Chapitre XLIV : Le culte secret

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La Maître du Feu tentait de trouver son chemin à travers les couloirs du quartier général de la ville d’Ismir. Le paladin était totalement introuvable, elle l’avait rapidement perdu de vue le temps de coordonner les troupes et de s’assurer que Lilith n’avait rien, à la suite de l’attaque du satyre.

Le souffle court, elle n’avait pas le temps de réfléchir à l’implication qu’avait le monstre dans les incendies qui avaient ravagés la ville, et se contentait de tenter de le retrouver le plus vite possible, pour l’empêcher de nuire.

« Commandante ! Attendez-nous ! », s’exclama Jaken. Les soldats royaux se démenaient pour suivre sa cadence, tant bien que mal. Leurs armures étaient faites pour encaisser les coups en situation de combat, mais ne facilitaient pas l’athlétisme.

La jeune femme s’arrêta et les attendit, elle devait de toute façon se rendre à l’évidence : depuis qu’elle avait perdu de vue Régiselt, elle avançait à l’aveugle, et n’avait pas de lumière si elle distançait ses soldats.

« Il nous faut un plan, commandante, j’ai peur que notre adversaire réussisse à s’enfuir. Il faudrait peut-être surveiller les issues ? », questionna Lilith en arrivant à leur niveau, en compagnie de Maître Yann. Ce dernier avait récupéré le morceau de corne qu’il avait réussi à arracher au satyre.

« Bonne idée, mais nous ne sommes pas assez nombreux pour ça. Darius, retournez à l’entrée et prévenez Maxim, il nous faut des renforts et nous avons besoin des mages ».

« À vos ordres, commandante ». Le lanceur de gourdes s’activa et remonta vers le vestibule. Bien qu’il ne puisse pas utiliser ses explosifs en intérieur, il était équipé de dague pour le combat au corps à corps, et pouvait donc se débrouiller seul avec une efficacité relative.

Ne restait avec Amanda que sa caporale, Yann, ainsi que ses deux gardes du corps. Ils tendirent l’oreille un instant, espérant entendre d’éventuelles échauffourées, mais le bâtiment était terriblement silencieux. Trop silencieux.

« Allons vers le réfectoire, il me semble que c’est par ici », murmura-t-elle à Lilith en lui indiquant le chemin. Cette dernière hocha la tête, et prit sur elle de passer devant avec sa lanterne. Amanda étudia attentivement les dalles, au sol, pour déterminer s’il y avait des traces de sang, mais étrangement, il n’y avait rien du tout. Cela lui fit penser qu’ils prenaient peut-être le mauvais chemin, car la créature était censée être blessée, pourquoi n’y avait-il pas de sang ? Elle tenta de déterminer s’il lui était possible de se soigner grâce à la magie, mais aussi rapidement et en étant poursuivi par Régiselt, cela devait être compliqué. Elle finit par abandonner sa question, ne trouvant pas de réponse satisfaisante.

Ils passèrent devant diverses portes fermées, probablement des dortoirs, car certains soldats gradés avaient des quartiers dans le bâtiment. Étant donné qu’ils étaient au rez-de-chaussée, il devait s’agir des chambres des gardes royaux et des mages novices. Les appartements des chefs de guerre devaient se trouver dans les étages supérieurs.

« Pourquoi on n’a pas pensé au satyre… », se questionna le Maître de la Terre à voix haute, en examinant son trophée.

« Pour les meurtres ? » questionna la caporale.

« Pour tout : les incendies, la magie noire et le reste ».

« Parce qu’on ne sait quasiment rien sur eux : ni d’où ils viennent, ni ce qu’ils sont réellement. Voilà pourquoi », souffla Lilith.

« On sait qu’il y en a un ici, et qu’il doit mourir. C’est suffisant pour moi », attesta Amanda, qui commençait à trouver que la soirée était bien longue. Du sang frais maculait toujours de la lame d’une de ses faucilles, et perlait goutte à goutte sur le dallage. Au moins, si elle devait rebrousser chemin, elle trouverait facilement sa route.

« Il n’a pas l’air de manquer de ressources ».

« Pourtant il s’est enfui. Il doit avoir peur de nous ».

« Tu l’a bien vue comme moi utiliser la magie, je doute que nous soyons une menace réelle dans son esprit. Il n’a simplement pas voulu tenter l’affrontement car nous étions trop nombreux, voilà tout », attesta Yann.

« Tu es un spécialiste de la psychologie des satyres, maintenant ? », se moqua la Maître du Feu en lui adressant un sourire moqueur. « Une chose est sûre, en tout cas : ce n’est pas lui qui a tué les gardes du poste de guet incendié ».

« Ah oui ? Comment pouvez-vous le savoir ? » questionna Shôr.

« Et bien, il ne portait aucune arme, or, les soldats ont été tué à la dague ».

Lilith et Yann en restèrent figée, ils avaient presque oublié ce détail, cela n’augurait rien de bon, et donnait à penser qu’ils avaient plus d’un ennemi en ces lieux. Les thèses de l’aldre et du vampire n’étaient finalement pas exclues.

« Il s’est peut-être débarrassé de son arme ? », lui fit remarquer Yann.

« En pleine ville ennemie ? Tu le ferrais, toi ? ».

« Moi, j’ai des pouvoirs ».

« Lui aussi ».

« Pas autant que moi, de toute évidence », il exhiba la corne avec fierté.

« Cesse de faire le malin ! Des vies sont en jeu, imbécile ! », s’énerva-t-elle en lui faisant les gros yeux. Aux vues des circonstances, son petit air suffisant l’exaspérait au plus haut point, il était hors de propos. Elle se demanda ensuite si un satyre pouvait laisser des traces semblables à celles que laissaient les vampires en mordant leurs proies, mais elle n’en avait pas la moindre idée et se refusa à poser la question, vue la réaction de Lilith. En tout cas, de ce qu’elle avait constaté aux cuisines, il n’avait pas l’air de se nourrir uniquement de sang.

Alors qu’ils approchaient d’une grande porte à double-battants, des voix s’élevèrent en murmure, devant eux. Lilith jeta un regard inquiet à sa commandante, qui hocha la tête, affichant un air guerrier. Elle prépara ses faucilles.

La caporale poussa violemment la porte d’un coup de pied, et la troupe chargea dans le réfectoire, l’arme au poing. Ils tombèrent sur Hommed et Théo, et sursautèrent, en s’arrêtant dans leurs mouvements.

« Commandante ! Vous nous avez fait peur ! », s’exclamèrent les soldats. Ils tremblaient, il était aisé de constater qu’ils étaient apeurés et sur la défensive. En observant les alentours, ils comprirent vite pourquoi.

Des dizaines de corps gisaient sans vie, dans le réfectoire. Certains étaient assis, la tête lourdement posée contre les grandes tables en bois dur, d’autres se tenaient la gorge et s’étaient écroulés par terre. Amanda constata qu’il s’agissait principalement de mage, car ils portaient tous une tenue relativement similaire à celle que portaient Marie, Jiel et Achille. Les soldats normaux avaient des blessures différentes, leur sang s’écoulait par diverses plaies, surtout à la gorge ou au thorax. Ils n’avaient pas l’air de s’être vraiment défendu. Encore une fois, les lumières étaient toutes éteintes, même les grands chandeliers qui tombaient du plafond. De nombreuses peintures de grandes tailles décoraient les murs, donnant une impression de maison hantée à la pièce lugubre.

La Maître du Feu fut pris d’un léger malaise, qui s’accentuait à mesure qu’elle se tenait au milieu de tous ces corps. À divers endroits dans la pièce, elle remarqua d’étranges plantes grasses de près d’un mètre, aux fleurs semblables à des billes verdâtres, qui avaient poussées à travers le dallage.

Complètement paniquée, elle recula promptement dans le couloir, les yeux écarquillés et une main contre la poitrine. Elle tenta de faire le vide dans son esprit, car elle avait une idée de ce dont il s’agissait, et cela n’augurait rien de bon.

« Commandante ? Que se passe-t-il ? », questionna Théo.

Elle ne répondit pas et attrapa Yann par la main pour le tirer violemment jusqu’à elle. Ce dernier n’avait pas encore compris, mais lorsqu’il croisa son regard, il afficha une mine grave et consternée.

« C’est… la plante dont parlait les Maîtres de l’Air, lors du conseil d’il y a un plusieurs mois. Celle qui aspire l’énergie magique. N’est-ce pas ? ».

Elle hocha la tête sans pouvoir détacher son regard des végétaux. « Oui, j’en suis sûre. Il ne faut pas qu’on s’en approche ».

Les soldats ne semblaient pas comprendre, mais ils reculèrent également hors de portée des étranges plantes.

« Vous n’êtes pas affectés, vous. Seul ceux qui peuvent utiliser la magie sont concernés, il ne faut pas que nos mages viennent ici ! Reculez également, Jaken, Shôr, c’est un ordre ». Elle se pinça l’arête du nez et soupira longuement. Les deux intéressés obéirent, inquiet de ce qu’il pourrait leur arriver.

« Je pensais que cela ne poussait que dans les marais, au sud du royaume de l’Air ! Comment ça a pu arriver ici ?! Surtout au milieu d’un bâtiment ! », s’énerva Yann, les nerfs à vif. La vue de cette aberration végétale devait être insoutenable pour un Maître de son élément.

