Chapitre XLII : Séclairis

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Le vent soufflait fort sur les landes désolées des terres infectées en cette fin de soirée, s'étendant à perte de vue sur des kilomètres de friches sèches. Loukas avait la capuche relevée sur sa tête, l'air lui fouettait le visage car il chevauchait Claod à vive allure. Ses cheveux flottaient sous cette dernière. Ses joues étaient glabres à présent, il avait rasé les derniers poils de sa barbe la nuit dernière. Elle ne pousserait sans doute plus, à présent.

Il avait ses armes à portée de main, et portait son armure classique. Cela faisait une bonne heure qu'ils volaient, en direction du nord.

May et Jorass ne le suivait pas, comme il se l’était dit. Bien que la wyrm des saisons se soit montrée insistante pour venir avec eux, la cheffe de la caste des dragonniers avait refusée de les suivre dans ce périple. L’étrange dragon placide devait vouloir rester avec Claod.

Le jeune homme ruminait encore et encore les paroles de la vieille femme. Il n'avait pas souhaité lui dire précisément pourquoi il voulait se rendre à Séclairis, la capitale du royaume de la Foudre. Ses pensées étaient confuses, il n'avait pas les mots pour décrire ce qui les attendait là-bas, et n'avait pas de temps à perdre en explications.

« J'aurais dû essayer de lui en parler. Cela concerne les dragonniers, après tout », pensa-t-il en flattant la nuque du dragon. La sensation du cuir de son gant sur les écailles de la créature lui rappela leur premier vol, il y a des années de cela.

Après encore une bonne heure de trajet, ils se trouvaient à l'ombre des montagnes les plus hautes du monde connu. Jamais personne n'avait pu les franchir, elles étaient vertigineuses. Leur roche était noire, dure et inquiétante ; malgré la neige, cela ne donnait pas une impression accueillante à ceux qui voulaient les arpenter.

Loukas observa de curieuses silhouettes volantes, près des nuages cachant la cime des monts les plus proche.

« Des dragons ? » se demanda le jeune homme, Claod vira de plus en plus vers l'est à mesure qu'ils approchaient.

Il plissa les yeux pour mieux voir, « Non. Ce sont des chimères. Il est curieux qu'elles volent si haut, je ne pensais pas qu'elles puissent atteindre une altitude pareille ».

Il les surveilla, le temps qu'ils changent de cap. Après une bonne minute, il en vit une se faire intercepter par une silhouette plus grosse, de près du double de sa taille. Son cri résonna à des lieux à la ronde, à tel point qu'il l'entendit également.

« Ah, là c'est un dragon », commenta le Maître de la Terre, la peur au ventre. Il grimaça. « Ces chimères ne sont pas sur leur territoire. Les morts blanches le sont ».

Loukas n'avait eu l'occasion d’apercevoir ce type de dragon qu'une seule fois, il tenta de se remémorer leur aspect : leur taille avoisinait les vingt mètres, elles étaient d'une pâleur presque translucide, leur permettant d'arpenter les nuages sans risquer d'être repérées.

« Ces dragons sont des prédateurs tout trouvés pour ces montagnes, enneigées presque toute l'année. Elles sont toujours invisibles, avant de bondir pour attaquer. Soit prudent mon grand ». L’éclair invisible rugit faiblement en guise de réponse. Il ne doutait pas être plus réactif et agile qu’une chimère.

En longeant les montagnes vers l'est pendant encore une demi-heure, le duo arriva enfin près de l'endroit qu'ils recherchaient.

Dans une gorge entourée par la roche et les falaises escarpées ce trouvait une cité, tous les bâtiments étaient construits en pierre, avec un style très similaire à celui du royaume du Feu, en termes d'architecture. Les rues étaient étroites ; parmi elles, des centaines de monstres aux formes étranges grouillaient comme des cafards. Leur puanteur s'élevait jusqu'aux narines du Maître et du dragon.

Le château, les remparts ainsi que les tours de guets semblaient avoir été rafistoler grossièrement. Là où se trouvait par le passé de magnifiques jardins de ronces, était disposé des feux de camps, des forges et des établis d'assemblages d'armes et d'armures. Une odeur de brûlé se mêlait à l’air nauséabond.

