Chapitre XLIII : Au cœur des ténèbres

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Les ténèbres le happèrent. Aucune lumière, seulement l'obscurité ; Loukas n'arriva pas à se faire à cette nuit écrasante qui pesait dans le château. Il ne discernait même pas les murs et dû s'aider de ses mains pour avancer.

Il tenta de se diriger en longeant les pierres lisses, à sa droite, tournant et virant plusieurs fois sans trouver quoi que ce soit. Il eut parfois l'impression de toucher le cadre d'une fenêtre, sans pour autant arriver à reconnaître la texture du verre, ou sans même pouvoir communiquer avec l'extérieur. Tout semblait fermé, caché dans un autre plan d’existence. Il avait presque l’impression de ne plus exister, ainsi privé de ses sens.

« Quelle est cette magie corrompue ? », pensa-t-il. Il passa la main sur une chose gluante, le forçant à retirer son bras. Il ne put réprimer un frisson de dégoût.

Son esprit fut assailli par une force extérieure, une force qui ne lui voulait clairement pas du bien. Il plissa les yeux et observa l’obscurité, et eut la sensation étrange et désagréable qu’elle le regardait également.

« Vous n'êtes pas assez fort pour me briser », murmura-t-il. En se concentrant, il repoussa cette force étrange pour la faire fuir, la mettre sur la défensive. Sa douleur à l'abdomen se fit sentir à mesure qu'il faisait appel à sa magie.

En grimaçant, il joignit ses paumes et tenta de se calmer. « Anava, si tu ne m’as pas abandonnée, prête-moi ta force, une dernière fois. Je t'en supplie ».

La force maléfique contre-attaqua ; aux portes de son esprit, elle tenta de briser ses défenses mentales. Des visions de terreurs germèrent dans sa tête : il vit son frère mourir déchiqueté par les coups de fouets des aldres, sa mère et sa nièce subir des horreurs inimaginables. Il vit une fois de plus Nienlass brûler, et son royaume être mis à sac. Mais aucune de ses visions ne l'affecta. Sa vie étant, pour lui, vide de sens, cela n'avait presque plus d'importance.

« Je n'ai pas peur de ces choses, je n'ai pas peur car je sais que cela n'arrivera jamais ! ».

« Tu es sûr ? N'as-tu pas quelques frissons ? », lui demanda une voix gutturale, très grave, doublé d'un écho plus aigu qui aurait pu venir de la mort elle-même.

Loukas regarda autour de lui, par habitude ; il ne discernait rien de plus mais une peur grandissante s'empara de lui.

« Non, je n'ai aucun frisson. Essaies-tu de tester mes défenses psychiques, ou bien es-tu à ton maximum ? ». Il continua d'avancer dans les ombres.

« Oh non, je ne suis pas à mon maximum. Sais-tu qui je suis ? ».

« Pas vraiment. Tu es sans doute un démon, à en juger par ta voix ». Il respira avec peine, sachant parfaitement que les démons étaient des adversaires puissants. Ils pouvaient user de bien des magies et venaient de mondes lointains et corrompus. Jamais auparavant il n'avait eu à affronter de démon capable de lui parler. Celui-ci devait être très puissant.

Il se mit à rire, un rire maléfique, qui résonna dans l'esprit du jeune homme. « Bien ! Très bien ! Je suis impressionné, la plupart des personnes qui entre dans ce château n'ont pas cette perspicacité ».

« Tu ne sais pas qui je suis non plus, dans ce cas ».

« J'ai des doutes. Tu es un humain, ça j'en suis sûr, d'après l'odeur de ton sang. Un humain du royaume de la Terre, à en juger par les personnes que j'ai pu voir dans tes souvenirs. Es-tu quelqu'un d'important ? ».

« Pas vraiment ».

« Ne mens pas ! », hurla la voix, le faisant sursauter. Il continua d'avancer malgré tout, sans répondre. Ses mains commencèrent à trembler et ses jambes se faisaient plus lourde.

« J'ai vu que tu connaissais l'actuel roi de ton royaume, tu ne peux qu'être important. Hum, je me demande ce que tu viens chercher ici ? Quoi qu'il en soit, tu ne trouveras que ta propre mort, en ce lieu. Tu le sais ? ».

« Si tu te montrais ? ».

« Oh non, non pas encore. Je préfère m'amuser avec toi, avant ».