« C’est l’œuvre de nos ennemis, sans aucun doute. Ils ont dû en faire pousser par magie, je ne sais pas comment ». Elle rengaina une de ses faucilles et une flamme émergea dans sa paume. « Je nous en débarrasse ».

Yann l’attrapa par l’épaule et s’écria, « Attends ! C’est une plante qui absorbe la magie et tu veux l’attaquer avec ? Je ne pense pas que ça soit une très bonne idée, Amanda. Même moi, j’ai peur à l’idée d’essayer de les faire flétrir ».

« Alors qu’est-ce que tu suggères ? On ne va quand même pas laisser ces choses ici ?! C’est beaucoup trop dangereux ! ».

« Laissez-nous nous en charger, commandante. Comme vous venez de le dire, nous sommes immunisés, non ? », suggéra Lilith, d’un air déterminé.

La jeune femme la considéra un instant, puis elle éteignit la flamme dans sa main, résigné à laisser faire sa caporale. Elle reporta son attention sur les deux soldats qui étaient arrivé avant eux.

« Que faite vous ici ? Je vous avais dit de remonter au croisement pour lui couper la route et je vous retrouve là. Pourquoi ? ».

« Et bien », répondit Hommed, « Nous n’avons vue personne au croisement, mais il y avait du bruit dans le couloir qui menait au réfectoire. Nous nous sommes élancés dans cette direction et sommes tombés sur ce… massacre. Nous étions en train de discuter de la marche à suivre lorsque vous êtes arrivé, commandante ». Appuyé contre sa lance, le soldat semblait dire la vérité. Le souffle court, il tritura machinalement sa moustache, sous le coup du stress. Théo ne rajouta rien à son discours et se contenta de hocher la tête.

« Pas de signe de lutte ? Rien de suspect ? ».

« Non. Rien du tout. J’ai l’impression qu’ils sont tous mort très rapidement. Les rares qui ont réussi à se lever se sont écroulés, quelques mètres plus loin. L’attaque à dû survenir un peu avant le dîner, sans aucun doute, car il n’y a aucune nourriture. C’était il y a plus de cinq heures… J’ai peine à croire que personne n’ait remarqué, ou alors, le bâtiment est sous le contrôle de l’ennemi depuis tout ce temps ».

La Maître pesta intérieurement, cette soirée commençait à devenir longue et tout le monde était à bout de nerf. Si les choses continuaient ainsi, la croisade pourrait s’arrêter avant même d’avoir commencé.

« Si c’est le cas, pourquoi l’explosion ? Ils attirent nos troupes par ici en faisant cela, je ne comprends pas ».

De son côté, Lilith s’afférait à détruire consciencieusement les végétaux dévoreurs de magie. Elle fut aidée par Hommed et Théo, qui la rejoignirent rapidement. Ils n’étaient que trois à être immunisé aux effets de la plante.

« Il faut monter dans les étages supérieurs, nous avons encore beaucoup d’endroit à inspecter et nous manquons cruellement de réponses ».

« Sans Régiselt ? C’était lui qui nous guidait. Personne ici n’est capable de traquer cette créature aussi bien que lui », souligna le Maître de la Terre.

« On peut aussi détecter la magie, tu le sais bien ».

« Pas aussi efficacement que lui ».

« Tu as une meilleure idée ?! » s’emporta la jeune femme. Ses yeux rouges renvoyaient la lumière des lanternes, lui donnant un aspect des plus démoniaque.

Yann soupira. « Non, mais nous devons être très prudent, surtout si l’ennemi est capable de faire pousser cette plante de façon surnaturelle, et aussi vite. On pourrait se faire piéger. Je ne sais pas si nos royaumes se remettraient de perdre deux Maîtres dans la même soirée ». À son regard, Amanda devina qu’il avait peur. Elle ne l’avait jamais vu comme ça, il semblait ne plus avoir envie de plaisanter, ce qui était inhabituel, chez lui.

Forcé de constater qu’il avait en partie raison, elle tenta de penser à un nouveau plan, le temps que sa caporale finisse sa besogne : Ils pouvaient tenter de retrouver le paladin, mais cela revenait finalement au même que de chercher leurs ennemis, et était tout aussi risqué pour eux. Se retirer et passer la main au reste de l’armée n’était même pas envisageable, pour elle. C’était son rôle de défendre son royaume, elle n’allait pas se mettre en retrait au premier signe de danger.

Une des solutions pouvait être de cerner le bâtiment, de ne laisser personne en sortir et d’attendre de trouver un moyen de débusquer le satyre. Les paladins qui étaient restés dehors pouvaient également servir, si Régiselt ne donnait pas signe de vie.

« C’est décidé, nous nous retirons, momentanément. Retournons à l’extérieur et demandons aux deux autres paladins de nous aider. Seul, nous ne faisons pas le poids. Lilith, une fois que nous aurons retrouvé Maxim, nous ferons comme vous avez dit : il faut surveiller toutes les issus et isoler le bâtiment, que personne n’entre ou ne sorte, je veux voir des lanceurs de gourdes sur les toits, tout autour, et des unités dans chaque ruelle adjacente. Les mages doivent être surveillés tout particulièrement, hors de question de revivre ce massacre », elle pointa du doigt les corps des malheureux.

Alors qu’elle était en train de donner ses directives, elle vit du coin de l’œil que Yann titubait, il se rattrapa au mur et se tint la tête.

« Yann ? Qu’est-ce qui se passe ? ». Elle n’eut pas besoin d’entendre sa réponse, car il lui arriva la même chose. Une sorte d’impulsion magique traversa son esprit comme une bourrasque de vent malsain et lui fit perdre l’équilibre, les gardes royaux sentirent la même chose et vacillèrent, ils manquèrent de tomber.

« Commandante ? Tout va bien ?! ». Lilith accourut pour la soutenir.

« Il se passe quelque chose, ça vint de plus haut ! ».

« C’est un rituel, Amanda ! Quelqu’un vint de commencer une incantation ».

« Commandante », gémit Shôr en s’appuyant contre l’épaule d’Hommed, « Ce n’est pas de la magie noire, c’est de la démonologie ! On est en train d’invoquer quelque chose, on est en train de faire venir… un démon ! ».

Son sang se glaça, elle prit la mesure de ce que le garde royal disait et serra les poings sur les manches de ses faucilles. En effet, la magie qu’elle ressentait était beaucoup plus puissante, et surtout plus malfaisante, elle eut l’impression d’être recouverte d’insectes grouillants rien qu’en se concentrant dessus. Elle commença à entendre des murmures venus de voix étranges, manifestement non humaines.

« Il faut évacuer les alentours, vite ! Lilith, sortez d’ici et faite partir tout le monde ! Que des paladins viennent en renfort le plus rapidement possible ! ».

« Et vous, commandante ?! ».

« Je vais empêcher cela, si je le peux. J’ai le sentiment que c’était leur plan de nous attirer à portée pour lâcher sur nous un démon venu de je ne sais où ».

« Je viens avec toi », déclara Yann sans l’ombre d’une hésitation.

« Je ne peux pas vous laissez ici, commandante ! Ne me demandez pas cela ». Son visage se crispa, elle refusa de la lâcher, les larmes lui montèrent aux yeux.

« Lilith, il n’y a pas à discuter, il faut agir ! Je n’ai pas le temps de débattre, partez tous, mettez-vous à l’abri, c’est un ordre direct ! ». Elle les regarda un par un, droit dans les yeux : Jaken, Shôr, Hommed, Théo, et enfin Lilith. Tous hésitèrent, personne ne voulait partir, mais ils n’avaient pas le droit de désobéir.

Hommed ouvrit la marche, accompagné de Jaken, puis Shôr les suivis, sans grande conviction.

Lilith lança un regard désespéré et découragé à Amanda, elle n’avait aucune envie de la laisser dans un bâtiment potentiellement occupé par d’horribles créatures, qui plus est en compagnie de Yann. Elle lui lança par ailleurs un regard noir, mais se radoucit un petit peu. « Protégez-la, je vous en prie… ».

« Je le jure. Qu’Anava m’en soit témoin », murmura-t-il, la mine sérieuse et déterminée pour tenter de la rassurer un maximum.

Ne restait que Théo. Il passa devant la Maître du Feu et lui adressa un regard étrange, qu’elle ne parvint pas à interpréter, puis lui tendit une lanterne. Il suivi ensuite la caporale dans le couloir, sans un mot.

Les deux Maîtres étaient seuls, à présent, et l’impulsion psychique qu’ils avaient ressentie était toujours bien présente dans leurs esprits, les faisant grimacer inconsciemment.

Ils se dévisagèrent un instant, tentant chacun de deviner ce que pensait l’autre, sans réel succès. Yann lui sourit timidement, il n’avait pas l’air très confiant quant à leurs chances de réussite.

La jeune femme soupira et lui passa la lanterne, ainsi qu’une de ses faucilles, puis elle chargea son arbalète et la garda dans sa main gauche. « Nous devrions y aller, nous n’avons peut-être pas beaucoup de temps devant nous. Viens ». Elle l’entraîna en direction des escaliers qui se trouvaient dans le vestibule, près de l’entrée.

Dans un premier temps, ils ne parlèrent pas et se contentèrent de rester aux aguets, guettant chaque couloir et chaque pièce devant lesquelles ils passaient. C’est le Maître de la Terre qui finit par rompre le silence.

« Si jamais je meurs… ».

« Ça n’arrivera pas », le coupa Amanda.

« Si jamais ça arrive quand même, j’ai deux lettres dans la doublure de ma tunique : une pour mon roi, et une pour… Loukas. Si tu les vois, tu pourras le leur donner ? ».

