Chapitre XLI : La menace cachée

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La caporale avait réussi à trouver un guide en la personne d’un jeune soldat qui habitait la cité. Cela faisait maintenant plusieurs minutes qu’il menait la troupe des geckos cendrés à travers les ruelles désertes de la ville d’Ismir. Les bruits de bottes des soldats se répercutait sur les pavés gris pour résonner en écho contre les habitations. Comme à la capitale, la plupart avaient des toits plats, et des grandes toiles chamarrées étaient suspendues en travers des allées, au-dessus d’eux. Les rayons du disque lunaire perçaient la nuit, formant de fins rideaux d’argent entre les différents pans de tissu. Par chance, ils avaient pu confier leurs montures à un maréchal-ferrant, à l’entrée de la cité. La Maître du Feu n’était pas très enthousiaste à l’idée de laisser Duncan, mais elle n’avait pas vraiment le choix, de plus, il était sans doute plus en sécurité qu’elle n’allait l’être dans les heures à venir.

« Y’a pas un chat », fit remarquer Yann en laissant courir sa main sur le mur granuleux d’une habitation.

« Merci, heureusement que tu es là pour commenter ce qui saute aux yeux », le railla Amanda, qui se tenait en tête de file avec Lilith et le guide. « Pourquoi nous ne croisons personne ? Je croyais que les militaires inspectaient les quartiers à la recherche de potentiels ennemis ».

« C’est que, nous ne pouvons pas déployer l’armée entière dans l’enceinte de la ville », expliqua le guide, de sa voix fluette. « Les autorités locales ont mis en place un couvre-feu et des escouades fouillent certaines bâtisses, mais nous ne pouvons pas retourner les maisons de tous les habitants comme ça ».

Amanda haussa les épaules, « Pourtant, ça irait plus vite. En tout cas, les civils ont l’air de bien respecter les consignes qui leur ont été données ». Elle avait en main son arbalète chargée, et se tenait prête à s’en servir à tout moment. Elle avait hâte d’en découdre, et ce malgré l’heure avancée et son état de fatigue. Éteindre les incendies à distance l’avait affaiblie, ses pouvoirs s’étaient déchainés au sommet du volcan, mais depuis, les choses étaient différentes. Peut-être que sa potion devenait moins efficace avec le temps, ou que les visions qu’elle avait de Loukas la déstabilisait, sans parler de sa conversation avec Glaross lors de son coma. Quoi qu’il en soit, elle se promis de ne pas abuser de ses pouvoirs pendant la semaine à venir.

« Est-ce que les corps retrouvés avaient quelque chose de spécial ? Des morsures, peut-être ? Des griffures ? », demanda Lilith. Elle avait dégainé son épée pour l’occasion, et adoptait une posture éminemment guerrière, au côté de sa commandante.

« Je ne peux pas vous dire, je n’ai pas vue les corps. Avant tout ce merdier, j’étais affecté à la surveillance des écuries, de l’autre côté de la ville », répondit le guide en les faisant tourné à gauche, au détour d’une ruelle. Une affreuse odeur de bois brûlé leur monta progressivement aux narines, l’air était lourd et chaud, ils approchaient d’un des bâtiments qui avait pris feu.

Le groupe déboucha sur une petite place surélevée par quelques marches, entourée de grandes résidences à étage, faites de pierres des sables et rendus grises par la fumée. Un groupe de militaire appartenant visiblement à une unité de fantassins à l’épée et bouclier était en train de mettre de l’ordre au milieu de la place, car l’un des bâtiments adjacents était réduit en cendre. Amanda remarqua tout de suite les corps étendus sous des couvertures, rassemblés un peu à l’écart. Ils étaient au nombre de quatre.

« Déployez-vous, il nous faut des indices. Lilith, allons leur parler ».

« Je vous suis, commandante ». Elle fit signe à Maxim de disperser les troupes, qui se mirent en position à l’entrée des trois rues qui menaient à la place. Les éclaireurs eurent pour mission de surveiller les toits, pour prévenir d’éventuelles attaques d’archers.

Un sergent était en train de donner des directives pour coordonner les soldats présents, il se tourna vers eux lorsqu’il les entendit arriver et vint à leur rencontre. Son armure semblait faite à partir d’écailles souples – probablement des écailles de poissons des sables – et il portait un casque rond assez banale, d’où dépassait une épaisse tignasse brune trempée par la transpiration. À sa ceinture pendait l’épée classique utilisée par bon nombre de fantassin de l’armée du royaume.

« Salutations, commandante, caporale. Que me vaut cet honneur ? Nous attendions des intendants pour évacuer les corps, mais je doute que vous soyez là pour ça ».

« En effet, sergent. Nous cherchons les coupables de cet attentat alors nous sommes venus enquêter, quel était ce bâtiment ? », Amanda pointa du doigt les décombres calcinés de la bâtisse.

« C’était un poste de garde, on y avait entreposé du matériel et des armes pour la croisade, mais il semblerait que tout soit partie en fumée ». Le sergent baissa la tête, comme s’il s’estimait responsable de ce qui était arrivé. « J’étais affecté à ce poste de garde, mais à la différence de mes collègues étendus plus loin, j’étais en patrouille au moment où le drame est arrivé… ».

« Alors vous avez eu de la chance, sergent. Vous pouvez les venger en nous aidant à débusquer les coupables. Vous n’avez rien découvert de suspect ? », lui demanda Lilith.

Le soldat fit la grimace et soupira longuement. « Malheureusement, non, rien que nous n’avons pu identifier. Mes camarades ont vraisemblablement été tués à la dague, ou en tout cas à l’aide d’une arme courte et pointue, un stylet ou une rapière, il faudrait que quelqu’un de compétent puisse les examiner, nous n’en avons pas eu le temps… Je n’ai même pas pu envoyer de message à leurs familles… ».

« Nous avons un médecin avec nous, peut-il jeter un coup d’œil ? ».

« Bien sûr, commandante, tout ce que vous voulez ».

« Félix ! Venez par ici s’il vous plaît », hurla Lilith à travers la place. Le médecin de bataille accourut, sa petite sacoche sur l’épaule et la main posée sur la garde de son poignard.

« Sergente ? Puis-je vous êtes utile ? », demanda-t-il d’un ton monocorde.

« Il faut examiner les corps de ces pauvres malheureux, vous pouvez vous en charger ? Nous voudrions savoir ce qui les a tués, et trouver des indices ».

Félix considéra silencieusement sa requête pendant quelques secondes, avant de hocher la tête, gravement. « J’aurais besoin de quelqu’un pour m’assister ».