Loukas remarqua des crânes et des ossements, disséminés hors de la ville. Les restes des défenseurs ayant combattues pour la défense de la capitale du royaume, il y a de cela une bonne centaine d'années.

L'armée occupant Séclairis avait quadruplé depuis la première visite de Loukas. Il remarqua que les orcs et les gobelins travaillaient toujours à déblayer certaines habitations, pour faire de la place. Ils rassemblaient les pierres de bonnes tailles afin de s'en servir de projectiles pour leurs catapultes, et autres engins de sièges.

Le bois servait de combustible, ou était utilisé pour monter des tours d'assauts, ornées de crânes humains.

A l'intérieur de l'enceinte du château – où de ce qu'il en restait – ce trouvait des tentes et des quartiers, curieusement beaucoup plus propres et beaucoup plus calmes.

« Les habitations des généraux. Il doit y en avoir des nécromanciens », commenta Loukas. Il se ravisa lorsqu'il remarqua plusieurs détails, comme des toiles de peaux humaines étendues un peu à l'écart.

« Non. Il y a aussi des aldres. Vole plus haut mon beau, leur acuité visuelle est bien supérieure à celle de ces imbéciles d'orcs ». Le jeune homme réprima son envie de vomir, la tension montait petit à petit ; son cœur se mit à battre plus vite, néanmoins, il se sentait dans son élément : proche de ses ennemis, proche de sa mort.

Il savait que les noirs cousins des elfes, les aldres, étaient très ressemblant à ces derniers. Ils avaient pour habitude de réaliser de terribles œuvres d'arts avec des ossements ou des peaux. Leur cruauté les rendait très dangereux. Loukas les voyait comme d'immondes psychopathes, avides de sang.

Sur ces mots, le dragon s'éleva, dépassant les nuages les plus bas. Il fit plusieurs tours au-dessus de la capitale déchut, pour que son cavalier repère les lieux.

Il aperçue donc plusieurs nécromanciens, ainsi qu'un démoniste. Des aldres, deux ou trois chevaliers de la mort, qui pénétrèrent à l'intérieur du château en lui-même. Des gargouilles de pierre trônaient sur les remparts autour de ce dernier. Tout comme les trolls, elles étaient faites de pierres magiques et pouvaient s'animer.

Pour ce qui était de ces derniers, ils patrouillaient les rues pour empêcher tout débordement ; les peaux-vertes ayant pour habitude d'organiser des combats. L'armée était trop grande pour être confinée dans la cité, alors des tentes et des paillasses débordaient à l'extérieur, dans la grande vallée rocheuse qui s'étendait devant les anciennes portes, sur quelques lieux.

Il était impossible de dire jusqu’où allait l'armée, car les campements étaient éparpillés partout dans les falaises alentours. La nuit venait de tomber, alors les feux étaient particulièrement visibles, surtout depuis le ciel.

D'un mouvement du talon, il indiqua à Claod de se poser sur un escarpement, plus en hauteur derrière le château. De là, ils pourraient espionner tranquillement sans risquer d'être découvert.

Docilement, le dragon vira et plongea. Loukas ferma les yeux et s'accrocha, l'air lui fouetta le visage et ses oreilles sifflèrent. La sensation s'estompa plus vite qu'il ne l'aurait cru, lorsqu'il constata qu'ils avaient déjà atterrit. La tête lui tourna, alors il resta en selle, le temps que son corps se fasse à l'idée de redescendre. Il en profita pour commencer à défaire les lanières qui le retenaient.

Il eut un léger vertige en touchant le sol, mais qui passa rapidement. Il s'agenouilla immédiatement, bientôt grossièrement imité par Claod, qui tentait également de plier les pattes, sans réel succès. Il abandonna, se contentant de se mettre à plat ventre, comme un Varan qui prendrait le soleil. Son regard trahi son insatisfaction, ainsi qu'une pointe de lassitude, à peine contenue.

