut et Redsky assis sur un banc. Alors qu’ils regardent l’horizon depuis le point de vu offert par les collines, la méditerranée se profile au loin et le sombre horizon semble avoir quelque chose d’effrayant alors que le ciel noir laisse paraître sa voute étoilée. De l’autre côté de cette mer se trouve l’Afrique, assez peu impliquée par la guerre mais tout aussi durement touchée.

  • Cette vue est magnifique. Le parc de la Clape est un endroit exceptionnel…
  • Dictatrice. Horus, vous voilà enfin… Nous vous attendions !

Les deux Légionnaires nous font la bise, pour la première fois les trois Faucheurs sont réunis avec leur Dictatrice en-dehors du cadre politique, cette fois, il s’agit de sortir et de mieux se connaître. Ce soir je ne suis pas leur chef, je suis leur amie.

  • Je vous en prie, oublions ces titres inutiles. Pas de Dictatrice, pas d’Horus ni d’Astronaut ou de Redsky… Non, je ne veux pas entendre ça.
  • Soit Lina, s’exclame mon amie Faucheur, donc ce sera Alexane, Arsen pour Redsky et Ahmed pour Astronaut.
  • Je suis donc la seule dont le prénom ne débute pas par un A alors !
  • Pire encore, rajoute Ahmed, il se termine par un A, Lina ! On devrait te nommer… Aline plutôt. Ça reste un joli prénom.
  • Ou même Alina, renchérit Arsen.
  • Je vais garder Lina si vous me permettez !
  • Oui, notre Dictatrice s’impose par son prénom qui dénote des nôtres ! Allons, nous devrions peut-être retourner en ville. Le parc de la Mairie de nuit est très beau, nous devrions y faire un tour.

Nous suivons Alexane dans sa proposition et revenons en ville, le parc est effectivement très joli de nuit avec ses multiples lumières colorées (décrire). L’aménagement qui a été fait dessus tient d’un travail d’orfèvre, mais je suppose qu’un parc au pied du bâtiment le plus important d’Europa nécessite l’accomplissement d’un tel chef-d'œuvre. Je dois avouer que je ne prends jamais le temps d’observer ce parc, las de passer mes journées ici, je me hâte de rentrer à mon appartement généralement. Horus nous propose d’aller dans un bar juste à côté et de s’installer dans le parc pour consommer nos boissons, c’est une petite tradition des habitués qui viennent ici.

  • J’adore venir ici quand j’ai un peu de temps libre aussi, enfin… j’adore aller dans pleins d’endroits je veux dire, rigole Alexane. Lina je sais que tu n’as pas beaucoup de temps libre et… il y a tellement d’endroits que je voudrais te montrer ici… La Capitale est magnifique mais il y a encore plus beau !
  • Plus beau que ce parc ? Regarde ça, ces lumières sont une véritable composition pour mettre en valeur le parc, cette flore est d’une beauté exceptionnelle, je n’avais même pas connaissance de certaines, fais-je en pointant du doigt un petit arbre derrière une verrière, dont les fleurs sont des pétales blancs avec un centre jaune, et dont la légère rotation de chaque pétale donne une impression de mouvement.
  • Tu veux parler du Plumeria ? J’adore ses fleurs moi aussi. C’est difficile d’en cultiver ici.
  • Je veux cette plante dans mon appartement ! Ma prochaine loi c’est de faire voter cette fleur comme l’emblème officielle d’Europa !
  • Il est marqué, annonce Ahmed en lisant la plaque descriptif des plantes, que dans la religion bouddhiste elle représente l’immortalité car il produit des fleurs même déraciné. Ces arbres peuvent vivre des centaines d’années, pour les Mayas la fleur représente la vie et la naissance.
  • C’est parfait pour Europa comme je disais, qui vivra des centaines d’années après moi.

Alexane me regarde, puis sourit. Elle recommence un monologue pour nous dire à quel point elle adore La Capitale, qu’elle considère comme le joyau d’Europa. Je dois avouer que cette ville en jette, ils n’ont jamais touché à l’ancienne ville pour conserver une trace du passé, mais c’est aussi comme ça qu’en tant qu’historienne je prends plaisir à voir l’évolution entre l’époque d’avant la Nouvelle Guerre et d’aujourd’hui. Nous ne construisons pas de la même façon, nos tours peuvent toucher le ciel du doigt, nos routes ne servent qu’au transport commun, nos avenues sont plus larges pour certaines, de pavées de couleur claires et non pas d’asphalte, nos villes sont de bétons coloré, de vitre et de lumière. Et pourtant, malgré la richesse du style architectural de certains bâtiments, nous n’avons pas le même charme que les anciennes villes. Ma maison à Astrakhan n’était pas essentiellement jolie, je n’avais pas de fontaine dans mon couloir, je n’avais pas un chauffage aussi technologique, ni de vitre pouvant se teinter sur commande, ni de télévision… Je n’avais pas non plus une vue aussi belle. Et pourtant, ma maison me manque. Elle avait son âme, derrière sa vieille façade décrépite se cache une histoire que mon appartement à Europa n’a pas.