« Je vous laisse choisir quelqu’un, mais dépêchez-vous, j’ai peur que le temps ne soit compté ».

Yann approcha d’Amanda et lui murmura à l’oreille. « Tu ressens la même chose que moi ? On a pratiqué la magie noire, ici, il en reste des échos, des brides. J’ai peur que nos ennemis ne soient pas des rigolos ».

« Je sais, il y a cette odeur particulière dans l’air, en plus de la fumée. C’est assez diffus, mais je peux le percevoir ». Depuis un moment, elle ressentait en effet une forme de magie qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant, et qui lui donnait légèrement la nausée. Sans la vision qu’elle avait eue de Loukas, elle n’aurait pas d’emblée associé cette odeur à celle de la magie noire. Peut-être était-ce pour ça qu’elle avait ces visions ? Pour la préparer à ce qu’elle devait affronter de son côté ?

Lilith, qui avait entendu leur conversation, ne put s’empêcher de demander. « Quel genre de personne serait en mesure d’user de magie, de pénétrer une ville fortifiée sans se faire repérer et d’attaquer de cette façon ? Les orcs et les gobelins ne sont pas capables de telles prouesses ».

« Les aldres, peut-être ? ».

« Les cousins corrompus des elfes ? Tu penses que ça pourrait être des assassins issus de leur race ? ». Amanda ne connaissait pas grand-chose concernant les monstres qui constituaient les armées des ténèbres, mais le général Mens lui avait parlé des aldres, une fois : ils ressemblaient beaucoup aux elfes, avaient des silhouettes fines, des cheveux longs et fins, des yeux uniformément noirs, et des mimiques perverses et sadiques. Les aldres prenaient un malin plaisir à torturer leurs victimes, à se délecter de leurs peurs, de leurs angoisses. Très agiles, ils avaient l’art et la manière de passer inaperçu et de se faufiler à travers les lignes pour frapper là où on ne les attendait pas. De plus, ils étaient capables d’utiliser la magie, surtout la magie noire.

« Ce n’est pas impossible. À dire vrai, c’est même très probable, je ne vois pas du tout qui pourrait faire ça à part eux. Ce sont des assassins aldres qui sont responsables de la mort de Ravend, le père de Loukas, ainsi que du décès de son oncle et de sa tante ».

Amanda senti un frisson parcourir sa nuque, elle n’était pas au courant de cela. Le Maître de la Terre lui avait bien sûr parlé de la mort de son père, mais elle ne savait pas que cela été imputé aux aldres, ni que cela avait également concerné son oncle et sa tante. Elle aurait bien aimé partager cela avec lui, mais ils n’étaient peut-être pas assez proche pour ça, à l’époque, cela l’attrista quelque peu. « Il avait quel âge lorsque c’est arrivé ? ».

« Onze ans. Il est devenu Maître le jour-même, et a fugué juste après. C’est une histoire que peu de gens connaissent entièrement, même dans mon royaume. Tout cela pour vous dire à quel point les aldres sont dangereux. Vous ne pourriez pas me confier une arme ? Je me sens un petit peu sans défense ».

« Hors de question, en premier lieu je t’avais demandé de ne pas m’approcher et tu passes ton temps près de moi, et enfin j’avais demandé que tu ne portes pas d’arme, tu t’en souviens ? C’étaient les conditions pour que tu nous accompagnes ».

Yann soupira et leva les yeux au ciel. « Les choses ont changées, il me semble. Tu es toujours énervé contre moi ? ».

« Ce n’est pas la question, j’avoue que je te trouve moins insupportable, mais ce n’est pas pour ça que j’ai confiance en toi. De plus, je ne suis pas près de te pardonner pour ce que tu m’as fait, et ce que tu as fait à mes éclaireurs ». La Maître lui fit les gros yeux, pour bien lui faire comprendre que ce n’était pas négociable et qu’il ne s’agissait pas d’un débat. Certes, elle avait eu de bonne discussion avec le Maître de la Terre la nuit dernière et il l’avait bien aidé sur le volcan, mais cela ne faisait pas de lui son ami. Au mieux, un allié temporaire.

Yann eut l’air de très mal le prendre, il soupira longuement et se massa la nuque. « Tu es encore là-dessus… ».

« Oui. Tu t’attendais réellement à ce que ça change ? Tu n’es avec moi que depuis trois jours ».

« Et si on m’attaque ? Comment je fais ? ».

Elle haussa les épaules, affichant la mine de quelqu’un qui ne se sent pas concerné. « Tu es un Maître de la Terre, tu trouveras bien le moyen de t’en sortir, sauf si c’est moi qui deviens ton ennemi ». Sur ces mots, elle s’en retourna et rejoignit Félix, qui était en train d’examiner le premier corps avec l’aide de Maxim, qui avait bien voulu l’assister. Yann ne répondit pas et se contenta de la suivre, non sans afficher son habituelle mine renfrognée.

Le médecin avait enfilé une paire de gants en coton et ouvert sa trousse. Il farfouilla brièvement dans cette dernière et en sortie un petit scalpel argenté, ainsi qu’une paire de ciseaux, qu’il posa à côté de lui.

« Bien, sur celui-ci, je vois une trace d’arme blanche très nette, à la base du crâne. Il a été attaqué par derrière ». Il souleva consciencieusement la tête de la victime et leur montra l’entaille.

« Regardez sous son armure, on ne sait jamais », lui conseilla Lilith. Elle avait les bras croisés et observait la scène, en regardant par-dessus son épaule.

Il s’exécuta et Maxim l’aida à retirer une partie du harnois du pauvre malheureux. Sa peau ne montrait visiblement pas de signe de lutte, il était mort très rapidement sans avoir eu le temps de se défendre. Félix haussa les épaules et se tourna vers la caporale, son diagnostic restait inchangé.

« Bien, passons au suivant, celui-ci ne nous apprend pas grand-chose », affirma la commandante.

« Il ne nous apprends rien, tu veux dire. N’importe qui pourrait l’avoir tué ainsi » lui fit remarquer Yann en fronçant les sourcils.

« Non, pas du tout », objecta Lilith, « Un orc ou un gobelin ne pourrait frapper ainsi, avec précision et finesse. Les orcs sont trop brutaux et ne sont pas doués pour la discrétion, et les gobelins sont petits, ils ne peuvent pas atteindre la nuque d’un homme de cette taille. Cela confirme au moins ce que l’on disait tout à l’heure et élimine des opposants éventuels, c’est déjà pas mal ».

Yann l’interpela, « Tu as beaucoup combattus pour savoir tout ça ? Ou tu ne fais que des suppositions ? ».