Le Maître ignora la pique de douleur que lui lança soudainement le dos, pour ramper dans la poussière. Il passa la tête au bord de l'escarpement, jetant un œil aux campements, à près d'une centaine de mètres en dessous de lui.

Les monstruosités étaient en train de festoyer, se querellant et se battant pour leur pitance. Les plus forts, les plus grands et les plus violents gagnaient à coup sûr, arrachant la nourriture nauséabonde des mains des faibles, qui s'en retournaient chercher autre chose à manger.

Ce spectacle n'était pas au goût du jeune homme, qui reporta son regard sur des détails plus important, à savoir les fenêtres du château. Elles étaient noires, la plupart étaient brisées mais pourtant, il lui était impossible de discerner ne serait-ce qu'une ombre ou un mouvement. Les ténèbres s'amassaient, s’agglutinant contre les parois, ne renvoyant aucune lumière ; pas même celle émise par les plus proches campements.

Il tritura les boucles de ses cheveux, « Les nécromants et les démonistes préparent quelque chose. Cela ne doit pas être leur premier coup d'essai. Pourtant, ils n'ont pas l'air décidés à nous faire comprendre leurs manigances ».

Claod ronronna faiblement, ses écailles frémirent comme s'il avait froid. Il chercha à se mettre dans une meilleure position, mais en vain.

« Nous allons rester ici quelques heures, juste assez longtemps pour trouver les informations que nous cherchons. Je ne pense pas qu'ils aient ouvert le tombeau, sinon nous le saurions ».

Loukas se remémora sa première visite dans ce royaume : il y a des années, ils avaient découvert que les nécromanciens menaient des excavations dans les montagnes, au nord de Séclairis. Il apprit tant bien que mal qu'ils cherchaient un tombeau, celui d'une créature appelée « Millenott ».

Millenott était le premier des dragons à avoir posé la patte sur cette terre. Il incarnait l'enfant même de Stillanis, le dieu de la Lumière. Un dragon d'énergie pure, reflétant la puissance et la sagesse de la divinité. Si bien que Stillanis – lors de ses apparitions chez les mortels – choisissait de prendre comme apparence celle du dragon.

Rare furent les mortels à pouvoir l'admirer. Les derniers écrits qui parlaient de lui étaient les parchemins des prêtres de la Lumière. Ils faisaient partie de l'église appelée « les rayons de Stillanis ».

La plupart de ces prêtres furent massacrés lors du saccage du royaume de la Lumière, il y a des centaines d'années, mais les survivants trouvèrent refuge au royaume du Feu, aux côtés des paladins. Ils emportèrent quelques écrits et articles, dont certains parlaient de l'ancien dragon.

D'après ces ouvrages, Millenott aurait été blessé pendant la bataille de Lumiss – la capitale du royaume de la Lumière – et aurait fui ici, à Séclairis. C'est là qu'il a succombé à ses blessures, et que les habitants du pays l'enterrèrent, avant d'être à leur tour attaqué par l'armée de monstres.

Tout ceci, Loukas l'avait appris après une longue et périlleuse enquête, pendant son exil. Il trouva le tombeau ; celui-ci était à moitié découvert, les orcs s'affairaient à l'ouvrir, jour après jour. Le Maître de la Terre utilisa ses pouvoirs pour bloquer l'entrée, l’ensevelissant sous des tonnes et des tonnes de roche, que Claod s'occupa de faire fondre, créant un rempart d'obsidienne quasiment impénétrable.

Tout en se remémorant ces souvenirs, Loukas dressa un camp de fortune, puis installa ses affaires. Il prit sur lui de ne pas faire de feu. Pourtant, parmi les autres lumières dans l'obscurité, il n'aurait pas été repéré, mais il préféra encore une fois faire preuve de la plus grande prudence. Les aldres avaient une vue très perçante, et ses ennemis étaient nombreux et puissants. Mieux valait faire profil bas. Malgré ses pensées sombres, il ne voulait pas en finir trop vite, et ce n'était pour l'instant pas le moment.

Alors qu'il s'installait plus confortablement pour se reposer, Claod leva la tête et grogna, griffant le sol jusqu'à produire un raclement minéral.