Un frisson parcourut sa nuque, il se tourna, mais les ténèbres étaient toujours aussi denses. La force mentale l'assaillit de nouveau, avec plus de rage.

Il banda sa volonté pour faire barrage, mais chaque défense qu'il érigeait ne tenait que quelques secondes.

Son corps ne tiendrait pas la cadence, Loukas le savait. Les duels mentaux étaient des épreuves difficiles. En temps normal, avec ses pouvoirs, il aurait eu une chance de le vaincre, voir même de le plier à sa volonté. Néanmoins, depuis sa stérilisation, son corps souffrait à chaque sort ou contre-sort.

« Tu ne tiendras plus très longtemps, ne lutte pas. Cela ne sert à rien, tu le sais ? Abandonne, tu n'es clairement pas de taille. Pourtant, je sens quelque chose en toi, quelque chose que les autres mortels n'ont pas ».

Loukas tomba à genoux. Il posa une main sur le mur pour se relever et rencontra une nouvelle fois cette matière visqueuse, ce qui le déconcentra l'espace d'un instant.

Le démon pénétra plus profondément dans son esprit, accédant à certains souvenirs en plus.

« Oh ? Qui est Miruen ? Elle a l'air... délicieuse », commenta le démon.

« Ne parle pas ! ».

L'abomination éclata de rire, « De la colère maintenant. Ça ne t'aidera pas, au contraire ». Il força de plus en plus, récoltant toujours plus de souvenirs.

« Intéressant, tu t'appelles donc Loukas ? Bienvenue Loukas. Dis-moi, c'est ta petite amie, cette Amanda ? ».

Il dégaina Nuralion en respirant bruyamment. L'écho métallique se répercuta dans les ténèbres.

« Hum, il semble que cela soit un sujet sensible ! Parfait, c'est tout ce qu'il me fallait pour te briser ». Il exploita tous les souvenirs de la jeune Maître du Feu, pour les confronter à son esprit. De nouvelles visions le hantèrent, des images d'Amanda qui souffrait, qui subissait les pires des horreurs, allant de la torture aux sévices sexuels.

Loukas fendit l'air de sa lame, espérant faire des dégâts physiques, à défauts de pouvoir se défendre mentalement. Des larmes coulèrent le long de ses joues. Il serra les dents jusqu'à en souffrir, mordant sa langue pour ne pas crier.

« C'est ça, débat toi autant que tu le veux. Je t'aurais », lui dit le démon, ponctuant sa phrase par un ricanement macabre.

Le souffle court, Loukas sentit soudain quelque chose de froid lui transpercer la chair. Il tata son plastron et son dos, à travers sa cape, mais ne trouva aucune blessure. Du sang s'échappa de sa bouche entrouverte.

« Excuse-moi », lui susurra le démon à l'oreille. « Cette petite bataille mentale à durée trop longtemps à mon goût ».

Les ténèbres autour de Loukas s'effacèrent lentement, il découvrit un couloir simple, longeant des fenêtres brisées. La pénombre était toujours présente, mais c'était une obscurité naturelle.

Derrière lui, il sentit une présence, et de son torse dépassait les pointes de quatre griffes noires, acérées. Ses yeux se révulsèrent et il eut envie de vomir.

On le poussa en avant, ce qui le fit tomber et lâcher son épée. Il tenta d'attraper son autre lame, en vain ; la douleur l'en empêcha. Le démon était toujours dans sa tête, lui envoyant encore plus d'images déstabilisantes. S’il ne voulait pas perdre l’esprit, il ne devait bouger qu’au minimum.

Au prix d'un douloureux effort, il se retourna, découvrant son assaillant.

Il avait des jambes semblables à celle d'un bouc, avec des sabots enflammés. Des cornes arrondies vers l'arrière du crâne, de grandes griffes à chaque main et un corps rougeâtre très musclé. Sa taille devait avoisiner les deux mètres de haut et il possédait des excroissances osseuses, près des coudes et des épaules. Son visage, semblable à celui d'un humain, était affreusement déformé par un ignoble sourire carnassier, agrémenté de dents longues et pointues, aussi blanche que le lait. Ses yeux d'un rouge sombre le fixaient avec appétit.

Il se mit à lécher les griffes de sa main droite, qui étaient couvertes de sang, sa langue passant entre chaque doigt, tel un asticot purulent.

Le visage de Loukas était très pâle. Il tenta de se lever, sans succès. N'ayant d'autre choix que d'essayer de ramper hors de portée du démon. Tout son corps trembla.