La jeune femme ne répondit pas tout de suite, elle ne savait pas trop comment réagir face à cette demande. « Je n’ai pas le droit d’approcher Loukas, on me l’interdit. Je donnerai tout à son frère, si tu veux ».

« Tu me le promet ? ».

Elle soupira. « Oui, je te le promets. Pourquoi tu me demande ça à moi, d’ailleurs ? ».

« À qui veux-tu que je demande ? ».

« Un ami, tout simplement ».

« Je n’en ai pas beaucoup et aucun d’eux n’est ici, sauf si j’ai le droit de te considérer comme mon amie ».

« Considère-moi comme tu veux, mais en ce qui me concerne, tu n’es pas mon ami. Je crois bien te l’avoir déjà dit ».

Il laissa flotter quelques secondes, avant de lui demander. « Si je dois mourir, tu me pardonneras ce que je t’ai fait ? ».

« Je ne vois pas pourquoi je ferais ça. Ta mort n’enlèvera rien à tes actes, cela n’adoucira pas mes souffrances, cela ne me permettra pas d’avoir des enfants ou de retrouver mon ancienne apparence. En tout cas, si tu meurs, l’avantage c’est que tu ne seras plus dans mes pattes ».

« Hum, je vois… », chuchota-t-il, visiblement déçu de cette réponse.

Elle se tourna vers lui, le visage aussi inexpressif que possible. « Évite quand même de mourir ».

Il ricana et désigna la faucille qu’elle lui avait prêté. « Ce n’est pas avec ça que je vais pouvoir me défendre efficacement, tu sais ? Pourquoi avoir choisi ce genre d’arme ? Ce n’est pas très conventionnel ».

« J’ai eu un maître d’armes assez particulier, qui m’a conseillé de développer mon propre style, de sortir des sentiers battus, de trouver une façon de combattre qui me corresponde plutôt que de faire comme tout le monde ».

« Et donc : les faucilles ».

« Ça te pause un problème ? », demanda la jeune femme, légèrement irritée. Elle aurait préféré qu’il ne parle pas, afin qu’elle puisse rester concentré sur leur objectif, mais apparemment, parler l’aidait à gérer son stress.

Il haussa brièvement les épaules. « Non, aucun problème, je préfère simplement les glaives qu’on utilise dans mon pays ».

« Pas très original ».

« Mais ça marche bien, en général. Elles ont un nom, ces faucilles ? ».

Amanda fronça les sourcils, bien sûr qu’elles avaient un nom, mais elle ne l’avait jamais confié à personne, et cela l’agaçait qu’il soit le premier à le demander. D’un bref mouvement du menton, elle désigna celle qu’il avait en main. « Celle-ci, c’est Sirius. Et elle, Canopus », dit-elle en faisant tourner son arme entre ses doigts. Le Maître de la Terre se contenta de sourire, pour toute réponse.

Ils trouvèrent rapidement le fameux escalier et l’empruntèrent sur la pointe des pieds. Les murmures étaient toujours bien présents, et la magie pulsait même à travers les murs. Il était facile – même pour eux – de détecter la source de cette magie. Leurs ennemis, quels qu’ils soient, ne voulaient plus se cacher.

Les couloirs étaient déserts, mais Amanda restait malgré tout sur ses gardes, de grandes fenêtres perçaient le mur sur sa gauche à intervalle régulier, lui offrant un aperçu de ce qu’y se passait à l’extérieur. Les soldats évacuaient visiblement la zone en grande hâte, encadrés par Lilith et son unité. Maxim semblait hésiter à quitter les lieux, elle jeta un regard vers le bâtiment mais ne vit pas la Maître, et cette dernière ne lui fit pas signe. Elle finit par tourner les talons et rejoignit Félix.

Amanda reporta son attention devant elle et se força à réfléchir. Ce qui la troublait le plus, c’était la disparition de Régiselt, un individu de sa stature et de son importance ne pouvait pas disparaitre comme ça, même dans un bâtiment aussi grand que ce quartier général. Son inquiétude grandissait de minute en minute.

« Je m’inquiète pour le chevalier, j’espère qu’il va bien », dit-elle à l’oreille de Yann avant de vérifier l’intérieur d’un bureau, sur sa droite.

« C’est un puissant combattant, et un magicien hors pair. Je ne me fais pas de soucis pour lui ».

Aux portes de l’esprit d’Amanda, les murmures se firent plus insistant et plus fort, elle demanda à Yann s’il entendait la même chose qu’elle, et il répondit par l’affirmatif. Le duo avait un désavantage sérieux : aucun d’eux n’avait jamais affronté de démoniste ou même de démon, et leur première expérience avec un satyre n’avait pas été très instructive.

Ils n’étaient plus très loin à présent, la lumière de la lanterne commença à projeter des ombres étranges sur les murs, en les observant de plus près, elle eut l’impression de revoir les silhouettes qu’elle avait vu pendant son opération. Une peur panique s’empara de son corps, d’abord lentement, alors elle tenta de se contrôler et de se détendre, mais rien n’y faisait. Elle voulut reculer, mais heurta Yann qui se trouvait un peu en arrière.

« Oh, Amanda, tout va bien ? Qu’est-ce qui se passe ? ».

« Ces… ces ombres, je les ai déjà vu, elles sont là pour moi, je le sais ! ». Elle commençait à perdre le contrôle et avait beaucoup de mal à reprendre son souffle. Son corps tout entier tremblait, elle en lâcha ses armes et pris sa tête entre ses mains en fermant les yeux. Sa terreur prenait le dessus sur sa raison.

« Mais non ! Respire, ça n’a rien à voir avec ce que tu as pu subir, Amanda ! Regarde-moi, je suis là ! ». Il se plaça face à elle et l’attrapa fermement par les épaules.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ces derniers avaient pris une teinte orangée, et les veines qui parcouraient ses cicatrices de brûlures se mirent à luire de la même façon. Elle se mit à pleurer et des dizaines d’images de sa stérilisation lui revinrent en mémoire.

« Amanda, il faut que tu te battes ! Tu es plus forte que ça, je le sais, je t’ai vu faire. Tu es une Maître du Feu ! Contrôle tes émotions, respire, fait le vide dans ta tête et ne pense pas à cela. Ces ombres ne sont qu’un des nombreux effets de la démonologie, n’y prête pas attention, je t’en prie ! J’ai besoin de toi, Amanda ».

En pleure et gémissante, elle tenta d’appliquer ce qu’il lui disait et essaya de respirer, lentement, mais à chaque expiration, elle avait l’impression de ressentir à nouveau sur son corps les mains gantées et froides des inquisiteurs en train de la mutiler. Elle recula vivement et s’agenouilla contre un mur, enfouissant son visage du mieux qu’elle put.

« Je ne veux pas revivre ça, je ne veux pas revivre ça, par pitié ! Je ferais tout ce que vous voulez, ne m’enlevez pas ça, ne me touchez pas, ne me touchez plus jamais, pitié, ayez pitié ! » sanglota-t-elle de sa voix brisée. Les murmures étaient toujours là, et n’arrangeaient rien à son état.

« Personne ne va te faire de mal ici, Amanda, il n’y a que toi et moi, tu ne vas pas revivre quoi que ce soit, je te le promets ! ».

« Ils m’ont pris une partie de moi, ils m’ont torturé, ils m’ont brisé… Ils peuvent le refaire, ces choses peuvent me refaire du mal ! ».

« Mais non, tu t’es relevé ! Tu as surpassé tout ça ! Maintenant, tu es commandante des geckos cendrés, tu as soumis des phœnix et fait fuir un dragon, tu vas partir en croisade à la tête de la grande armée de ton royaume ! Tu as dépassé toutes les espérances de Glaross, j’en suis convaincu ! ».

« Que Glaross ailles se faire foutre ! Je le hais ! Ce n’est pas lui qui est en morceau et qui essaie de se reconstruire, ce n’est pas lui qui a des visions de Loukas, ce n’est pas lui qui souffre atrocement à chaque fois qu’il utilise la magie ! Tout est sa faute, à lui est à ta déesse ! », cria-t-elle. Sa température montait en flèche, la flamme de la lanterne que tenait Yann chancela avant de reprendre de plus belle, elle brisa sa coquille de verre et s’éleva jusqu’à presque atteindre le plafond, à quatre mètres au-dessus d’eux. Le Maître de la Terre la lâcha, de peur de se brûler.

La jeune femme releva la tête, ses yeux redevinrent rouges, ainsi que ses veines imprégnées de magie. Elle haletait, ses larmes séchèrent mais elle tremblait toujours. Comme elle l’avait déjà fait plusieurs fois après l’opération, lors de ses crises d’angoisse, la colère l’aida à se calmer, à canaliser ses peurs pour s’en servir et se relever. La rage qui bouillonnait en elle était un superbe carburant, et pouvait la sauver de ses épisodes de nervosité extrêmes. De plus, elle ne pouvait la contenir plus longtemps, à cause de tout le stress qu’elle ressentait, du manque de sommeil et de nourriture et à cause de toute ses émotions qu’elle ne comprenait pas ou peu.

« Si la haine t’aide à te sentir mieux, alors ça me va… mais la haine finit par consumer tout le monde, même les Maîtres du Feu ».

« La colère, la haine et la tristesse, ce sont les seules émotions que j’arrive encore à ressentir clairement ! », pesta-t-elle entre ses dents serrées.