« Pas besoin de se battre physiquement pour connaître son ennemi, la connaissance est une arme aussi affûtée qu’une épée », lui dit-elle en souriant, fière de sa répartie.

« Celui-ci à des blessures différentes », les coupa Félix en soulevant le bras droit de la deuxième victime. « Regardez, il a reçu un coup qui lui a percé l’aisselle, il s’agissait sans doute de la même arme qui a tué son camarade. L’assaillant a tourné la lame dans son corps pour le tuer plus rapidement, mais il a aussi une sorte d’étrange brûlure à la gorge, comme si ses cordes vocales avaient brûlé de l’intérieur ».

Amanda grimaça de dégoût, elle sentait des effluves de magie autour d’elle, en particulier autour de ce corps. Elle leur murmura, « Il a reçu un sort, je peux le sentir ».

« De quel type de magie s’agit-il ? C’est un sortilège issu des arts noirs ? ».

« Oui, c’est indéniable. Faite venir nos mages si vous voulez qu’ils confirment, je ne suis pas assez sûre de moi ».

« Ce n’est pas la peine, je suis d’accord avec toi », déclara Yann en s’accroupissant près du corps. « On lui aura fait ça pour qu’il ne puisse pas crier, car il était toujours en vie après avoir reçu le coup. Pour moi, c’est un sort lancé à la hâte, l’attaquant n’avait pas prévu d’utiliser la magie ».

« Comment peux-tu le savoir ? », lui demanda Maxim en penchant la tête. Ses tatouages luisaient plus intensément que d’habitude, l’effet était sans doute accentué par les émanations et la fumée.

« C’est très simple, s’il avait voulu le tuer directement avec la magie, il ne se serait pas donné la peine de le frapper avec son arme, surtout avec une telle précision. Ce n’est peut-être pas un assassin très expérimenté ? ».

« Ou peut-être n’a-t-il pas voulu prendre de risque ? S’il devait agir discrètement, cela peut se comprendre ».

« Je ne pense pas, car il dévoile son jeu en montrant qu’il maîtrise la sorcellerie. Je pense réellement que c’est une erreur de sa part ».

« Ou peut-être qu’il ne considère pas la magie comme un réel atout ? Que cela n’a pas d’importance pour lui que nous soyons au courant qu’il l’utilise ou non ? », lança Amanda.

Yann passa une main dans sa barbe, puis dans ses cheveux en arborant une mine pensive. Il avait le regard dans le vague. « En effet, mais dans ce cas-là, il est très sûr de ses compétences et ne doute pas un seul instant de pouvoir nous échapper ».

« Les aldres ne sont-ils pas comme ça ? Imbus de leur personne et très confiant ? », se questionna la Maître du Feu à voix haute. Lilith fit signe qu’elle ne savait pas, tout comme Maxim. Yann hocha simplement la tête, gravement.

Félix, quant à lui, était passé au troisième corps et rapporta au groupe que ce dernier avait la gorge tranchée, la blessure était – pour lui – particulièrement et anormalement profonde. L’entaille allait presque jusqu’à la colonne vertébrale et avait sectionné de façon propre et net la trachée, et tous les tendons et les muscles. Il écarta la plaie avec son scalpel pour leur montrer, même si personne ne voulait voir ça. Maxim fit une curieuse grimace et posa le dos de sa main sur sa bouche en fronçant les sourcils.

« Celui-ci a vu son adversaire, une telle attaque ne peut être portée par derrière. Il a fallu une grande force pour infliger une blessure pareille avec une lame courte, il est mort sur le coup ».

« Je pense de plus en plus qu’il s’agit d’un aldre : la précision, la magie, la discrétion, l’arme utilisée… Tout coïncide, commandante », déclara Lilith sans l’ombre d’un doute.

« Si c’est l’œuvre d’un aldre, comment expliquez-vous ça, caporale ? ». Le médecin montra du doigt la nuque du dernier cadavre, en écartant soigneusement son col de chemise : il s’agissait d’une femme, et sur son cou était visible deux fines marques de crocs. Une lame avait également perforé son plastron à deux reprises, ce qui avait percé son foie, puis son cœur.

Le sang d’Amanda ne fit qu’un tour, elle avait déjà observé des blessures similaires sur le cou de Loukas, lui aussi avait dû combattre la créature qui était capable de les infliger et s’en était miraculeusement sortie, non sans avoir écopé de nombreuses blessures.

« C’est un vampire… », déclara-t-elle posément, sans lever les yeux des marques de crocs. Personne ne répondit, chacun analysait les blessures, comme pour confirmer son affirmation.

Yann fut le premier à réagit. « Merde. C’est pire qu’un aldre ».

Lilith déglutit avec peine, elle était visiblement apeurée et tentait de se contenir, elle s’en voulait également d’avoir tiré des conclusions à la va-vite. « Je… Je vais avertir l’unité, ils doivent savoir à quoi nous avons affaire ». Elle s’éloigna en direction de Jiel et d’Achille, deux des mages de la troupe.

« Je ne sais pas grand-chose sur les vampires. Ils brûlent bien ? ». Demanda Amanda pour essayer de dédramatiser la situation. Sa voix trahissait cependant son appréhension.

Yann haussa les épaules et sourit, « Tout brûle, ce n’est qu’une question de température ».

« Encore faut-il réussir à le trouver, ce vampire. Les plus puissants peuvent apparaître sous forme humaine, et même voler », avança Maxim.

« Ils utilisent des sorts d’illusion ténébreuses, une forme de magie que nous ne connaissons qu’assez mal, ainsi que, évidemment, la magie noire commune », les informa Marie – la troisième mage du groupe – en apparaissant derrière eux. Ses longs cheveux auburn prenaient une teinte presque métallique sous les rayons des étoiles. Elle croisa le regard d’Amanda et le soutiens pendant un petit moment en lui adressant un sourire à la fois franc et confiant.

« Vous connaissez le sujet, Marie ? ».

« Oui, commandante. Je suis originaire de Marnogall, une cité près de la frontière sud. C’est la ville la plus proche de la contrée contrôlée par ces créatures, j’en ai déjà vu deux ou trois, mais ils n’étaient pas aussi puissants que celui-ci ».

« Comment on peut le coincer ? Il faut absolument le trouver, il a même peut-être des complices, ou bien ils sont plusieurs comme lui ».

« S’ils sont plusieurs, on est mal barré », commenta Yann en se massant la nuque.

« Malheureusement on ne peut pas le savoir. Il nous faut l’aide des inquisiteurs, leur magie peut nous permettre de le traquer, c’est aussi leur rôle », attesta la magicienne.