« Sais-tu ce que je suis, maintenant que tu peux me voir, Loukas ? », lui demanda ce dernier en ricanant de plus belle.

« Oui », gémit-il d'une voix faible, « Tu es un diable… ».

« Bravo ! Je suis surpris, la plupart ne savent pas, même après que je me suis montré. Enfin, les autres n'étaient que des abrutit d'orcs trop curieux ou des aldres téméraires », il applaudit énergiquement, faisant mine de montrer du respect. « Bon, maintenant je vais te tuer, te dépecer et manger ton cadavre encore chaud, si ça ne te dérange pas ». Sa langue passa sur ses lèvres rosées avec un bruit de succion horrible.

« Enfin... C'est terminé... Je vais pouvoir me reposer... ». Il cracha une gerbe de sang, sa tête se mit à tourner, mais il n'avait plus peur, désormais. Tout cela n'avait plus d'importance, car il avait accepté son destin.

« Tu ne supplie pas ? Même une petite prière ? Bah, de toute façon c'est inutile, tes dieux ne peuvent plus rien pour toi. Tu n'e pas dans un endroit qu'ils peuvent atteindre, mon petit. Ce lieu appartient à Melquiox ! », lui avoua le diable avec un faux air désolé. Il s'approcha lentement, les griffes en avant.

« Pardonne-moi, Claod... ».

Le jeune homme ferma les yeux, s'attendant à mourir d'un instant à l'autre. Mais il sentit une autre présence, plus forte que le diable, plus forte que lui et même, plus forte que toutes les présences magiques qu'il avait pu sentir durant sa vie.

Une feuille d'érable jaune passa le voile noir qui barrait les fenêtres pour venir virevolter devant son visage. Surpris, il ne réagit pas tout de suite.

Le diable, en revanche, ne put s'empêcher de reculer. Son sourire c'était instantanément effacé lorsqu'il avait posé les yeux sur la feuille. Sa force mentale se retira de l'esprit de Loukas avec une rapidité surprenante, comme s'il fuyait quelque chose.

La feuille vint toucher le front du Maître de la Terre, qui sentit une force nouvelle se répandre dans ses veines. Un parfum de pâquerette, de tulipe et de rose lui monta aux narines. Son esprit effleura celui d'un renard blanc à trois queues et aux yeux verts : la forme physique que prenait tout le temps sa déesse. Un sourire cynique se dessina aux commissures de sa bouche.

Ses blessures se refermèrent magiquement, nimbant le couloir d'une douce lumière verte pomme, insupportable pour le diable. Il tenta de fuir, invoquant une nouvelle fois son pouvoir ténébreux pour disparaître.

« Tu n'iras nulle part », ordonna Loukas en tendant la main. Les dalles au sol se liquéfièrent pour emprisonner ses sabots. La respiration du démon se faisait plus paniquée ; ses yeux incandescents fixèrent le petit humain. Il avait peur pour la première fois de sa vie.

« Comment ?! Ceci est la demeure de mon maître ! Ta déesse ne peut pas ! Elle n'a pas le droit ! ».

« Elle a un pied en ce lieu, à cause de ma présence ! Ton maître n'a pas cela. Il ne l'aura jamais ! ».

« C'est impossible ! Un simple mortel n'est pas capable d'appeler une divinité ! Pas une aussi grande part de son essence ! ». Il tenta plusieurs sorts, dont des sorts offensifs contre le Maître de la Terre : des flèches ténébreuses, des orbes magiques, des malédictions. Toutes furent déviées ou annulées.

« Je ne suis pas un simple mortel, je suis un Maître de la Terre ! », sur ces mots la pierre grimpa sur les jambes du diable, qui hurlait de terreur en se débattant du mieux qu'il pouvait, jusqu'à le recouvrit intégralement de roche. Le sort prit fin dans un crissement minéral, et le diable rendit son dernier souffle.

La feuille perdit son éclat et tomba au sol, inerte. La présence incroyable que Loukas avait senti se retira lentement, en laissant derrière elle une impression de bien-être. Le jeune homme sentit une phrase résonner plusieurs fois dans sa tête, avant de s’estomper.

« Il m'est impossible de laisser un de mes Maîtres mourir ».

Il se sentit vide, seul et désespéré. Comme s'il avait passé quelques minutes sur les genoux de sa mère et qu'elle l'avait ensuite laissé vivre seul. Une grande tristesse émergea en lui. Il ramassa son épée et tituba pour vérifier que le diable était bel et bien mort. Ce dernier s'était changé en statue.