« Qui y'a t-il ? Tu sens quelque chose ?! », demanda-t-il. Il empoigna l'un de ses lames au hasard, s'apprêtant à dégainer à tout moment.

Le dragon bondit sur lui, le plaquant violemment au sol pour le recouvrir d'une de ses ailes. Il eut le souffle coupé et toussa légèrement.

L'instant d'après, un vrombissement leur vrilla les tympans, et un déplacement d'air balaya l'escarpement. Des battements d'ailes se firent entendre juste au-dessus du duo.

Quelque chose cria, une sorte de créature, bientôt imitée par une seconde. Le garçon sentit une puanteur de mort. Le sol trembla et quelques cailloux vinrent rebondir contre l'aile de son compagnon.

« Une chimère. Elle est sur la crête, à quelques mètres... ! », pensa le Maître. Il risqua un coup d’œil rapide en soulevant doucement la membrane de sa monture.

Le monstre devait mesurer aux environs des cinq mètres de long ; ses deux têtes rectangulaires et osseuses se dandinaient de droite à gauche, au bout de leurs immenses cous de deux mètres. Son corps était similaire à celui d'un dragon classique, à savoir : une masse corporelle large et reptilienne, couverte d'écailles rugueuses, quatre pattes musclées et pourvues de griffes arrondies, des extensions osseuses au niveau de la colonne vertébrale, de la nuque et de certains os, près de l'équivalent des coudes et des genoux.

Il entendit des ronflements primitifs ; la bête humait l'air, elle cherchait quelque chose. Un claquement de langue lui fit froid dans le dos, il tira sa lame de moitié. L'air vibra de nouveau, la chimère reprenait son envol, longeant les autres collines en hurlant. La puanteur se dissipa lentement.

Loukas se releva, la peur au ventre. « Elle ne nous a pas senti, heureusement, merci mon grand, ce n'est pas passé loin ».

Claod remua brièvement ses ailes et nettoya ses griffes, comme s'il ne s'était rien produit.

« C'est sans doute celle que nous avions repéré, près des montagnes, tout à l'heure. Mon intuition me dit aussi que ce n'est pas la seule qui va revenir. Elles vont sûrement tourner en rond autour du château, comme elles le font autour des forteresses ennemies. Nous ne pourrons pas agir comme nous le voulons ».

Il attaché Tempête à sa ceinture, ainsi que Nuralion de façon à pouvoir la dégainer facilement ; la lame étant plus lourde et plus longue que les autres. Enfin, il rangea ses affaires et plaça son épée restante sur la selle de Claod.

Le dragon ronronna ; il le suivit du regard pendant qu'il s'activait.

« Si elles ne vont pas tarder à revenir par ici, alors je préfère entrer dans le château avant qu’elles ne le surveillent ».

L’éclair invisible réprima un hurlement et entoura son maître de sa queue, de façon bienveillante. De ce fait il était coincé entre lui, et la paroi.

« Claod... ».

La bête ouvrit la gueule. Ses griffes crissèrent contre la pierre.

« Il faut que je découvre s’ils ont avancé dans les excavations, mon grand. Je ne pourrais le faire qu'en me rendant au château ».

La bête grogna, son éternel sourire se contorsionna pour essayer de ressembler à une sorte de grimace. Il secoua la tête, sa langue claqua de dégoût.

Le Maître secoua la tête, « Il faut que j'en apprenne plus, il faut que j'en sache le plus possible. Si nous allons au tombeau directement nous ne trouverons que des ouvriers. Je veux pouvoir espionner les dirigeants, pas les grouillots ».

Le dragon se contenait de rugir, ses griffes s'enfonçaient de plus en plus profondément dans la roche, en traçant de profonds sillons. L'idée même de laisser son maître entrer dans un endroit puant autant la mort et les ténèbres le révulsait.

Après une bonne minute de grognement sourd, de feulement et de sifflement plaintif, il céda. Quelques arcs de plasma vinrent danser entre ses écailles, réchauffant l'air ambiant. Sur la surface de ses yeux vinrent scintiller quelques larmes bleutées, mais il ne pleura cependant pas.

