Chapitre XL : Cœur sombre

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« C’est vraiment une très mauvaise idée, Loukas », murmura May alors qu’ils étaient agenouillés près d’une souche morte.

Depuis leur position, ils avaient vu sur un campement, celui des nécromanciens qui avaient donnés les ordres à la patrouille d’orcs qu’ils avaient éliminés le jour même. Le soleil était bas dans le ciel, la nuit tomberait bientôt.

Grâce aux indications pris sur le chef de la patrouille, ils avaient réussi à trouver la cachette des sorciers, cachée en amont de ruines qui devaient autrefois être un petit village du royaume de la Foudre, ou bien appartenant à des hommes sauvages.

« Tu contestes encore mes décisions… », s’agaça Loukas en fronçant les sourcils. Il avait proposé d’aller voir ce que tramaient les mages noirs et curieusement, elle avait accepté. Mais maintenant qu’ils étaient là, il était hors de question de les laisser vivre. Ils étaient trop dangereux.

En contrebas, le campement en lui-même était composé d’une douzaine de tentes éparpillées autour de deux feux de camp. Des poutres et de la paille avait été utilisé pour fabriquer des barricades sommaires, le long desquelles marchaient une bonne quinzaine d’étranges individus aux mouvements lents et désordonnés.

« Que sont-ils… ? », interrogea la vieille femme, sans prêter attention à la remarque du Maître.

Ce dernier souffla du nez, avant de répondre. « Ce sont des morts-vivants, des cadavres pourris animés par des âmes fractionnées et corrompus par les ténèbres. Ils n’ont plus rien d’humains… C’étaient sans doute des hommes sauvages, vivants en dehors des royaumes élémentaires, ou bien des soldats de mon propre royaume… ».

May grimaça, dégoûté par son explication. « Comment peut-on faire ça à quelqu’un… ? ».

Le jeune homme ne répondit pas, il n’avait pas la réponse. Il reporta son attention à l’intérieur du camp, ou s’activaient des individus encapuchonnés et voûtés, se tenant à des bâtons noueux. Certains faisaient des messes-basses entre eux, d’autres étaient en train de préparer ce qui ressemblaient – de loin – à un repas. D’autres encore lisaient ou pratiquaient la magie.

Loukas sentit intérieurement les éléments se tordre à chaque sort, cette forme de magie dénaturée lui donnait la nausée. C’était à cause de personne comme ça que l’on donnait le nom de terres infectées à ces contrées conquises par les armées de monstres. Les sorciers dénaturaient la terre, la rendaient stériles, la corrompaient et l’infectaient avec toutes sortes de maléfices immondes.

« Il faut qu’ils meurent, May. C’est impératif ».

« Je comprends, mais c’est trop dangereux, ils sont très nombreux et je ne pratique pas la magie, moi ».

« Imagine qu’ils tuent quelqu’un qui t’est cher. Imagine qu’ils s’en prennent à Vinc, aux elfes, aux hommes. À nos pays… ». Il la fixa d’un air grave et pencha la tête, lui donnant un air de dément.

« Si on meurt ici, ils feront tout ça aussi, et nos cadavres les aideront », elle pointa du doigt les zombies décharnés qui marchaient, sans but.

« Je n’ai pas l’intention de mourir ». Objecta Loukas, comme si cela n’était pas évident. Il précisa de peur que ses sombres pensées le trahissent à force de se mettre en danger. S’il y allait, il avait de grande chance de recevoir un sort, ou de se faire déchiqueter par les zombies, et cela lui donnait encore plus envie d’y aller.

« Alors comment on procède, petit malin ? ».

« Je te laisse te charger des morts-vivants, et je m’occupe des nécromanciens, ça te va ? Comme ça tu n’as pas à te préoccuper de la magie ».

May déglutit avec peine, cette perspective ne semblait pas l’enchanter outre mesure. Les créatures sans âme la dégoûtaient déjà de loin, alors l’éventualité d’un combat au corps à corps contre eux ne lui plaisait pas.

« Tu as peur ? », demanda le jeune homme.

« Pas toi ? ».

« Je… ». Il s’arrêta, ne sachant quoi répondre. Bien sûr, il avait peur, mais pas pour lui. C’est la peur qu’il ressentait lorsqu’il repensait au rêve qu’il avait fait, lors de sa stérilisation : la peur de voir sa ville natale en proie aux flammes, entourée par les démons et les monstres. La peur d’entendre à nouveau les cris de terreurs et d’agonies de son peuple et de sa famille.