« Je suis sûr que c’est faux, et tu le découvriras en temps voulu, mais ce n’est pas vraiment le moment, Amanda. Je te rappel que nous avons des ennemis à combattre, ils sont devant nous, et j’ai besoin que tu sois avec moi pour les affronter », lui dit-il en essayant de rester conciliant.

« Au contraire, c’est le moment : le moment de se déchaîner ». Elle s’appuya contre le mur pour se relever, et repoussa sa main lorsqu’il voulut lui venir en aide. Sa respiration était encore difficile et saccadée, et la magie pulsait à travers elle, ses poings s’illuminèrent de rouge lorsqu’elle ramassa ses armes et qu’elle s’élança en hurlant dans le couloir.

« Attends ! Tu n’es pas en état, attends ! Amanda ! », cria Yann. Il récupéra la lanterne avant de se précipiter à sa poursuite.

Aux yeux d’Amanda, plus rien n’avait d’importance à part trouver les responsables de ces meurtres et de ces attentats, et les tuer de la façon la plus violente et la plus expéditive qui soit. Sa vision se rétrécit, elle avait l’impression de ne plus avoir besoin de respirer, l’adrénaline s’emparait totalement de son corps et de son esprit mais il n’y avait pas que cela, elle sentait une rage intense et profonde, une colère sourde et aveugle qui la pénétrait et la faisait réagir. Ses pouvoirs vibraient à travers ses veines, mais elle les contrôlait encore, sans quoi tout le bâtiment prendrait feu à l’heure actuelle. Une pulsion presque animale lui indiquait la route à suivre, elle n’avait pas besoin de réfléchir, pas besoin de penser, pas besoin de se poser de question.

Dans son état berserk, elle croisa plusieurs cadavres de gardes ensanglantés mais les ignora, cela n’avait aucune importance de s’arrêter pour les examiner et confirmait juste qu’elle était sur la bonne route. Elle eut l’impression d’entendre la voix de Yann lui dire de s’arrêter, mais cette dernière lui apparaissait comme lointaine, et venait mourir en écho sans pouvoir la détacher de son objectif.

Après avoir passé une salle d’attente, deux bureaux et l’antichambre d’une grande salle de réunion, elle donna un violent coup de pieds dans la grande porte de cette dernière, et tomba nez à nez avec ses cibles.

Il y avait là une bonne douzaine d’individus encapuchonnés, vêtu de robes noires, alignés autour d’un grand cercle runique tracé au sol, au milieu d’une grande pièce carré. Ils avaient l’air humains, mais affreusement mutilés, pâles comme des fantômes et suintants la sueur, du sang s’écoulait de leurs yeux, leurs bouches et leurs nez. Autour d’eux, les murs disparaissaient sous des étagères remplis de livres et de parchemins, jusqu’au plafond, certains ouvrages étaient éparpillés au sol et la grande table qui devait auparavant trôner au centre de la salle avait été mise de côté, tout comme les fauteuils et les chaises, ainsi que le reste du mobilier. Il n’y avait aucune lumière, excepté celle émise par le cercle : une lumière pâle et violette, éminemment magique. Ce dernier semblait également être la source des incessants murmures qui assaillaient l’esprit de la Maître du Feu. Quatre colonnes en bois taillées s’élevaient également depuis leurs socles ronds, jusqu’au plafond voûtés. Des lanternes éteintes – en verre teinté, entouré de fils de métal – étaient fixées à ces derniers.

Du coin de l’œil et dans un dernier sursaut de conscience, elle remarqua que Régiselt se tenait là, à quelques mètres sur sa droite, il dansait d’une jambe à l’autre, trépignant d’une sorte d’impatience étrange, mais n’était pas menaçant envers quiconque. Elle décida de l’ignorer également et fonça droit vers sa première victime : le plus proche des invocateurs.

« Maître Amanda ! Non ! », hurla le paladin en levant une main vers elle. Il n’était pas si surpris par sa présence, mais éprouvait visiblement une grande crainte en la voyant avancer vers le cercle.

L’instant suivant, elle fut complètement éblouie par une source de lumière blanche et pure, qui émanait de la paume du guerrier sacré. Elle s’arrêta dans sa course et jura à voix haute en essayant de se protéger de cette attaque.

« Régiselt ! », hurla-t-elle, consternée par sa réaction, « qu’est-ce que tu fais ?! Fumier ! Laisse-moi les tuer, sale traître ! ».

« Si tu les interromps, le sort sera hors de contrôle et les dégâts pourraient être aléatoires et incontrôlables ! La ville entière pourrait être rayée de la carte ! », expliqua-t-il sans relever l’insulte.

« Je m’en fiche ! Ils doivent périr de ma main !! ». Elle se protégea les yeux de son bras et tenta de viser le sorcier le plus proche à l’aide de son arbalète. Ses yeux la brûlaient comme si ses paupières et ses cils étaient en feu, mais elle n’en avait que faire : il fallait qu’elle les tue, tous. Elle ajusta son tir du mieux qu’elle put, et pressa rapidement la gâchette. La corde se détendit et le trait partie en sifflant, pour rencontrer l’épaule du sorcier noir, qui tituba légèrement, mais continua malgré tout l’incantation en psalmodiant à voix basse. Le carreau était rentré profondément dans sa chair, perçant les muscles et la peau, la pointe du projectile ressortait entièrement de l’autre côté. L’impact avait été très violent vue la faible distance qui séparait l’invocateur de la Maître du Feu.

L’aveuglante lumière qui l’empêchait de voir se dissipa lorsque Yann déboucha dans la pièce, et s’attaqua à Régiselt en hurlant. La faucille fendit l’air devant lui, il esquiva malgré tout, par reflexe, et du rompre son sort pour se défendre du nouvel assaut du chasseur.

D’un simple revers de son immense marteau, il para plusieurs bottes et feinta vers son épaule pour le faire reculer.

« Que faites-vous ?! », vociféra le paladin en restant sur la défensive, son visage lisse arborait tout de même une mine grave, sa bouche se tordait en un rictus mauvais. « Vous n’avez aucune idée de ce qu’une incantation incomplète peut provoquer ! Vous voulez vraiment voir la ville réduite en cendre ?! ».

Yann hésita, son argumentaire était efficace. Il baissait progressivement la faucille et lança plusieurs regards interrogateurs à Amanda, qui de son côté, n’avait pas quitté des yeux les sorciers.

« Tu dis que l’effet est aléatoire ? Je prends le risque », affirma-t-elle d’un ton solennel. Elle n’était pas disposée à les laisser tranquillement finir l’invocation d’un démon maléfique qui pourrait également semer la mort et la destruction parmi la population, ainsi que dans les rangs de l’armée. Au moins, en les tuant, elle avait quelques chances de s’en tirer à bon compte.

Elle commença par claquer des doigts, et les lanternes murales s’allumèrent à l’unisson, rependant une lumière chaude et liquide dans la grande salle. Elle s’aperçu que les ombres dansaient toujours sur les bibliothèques, et au plafond, la provoquant de leurs mouvements volutes. En se convaincant de ne pas y prêter attention, elle avança d’un pas décidé vers le sorcier blessé, mais un mouvement furtif au fond de la pièce attira son attention : il s’agissait du satyre, il était accroupi au pied d’une autre personne qu’ils n’avaient jusqu’à présent pas du tout remarquée.

Il était difficile de dire si ce dernier était un homme ou une femme, car ses traits androgynes et son corps fins recouvert d’un grand manteau en tissus sombre, au col haut et descendant jusqu’aux genoux, était très trompeur. Il portait une paire de braie noire, ainsi que des bottes hautes, faite d’un cuir somptueux et dont les lacets étaient en fil d’argent ; à sa ceinture pendait le fourreau d’une dague au pommeau orné d’un rubis sans défaut, ainsi que celui d’une épée à la lame courbe, richement décoré.

Son visage impassible était assez maigre, avec ses joues creusées, son petit nez busqué et ses courts sourcils taillés. D’un blanc de nacre, il était traversé par deux lèvres rougeâtres, d’où dépassaient une paire de crocs droits et effilés. Ses yeux d’un noir absolu ne réfléchissaient ni lumière ni émotions, de même que ses longs cheveux lisses, de la même couleur.

Lorsqu’il croisa le regard d’Amanda, lui adressa un grand sourire sardonique, réhaussant par le fait ses joues glabres et découvrant encore plus ses canines protubérantes. Le satyre à son côté se lécha les babines.

La jeune femme se sentie obligée de s’arrêter, ne pouvant détacher son regard de ce curieux duo.

« Bien le bonsoir ! », proclama-t-il en esquissant une révérence des plus nobles, comme s’il les invitait à dîner. Sa voix était assurément celle d’un homme, et il afficha soudain une mine affligée et curieuse. « Où peut-être bonjour, vue l’heure qu’il est. Bonne nuit ? Non, ça ne va pas. Mince ! Je pensais avoir une bonne phrase d’approche, et voilà que je gâche tout ». Il se tourna et baisser la tête pour adresser ses bougonneries au satyre, qui ne prenait pas la peine de l’écouter, il avait les yeux rivés sur sa corne brisée, que Yann avait fourré dans sa ceinture.

« Qui que vous soyez, vos crimes vous condamne à la peine capitale. Vous subirez le jugement de la Lumière ! », s’écria le paladin, en se tournant vers eux, empoignant fermement son marteau à deux mains.