  • L’histoire… Vous… Vous avez des idées sur vos ancêtres lors de la Nouvelle Guerre ? Alexane je sais que tu ne peux pas en avoir, mais Ahmed et Arsen.
  • Euh… Non. Pas vraiment. C’est vieux tout ça… Et toi Lina ?
  • Je crois qu’ils se sont battus, certains pour survivre, donc pour se venger.
  • Hey Lina, m’interrompt nonchalamment Alexane, c’est comment Astrakhan ?
  • Astrakhan… c’est… tellement différent. Je n’oserais même pas une comparaison avec Europa, c’est le jour et la nuit. L’oblast n’est pas particulièrement pauvre mais c’est un immense terrain figé dans le temps depuis la guerre. On y trouve toujours des restes de cette dernière, comme une base militaire. J’y allais avec… Aleksandra… plus jeune, on y trouvait des chars rouillés, dévorés par la nature au fil des années. On y trouve, à la ville, de quoi vivre assez bien : école, bibliothèque, ville en reconstruction dont les plaies de la guerre commence à s’effacer, un gouvernement local avec un maire et ce qui va avec bien sûr… En fait c’est peut-être l’un des oblasts les plus riches en effet, cependant cela n’est en qu’une façade qui cache une réalité bien plus pernicieuse : celle de la corruption et de l’insécurité régnante avec les bandes armées qui détiennent réellement le pouvoir. Elles n’hésitent pas à piller et s’octroyer ces richesses à d’autres oblasts voisins, et le gouvernement russe ne fait rien car il est impuissant pour lutter contre ça, ils ne s’occupent que de Moscou. Ces groupes datent de pendant la guerre, constitués comme une résistance, puis survivre, sont devenus de réelles entreprises mafieuses. Le Maire est corrompu bien sûr, ce n’est un secret pour personne, la police locale l’est aussi puisque ces sont eux qui font la police. Et les gens comme ma famille, nous travaillons pour vivre, mais aussi payer ces bandes qui « nous protègent »… Surtout d’elles-mêmes. J’ai connu des gens qui ne pouvaient plus payer, certains ont disparus sans laisser de trace, d’autres ont dut travailler pour eux, d’autres ont été torturés, mutilés, exécutés… et parfois pire. Comme ce mari de famille qui… qui…

J’ai du mal à trouver mes mots, j’ai la voix tremblante et éteinte, je baisse la tête vers le sol et m’efforce d’effacer mes larmes. Je peux sentir Alexane déposer sa main sur mon épaule.


  • Lina ? Si ça ne va pas, tu n’es pas obligé d’en parler tu sais je…
  • Parce qu’il refusait de payer ces « bandits », qu’il les défiait, fais-je en relevant la tête, d’un ton repris et beaucoup plus sûr, comme pour vider quelque chose ayant sur le cœur depuis bien trop longtemps, ils ont pris sa femme et sa fille. Ils les ont violées. Devant ses yeux, pendant des heures. Et en même temps ils l’ont torturé, mutilé horriblement, avant de tuer sa femme et sa fille en les égorgeant sauvagement. Et pour le punir encore plus, ils ont brûlé sa maison avec le corps de sa famille à l’intérieur. Ils l’ont laissé en vie pour qu’il souffre, presque pour l’obliger à ce que ce soit lui qui en soit réduit à se suicider de désespoir. Cet homme, je l’ai connu quelques années après son malheur, il était dans une ruelle, caché, seul, triste à voir… C’est en passant devant la ruelle et en entendant du bruit que je me suis rendue compte qu’il était là. Je me suis sentie si mal en voyant ce pauvre homme, lui il n’osait même pas se rendre dans la rue jouxtant la ruelle de peur que l’on voie ce qu’il était devenu, il mangeait des rats et des déchets pour vivre ! Je lui ai dit que tout allait bien, mais il était paranoïaque, il avait peur. Je suis venue le revoir plusieurs fois, je lui amenais à manger… Avec le temps je suis devenue sa seule amie, et il s’est mis à me raconter son histoire. Celle que je viens de te raconter.
  • C’est vraiment triste… Tu sais ce qu’il est devenu depuis ton départ d’Astrakhan ? Me questionne Ahmed.
  • A vrai dire, il est mort il y a plusieurs années, il avait fait un terrible hiver. Quand je suis allée le voir, il ne bougeait plus. Je me suis rendue compte qu’il était mort de froid…
  • C’est vraiment horrible ! S’énonce d’un coup Alexane. C’est triste, mais… Et merde, je vais pleurer !

Imaginer un instant qu’une tueuse hors norme comme elle puisse pleurer me fait légèrement sourire et réaliser un peu plus que malgré nos actes et le sang sur les mains que nous avons, nous restons humains. Je continue mon récit sur ma vie là-bas jusqu’à mon départ vers Europa, de notre départ émouvant auprès de nos parents, de l’attaque des bandits, de la mort de Ian, de ceux qui nous avaient escortées jusqu’à la zone de non-droit ma sœur et moi, jusqu’au point où tout a basculé, le point de départ de cette situation explosive, le jour du Nouvel An, la mort du Président, la disparition de ma sœur. Toutes ces péripéties auxquels je ne me serais jamais attendue en quittant Astrakhan, toute ma hargne, mon travail, ma volonté, qui m’ont menée au sommet des sommets : la Dictature d’Europa. Je suis probablement la personne la plus puissante que l’histoire de l’humanité n’est jamais connue jusqu’à alors ! Et pourtant, je suis là, assise dans un parc avec ces personnes, ces tueurs au cœur d’or, qui me vouent une fidélité sans faille, mes amis… et celle que j’aime.

Alexane fond en larme quand je termine, je peux voir dans ses prunelles une immense tristesse, un soupçon de lassitude sur l’état actuel du monde et de sa violence, une envie d’évasion, de paix, de plaisir. Une reconnaissance pour mon périple. Alors Arsen la prend dans ses bras pour la consoler, je ressens immédiatement une vive jalousie me traverser l’esprit.

  • Allons commander à boire au bar, fais-je pour changer de sujet et couper terme à leur câlin.

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