Ce sentiment le poussait à agir, à ignorer la douleur qu’il ressentait intérieurement.

Il fit signe que non à May, essayant tant bien que mal de sourire pour la rassurer, mais cela ne fonctionnait pas. La peur n’entrait pas en considération lorsque l’on voulait mourir.

« Jorass t’aidera, pas vrai ? N’oublie pas nos dragons ».

La vieille femme hocha la tête sans conviction.

Loukas soupira, résigné. Il ne pouvait la forcer à combattre, à son âge. « Reste ici, alors. Je vais me débrouiller, ne t’inquiète pas ».

Elle allait répondre quand il dégaina Ravend et dévala la petite pente qui les séparait des barricades. S’adossant aux poutres, il respira profondément. Peut-être trouverait-il la mort bien avant d’avoir rejoint le pays des elfes, finalement.

Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, les zombies ne l’avaient pas remarqué, les mages noirs non plus.

Profitant d’un moment d’inattention de leur part, il s’engouffra dans le camp, la tête basse, jusqu’à atteindre la première tente.

Une odeur de carcasse, d’entrailles, de pue et de sang lui parvint. Il fit son possible pour respirer par la bouche, mais rien n’y faisait. Il eut un haut-le-cœur, ne sachant pas ce qui pouvait avoir une telle odeur et ne voulant pas le savoir, il continua sa progression en espérant que cela passe.

La deuxième tente était à trois mètres de la première, il entendait quelqu’un remuer et brasser à l’intérieur.

En risquant un regard vers le feu de camp le plus proche, il vit que deux nécromants étaient tournés dans sa direction. S’il sortait de sa cachette, ils le repéreraient à coup sûr.

Sa première idée était de faire appel à la magie pour faire bouger une pierre derrière eux, mais il se ravisa. Les sorciers détecteraient la décharge d’énergie ainsi générée, aussi faible soit-elle, et il serait découvert également.

Il attendit donc que les nécromanciens se tournent, avant de rejoindre sa prochaine cachette. Soulevant légèrement le tissu, il tenta d’apercevoir l’intérieur de la tente, et bien que celle-ci soit plongée dans la pénombre, il distingua une silhouette encapuchonnée, fouillant frénétiquement dans de curieux sacs en toile. Il grommelait doucement d’une voix chevrotante.

« Tu seras le premier à mourir », pensa Loukas. Il se pencha au maximum pour passer à l’intérieur. L’épée au poing, il était dans le dos de son adversaire, mais ce dernier s’arrêta dans son mouvement. Sa tête se releva légèrement.

Alors qu’il allait se tourner, le jeune homme frappa. Sa lame s’enfonça dans son dos, ressortant par son plexus. Loukas passa son autre bras sur sa bouche pour étouffer son cri, mais il était possible qu’il ait été entendu.

En retirant son épée, une gerbe de sang noir éclaboussa le tissu des sacs et de la tente. Il poussa le corps sans vie du mage sur le côté, avant d’entendre une autre voix, assez proche.

« Thibault ? Qu’est-ce que tu fais ? », demanda un autre sorcier en approchant. Loukas pouvait voir son ombre devant l’entrée de la tente. Il sourit, car ce dernier était tout près. Il était temps de faire un carnage.

Son épée s’abattit de nouveau, transperçant la toile jusqu’à atteindre l’épaule du nécromant, qui cria de douleur. Il réitéra son action et cette fois, la lame s’enfonça jusqu’à son cœur sans rencontrer de résistance, le tuant sur le coup.

Des cris de surprise s’élevèrent dans le campement. L’un des mages assis près du feu se leva et pointa le Maître du doigt. Loukas put voir s’afficher sur son visage bouffi et rongé par la magie noire une sorte de sourire pervers.

« Un humain ! », cria-t-il.

Son confrère qui était à ses côtés fit un écart pour attraper son bâton, avant de le pointer vers Loukas d’un air menaçant.

Ce dernier fut parcouru d’un terrible frisson. Il utilisa le corps de sa deuxième victime comme bouclier.

Le bâton du sorcier s’illumina d’une énergie mauve, l’air crépita autour l’espace d’un instant. Un arc électrique violacé traversa la distance entre eux en une seconde, carbonisant le dos de la protection de fortune de Loukas, qui sentit la magie nauséabonde des mages noirs se répercuté jusque dans son épaule, tant le coup était puissant.