L’homme rejeta sa tête en arrière et éclata d’un rire qui leur glaça le sang. « Cher paladin ! C’est toujours un réel plaisir que d’affronter des membres de ton ordre, vraiment. Vous avez toujours les mêmes phrases vides de sens, les mêmes allégations et les mêmes menaces creuses. C’est hilarant ! ».

« Tu riras beaucoup moins avec la lame de ma faucille dans la gorge, démon », cracha Amanda en lui lançant un regard de haine. Elle avait du mal à tenir en place, et sa passivité était surtout dû à l’apparition de ce curieux personnage, et à l’aura surnaturelle qu’il dégageait. Ce dernier était sans aucun doute un sorcier, sinon, il n’aurait jamais pu pénétrer ici, surtout accompagné d’un satyre.

L’homme pencha la tête et la regarda d’un air incrédule, comme s’il ne comprenait pas sa langue. « Vous semblez tous convaincu que vous allez me tuer, je me trompe ? C’est assez vexant ».

« Qui es-tu ? », demanda Yann en essayant de paraître le plus calme possible.

« Je suis un vampire, ce n’est pas évident ? », il posa ses paumes contre son torse d’une manière théâtrale et exagéré.

Pour Amanda et Yann, qui n’en avait jamais vu, cela n’était pas si évident que cela, la Maître du Feu était à bout et ne voulait pas se perdre en discussion stérile le temps, les sorciers ne devaient en aucun cas finir leur invocation et cela pouvait arriver à tout moment. Elle fit un pas en avant, un deuxième, et le vampire s’éclipsa hors de sa vue en un battement de cil et agrippa son bras. Il était apparu sur sa gauche en moins d’une seconde, à la stupéfaction générale.

« Je n’en ferais rien, à votre place », lui conseilla-t-il d’une voix basse, en souriant.

Sans même daigner lui répondre, elle augmenta instinctivement la température autour d’elle, si bien que le plancher se mit à craquer. Le vampire afficha pour la première fois une expression de surprise, il ne la lâcha pas mais son étreinte faiblie, il n’était pas sûr de lui.

« Ne me touche pas ! Monstre ! », hurla la Maître. Un éclair rouge sang illumina ses veines, son bras fut parcouru par une sorte de courant électrique puissant, et s’embrassa entièrement, l’obligeant à reculer, de peur de se transformer également en torche humaine.

Par réflexe, le vampire se mua en ombre et perdit sa forme physique pour adopter une forme brumeuse, flottant dans les airs. Il fit le tour de la pièce dans un murmure démoniaque et commença à éteindre les sources de lumière, mais le paladin fut plus rapide que lui.

Dans un geste calculé, alors que les lanternes s’éteignaient une à une, il visa le centre du cercle d’invocation et une sphère de lumière pure s’éleva depuis le sol pour venir flotter dans les airs, à un mètre au-dessus des sorciers noirs, répandant dans toute la salle une lumière douce, à la fois chaude et agréable.

Dans un cri décharné et lugubre, le satyre s’élança toutes griffes dehors en direction de Yann, le regard bouillonnant de haine et la rage aux lèvres. Ce dernier esquiva d’un bon et frappa à la verticale avec sa faucille. La bête se cambra, évitant par le fait la lame de solarium, avant de foncer au corps à corps pour le déstabiliser.

Amanda ne vit pas la suite de leur duel et se concentra sur ce qu’elle devait faire, présentement, en espérant ne plus être interrompu. Le sorcier qui avait reçu son carreau d’arbalète semblait fiévreux et sur le point de s’écrouler, ses jambes tremblaient, sa respiration était saccadée et ses murmures, presque inaudibles. Tous les autres étaient parfaitement concentrés sur leur sortilège, la peur se lisait sur leurs visages et dans leurs yeux fatigués et suintants. Ils savaient très bien que si l’un d’eux était tué, le cercle serait brisé et ils subiraient le même sort, mais ils ne pouvaient pas rompre l’enchantement sans risquer la mort, tel était le prix à payer pour ce genre de rituel.

Amanda leva Canopus et l’abattit sur l’épaule du sorcier, en un éclair. Du sang vermeil éclaboussa le plancher alors que la lame transperçait sa clavicule jusqu’aux poumons, il fut pris de plusieurs spasmes, hoqueta brièvement avant que ses muscles ne se relâchent complètement. Il s’effondra, sans un râle.

À peine avait-il touché le sol que toute la pièce fut parcouru par un vent violent et glacé, qui pénétra la chair et les os de tous. De violents tessons mentaux assaillirent l’esprit de la Maître du Feu, elle eut l’impression qu’on lui enfonçait d’énormes aiguilles dans le crâne. Fermant les yeux comme pour se protéger de l’attaque, elle tituba en arrière et lâcha ses armes. Les murmures qui la perturbaient depuis un moment se muèrent en hurlement dissonant et incompréhensible. Le vent se changea en bourrasque, puis une terrible implosion la propulsa contre un pilier, ce dernier craqua et le bois céda en partie, les fissures s’élargirent sous l’assaut de l’impulsion magique, et plusieurs lanternes tombèrent, le verre se brisa.

Amanda sentit son corps se raidir sous le choc, et un flot de sang jaillit devant ses yeux, lui brûlant les paupières. Le liquide chaud et poisseux l’empêchait de voir, elle voulut s’essuyer les yeux de sa main droite, mais rien ne se passa. Pourtant, elle sentait que son bras bougeait, mais rien n’atteignait son visage. Sa manche lui semblait trempée.

En secouant la tête, elle fut prise d’un énorme vertige et dû lutter pour ne pas sombrer dans l’inconscience, puis, elle se força à ouvrir les yeux, malgré le sang qui lui brouillait la vue. La première chose qu’elle vit fut les corps inertes des sorciers noirs, allongés sur le sol dans des positions grotesques, certains avaient valsés à travers la pièce et s’étaient retrouvés recouverts de livres – tombés à la suite de la déflagration – aux pieds des bibliothèques. D’autres s’étaient fracassés contre les piliers, comme elle, et tous étaient affreusement mutilés : il leur manquait des membres, et ceux qui restaient se trouvaient tordus et tournés dans le mauvais sens comme les branches d’un cornouiller noueux. Yann et le satyre s’en étaient bien tiré, ils luttaient toujours férocement, mais le vampire et Régiselt étaient introuvable.

À la vue de ce spectacle, elle sourit timidement, ses oreilles sifflaient, elle n’entendait plus rien. Elle voulut se lever, mais une fois de plus, son bras droit ne répondait pas et elle chuta sur le côté. Elle jeta un œil à ce dernier, et découvrir avec horreur qu’il lui manquait tout l’avant-bras, jusqu’au-dessus du coude. L’os brisé dépassait des tissus en charpie et de la chair à vif, les cartilages pendaient mollement, se confondant presque avec la courte et fine manche de son cache-poussière gorgé de sang.

Son corps fut parcouru d’un étrange frisson, elle fixa son moignon comme s’il ne lui appartenait pas, avant d’apercevoir d’un œil distrait son membre manquant, qui gisait un peu plus loin, dans une flaque de liquide rouge foncé. Une ombre passa devant ses yeux et lui masqua le globe de lumière, elle se tourna, et découvrit le vampire, posté au-dessus d’elle et arborant un sourire triomphal. Il remua les lèvres, mais la jeune femme n’entendait toujours presque rien, elle battit des paupières comme si la scène était irréelle.

« … Pas été simple de mettre en place cette opération, vous contrariez mes plans, et en même temps, je n’aurais jamais imaginé que vous soyez assez stupide pour interrompre un rituel d’invocation de cette manière », avoua la créature en haussant les épaules, alors qu’elle recouvrait ses sens. Il tira son épée d’un geste lent et calculé. « Je comprends mieux pourquoi il n’y avait plus eu de Maître du Feu depuis longtemps ! Il est trop facile de vous pousser à commettre des erreurs en vous mettant en danger ».

Elle tenta de se mettre hors de sa portée en reculant le plus possible, sans pour autant le quitter des yeux. Très vite, elle grimaça, la douleur l’assaillait de plus en plus à mesure qu’elle reprenait conscience de son corps et de son environnement, et avec une seule main, il était difficile de se mouvoir.

Prit d’un terrible sentiment d’angoisse, elle avait du mal à appréhender sa situation, mais n’avait pas peur de la mort, après avoir tant de fois voulu se l’infliger. De bien des façons, elle avait tenté de prouver que les Maîtres du Feu pouvaient se montrer sage, et elle s’en voulait seulement de perdre la vie en ayant laissé aller le feu qui bouillonnait en elle. Ce n’est pas comme ça qu’elle voulait finir, pas comme ça qu’elle voulait qu’on se souvienne d’elle, mais n’y pouvait plus rien, désormais. Elle réussit à atteindre son arbalète, mais lorsqu’elle y parvint, elle ne put se résoudre à la recharger d’une seule main. Le carreau glissa entre ses doigts et rebondit faiblement sur le plancher. Toute sa fatigue et sa détresse semblait soudain s’abattre sur ses épaules comme la hache d’un bourreau, son cœur palpitait faiblement dans ses veines, son corps lui parut lourd et lent, sa gorge sèche comme un lit de sable. Cette nuit, elle allait rejoindre Glaross, serait-il fier d’elle ? Allait-il la féliciter ou bien la réprimander et la condamner à des siècles de souffrance dans l’au-delà ? Toutes ces questions se bousculaient dans son esprit fiévreux, alors que le vampire approchait pour l’achever.