« Je t'aime mon beau. Je t'aime de tout mon cœur » Il le prit dans ses bras au niveau du cou. « Je vais revenir, c'est promis », murmura-t-il en caressant son museau. D'un côté, il était attristé de le laisser ainsi, jamais il ne l'avait vu comme ça. Son cœur se serra alors qu'il réprimait également son envie de pleurer.

« Tu es tout ce qu'il me reste... ». Il porta cette phrase à voix haute, plusieurs fois. Ce constat le renvoyait à sa triste situation, ce qu'il n'arrangea pas sa dépression.

La bête gémit, ce qui déstabilisa le jeune homme. Il avait souvent en tête la puissance et la noblesse de l'animal, mais il ne pensait que rarement à ses faiblesses ou à ses peurs.

« Tu n'as pas à avoir peur ! Je vais revenir, je me sens beaucoup mieux aujourd'hui, tu sais. Je pourrais combattre sans problème s'il le faut. Je vais simplement utiliser mes pouvoirs de façon plus limité, c'est surtout ça qui me fatigue et me fait du mal ».

Le dragon se lova contre son cavalier de toujours.

« Tu m'attends dans les airs ? Soit prêt à me récupérer à tout moment ».

Sa langue sortit de sa gueule pour venir lécher la joue du petit humain, qui grimaça en souriant. Puis, il prit son envol, le laissant seul sur le promontoire.

Loukas se sentit très vite livré à lui-même, mais il le fallait, ses choix n'entrait pas en ligne de compte. S'il avait pu, il aurait été directement chez les elfes attendre sa dernière bataille, mais cette mission était des plus importante. Si les nécromanciens mettaient la main sur le cadavre de Millenott et qu'ils parvenaient à le ramener à la vie, ils pourraient le retourner contre toutes les races libres : les humains, les elfes et les nains. Le dragon le plus puissant du monde connu déchaînerait sa fureur sur les personnes qu'il avait autrefois juré de défendre, au péril de sa vie.

Un profond déchirement intérieur l’étreignit, car il n'avait plus aucune envie de vivre, mais ne voulait pourtant pas que les autres souffrent et était déterminé à faire son possible pour que ça n'arrive pas.

« Belle ironie » pensa-t-il, alors qu'il commençait à descendre lentement le long des rochers. Il ajusta sa cape et sa capuche pour être le plus discret possible, avançant parmi les pierres humides et couvertes de mousses noires.

Il n'était pas bien haut, par rapport au château, mais pourtant sa descente prit plus de temps que prévu. Comme il l'avait présumé, les chimères passèrent au-dessus de lui, une à une, dans un grand bruissement d'ailes. Il était heureusement trop bas pour qu'elles le repèrent, pour le moment.

Un campement lui barra cependant très vite la route. Il était dressé contre le mur d'enceinte du château, là où celui-ci rencontrait la falaise d'où il descendait. Quatre gobelins s'occupaient à se chamailler, tout en buvant une sorte d'alcool nauséabond que le Maître pouvait sentir, même à cette distance.

« Je n'ai pas le temps, il faut que je passe », pensa Loukas. Il s'approcha du camp, tout en restant dans la pénombre de la nuit. Invisible, il se faufila derrière l'une des tentes. La puanteur des gobelins se mêla à celle de leur curieuse boisson, formant un mélange rance et putride. Il dut se retenir de vomir plus d'une fois. L'adrénaline s'empara de lui, le guidant dans ses mouvements. Ses habitudes de guerrier reprenaient le dessus.

Les monstres à la peau verte était aussi laid que leur cousin les orcs, bien qu'ils soient plus petit. La plupart du temps, ils se tenaient accroupis, le dos voûté, une façon d'être qu'ils avaient sans doute prise à force d'être rabaissés et conspués par les autres monstres, à cause de leur faiblesse et de leur couardise.

Bien que Loukas comprennent la langue noire, il ne put définir avec exactitude le sujet de discussion des créatures, à cause de leur accent. Il reconnut des insultes, des menaces et des bouts de phrases parlant de nourriture, et d'alcool.