Amanda eut un haut-le-cœur, elle se tourna pour ne plus faire face au groupe et enfonça ses ongles dans son bras pour se calmer, car les larmes lui montaient aux yeux. Il était inconcevable pour elle de revoir un inquisiteur, pas après ce qu’elle avait subi. De multiples images lui revinrent en tête : la salle close, les paroles impies, les ombres et surtout, la douleur.

« Commandante ? Tout va bien ? », demanda Maxim, inquiète. Félix se releva, épousseta son pantalon et s’approcha de la Maître, mais cette dernière lui fit signe de reculer et de la laisser.

« Ça va, ne vous occupez pas de moi ! ». Dit-elle d’une voix incertaine. « En revanche, je refuse catégoriquement que l’on demande de l’aide aux inquisiteurs, c’est un ordre. S’il vous vient l’idée de ne pas le suivre, vous pourrez vous trouver une autre unité ».

Le médecin, la magicienne et la sergente échangèrent des regards circonspects, mais acquiescèrent néanmoins, car ils n’avaient pas vraiment le choix. Yann s’approcha de la jeune femme.

« Amanda, si c’est la seule solution, il faut envisager de demander de l’aide. Nous ne sommes pas en mesure de trouver ce vampire tout seul, nous n’en avons pas les moyens, il nous faut des spécialistes ».

« Tu as tout à fait raison », lâcha-t-elle entre ses dents serrées. « Envoyez quelqu’un chercher un groupe de paladin, dite que c’est Maître Amanda qui le demande et que c’est très urgent, nous avons expressément besoin de leurs compétences. Si vous le pouvez, demandez directement à Régiselt ».

Yann resta sans voix, il n’avait pas pensée à cette perspective. Elle se tourna et le fixa un instant, avant de lever un sourcil, dans l’attente d’un éventuel commentaire de sa part, qui ne vint pas. Pour cause, il s’agissait d’une bonne idée, car les paladins – comme les inquisiteurs – étaient également des chasseurs de mages noirs, ils pouvaient facilement détecter les effluves de magie de ces derniers et ainsi les traquer efficacement. De plus, Amanda préférait mille fois être en compagnie des soldats de la lumière que des inquisiteurs.

Maxim suivi donc ses directives et chargea deux éclaireurs – Nim et Aldo – de se rendre auprès des paladins. La position de ces derniers n’étant pas connu, le guide qui les avait emmenés jusqu’ici proposa de les accompagner. Il en profitera pour se reposer car la fatigue commençait à clairement se faire sentir dans les rangs des guerriers. Le sergent sur place semblait également éreinté.

Entre-temps, un groupe d’intendant arriva sur place pour emporter les corps, ils discutèrent un moment avec Félix et Lilith, qui leur expliquèrent la situation et les découvertes qu’ils avaient faites. Amanda profita du calme qui s’imposait pour se reposer un moment, en s’asseyant contre le mur d’une des bâtisses. Pour s’occuper l’esprit, elle se concentra sur ses pouvoirs et fit germer une flamme dans le creux de sa main, avant de la faire passer entre ses doigts comme un pirate qui jouerait avec une pièce.

De l’autre côté de la place, Yann avait offert ses services pour aider à dégager les décombres du poste de garde en ruine. Ses pouvoirs se révélèrent fort utile à l’équipe de fantassins chargée du déblayement, qui le remercièrent chaleureusement.

« Je dois reconnaître qu’il est capable de faire de bonnes actions, quand il veut », lui confia Lilith en venant s’asseoir à ses côtés. Elle semblait toujours préoccupée.

« Je ne sais même pas s’il le fait exprès », plaisanta la Maître en faisant passer sa flamme d’une main à l’autre. « Est-ce que tout va bien, caporale ? J’ai l’impression que vous êtes tendu ».

Cette dernière fit la grimace tout en s’occupant de tailler ses ongles avec une petite lime qu’elle sortit de son sac à dos. « Disons simplement que je ne m’attendais pas à affronter un vampire, surtout ici, alors que nous sommes encore chez nous. C’est inattendu, et ça me fait un petit peu peur ».

« Hum, je comprends. Moi aussi, j’ai peur. Je n’ai jamais commandé de troupe au combat, je n’ai jamais été responsable de la vie de quelqu’un, encore moins d’une unité entière… Et surtout, je n’ai jamais tué… J’ai toutes les raisons d’avoir peur, et pourtant j’ai quand même hâte de me battre ». Elle tapota la crosse de son arbalète.

Lilith lui décocha un sourire timide. « Je crois que j’étais comme ça, la première fois que j’ai commandé. J’étais sergente, à l’époque, et il y avait eu des accrochages à la frontière avec des groupes de gnolls et de gobelins, alors on nous avait envoyé vérifier les postes frontières et prendre la relève d’une autre unité, qui tenait la zone depuis plusieurs jours. Nous n’étions que six, et ces bêtes ont réussi à nous coincés au creux d’un vallon alors que nous revenions de patrouille, ils nous sont tombés dessus en force, en dévalant les pentes en hurlant à pleins poumons. Mon caporal et moi-même avons combattu côte à côte pendant près d’une demi-heure, sous une chaleur atroce, en pleine saison chaude. S’ils avaient eu des archers, nous serions tous morts ce jour-là. Je m’en souviendrais toute ma vie : l’odeur de sang et de sable, l’ambiance lourde et pesante, la tension presque visible dans l’air, le poids de mon arme et les hurlements… ».

« Cela ne vous hante pas ? Les vies que vous avez prises ? ».

La militaire ne répondit pas tout de suite, elle tentait visiblement de trouver ses mots, car elle ne s’attendait pas à cette question.

« Je ne sais pas… », finit-elle par avouer en soupirant. « D’un côté, il s’agissait de créatures horribles et décharnées vouées corps et âme aux ténèbres et au chaos, et de l’autre, elles étaient en vie, et j’y ai mis un terme. Le fait est que si ces bêtes en avaient eu la possibilité, elles m’auraient tué sans hésitation. Rappelez-vous cela lorsque vous combattrez, commandante : l’ennemi n’a aucun remord, aucune pitié, aucune compassion pour nous autre, les humains ».

« Je sais. Je brûle d’envie de leur montrer à quel point je n’ai moi-même aucune pitié ». La flamme qui dansait dans sa paume vira au bleu, elle referma sa main qui se mit à rougeoyer, comme un morceau de métal en fusion. Ses veines s’illuminèrent l’espace d’un instant, puis le sort prit fin, et sa peau retrouva sa couleur naturelle. La colère, la rage qui l’animait, elle comptait bien s’en servir. Avec la fatigue, il lui était plus difficile de contrôler ses émotions, et ses propres démons finissaient par ressortir, même malgré ses entraînements et ses séances de méditation. À croire que le cœur des Maîtres du Feu brûlait tous de la même façon.