Il réagit instinctivement en lâchant sa victime fumante, tendant le bras vers ses ennemis. Le deuxième sorcier avait lui aussi attrapé une sorte de baguette magique et la pointait vers lui en murmurant de sombre parole. Mais le jeune homme fut plus rapide.

Une vague de poussière s’éleva depuis le sol et les aveugla. Ils crièrent, plus de surprise que de douleur. Les attaques qu’ils préparaient échouèrent et Loukas se rua sur eux.

Sa lame trancha les tendons et sectionna leurs membres atrophiés. Il prit son temps pour ne pas les tuer trop vite, en appréciant leurs cris d’agonies. C’est ce qu’ils auraient fait aussi.

Alors qu’il sentait les autres arriver, les fluctuations magiques s’accentuèrent autour de lui, à tel point qu’il eut encore plus la nausée.

Des râles et des cris s’élevèrent depuis l’entrée du camp, les morts-vivants s’activaient. Il devait se hâter. En tuant tous les nécromants, il y avait une petite chance pour que les zombies perdent leur énergie et s’écroulent.

Il serra le manche de son épée et invoqua son pouvoir pour créer un bouclier minéral, dans sa main droite. La pierre et la terre se décomposa et se modela pour prendre la forme souhaitée. La protection était lourde, mais néanmoins nécessaire.

L’instant d’après, deux sphères d’anti-lumière furent projetées vers lui à une vitesse hallucinante. Il tituba, surpris, mais réussit néanmoins à les esquiver. Les mages noirs allaient tentés de l’encercler, il en était convaincu.

Un éclair frappa à sa droite, mais heureusement, son bouclier amorti le choc. Il se devait de rester en mouvement. Il donna un coup de pieds dans le sable pour éteindre le feu et s’engouffra entre deux autres tentes.

« Poursuivez-le ! », cria un nécromant.

« L’exercice physique n’est pas votre fort ! », hurla le Maître en jubilant. Plusieurs éclairs s’écrasèrent dans son dos, mettant le feu à la toile.

Un mage lui barra soudainement la route, l’air se fit plus lourd alors qu’il marmonnait une incantation. La pointe de son bâton s’illumina.

Loukas fit aussi appel à son pouvoir, nimbant son épée d’une énergie verte. Une pointe de douleur se fit sentir dans son ventre, ce qui lui fit perdre quelque peu l’équilibre. Il se redressa à temps pour parer le sort ennemi avec son bouclier, avant d’asséner un coup puissant de haut en bas. Le crâne du nécromancien éclata comme un fruit pourri alors que la lame pénétrait dans son occiput. Il mourut dans un gargouillis sanglant.

« Ça fait quatre », compta Loukas en regardant tout autour de lui à la recherche d’un endroit sûr.

Il commença à sentir que des ennemis se trouvaient aux portes de son esprit, tentant de le trouver et de l’affaiblir mentalement.

Les duels mentaux étaient choses courantes, entres mages, il s’agissait de projeter son esprit vers celui de son adversaire et de tenter des actions pour l’influencer, le faire souffrir ou le blesser. Ce genre de combat pouvait vite mener à la mort. Loukas serra les dents, ce n’était pas son fort mais il savait néanmoins se défendre, cependant, contre autant d’adversaire, c’était difficile. Le seul point positif était qu’il pouvait évaluer leur nombre bien plus facilement. Il en compta cinq, mais il pouvait y en avoir plus.

Serpentant entre les barricades et les piles de matériels, il se dirigea vers le deuxième feu de camp, qu’il pouvait voir luire un peu plus loin.

Des voix murmuraient en échos dans sa tête à mesure que les nécromants sondaient les abords de son esprit, l’obligeant à se concentrer pour les repousser. Il faillit tomber plusieurs fois, étourdi par des attaques simultanées ou plus puissante que les autres.

Lorsqu’il arriva près du feu, il constata que trois mages noirs étaient positionnés autour, tenant leurs bâtons à deux mains, fermement. Ils avaient visiblement peur du corps à corps.

Loukas put apercevoir leurs visages atrocement mutilés et tordu, couverts de furoncles et de pustules jaunâtres.

L’effort mental que lui demandait sa concentration lui donnait de plus en plus mal au ventre, et les voix se faisaient de plus en plus forte, il réprima son envie de tousser et s’élança sur les mages, dans l’espoir, soit d’atténuer la douleur, soit qu’ils en finissent avec lui, ce qui revenait au même selon son point de vue.