Soudain, un cri sauvage retentit et un soldat s’interposa entre elle et le vampire. Une épée courte au poing, le guerrier fit de grands moulinets et frappa mainte et mainte fois de ses gestes – à première vue – désordonnés, tentant d’atteindre la créature de la nuit, sans succès. Ce dernier esquivait et parait avec une étonnante facilité, mais il dû néanmoins reculer, visiblement surpris par la témérité et l’audace de ce combattant.

Régiselt apparu alors devant elle et lui prit le visage entre ses mains gantées, il avait l’air terriblement inquiet, ses yeux se posèrent sur sa blessure et il poussa un juron. La tiédeur de ses gantelets métalliques la maintenu éveillée alors qu’elle était sur le point de défaillir. Ses yeux se révulsèrent.

Le paladin se pencha alors, et agrippa son bras arraché. Il ferma les yeux et le tint en place près de son moignon, tout en psalmodiant une sorte de chant mélodieux, ressemblant quelque peu à une prière.

Amanda sentit une vague de chaleur l’envahir, et des picotements engourdirent ses membres restants. Elle prit une longue inspiration comme si elle sortait la tête de l’eau, ce qu’il restait de son bras la brûlait, une pâle lueur blanche nimba les tissus sanglants, ses tendons se tendirent et se détendirent comme des asticots, l’os crissa et se tordait à travers sa chair, lui arrachant un hurlement de douleur. Son bras se ressoudait grâce à la magie de la Lumière, les muscles s’attachèrent l’un à l’autre dans un entrelacs de cartilages et de nerfs. Lorsque ce fut fini, la peau n’affichait qu’une simple et banale marque de coupure, plutôt fine.

Prise de tremblement, elle se mordit la langue à s’en faire saigner, même après que le sort prit fin. Son bras était engourdi, mais elle le sentait à nouveau, il était froid comme si elle l’avait plongé dans l’eau glacée d’un lac de montagne. Ses doigts s’agitèrent fébrilement sans qu’elle puisse les contrôler.

« C’est tout ce que je peux faire… Tu as eu de la chance de ne perdre qu’un bras, autrement, j’aurai été totalement impuissant… », s’exclama le paladin, il avait l’air soudainement très affaibli, les traits de son visage s’allongeaient sous la fatigue.

La jeune femme toussa plusieurs fois, « Ce que tu as fait… Jamais je ne l’oublierai, sois s’en sûr ». Elle chercha son regard pour le soutenir, mais ses yeux étaient agars, il avait besoin d’une bonne nuit de sommeil, mais leurs ennemis n’étaient pas encore hors d’état de nuire.

Alors qu’il reportait tout deux leur attention sur les combats en cours, le guerrier inconnu fut frappé de plein fouet par la cruelle lame du vampire, qui lui assena ensuite un coup de pied au diaphragme. Il roula jusqu’à eux avec un cri étouffé, et Amanda découvrir avec effroi qu’il s’agissait de Théo. Ses yeux se révulsèrent lorsqu’il s’immobilisa au sol, son plastron taché de sang poisseux, qui s’écoulait d’une large blessure au pectoral gauche. Il voulut articuler quelque chose, hélas, seul un mince gargouillis s’échappa de sa gorge nouée par la douleur.

« Non !! », hurla la Maître, un horrible frisson parcouru son dos à l’idée que ce coup avait entraîné sa mort. Pourquoi ne s’était-il pas replié comme le reste de l’unité ? Pourquoi les avait-il suivis ?

Son feu intérieur se raviva lorsqu’elle entendit le vampire ricaner et venter ses talents d’escrimeur. « Vos guerriers sont si faibles, il est tellement facile de les abattre ! Aucun d’entre vous n’est donc capable de m’offrir un vrai combat ? Il était si simple d’entrer dans votre ville, d’y causer tous les dégâts possibles jusqu’à prendre le quartier général sans que personne ne s’en rende compte ! Dire que ma reine a longtemps attendue avant d’attaquer votre royaume… C’est ridicule ! ». Il dansa, un pied sur l’autre, et s’arrêta uniquement pour pousser du bout de sa botte le cadavre écartelé de l’un des sorciers noirs.

Récupérant Canopus de sa main gauche, elle l’enflamma rapidement et se rua sur lui en poussant un cri sauvage. Ses veines s’infusèrent d’énergie, bouillonnant tels les conduits rocailleux d’un volcan en éruption.

Le vampire se mit brièvement en garde, les lèvres étirées en un rictus guerrier, avant de parer sa première botte. Ils enchaînèrent les coups, suivi à chaque fois par des parades, parfois in-extremis. La jeune femme avait plus de mal, elle était beaucoup plus à l’aise de sa main droite, mais celle-ci étant toujours engourdie, elle devait s’en remettre à sa main gauche. Heureusement, elle s’était durement entraînée pour adopter un style ambidextre, raison pour laquelle elle avait deux faucilles.

Le vampire possédait une agilité hors du commun, malgré son apparence humaine, il bougeait, feintait, esquivait comme une anguille, envoyait sa lame avec force et précision sans jamais dévier de sa trajectoire. De temps en temps, il se changeait en ombre fumeuse, s’éclipsant dans les ténèbres pour l’attaquer depuis un autre endroit.

Au bout de la troisième fois, alors qu’il se volatilisait dans l’air pour éviter sa lame enflammée, elle remarqua du coin de l’œil que Yann était en difficulté, son duel contre le satyre tournait mal et ses pouvoirs ne semblaient pas être d’une grande aide, car la vitesse d’attaque du monstre l’empêchait de se concentrer pour incanter. Il souffrait visiblement de multiples griffures, ainsi que d’une vilaine morsure à l’avant-bras gauche, qui saignait abondamment.

Alors que le satyre allait passer sous sa défense et fendre ses côtes, elle tendit la main et l’air crépita l’espace d’une seconde entre ses doigts. Une boule de feu se forma dans sa paume, l’énergie partit de son cœur et pulsa dans ses veines – les réchauffant par la même occasion – et le projectile traversa la pièce, rompant la concentration du satyre au dernier moment. Il tenta d’esquiver, mais la sphère était trop large, et il estima mal sa vitesse. Il reçut le sort dans le flanc, son poil prit feu sur son torse ainsi que son une bonne partie de son bras droit, il poussa un hurlement horrible et s’agita dans tous les sens pour tenter de se mettre hors de portée de Yann, mais ce dernier fut plus rapide.

D’un mouvement du poignet, il fit siffler Sirius, et la pointe de la faucille se planta dans la gorge de la créature. L’os de sa mâchoire crissa contre le métal quand il tenta d’articuler quelques mots, en vain. Le Maître de la Terre retira la lame, la leva bien haut au-dessus de sa tête, banda ses muscles et frappa une nouvelle fois en oblique, traversant aisément l’épaule et la clavicule jusqu’à atteindre le cœur. Les jambes du satyre cessèrent de le porter, ses yeux remplis de haine, d’incompréhension et de douleur se révulsèrent, il s’écroula dans un profond râle, poussant ainsi son dernier soupire.

Satisfaite de cette forme de vengeance, la jeune femme reporta son attention juste à temps pour parer la lame du vampire, qui filait vers le bas de son dos depuis ses arrières. Averti par Régiselt – qui n’avait pas bougé depuis qu’il lui avait rendu son bras –, elle fit tournoyer sa faucille et bloqua l’épée au dernier moment. Le vampire approcha son visage le plus possible et les traits de son visage se déformaient à vue d’œil : Des rides se formèrent sur son front et dans ses joues, qui se creusèrent, son menton s’allongea, ses oreilles s’étirèrent en pointes fines. Ses yeux vibrants d’énergie exprimaient une haine sans borne, son petit air hautain semblait l’avoir quitté, remplacé par une colère sourde.

« Tu as tué mon fidèle serviteur, tu vas le payer ! ».

Amanda tenta du mieux qu’elle put de le repousser, en vain, car le corps de la créature se métamorphosait, tel une chenille quittant sa chrysalide pour se changer en papillon. Ses vêtements somptueux se déchiraient partiellement alors que sa musculature se développait de façon exponentielle.

« Ma reine sera ravi que je lui offre ta tête, petite Maître ! », lui confia-t-il d’une voix grondante et déformée. Sa langue passa brièvement sur ses crocs luisants.

Elle lui adressa un sourire sauvage, découvrant également ses canines. « Et la mienne sera honorée que je lui apporte ton cadavre, monstre ! ».

« Amanda ! », cria Yann pour attirer son attention, avant de lui lancer sa faucille. Elle la réceptionna difficilement, à cause de son bras, mais y parvint tout de même. Elle l’enflamma et frappa dans la foulée, obligeant le vampire à se mettre sur la défensive, malgré sa transformation. Il dégaina sa dague d’une main griffue pour faire face plus facilement.

La jeune femme fit tournoyer ses lames, l’air grésillait sous ses coups flamboyants, elle frappa vers sa poitrine. La créature esquiva d’un mouvement d’épaule et feinta vers sa jambe droite avant de viser la gauche en allongeant le bras, mais elle était assez rapide pour voir le coup venir et repoussa son épée, tout en renouvelant ses attaques. Le métal s’entrechoqua et fit jaillir une myriade d’étincelle, la force de la créature grandissait de seconde en seconde, sa taille également, à cause de sa transformation, Amanda en était déconcertée, elle n’avait jamais vue une chose pareille. Cette forme était-elle la forme normale des vampires, ou était-ce une forme évoluée qu’ils utilisaient pour combattre leurs ennemis les plus puissants ? Elle n’aurait su le dire pour le moment.