Il conta jusqu'à dix, dans sa tête, puis surgit de derrière la tente en dégainant son glaive. Il le planta directement dans la nuque du premier gobelin sur sa route.

Avant même que les autres ne comprennent, le deuxième tombait, ouvert en deux de la clavicule jusqu'à la poitrine.

Des deux derniers, le premier tenta maladroitement de saisir un couteau tandis que l'autre essayait de fuir. Il se prit les pieds dans une bûche du feu et tomba à la renverse sur son camarade. L'épée de Loukas s’abattit sur eux, et le silence retomba sur le petit campement. Du sang noir et épais recouvrit une fois de plus les pierres du château de Séclairis.

« Ridicule, la seule force de ces créatures est leur nombre. En dehors de ça, ils ne valent rien au combat », constata une fois de plus Loukas. Il ressenti malgré tout une peur grandissante. Le fait d'être aussi proche des monstres le rendait fébrile.

Il rengaina son arme et examina le mur. L'arrière de la forteresse ne semblait pas entretenu, les pierres s’effritaient et des morceaux entiers du parapet étaient tombés.

Loukas fronça les sourcils. « Excuse-moi Claod, mais là, j'ai besoin de mes pouvoirs ». Il tendit la main, et banda sa volonté.

Certaines des pierres frémirent, puis se décalèrent en avant, formant des prises faciles pour lui ; il commença à grimper. Une branche morte prise dans le rempart se nimba d'énergie verte, jusqu'à venir se coller à lui alors qu'il montait de plus en plus haut, pour lui servir de ligne de vie.

Au prix d'un effort ultime, alors que la sueur perlait sur son front, il passa sur le chemin de ronde, à plus de trente mètres de haut. Les chimères commençaient à prendre leurs marques, la plupart se reposaient dans la cour en contrebas, mais certaines battaient déjà des ailes pour reprendre leur envol.

Un orc armé d'une arbalète les surveillait, à seulement quatre mètres du jeune homme. Alors qu'il posait le pied sur le mur, il se retourna, interloqué par cette présence inattendue.

L'humain tendit la main vers lui, la branche morte fendit l'air dans un sifflement et l'atteignit à la gorge, une gerbe de sang s'échappa de sa gueule. En lâchant son arme, il porta ses mains sur le morceau de bois, avant de s’effondrer. Loukas le rattrapa en douceur, pour éviter que son armure ne fasse trop de bruit en heurtant le sol. Il était très lourd, le jeune homme en eut le souffle coupé et dû mettre tout son poids contre le siens pour le retenir.

Une fois posé il attrapa l'arbalète, puis avança, toujours accroupi. Le château n'était pas bien loin, une porte le rendait accessible au bout du chemin de ronde, mais deux autres gardes surveillaient les alentours.

Sans perdre de temps, Loukas récupéra sa branche, qu'il anima une fois de plus par magie, et brandit l'arbalète.

Avant même que le premier le repère, il reçut la branche au même endroit que son congénère, deux minutes plus tôt. Le deuxième fut plus réactif mais Loukas tira le premier, son carreau vint percer le plastron de la créature, qui tira en l'air, avant de tomber du mur, du côté de la montagne.

Une chimère grogna, levant une de ses têtes vers les hauteurs. Loukas se plaqua au sol, priant sa déesse pour ne pas être repéré.

La bête se leva, sa deuxième tête suivie le regard de la première en sifflant, attirant l'attention des autres monstres volants. Elle serpenta entre les décombres, jusqu'aux pieds des remparts.

L'orc qui avait la gorge transpercée avait chuté trop lourdement, son sang se répandait déjà sur les pierres froides. Dans un sursaut, alors qu'il tenait son cou ensanglanté, il tendit sa main dans le vide, au-dessus de la cour. Quelques gouttes noirâtres tombèrent silencieusement.

La chimère rugit.

Une sueur froide parcourut le dos du Maître de la Terre, son cœur manqua un battement alors que le doute s'emparait de lui. Sans se laisser plus de temps pour réfléchir il rampa jusqu'à la porte et l'ouvrit. Il entendit des mouvements d'ailes avant de se relever pour vite la refermer.

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