L’un d’eux glapit comme un lapin prit par un renard et recula, laissant ses camarades en première ligne. Ces derniers furent plus réactifs et lancèrent des malédictions vers Loukas. Plusieurs flèches énergétiques fusèrent dans sa direction, il leva son bouclier et amorti le choc. Trois pointes noires percèrent sa protection et lui entaillèrent le bras, ce qui rompit le sortilège, la terre et la roche partirent en morceau entre ses doigts. Il était sans défense, et à quatre mètres de ses cibles.

Il tendit la main et fit apparaître une ronce, qui se déroula jusqu’au cou d’un des sorciers, le privant d’air. Ce dernier n’eut d’autre choix que de lâcher son bâton et se mettre à genoux, tenant le végétal de toute ses forces pour qu’il lâche prise.

Les deux autres lancèrent plusieurs éclairs d’énergie, ainsi que des sorts affaiblissants, que Loukas ne put esquiver totalement. Il sentit son bras gauche s’engourdir sous une pression extérieure.

Un rictus de douleur s’afficha sur son visage, mais il continua d’avancer, n’étant pas blessé outre mesure. Il eut assez de force pour siffler, un sifflement très aigu, qui se répercuta dans les collines alentours.

Une seconde s’écoula, avant qu’ils ne sentent tous un grand déplacement d’air. Un point bleuté s’alluma dans le ciel, puis un bruit de tonnerre fit sursauter tout le camp et une puissante boule de plasma incandescente balaya la moitié des tentes, ainsi que le feu de camp encore allumé.

Loukas eut le souffle coupé, l’air ambiant se réchauffa de plus de vingt degrés d’un seul coup, il fut projeté contre le pilier central qui supportait une tente, avant de tomber par terre. Des cris d’agonie horribles se firent entendre, ainsi qu’un départ d’incendie.

Il vit un des nécromanciens balayer le ciel avec un puissant rayon d’énergie pur, d’une couleur oscillante entre le mauve et le vert foncé. Il répéta son opération plusieurs fois, avant d’être propulsé dans les airs par un puissant coup de queue venu de nul part. Il hurla de douleur et fini sa course dans la poussière, sa nuque se brisa, ainsi que divers os de son corps.

Claod s’arracha des ombres comme s’il s’agissait de sa mue, battant des ailes pour paraître plus grand. Un grognement sourd vibra dans sa gorge alors qu’il avançait à par de loup vers son maître.

Un mage noir se leva, à la gauche de Loukas. Ce dernier réagit instinctivement par magie. Une demi-douzaine de caillou se rassemblèrent pour ne former qu’une tige, qui se lança vers la poitrine du sorcier, le transperçant de part en part. Il mourut sans même pousser un cri. Le jeune homme souffla, soulagé, cependant les râles des morts-vivants ne s’étaient pas arrêtés, ce qui voulait dire qu’ils étaient toujours debout, et qu’il y avait potentiellement encore un nécromancien dans les parages.

« Il en reste peut-être un, fait attention mon beau », avertit Loukas en se relevant maladroitement. Il avait une bosse derrière la tête et les épaules endolories, mais à part cela, il n’était pas trop blessé, quoique très fatigué. Son mal de ventre ne l’avait pas quitté.

En rejoignant l’entrée du camp aussi vite que possible, il constata avec horreur que May était au cœur de la bataille, son marteau à la main. Elle avait abattu un bon nombre d’abomination mais il en restait assez pour lui causer des problèmes.

Il accouru à son aide alors qu’elle était entouré d’ennemi. Son épée se leva, et une douleur immense s’empara de toute sa poitrine. Il chuta sans pouvoir se rattraper, le souffle coupé.

« Loukas ! », hurla May en le voyant tomber.

« May… », souffla-t-il. Sa vue se brouilla, il entendit derrière lui un puissant rugissement. L’éclair invisible fonça dans la mêlé, toutes griffes dehors, taillant et mordant dans la chair pourrie des zombies placides.

Loukas tenta plusieurs fois de se relever, mais il n’y parvint qu’au bout du quatrième essai, ce qui était assez ridicule. Il se mit à avoir honte d’être un Maître aussi faible. Cela n’allait pas arranger son humeur.

Les morts-vivants hors d’état de nuire, May s’approcha de lui, le souffle court. Du sang noir tâchait ses vêtements de voyage. Elle semblait fatiguée et meurtrit.

« Ça va ? », lui demanda-t-elle, inquiète. Elle scrutait le moindre signe de faiblesse chez le jeune homme d’un œil inquisiteur.