« Je peux retourner sa force contre lui, ou me servir de la magie, sans garantie de résultat. De toute manière, il le faut, c’est un de mes atouts ». Ses yeux se mirent à briller et les flammes qui nimbaient ses lames redoublèrent d’ardeur.

Un coup d’épée passa près de son bras droit – celui qui était encore faible – et l’érafla sur quelques centimètres, elle reçut aussi un coup de dague, mais heureusement, celui-ci ne fit qu’égratigner son flanc. Pestant intérieurement, elle para plusieurs coups d’épée avant de repartir à la charge en restant au plus près de lui, pour lui interdire les mouvements trop amples et se servir de sa taille pour le désavantager. Elle évita de justesse un nouveau coup de dague en se baissant, se reçu sur les genoux et frappa vers ses jambes. La résistance qu’elle sentit dans son bras lui indiqua qu’elle avait atteint sa cible, du sang noir s’écoulait déjà d’une plaie profonde, de l’avant à l’arrière de la cuisse droite de son sombre ennemi, qui hurla de douleur. À la morsure de la faucille s’ajoutait les dommages que pouvait causer les flammes, ces dernières léchaient ses vêtements autour de sa blessure, il recula prestement et poussa un cri de rage en tapotant ses braies déchirées.

« Si c’est tout ce don tu es capable, ta reine risque d’être fort déçue ! », lança la Maître du Feu en crachant par terre.

L’abomination feula et grimaça, tordant son visage hideux si grossièrement qu’elle en était presque ridicule. Elle se jeta sur elle dans la foulée, lui assénant coup sur coup, mais la jeune femme se défendait et parait toutes ses attaques, faisant appel à son pouvoir, la température grimpa en flèche et interdit bien vite à la créature de trop s’approcher, elle glapit comme un chien blessé, l’air était brûlant et sa peau cloquait par endroit tant l’effet était violent. En lui lançant un regard mauvais, le vampire murmura de sombres paroles, et une aura noire se posa sur son corps tel un linceul diaphane, le protégeant ainsi de la chaleur. Il repartir à la charge, mais se trouva interrompu par un nouvel adversaire : Yann avait récupéré l’épée de Théo, il la brandit avec un cri de rage et frappa à l’horizontal.

Surpris, le vampire n’eut pas le temps d’esquiver totalement, et l’épée traversa la chair et les muscles de sa hanche gauche, il poussa un hurlement sourd et fit une ruade sur le côté pour se dégager. La lame s’extirpa de son flanc en projetant une gerbe de sang gluant, la plaie était profonde, très profonde.

Le vampire rengaina sa dague et pressa sa main sur sa blessure en reculant vers le fond de la pièce, enjambant difficilement les cadavres des ritualistes. Amanda et Yann resserrèrent les rangs, et d’un signe de tête entendu, la Maître du Feu calma ses pouvoirs, l’air retrouva une température normale.

« Pourriture d’humains, je me souviendrai de vous, soyez s’en sûr ! Votre pitoyable croisade précipitera votre perte. Un beau jour, moi, Aldrich, je boirai votre sang ! ».

« Peut-être, mais pas aujourd’hui », lui signifia Amanda en s’avançant pour l’attaquer. Il recula prestement, en prenant garde à rester hors de portée de ses faucilles étincelantes.

« Non, en effet, pas aujourd’hui… », il sourit, et sa chair se changea en une fine poussière nuageuse, qui tourbillonna un instant sur elle-même avant de s’élever.

« Non ! », cria la jeune femme. En réflexe, elle lâcha une de ses armes et tendit la main, une boule de feu fila de ses doigts et passa à travers le nuage sans lui causer de dommage apparent, avant de finir sa course contre une bibliothèque. Le bois et les ouvrages qu’elle contenait furent balayés comme un tas de feuille morte par le vent du nord. Elle mit fin au sortilège et atténua les flammes, avant que la salle entière ne prenne feu. Alors que la fumée retombait, elle constata avec dépit que le vampire avait disparu, comme s’il n’avait jamais été là.

Le silence la frappa alors que son cœur battait encore dans ses tempes, elle balaya la pièce du regard, mais ne remarqua rien hormis le corps inanimé de Théo, sur lequel était penché le paladin de la Lumière. Une main sur sa blessure au torse, il murmurait fébrilement des prières et affichait une mine sombre.

« Régiselt, il est toujours vivant ? », demanda-t-elle en approchant lentement, la peur lui nouait l’estomac, un goût amer lui empli la bouche alors que l’odeur de sang, de sueur et de pourriture qui émanait des cadavres lui emplissait les narines.

« Il n’en a plus que pour une minute, ou deux… L’un ou l’autre, cela n’a pas vraiment d’importance… », déclara-t-il. Une larme solitaire coula le long de sa joue glabre.

« Tu ne peux rien faire pour lui ?! Tu as pu me rendre mon bras, sauve-le donc de la même manière ! » lui demanda la jeune femme, elle ne comprenait pas qu’il ne tente rien pour lui éviter l’éteinte de la mort.

Il secoua faiblement la tête, la tristesse se sentait dans sa voix. « J’ai utilisé toute l’énergie qu’il me restait pour vous, et je ne savais même pas si mon sortilège fonctionnerait… Ressouder un membre est une action magique hautement complexe, que seuls les meilleurs des paladins peuvent espérer réussir… De là à soigner ou ressusciter votre ami… Même en étant en pleine forme, je doute de pouvoir le faire ».

Elle s’agenouilla près de lui, et chercha désespérément son regard, mais il l’évitait, gardant les yeux rivés sur Théo. La poitrine de ce dernier se soulevait à peine, son souffle s’estompait, la vie le quittait lentement.

Amanda senti la fatigue et la tristesse l’accabler, ses yeux s’embuèrent de larmes, son visage se déforma en une mimique crispée. Yann approcha et lui posa une main sur l’épaule, elle le laissa faire, et se rendit compte qu’il tremblait, tout comme elle. Ses pensées se bousculèrent, personne ne souhaitait parler car il n’y avait rien à ajouter ; au milieu de la pièce, la sphère lumineuse était sur le point de s’estomper et prenait la teinte orangée d’un coucher de soleil, siphonnant avidement le peu de magie qu’il lui restait.

« Ce n’est pas possible… Il y a forcément un moyen, il ne peut pas mourir comme ça, je ne peux pas y croire… », pensa la jeune femme en passant une main sur son visage marqué de cicatrice de brûlures. Une idée lui traversa l’esprit, si folle qu’elle n’osait l’envisager pleinement, mais il ne restait que cela à faire. Pour autant, elle ne savait pas si cela le sauverait ou non. Si cela fonctionnait, une chose était sûre : Le soldat ne serait plus jamais le même.

Sans prendre la peine d’expliquer sa démarche à ses compagnons, elle posa ses mains sur le plastron ensanglanté du guerrier, et lança son sort. Ses mains se nimbèrent de l’habituelle énergie qui émanait d’elle lorsqu’elle utilisait la magie, mais elle la transféra dans les veines de Théo, sous une forme hybride pseudo-liquide. L’opération était complexe, elle devait transmuter l’énergie, la faire passer dans son corps en lui donnant substance, afin que le feu liquide remplace le sang et guérisse ses blessures, elle s’inspira de ce qu’elle savait de l’anatomie des phœnix pour tisser de puissants enchantements dans sa chair, et lui donner également la résistance suffisante pour qu’il y survive. Aussitôt, Théo ouvrit les paupières et inspira profondément, la bouche grande ouverte. Son souffle émit un sifflement de braises incandescentes, sa gorge rougeoyait, sa peau pulsait et se tordait sous l’effet de la magie. Sa blessure se referma avec un crissement de fournaise, ses veines et ses muscles se mirent à luire d’une lumière incandescente, il poussa un cri décharné et commença à convulser, mais Amanda ne rompit pas le charme, de peur d’annuler la magie et de le tuer dans la foulée. Elle poussa plus encore la transmutation de son élément, soumettant totalement le feu à sa volonté, jusqu’à en faire ce qu’elle voulait. Elle ferma les yeux et laissa ses pensées couler à travers la magie, déversant dans cette dernière toute sa rage, sa colère et sa frustration accumulée depuis des mois, alimentant son sort de ses souffrances, puis le tordit et le retordit à souhait pour être sûre et certaine que cela fonctionne correctement.

Lorsque ce fût terminé, elle ouvrit les yeux, et constata que Théo la regardait. Ses yeux étaient tout comme les siens, intégralement rouges. Il avait l’air très fatigué, ses blessures étaient guéries et ses veines luisaient comme des fleuves de lave en fusion, à travers sa peau curieusement grisâtre. Sa respiration saccadée était semblable à un soufflet de forge. Il ne semblait plus vraiment humain.

Elle recula ses mains, sans pouvoir détacher son regard de lui. « Théo ? », murmura-t-elle.

« Maître… », lui répondit-il d’une voix grave, doublée d’un étrange écho, à la fois magique et métallique. Il toussa plusieurs fois et voulu se relever, mais il en fût tout bonnement incapable, alors il resta allongé, l’air vaguement absent. Yann s’agenouilla et son regard passa du guerrier à Amanda, il fronça les sourcils.

« Par tous les dieux, qu’est-ce que tu as fait… », lui souffla le Maître de la Terre. Il bredouilla une courte prière à sa déesse, réaffirmant sa dévotion.