Le dragonnier s'adossa quelques minutes contre le mur. Le souffle encore court, il s'adressa à voix haute à sa déesse.

« Tu ne veux pas me laisser mourir... ? Tu n'as pas fini de me torturer ? ». Son cœur battait encore très fort. Il tenta de se calmer en s'attardant sur ce qui se trouvait autour de lui.

L'obscurité était toujours présente, mais il arrivait tout de même à voir désormais ; le voile qui recouvrait les fenêtres avait disparu, lui permettant de distinguer ce qui se passait au dehors. Les chimères avaient repris place dans la cour, bien qu'elles soient moins nombreuses. La plupart devaient survoler le château, à l'heure actuelle.

Il ne constata pas de désordre quelconque, les gardes orcs qu'il avait abattu plus tôt avaient sans doute été dévorés par les bêtes.

En continuant de longer le couloir, il passa par plusieurs salles vides, sans parvenir à définir à quoi elles avaient servi auparavant. En avançant toujours plus, il suivait son instinct, espérant tomber sur quelque chose d'utile ; il dut parfois rebrousser chemin pour prendre un autre passage, certains couloirs étant bloqués ou bien gardés.

Après une bonne demi-heure de vagabondage – sans compter le temps qu'il lui fallut pour assassiner trois soldats qui patrouillaient – il arriva à une sorte de balcon, sur les hauteurs d'une salle volumineuse.

Une douzaine de colonnes taillées en forme de spirale s'élevaient, soutenant le plafond voûté, à une vingtaine de mètres au-dessus de la salle. Trois d'entre elles s'étaient effondrées, des fissures énormes s'étaient formées, faisant tomber d'énormes blocs de pierre au milieu de la pièce. D'autres balcons étaient disposés ailleurs, à quatre ou cinq mètres, entre chaque colonne.

Un tapis – qui avait sans doute été bleu un jour – faisait la jonction entre la porte d'entrée, à demi défoncée, et la demi-douzaine de marche, menant à un trône de pierre gravé de runes noires. Les vitraux brisés derrière celui-ci montaient presque jusqu'au plafond, renvoyant une seule lumière extérieure : la pâle lueur émise par le disque argenté de la lune.

Dans la salle, des voix s'élevaient, résonnant en écho jusqu'au balcon ou Loukas s'était caché. Il tendit l'oreille pour entendre ce qui se disait, sans pour autant arriver à distinguer qui parlait.

« Les chimères ne semblent pas être les bienvenues dans les montagnes. Nous en perdons tous les jours, les dragons les chassent et les dévorent », argumenta une voix posée, douce et calme.

« Je n'ai que faire de vos problèmes de chimères, vous êtes un voïvode, pas un éleveur ! Parlez-moi plutôt de nos avancées », déclara une personne à la voix rauque et cassante. L'individu toussa grassement, avant de cracher.

« Bien, mais les éclaireurs nous rapportent toujours la même chose. Les troupes du royaume de la Terre faiblissent mais restent supérieures aux nôtres, nous avons gagné du terrain par rapport à l'année dernière. Mais nous restons diminués, à cause notamment des activités des elfes, plus à l'est ».

« Oui, oui ça je le sais ! Si vos soldats aldres faisaient leur travail, nous n'aurions pas à parler des elfes ! Au sud, nos efforts sont retardés à cause des nains, et ici, ce sont les elfes ! La patiente de notre seigneur à clairement des limites, beaucoup de nécromanciens ont subits sa colère, dernièrement. Soyez sûr que vous la subirez également si les choses ne bougent pas d'ici peu ».

« Ne me menacez pas démoniste, vous avez beau être mon supérieur vous n'êtes qu'un petit humain. Je n'ai d'ordre à recevoir que des membres de ma race ! », déclara la voix douce, d'un ton acerbe.

« Vous avez plutôt intérêt à changer de ton, mon petit », le démoniste claqua des doigts. Un bruit métallique se fit entendre, un tintement de chaîne en fer. Loukas reconnut le bruit d'une lame sortant de son fourreau.

L'aldre cria de douleur. Loukas risqua un regard en contrebas, il vit du liquide éclabousser le tapis.

« Mon bras ! Sale bâtard ! Vous auriez fait cela dans une de nos cités, vous serviriez de repas pour les vautours ! », cria le voïvode, une main sur le moignon de son avant-bras.