Légèrement mal à l’aise, Lilith tenta de détourner la conversation. « Voulez-vous que j’essaie de vous trouver quelque chose à manger ? Avec notre voyage, vous n’avez rien avalé depuis ce midi, à Chisé ».

Amanda secoua la tête. « C’est gentil, mais je tiendrais le coup, nous avons autre chose à penser pour le moment. Comment vont les troupes ? ».

« Ça va, ils sont entraînés pour surmonter ce genre d’épreuve, ils survivront ».

« J’espère bien… Comment ont-ils réagi pour le vampire ? ».

« Oh… je ne saurais dire. Globalement, je pense qu’ils sont assez anxieux, de nombreuses histoires décrivent les vampires comme des bêtes terribles et très dangereuses, ils sont beaucoup plus à craindre que les orcs contre lesquels nous avons l’habitude de combattre. Seul nos mages n’ont pas l’air inquiet ».

« Oui, j’ai l’impression que ces derniers en savent bien plus sur ses créatures que nous autre », murmura la jeune femme.

« Il me semble qu’à l’académie de magie, ils ont des cours concernant les créatures magiques, les démons et les esprits ».

« Il serait utile que tout le monde puisse acquérir cette connaissance, cela couperait cours aux légendes et autres… ».

Soudain, une énorme explosion ébranla la cité jusqu’aux fondations, les deux femmes se levèrent en sursaut alors que les pavés sous leurs pieds tremblaient. Les autres soldats se mirent en position pour voir d’où venait la menace, Maxim hurla plusieurs ordres pour qu’ils se déploient efficacement. Un énorme panache de fumée s’éleva depuis les quartiers du nord-est.

« Ça vient de là-bas ! Sergent, qui y’a-t-il dans cette direction ?! », demanda prestement la Maître en s’adressant au gradé local. Ce dernier avait les yeux rivés sur la fumée et arborait une mine déconfite, à la fois attristé et choqué.

« C’est… C’est le quartier général de la ville ! Un grand bâtiment, gardé par de nombreux soldats et magiciens ! ».

« Lilith, nous y allons ! ». Sur ces mots, elle s’élança dans une ruelle, l’arbalète à la main. La caporale ordonna à la troupe de se mettre en ordre de marche, et ils rejoignirent ainsi rapidement leur commandante. Les gardes royaux se déployèrent autour d’elle, suivi de Maxim et de Lilith, ainsi que de Maître Yann.

« Ce n’est pas une explosion ordinaire, commandante, il s’agit de notre matériel ! », hurla Cyn, l’une des lanceuses de gourdes incendiaires : une blonde aux cheveux bouclés et mi-longs. Ses yeux verts trahissaient une certaine appréhension.

« Il doit y avoir de nombreux blessés, alors. Préparez-vous à porter secours à nos troupes ! Il faut également former un périmètre de sécurité et garder en tête que nos ennemis ne sont probablement pas loin ! ».

À mesure qu’ils progressaient, des cris d’agonies et de détresses se firent entendre, les forçant à accélérer le pas en ignorant leurs jambes douloureuses. Lorsqu’ils arrivèrent auprès du bâtiment en question, la chaleur d’un puissant incendie les saisi violemment : un pan entier de l’édifice était en feu, les fenêtres s’étaient brisées et une portion du mur ouest était totalement éventrée sur les trois étages, du rez-de-chaussée jusqu’au toit. Fort heureusement, aucun autre bâtiment n’avait subi de dommage, car ils étaient tous éloignées de plusieurs mètres. Des débris avaient cependant atteint les façades, comme des morceaux de tuiles, de bois et de pierre.

« Au secours ! Aidez-nous !! », hurla une femme allongée dans la cendre, à quelques pas du mur en ruine. Elle portait une armure lourde et semblait étouffer sous son casque, sans parvenir à se mettre debout. Sa cape avait partiellement brûlée et les flammes avaient bien attaquées son dos, mais son harnois l’avait plutôt bien protégé. De nombreux autres corps étaient étendus par terre, certains étaient complètement brûlés et démembrés, d’autres avaient l’air en vie, mais affreusement blessés.

« Soldat, il faut absolument les sauver ! Etablissez une zone sûre, réquisitionnez un bâtiment adjacent, plusieurs même, s’il le faut ! Félix, je compte sur vous, donnez-nous des ordres pour que l’on aide au mieux », suggéra Amanda, en surmontant la vision d’horreur qui s’offrait à eux.

« Bien, commandante, je m’en occupe. Soldats ! Trouvez-moi des brancards ou fabriquez s’en, il faut les déplacer en lieu sûr rapidement, il pourrait y avoir une autre explosion ! Maxim, j’ai besoin que vous me trouviez un bâtiment sûr ».

La sergente acquiesça sans pour autant pouvoir détacher son regard des blessés agonisants. Elle murmura une prière à Glaross avant de s’activer. Cyn et Darius mirent leurs casques et coururent vers la bâtisse en flamme, droit vers le mur éventré. Leurs armures lourdes étaient quasiment ignifugées, et ils purent ainsi faire sortir les quelques miraculés qui avaient survécu à l’explosion mais qui n’avaient pas pu éviter les flammes.

« Il faut les soigner en priorité, ils ne vont pas tenir très longtemps ! », cria Darius. Il portait à bout de bras le corps d’un malheureux qui avait perdu son bras gauche, et dont les jambes avaient été dévorés par le feu, jusqu’à l’os. Ce dernier gémissait faiblement, il était au bord de l’évanouissement.

« Yann, tu n’aurais pas des sorts de soin, ou quelque chose dans le genre ?! », questionna Amanda en le suppliant du regard. Ce dernier avait l’air démuni, il haussa faiblement les épaules et soupira d’un air désolé.

La Maître du Feu poussa un juron et se questionna sur son utilité. Elle tendit les mains vers le quartier général et fit appel à ses pouvoirs. Les mages de son unité l’assistèrent, et tous ensemble, ils réussirent à éteindre la plupart des flammes. Restait encore les petits foyers, relativement inoffensif, ainsi que la fumée qui se dégageait des pierres chaudes et des poutres brisées.

La jeune femme remercia les sorciers, grâce à eux, elle n’avait pas eu à trop utiliser ses pouvoirs et n’avait donc pas souffert.