« Je l’ai sauvé… Je crois », justifia la jeune femme d’une voix mal assurée, elle n’était pas sûre de ce qu’elle venait de faire. La tension ambiante retombant passablement, elle se rendit compte que son ventre la faisait affreusement souffrir, elle ouvrit sa gourde et prit trois gorgées de sa potion curative, le liquide tiède avait un sale goût, mais lui faisait beaucoup de bien après cette rude soirée ; ses muscles se détendirent. Jamais elle n’avait subi une pression aussi forte qu’aujourd’hui, elle se félicita intérieurement d’avoir tenu le coup, en espérant tout de même pouvoir bientôt se reposer.

« Que Stillanis nous protège et nous pardonne… J’ignore ce que vous venez de faire, Maître du Feu, mais je ne pense pas que le monde ait déjà vu une chose pareille », s’exclama le paladin avec un mouvement de recul. Il considéra Théo d’un œil nouveau, à la fois intrigué et dégoûté.

« Je n’ai pas réfléchi, j’ai agi. Je refuse que mes soldats meurent pour moi, surtout de cette façon ».

« Il va falloir vous y faire, toutes les guerrières et les guerriers du royaume donneraient volontiers leur vie pour épargnez la vôtre. Vous ne pourrez pas tous les sauver, surtout en les changeant en… ça ». Il désigna Théo d’un doigt accusateur.

La jeune Maître le foudroya du regard, et sa colère explosa. « Je ne me souviens pas t’avoir demandé ton avis, paladin, je suis assez grande pour prendre mes propres décisions ! Tu n’as pas plus le droit qu’un autre de me dicter ma conduite ! N’est-ce pas mon rôle que d’empêcher qu’il arrive des drames comme ceux de ce soir ?! D’empêcher que des innocents meurent ?! D’empêcher que des démons ne ravagent les rues de nos villes ?! Si pour ça je dois user de magie pour faire ce qui n’a jamais été fait, changer les hommes en démons ou même brûler le monde jusqu’aux racines de l’Arbre Éternel alors je le ferais sans l’ombre d’une hésitation, avec, ou sans ton aide et celle de ton ordre ! ».

Régiselt parut surprit par son agressivité, il ne sût quoi lui répondre, poussa un profond soupire, et se détourna pour inspecter les cadavres qui jonchaient la salle. Le cercle runique pulsait toujours faiblement, mais la magie le quittait aussi lentement que sûrement, le rituel ayant pris fin.

Plusieurs secondes s’écoulèrent sans que personne ne parle, Yann poussa plusieurs grognements et s’afféra à panser ses plaies, il fallait arrêter le saignement de la morsure qu’il avait reçu, en attendant de pouvoir être réellement soigné. Amanda et Théo se fixèrent plusieurs fois, le guerrier semblait vouloir dire quelque chose, mais il avait déjà beaucoup de mal à simplement respirer.

« Il faut qu’on te sorte d’ici, Lilith doit être prévenu et je pense que tu as quand même besoin de soin. Tu crois que tu peux te lever ? », finit-elle par lui demander, d’une voix adoucit par le silence et l’obscurité ambiante.

« Si… Si vous m’aidez… », il lui tendit la main, elle la saisit et se leva avant de le tirer vers le haut. Il poussa un cri de douleur, ses os craquèrent et il cracha une gerbe de sang, ses jambes chancelèrent, il tituba mais il tint bon, et fit signe que tout allait bien, avant de s’essuyer la bouche.

Yann lui remit son épée en main, en lui adressant un signe de tête entendu. En récupérant son arme, le soldat fit la grimace, il la rengaina et examina ses mains, puis palpa sa blessure et son visage.

« Tu te sens différent ? », le questionna Amanda, curieuse.

« Oui, clairement différent… Je comprends que vous ayez dû faire cela pour me sauver, et je vous en serai éternellement reconnaissant, mais je ne comprends pas ce que vous avez fait. Il va y avoir des effets secondaires ? ». Il se massa la gorge et tenta d’éclaircir sa voix, sans succès. Il allait devoir s’habituer à cet effet étrange.

« Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il y en a déjà beaucoup : ta peau, tes yeux, tes veines et ta voix. Qu’est-ce que tu ressens, toi ? ».

Il pencha la tête, l’air de ne pas comprendre, puis il demanda à Yann. « Mes yeux ? ».

« Tu as les yeux complètement rouges, comme elle », lui avoua-t-il en désignant la Maître du Feu, un peu gêné de devoir lui annoncer ça.

Le soldat ouvrit la bouche pour parler, et se ravisa avant de simplement hocher la tête, de plus en plus troublé. Il ne savait visiblement pas comment réagir.

« Tu ne sens pas de changement ? ».

« J’ai chaud, très chaud, mais ça n’est pas gênant, en fait ça semble presque normal, comme si mon corps avait toujours été à cette température, pourtant ce n’est pas la même… Je sens le feu dans mes veines, mais il ne me brûle pas, c’est… déconcertant ».

Yann afficha une mine horrifiée, avant de reprendre contenance. Il jeta un coup d’œil furtif à Amanda, guettant sa réaction face à ce qu’elle venait de créer. Il s’agissait sans aucun doute d’un acte magique aux très lourdes conséquences, car elle n’avait pas seulement soigné Théo, elle l’avait transformé en quelque chose qui n’était plus vraiment humain, un hybride, voir un démon, seul le temps pouvait le dire, désormais. Pourtant, la jeune femme n’avait pas l’air apeurée ou inquiète, mais plutôt satisfaite.

Régiselt les interrompit en élevant la voix du bout de la salle. « Nous devrions partir et prévenir nos troupes de ce qu’il vient de se passer, il faut sécuriser le quartier et poster des sentinelles au cas où ce vampire referait surface en ville. Je pense que ces sorciers font partie de la secte des acolytes de Melquiox, le dieu-démon, c’est une infâme organisation que les miens et moi-même chassons plus que tout, un culte secret et prohibé, qui pratique la magie noire et les sacrifices humains ».

« Je vois. Il aurait été préférable que votre ordre fasse son travail, car si ces derniers sont capables de mener des rituels d’invocations démoniaques à l’intérieure-même de nos murailles, alors de nombreuses villes de notre royaume sont en danger, à commencer par Tropyrr », lui lança la jeune femme, de plus en plus irritée.

Le puissant guerrier en armure poussa un juron entre ses dents serrés, détacha son heaume de sa ceinture et l’enfila. Il se tourna alors vers elle et déclara, « Ne vous en faites pas, j’assumerai ma responsabilité dans cette affaire lorsque je ferais mon rapport au général Mens. Ce rapport sera des plus complet, j’y détaillerai votre manque flagrant de prudence et vos excès de colère contre vos compagnons d’armes, vous pouvez en être sûre, Maître ». Sur ces mots, il quitta la pièce en grande hâte, sans les attendre.

Amanda allait lui répondre sur le même ton, mais son esprit fut assailli par une force extérieure et elle ne put articuler le moindre mot, ses paroles restèrent bloquées dans sa gorge, elle inspira profondément.

Elle se sentit flotter dans les airs, ses membres étaient comme engourdit dans du coton. Ses yeux se posèrent soudainement sur un paysage montagneux enneigé, la pluie tombait sur sa peau et s’infiltrait sous ses vêtements, la glaçant jusqu’aux os. Son corps était meurtri, tout autour d’elle était confus et flou, sauf quelques détails : du sang bleu, le froid mordant aussi sûrement qu’une lame glacée, des écailles noires, brisés… ses battements de cœur s’accélérèrent, son souffle se fit plus anarchique, elle était accroupie près d’une forme sombre, qui ronronnait faiblement. Du sang, encore du sang, pas uniquement bleu, mais aussi rouge, son sang, de la neige et de la pluie, le bourdonnement du vent.

Amanda savait ce qu’elle voyait, elle savait qu’il s’agissait d’une vision, beaucoup plus nette et beaucoup plus réelle que les autres. Elle sentit les sentiments et les pensées de Loukas comme si c’était les siennes, et pourtant elle ne put mettre de mot sur ces dernières, à chaque fois qu’elle les entrevoyait, elles glissaient telles des anguilles et lui paraissaient incompréhensibles. Seuls les sentiments étaient clairs : la tristesse, les regrets, la résignation, et l’amour. L’amour que le jeune Maître de la Terre éprouvait pour elle. Elle sentait cet amour comme s’il était en train de la serrer dans ses bras, elle le sentait aussi clairement que lorsqu’ils s’étaient trouvés au bord de l’oasis, des mois auparavant, rien que tous les deux.

Du sang, bleu, rouge, des larmes et des écailles noires, brisés, le froid toujours plus insidieux. Le ronronnement à ses oreilles, des battements de cœur, deux, distincts, et l’un d’eux de plus en plus faible, jusqu’à être imperceptible. Le souffle court, une sensation de paix, suivit d’un puissant rugissement qui lui perça les oreilles, engourdit ses sens et empli tout son être de sa puissance. Le ciel vibra, et sembla se briser.

Amanda revint à elle, le rugissement tomba en écho aux frontières de son esprit, et pourtant, elle l’entendait encore clairement. Il venait du nord-est, et avec lui un vrombissement, suivit d’un grand fracas, semblable à l’implosion d’une immense tour de verre. Elle tomba à genoux, et hurla à plein poumons, avant de perdre connaissance. La dernière chose qu’elle réussit à apercevoir fut le corps de Yann, tombant lourdement auprès d’elle.

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