« Oh mais je n'ai rien fait, c'est notre ami Balthazar qui t'a puni, pour ton insolence. Mais vu les mots que tu emplois, il n'en a pas fait assez ! ».

Sur ces mots, Loukas entendit un borborygme sanglant, puis le bruit d'un corps tombant lourdement, toujours suivie du même tintement de métal.

Le démoniste se dirigea vers le trône pour si asseoir. De sa cachette, le jeune homme pouvait le voir sans être vu.

Il était drapé d'une robe noire, longue et ample, brodée de runes violettes dont la signification lui échappa. Son visage bouffit avait beau être caché sous sa capuche, ses rides ainsi que sa peau glabre, aussi pâle qu'un fantôme, étaient parfaitement visibles. Un filet de sang coulait de sa bouche, ainsi que de son nez couvert de verrues.

L'une de ses mains tenait un bâton noueux, au bout duquel était enchâssé un onyx. De sa main valide, il décrivit quelques signes cabalistiques dans l'air, jusqu'à former une sorte de sphère d'énergie mauve, qu'il projeta sur le cadavre de l'aldre – que Loukas ne put voir qu'à moitié.

L'énergie maléfique pénétra le corps du défunt chef de guerre, dont les os commencèrent à craquer. Un râle lugubre s'échappa de sa gorge ; il se releva lentement, ses mouvements étaient incertains. Le Maître de la Terre ne put voir ses yeux ou même son expression faciale, mais il devina facilement qu'il était devenu un banal mort-vivant, animé par la magie obscure du mage noir.

« Va », déclara-t-il depuis son trône, « Rejoint les autres, tâche d'être plus utile dans la non-mort que tu l'as été dans ta vie, minable ». Le zombie s'en retourna sans un bruit en traînant les pieds, le bras ballant. Son moignon pissait toujours le sang, mais cela ne semblait pas le déranger.

« Approche, Balthazar ».

Les bruits de métal retentirent à nouveau, c'est alors que Loukas en découvrit la cause. Les rayons de la lune se mirent à éclairer un chevalier ; il monta quelques marches avant de s'agenouiller aux pieds de l'individu en robe.

Il portait une armure de plaque complète, ornée de crâne et d'os ainsi que de fourrure au niveau des jointures, une cape noire accrochée à son cou par une solide chaîne en fer flottait derrière lui. Son casque intégral ne permettait pas de distinguer son visage, d'autant que Loukas le voyait surtout de dos. Sur son flanc, une lame d'apparence très lourde pendait à sa ceinture, dans un fourreau en métal orné de runes.

Sur plusieurs parties de son armure, le Maître repéra d'étranges chaînes, visiblement en argent, et qui étaient plantées entre les jointures, directement dans sa chair. Cela n'avait pas l'air de le gêner outre mesure, sauf peut-être pour se déplacer.

« Relève toi. Nous avons du travail ».

« Que puis-je faire pour vous satisfaire, monseigneur ? », demanda le chevalier. Sa voix était grave, doublée d'un écho magique, mais aussi amplifié par son heaume.

« Je veux que tu m'apportes le squelette de Millenott, mais ça tu le sais déjà. Je me demande ce qui te prend autant de temps ? ».

« Maître, la roche autour du tombeau est dure comme le cristal, il est très difficile de creuser depuis l'effondrement survenu il y a quelques années. Les excavations ont repris il y a six mois tout autour, mais nous ne parvenons pas encore à passer. Le tunnel s’est tout de même bien élargit, je vous l’assure ».

Le démoniste soupira, « Encore et toujours des excuses. Je suis entouré par des incapables, des fainéants et des lâches, qui se défilent au moindre obstacle ! ». Il tapa au sol de la pointe de son bâton, faisant rayonner l'onyx d'une curieuse lueur violette, éclipsant même les rayons de l'astre lunaire.

Les chaînes du chevalier cliquetèrent, répondant à la magie ; elles se resserrèrent de plus en plus. Il laissa échapper un grognement, posant ses deux mains au sol devant lui.

« Il me semble avoir transmis, à toi et à tes confrères, des pouvoirs, non ? Vous devriez penser à les mettre à contribution pour ouvrir le tombeau. Sinon, vous ne m'êtes d'aucune utilité, chevalier de la mort ».