« À votre service, commandante. N’hésitez pas à faire appel à nous pour ce genre de chose, nous pouvons nous en charger à votre place pour ne pas vous fatiguer », soutiens Achille en s’appuyant sur son bâton. Pour l’heure, c’est lui qui avait l’air fatigué, et ses deux collègues ne semblaient pas en pleine forme non plus : Jiel transpirait à grosses gouttes et Marie respirait très bruyamment, sans doute à cause de la course.

« Je m’en souviendrais. Vous devriez assister Félix, vos pouvoirs peuvent peut-être atténuer les souffrances de ceux qui sont le plus brûlé. Si ça ne va pas, n’oubliez pas de prendre vos potions de regain, je ne veux pas que vous tombiez à cours ce soir, c’est compris ? ».

Les mages firent signe qu’ils avaient bien saisi, et s’en retournèrent aider le médecin de guerre. La troupe avait établi un poste de secours d’urgence et d’autres unités étaient arrivées en renfort, avec de nombreux intendants et des guérisseurs. De nombreux habitants firent fit du couvre-feu pour venir aider et proposer des couvertures, de l’eau et du linge qui pourrait servir de bandage.

« Je suis désolé, Amanda… », murmura Yann en s’approchant d’elle. Lilith et les gardes royaux resserrèrent les rangs.

« C’est bon, ne parle pas. J’ai compris ». Elle lui lança un regard noir. Même en sachant qu’il n’y était pour rien, la situation était si tendue qu’elle avait du mal à ne pas passer ses nerfs sur lui.

« Commandante, je pense que c’est le dépôt de poudre qui a explosé, je peux le sentir dans l’air. Cela ne peut pas être un accident, je pense que vous en conviendrez », lui confia Darius en revenant vers elle. Il était totalement couvert de sang et de cendre, mais cela ne semblait pas spécialement le déranger.

« Je suis d’accord, il faut investir le bâtiment, il y a peut-être des blessés à l’intérieur, ou bien les auteurs de cette atrocité ! Lilith, vous et les autres vous venez avec moi, pendant que le groupe de Maxim reste au côté de Félix, pour l’assister, en avant ! ».

Amanda se dirigea vers l’entrée du quartier général dont la grande porte était à demi ouverte, car les gonds n’avaient pas résisté au choc, tout en dégainant l’une de ses faucilles. Après un bref moment de concentration, la lame produisit quelques étincelles et s’embrasa.

« Commandante, commandante ! Attendez ! », hurlèrent plusieurs personnes derrière elle. Elle tourna la tête brièvement et repéra les éclaireurs qu’elle avait envoyés un peu plus tôt, ils accouraient à sa rencontre. Ils étaient accompagnés d’un trio de paladins, dont Régiselt qui avait visiblement tenu à venir en personne. Ils portaient tous une armure similaire en tous points, et leur simple présence participa à rendre l’atmosphère un peu moins pesante. Le dirigeant des guerriers sacrés avait son casque attaché à sa ceinture et portait son immense marteau comme s’il s’agissait d’une simple épée courte, ses deux compagnons avaient chacun une lame longue faite d’un métal gris brillant.

« Ah, je vois que vous nous amenez les renforts que j’ai demandé, soldats. Restez ici avec Maxim pendant que nous y allons ».

« À vos ordres, commandante, mais nous avons croisé le général Mens qui nous a dit de vous dire de revenir à la tente de commandement, il veut que vous restiez à l’abri avec les autres généraux le temps que la menace soit éradiquée », lui confia Aldo d’un air gêné.

Amanda fronça les sourcils et fit tournoyez sa lame, en faisant quelques pas de côté. « Il n’a pas à me donner d’ordre, si je me retire il y aura encore plus de morts ! ».

« Content de voir que vous êtes en forme, Maître Amanda », ironisa Régiselt en lui adressant une profonde révérence, auquel elle répondit par un simple hochement de tête. Elle n’avait pas de temps à perdre en salutations.

« J’aurais préféré te revoir dans d’autre circonstance, chevalier. Peut-on compter sur votre aide pour débusquer les responsables de cette attaque ? ».

« Je vous accompagne personnellement pour cela. Mes guerriers vont rester ici et soigner les blessés, leurs pouvoirs curatifs sont très efficaces contre les brûlures ».

« Parfait, je t’en suis reconnaissante ». Elle adressa un signe de tête à Lilith, qui se tint à ses côtés au moment d’entrer.

À l’intérieur régnait une atmosphère pesante et étouffante, le vestibule était vide, il n’y avait personne. Sur la droite, un lourd escalier de pierre permettait d’accéder aux différents étages, il était d’ailleurs possible d’apercevoir le premier car une simple rambarde donnait sur l’entrée depuis les hauteurs. À leur gauche se trouvait deux bureaux réservés aux intendants, ainsi qu’un tableau d’affichage et un porte-manteau, qui était tombé à la suite de l’explosion. Des dizaines de feuilles s’étaient envolées et jonchaient à présent le sol en marbre, couvert de cendres et de poussières.

Plus loin, deux couloirs se faisaient face, l’un menant à l’aile ouest, et l’autre à l’aile est. L’incident s’étant produit du côté du mur ouest, Amanda se dirigea vers ledit couloir, la main fermement serrée sur le manche de sa faucille.

« Je devrais passer devant, c’est plus sûr », suggéra Régiselt, d’une voix étouffée. Etonnamment, son armure luisait d’une pâle lueur blanche, un petit peu de la même façon que celles des gardes royaux.

« Ne le prend pas mal, mais tu es si imposant que tu prendras toute la place dans le couloir, et j’aimerais bien voir devant moi ».

Le chevalier pouffa de rire. « Vous avez sans doute raison, cette armure n’offre pas que des avantages ».

« J’ai un mauvais présentiment, commandante, je vous en prie ne restez pas en première ligne, Régiselt à au moins raison sur ce point », insista Lilith. Les gardes royaux semblaient clairement être de son avis.

En soupirant, elle lui fit signe de passer en tête, mais resta tout de même à ses côtés, elle ne voulait pas que sa caporale soit blessée. Elle chargea le reste du groupe de progresser deux par deux – sauf le paladins et Yann, qui pouvaient bien se débrouiller tout seul.

Le groupe passa devant plusieurs salles, notamment des entrepôts, qu’il fallut inspecter et vérifier, mais également des pièces de vie et des salles d’entraînement. Très vite, ils débouchèrent dans une zone normalement restreinte aux lanceurs de gourdes et aux intendants, car c’était ici qu’ils s’entraînaient et qu’était rangés les gourdes incendiaires et explosives. Les pièces étaient totalement dévastées, les cloisons qui les séparaient des couloirs étaient en miette, ainsi que le mur porteur qui donnait sur l’extérieur, tout comme le plafond. Les meubles des pièces du dessus étaient presque tous tombés et s’étaient fracassés au sol, ajoutant encore plus de débris à cet endroit déjà bien chaotique. Plusieurs cadavres se trouvaient également là : certains avaient complètement brûlés, d’autres avaient eu plus de chance, l’explosion les avaient directement soufflés, ils avaient moins souffert, mais leurs corps désarticulés faisaient peine à voir. L’odeur souleva les cœurs des guerrières et des guerriers, qui évitèrent de commenter la scène, seul quelques-uns eurent la force de murmurer des prières au dieu du Feu, notamment Théo.

Les barils éclatés et les caisses brisées étaient pénibles à enjamber, aussi, de nombreux soldats – dont Amanda – restèrent dans le couloir et sécurisèrent les accès.

« Alors ? Est-ce que vous trouvez des indices ? Il faut vite qu’on fouille les autres pièces, ainsi que les étages supérieurs », leur signifia la Maître du Feu.

Le seigneur des paladins, qui était en train d’inspecter ce qu’il restait d’une grande commode en partie calcinée, se tourna vers elle d’un air grave. « Je ressens les émotions et les flux d’énergies qui jonche les lieux : on a pratiqué la magie ici, peu avant l’explosion. Pour être plus précis, on a pratiqué un rituel des arts noirs ». Il fit une grimace de dégoût, son regard changea l’espace d’un instant, lui donnant un air féroce, avant qu’il ne reprenne conscience.

« Je peux le sentir aussi », dit Yann, « Notre ennemi était là, la sensation que l’on avait lorsque nous inspection les corps tout à l’heure est toujours présente, et elle est d’ailleurs bien plus forte ». Il effleura du pouce la surface d’une cloison, et traça une sorte de rune. En fermant les yeux, il se concentra et expira profondément.

Amanda senti un frisson parcourir sa nuque alors que la rune prenait une teinte verte très surnaturelle. Les murs crissèrent et craquèrent à l’unisson.

« Que fais-tu ? Je n’aime pas ça », lui avoua-t-elle d’une voix autoritaire. Shôr et Jaken non plus n’avaient pas confiance et se mirent sur la défensive.

« Je renforce la structure par magie, je n’aimerais pas que l’édifice tout entier nous tombe dessus, il a été très fragilisé par l’explosion ». Il prit note que le groupe n’avait pas foi en lui et cela l’agaça passablement. « Arrêtez donc de penser que je prépare un mauvais coup, il me semble avoir prouvé depuis hier que je suis dans votre camp ! ».

« Tu nous excusera d’être dubitatif, néanmoins, merci à toi ». La jeune femme soupira et détourna le regard, elle détestait avoir à avouer qu’il avait raison.

« Grand chevalier, pensez-vous pouvoir trouver la source de cette magie et nous conduire à celui qui la manipule ? », demanda Lilith pour revenir au sujet principal qui les avait menés ici. Dans le même temps, elle fit signe à des intendants à l’extérieur pour qu’ils viennent récupérer les corps des pauvres malheureux qui avaient trouvés la mort en ce lieu.

Le paladin sourit et ceignit son casque, avant de répondre d’une voix doublée d’un écho métallique, « C’est ma spécialité ». Il ouvrit sa main gantée et une sphère blanche, lumineuse et pure apparut dans sa paume, elle était entourée d’un halo pâle et scintillant qui illumina la pénombre et révéla d’étranges traces noirâtres, au sol, sur certains débris ainsi qu’aux murs.

« L’énergie des Ténèbres laisse toujours des traces, il suffit en général de les suivre pour trouver l’être abominable qui l’utilise. Je passe devant, cette fois-ci, si cela ne vous dérange pas, Maître ».

Amanda lui fit signe qu’il pouvait y aller, et resta sur ses talons. Les traces les amenèrent néanmoins à revenir sur leurs pas, en direction du vestibule. Malgré l’intense lumière dégagée par le sort du paladin, les ténèbres semblaient plus denses encore et il était difficile de voir devant soi. En revanche, les traces noires se détachaient toujours très clairement du décor. La jeune femme pris note que les lanternes métalliques accrochées aux murs étaient toutes éteintes, ce qui la perturba, car le bâtiment était censé être gardé par de nombreux soldats, et devait donc, par conséquent, être éclairé tout le temps. Elle fit part de cette information à Lilith, qui confirma que cela était bien étrange. L’explosion ne pouvait avoir soufflé les lanternes sans briser le verre, quelqu’un les avait éteintes.

« Peux-tu identifier ce qui a lancé ce sort ? », murmura Amanda en revenant à ses premières préoccupations. Ses muscles étaient tendus, son rythme cardiaque s’était accéléré, elle était sous le coup du stress et de l’anxiété et avait les nerfs à vif. Quelque chose lui faisait peur en ce lieu, malgré la présence rassurante de Lilith et d’une partie de son unité.

« Pas clairement, non, mais c’est puissant. Un simple mage noir laisserait beaucoup plus de trace derrière lui et il serait encore plus facile de remonter jusqu’à lui. Là, les résidus de magie noire sont plus diffus, plus minces. Je ne saurais l’expliquer, mais je pense que celui qui a fait ça n’est pas humain. Vous avez conclu à un vampire, il me semble ? ».

Amanda hocha faiblement la tête. « On a remarqué des marques de crocs, sur un cadavre ». Lentement, et avec des gestes calculés, elle rangea son arbalète et dégaina sa deuxième faucille. Elle avait pris sur elle d’éteindre la première lorsqu’ils s’étaient mis à fouiller les décombres, pour ne pas gâcher sa magie, et dû résister à l’envie de les enflammer de nouveau pour se rassurer.

« Sur un seul cadavre ? C’est étrange ».

« Comment ça ? ».

« Les vampires ont tendances à ne pas faire cette erreur, ils ne mordent que lorsqu’ils sont sûr de pouvoir ensuite faire disparaître le corps. Cette histoire commence à être intéressante ».

« Ah oui ? Question de point de vue. Personnellement, je n’aime pas trop savoir qu’un monstre se promène dans une ville de mon royaume en semant la mort et la destruction sur son passage ».

« Pardonnez-moi, traquer des abominations fait partie de ma mission divine, je suis toujours excité à l’idée de débarrasser le monde d’un fléau de ce genre ».

Alors qu’ils entraient dans l’aile est du quartier général, juste après avoir passé le vestibule une nouvelle fois, un léger murmure se fit entendre, devant-eux. Le paladin s’arrêta et scruta les ténèbres : le couloir s’élargissait en un petit croissement, l’un des chemins conduisait au réfectoire, et l’autre, aux cuisines.