« Oui seigneur ! Je vous en prie ! Soyez clément ! ». Son corps fut secoué de spasmes, remuant d'autant plus les chaînes dans sa chair. Ses doigts agrippèrent si fort le rebord d'une marche que la pierre craqua et se fendit.

Le sort prit fin sans que le sorcier ne lève le petit doigt ; la lueur de son bâton faiblit jusqu'à disparaître, rendant leur légitimité aux lumières nocturnes. Il croisa les jambes sur son trône.

« Bien. Maintenant, tu vas aller chercher les autres chevaliers de la mort. Je veux qu'ils viennent tous devant moi pour recevoir leur punition, car apparemment il n'y a que ça que vous comprenez. Après cela, je veux que vous prépariez les troupes, la majeure partie de l'armée avancera en direction du royaume de la Terre d'ici une à deux semaines. Cette fois-ci, nous écraserons l’armée et avancerons sur leur terre ». Il toussa de nouveau, faisant signe à son subordonné de déguerpir.

Ce dernier s’exécuta, se retournant pour sortir de la salle. Loukas put enfin voir son visage. Il eut soudain très froid.

Il était impossible de discerner sa peau, mais le dragonnier savait qu'il était humain. À la place de ses yeux, il ne vit que deux éclats d'un bleu azuréen, dégageant un petit effet brumeux. Des cheveux blancs, très fins, descendait devant ses épaules ; son casque était forgé de façon que le visage ait l’air effrayant, et il l'était. En dessous du nez, une grille en métal ondulée recouvrait la bouche du guerrier, les joues étaient creusées, le menton et le front allongés. Le sommet du heaume était lisse à l’exception de quatre pointes, semblables à des têtes de flèches.

Malgré l'aspect effrayant renvoyé par le casque, le chevalier semblait profondément blessé, autant physiquement que mentalement. Son sang ruisselait sur les chaînes en argent, et son regard, bien qu'il ne soit pas particulièrement visible, ne faisait pas écho à la violence et la cruauté dont faisait habituellement preuve les chevaliers de la mort.

Eux qui avaient autrefois été des paladins, qui servaient la Lumière, avant d'être corrompus par les pouvoirs de Melquiox, le dieu des Ténèbres.

Balthazar retourna dans l'ombre, hors de vue du jeune homme, qui reporta son attention sur la personne assise sur le trône.

« Dire qu'autrefois, cette place était réservée au roi du royaume de la Foudre. Aujourd'hui, c'est la place de quelque chose qui n'est presque plus humain », pensa-t-il avec tristesse.

Une autre personne rentra dans la salle du trône, un homme, ou du moins en apparence. Il portait le même genre de tenue que le démoniste. Sa démarche était incertaine ; il boitait, son souffle était court, il ne courait pas mais semblait épuisé.

« Maître ! Maître ! ».

« Que veux-tu, Dargonn ? Je n’ai pas la patience de subir des balivernes, aujourd’hui ».

« C'est le diable ! Nous l'avons trouvé changé en pierre dans un des couloirs menant aux remparts sud ! ». Il argumenta ses propos en agitants les bras dans tous les sens.

« Vous avez encore bu, Dargonn ? Cessez de m'importuner avec vos élucubrations d'ivrogne ou vous allez le regretter ! ».

« Mais je vous le jure, maître ! Il est mort, depuis le temps qu'il garde le château ! ». Il se jeta à genoux, des larmes mêlant sang et pue inondèrent ses joues creuses.

« Tu es sérieux ?! », il se leva lentement du trône en s'aidant de son bâton, sa mine bouffie trahissait une sérieuse inquiétude.

« Oui ! La pierre est gorgée de résidu de magie de la Terre ! Nous avons tenté des contre-sorts pour le faire revenir à son état normal mais il est mort, il n'y a rien à faire ! ».

« Montre-moi ! », il descendit les marches à la hâte. Les deux servants des ombres quittèrent la pièces quelques instants après. Leurs pas résonnèrent quelques instants, puis plus rien.

Loukas se releva, sachant parfaitement qu'à présent ses ennemis allaient être à sa recherche. Il tenait toujours Nuralion en main lorsqu'il reprit son chemin, essayant d'atteindre un endroit où il pourrait être visible pour Claod.

« Je dois vite sortir d'ici et aller près du tombeau ». Fort heureusement, il avait repéré des escaliers montant vers les niveaux supérieurs, un peu plus tôt ; il se dirigea donc dans leur direction.

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