« Vous avez entendu ? Ça vient des cuisines », chuchota le guerrier de lumière en affirmant sa prise sur son marteau de guerre.

Amanda acquiesça sans dire un mot. Ses gardes se tenaient à ses côtés, et pour une fois, elle trouva leur présence quelque peu rassurante. Elle demanda à Lilith de faire passer des lanternes à certains soldats, de peur que la lumière ne devienne un problème, le sort de Régiselt ne durerait sans doute pas éternellement et elle voulait que tous puissent voir parfaitement.

Alors que les militaires se passaient les silex et l’huile, elle remarqua que Yann avait toujours la main posée sur le mur, depuis le début. Il avait l’air concentré. Elle décida de lui faire confiance et de ne pas lui demander ce qu’il faisait, elle avait de toute façon autre chose à penser.

Le paladin reprit sa traque après que la troupe fut prête à progresser, et il arriva bien vite devant une épaisse porte en bois, semi-ouverte. Les murmures étaient toujours là, et s’accompagnaient à présent d’un étrange bruit liquide et spongieux. Les traces noires étaient innombrables sur la porte, aussi, il coupa son sortilège, et le couloir ne fut plus éclairé que par les flammes des lampes à huile, ainsi que par la faible lueur de son armure.

Prenant son marteau à deux mains, il s’en servi pour pousser la porte, qui grinça légèrement sur ses gonds. Les cuisines n’étaient pas éclairées – tout comme le reste du bâtiment –, il n’y avait personne, de prime abord. La pièce était spacieuse, il y avait de nombreuses armoires avec de la vaisselle et de la verrerie, des plans de travail occupaient une place centrale et étaient entourés de fours de toutes sortes. Sur les murs, des ustensiles étaient accrochés, notamment des couteaux de toutes les tailles ainsi que divers instruments de cuisine. Curieusement, aucune odeur de nourriture ne leur monta aux narines, mais plutôt une odeur métallique assez curieuse, douce et sec.

Régiselt entra le premier, essayant de découvrir d’où venait l’étrange murmure qu’ils entendaient. Du fait de sa grande taille et de sa stature, il faisait d’autant plus attention ou il mettait les pieds, de peur de casser quelque chose. Amanda le suivi et contourna le premier plan de travail, c’est là qu’elle vit que la porte qui menait visiblement à un cellier était ouverte. Son corps tout entier frémit et une vague de froid parcouru ses veines, lorsqu’elle découvrit un corps étendu dans l’encadrement. Accroupit au-dessus de ce dernier se trouvait une créature humanoïde, qui devait faire à peu près sa taille, couverte de poils noirs comme l’ébène et habillée d’un simple pagne rapiécé.

La bête était en train de sucer la moelle d’un os de la jambe de sa victime, qu’il avait apparemment arrachée à la main en découpant la cuisse. Avec ses longues griffes pointues, il détachait la chair de l’os et la portait goulument à sa bouche démesurée. L’odeur qu’elle avait sentie était donc celle du sang.

Alors qu’il prenait conscience que la jeune femme l’observait, il interrompit son festin et leva lentement la tête vers elle. Sur le haut de son crâne pointait deux grandes cornes courbées vers l’arrière, sa peau était très poilue, même au niveau du visage, sur lequel se dessina un grand sourire malsain dont les commissures des lèvres rejoignaient presque ses oreilles en pointe, révélant au passage une rangée de crocs blancs élimés, à l’apparence tranchants.

Amanda remarqua qu’il avait des jambes de boucs, avant que son regard ne croise le siens. Ses yeux presque uniformément noirs trahissaient un désir lubrique à son intention, ainsi qu’un appétit vorace et sanguinaire. Une langue verdâtre et reptilienne passa sur sa lèvre supérieure, la bête se mit à grogner et à couiner.

« Commandante !! », hurla Lilith. Elle se mit entre elle et la créature au moment où cette dernière bondissait en sa direction, toutes griffes dehors. Les deux femmes furent bousculées et chutèrent sur le dos, Amanda avait sa caporale sur elle et ne pouvait bouger, elle sentait l’odeur forte et rance de cette sorte de monstre qui battait des bras pour arracher son arme à la guerrière. Malgré tout, elle réussit à dégager un bras et donna un grand coup vers ce qui lui semblait être sa jambe. Elle sentit une résistance, et la bête poussa un cri aigu, avant de se dégager en gesticulant dans tous les sens.

« Un satyre ! Coupez-lui la route ! », cria Régiselt en levant son marteau pour l’intercepter. Lorsqu’il l’abattit, la créature esquiva agilement en sautant sur un buffet. D’une voix profonde et gutturale, elle prononça de sombres paroles en agitant une main dans sa direction.

Le paladin traça un symbole dans l’air et une vague d’énergie se forma devant lui, juste à temps. Le satyre fit apparaître une énorme sphère mauve qu’il lança, cette dernière rebondit sur la protection magique avant de se perdre dans la pièce. Lorsqu’elle percuta un chaudron, ce dernier émit un crissement métallique et fondit presque entièrement.

En l’absence d’ordre clair, les soldats formèrent un cordon de sécurité autour de leur commandante et de leur caporale, en pointant leurs armes en direction de l’ennemi. Ce dernier descendit de son promontoire et se dirigea en toute hâte vers une sortie, mais sa jambe blessée le ralentie quelque peu, assez pour que Yann puisse réagir.

Il puisa dans son pouvoir et projeta une dalle en sa direction, qui réussit à atteindre sa cible à la tête. On entendit un craquement et le satyre hurla de nouveau en se tenant l’arrière du crâne, une de ses cornes s’étaient brisées nette, néanmoins, ce n’était pas suffisant pour qu’il stoppe sa course, et il s’enfui précipitamment dans un couloir, en laissant derrière lui une traînée de sang noir.

Le cœur d’Amanda battait la chamade, elle était encore sous le coup de l’adrénaline et se releva vivement. Shôr l’empêcha de se mettre à la poursuite du satyre en lui barrant la route.

« Commandante, vous êtes blessé ?! Laissez-moi voir, je vous en prie ».

« Je n’ai rien, mais il faut le rattraper ! Il ne doit surtout pas s’échapper ! ».

Régiselt bouscula un tabouret qui le gênait et entreprit de poursuivre l’agile créature, sans toutefois s’assurer que la troupe le suivait.

« Hommed, Théo ! Retournez au croisement pour lui barrer la route si jamais il passe par là-bas, exécution ! », beugla la Maître du Feu en leur désignant la porte. Les deux soldats ne discutèrent pas et s’empressèrent de remonter le couloir, l’arme au clair.

« Vous autre, allons s’y, vite ! ».

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