« Je… Je crois ».

« Tu crois ? Il va m’en falloir un peu plus ».

« Je ne sais pas quoi te dire ! ».

« Tu t’es écroulé comme une masse, Loukas, j’ai eu très peur ! ». Ses yeux se voilèrent comme si elle allait pleurer.

« Désolé… Jorass n’est pas venu t’aider ? », dit-il pour détourner la conversation. Il ne voulait pas la voir s’inquiéter, cela lui faisait mal au cœur.

Elle fit signe que non d’un air désolé. « Je l’ai sifflé mais il n’est pas venu, je crois qu’il dort, il est très absent ces derniers temps. Il faut que tu ailles t’asseoir, tu dois être fatigué ».

« Je vais bien, je t’assure », se défendit-il. « Je dois aller voir s’il n’y a pas des survivants », il désigna du doigt le camp dévasté, derrière lui.

« Je viens avec toi alors, il faut bien que quelqu'un veille sur toi et je n’ai aucune envie de rester près de ces choses ». Son regard balaya le sol où se trouvait les cadavres déchiquetés des morts-vivants.

« D’accord, mais reste auprès de moi ».

Ils passèrent donc tous deux devant les carcasses des bivouacs de fortune, la plupart étaient en feu, les autres s’étaient effondrés sur eux-mêmes. Ils mirent plusieurs minutes avant de trouver ce que Loukas identifia comme étant une sorte de tente de commandement. Il n’était pas facile de le voir de loin, car seule une petite rune brodée à la base de la toile permettait de la repérer.

Le jeune homme entra prudemment, l’épée au poing. Il n’y voyait pas grand-chose, malgré le feu qui faisait rage, à l’extérieur. Cependant, un mouvement sur sa gauche attira son attention, il sursauta alors qu’il individu encapuchonné se jetait sur lui en criant, pour tenter de lui prendre son arme.

Il le repoussa d’un violent coup de coude à la mâchoire, et lui asséna plusieurs coups de pommeau, jusqu’à ce qu’il entende un craquement. Le nécromant hurla de douleur et s’écroula sur le dossier d’un fauteuil, qui était disposé là.

« Pitié ! Ne me tuez pas ! », supplia-t-il d’une voix d’outre-tombe. Il toussa plusieurs fois et craqua du sang.

May entra également dans la tente, le marteau levé, avant de se rendre compte que Loukas avait maîtrisé leur agresseur. Elle le rejoint, tout en restant sur ses gardes. Au dehors, Claod se mit à tourner en rond autour d’eux en grognant, son ombre était projetée par les flammes et dansait sur le tissu, ce qui n’était pas pour rassurer le sorcier.

« Tu ne peux pas t’échapper, si tu essaie de lancer le moindre sort, tu es mort. Est-ce que c’est bien clair ? », déclara Loukas.

Le nécromant hocha la tête frénétiquement, le regard fou. Il tomba à genoux, une main posée contre sa jambe, l’autre tenant son nez ensanglanté.

« Qui est votre maître ? Que faite-vous ici ? Combien êtes-vous ? Parle ! ».

« Ne me tuez pas… ».

« Parle où je t’achève ! Le plus lentement possible ! ».

« Pitié ! » se lamenta-t-il.

« Pitié ?! ». Loukas planta sèchement son arme dans le sol et l’attrapa par le col de sa robe, le soulevant – par le fait – du sol.

« Toi et les tiens n’avez aucune pitié ! Pourquoi je devrais en avoir ?! », s’énerva-t-il en élevant la voix.

« Tu n’es pas comme eux, Loukas ! », s’exclama May, dans son dos.

Le nécromant semblait apprécier que la vieille femme prenne sa défense, il esquissa un petit sourire, mais c’était mal connaître le Maître de la Terre.

Ce dernier lui décocha un énorme coup de genou dans l’entrejambe. Il s’écroula, les deux mains fermement plaquées contre ses parties génitales en gémissant faiblement.

« Ça c’est un coup bas », commenta la cheffe de la caste, « Pourquoi avoir fait ça ? ».

« Parce que ça fait du bien ! Ces imbéciles ne sont même pas capables de me tuer, à quoi bon ! ».

Le nécromant fit signe que non.

« Il n’est pas d’accord », signala stoïquement May, sans relever sa dernière phrase.

« Je peux savoir de quel côté tu es ?! », demanda le jeune homme, abasourdit par les commentaires de sa compagne de route.

« Du tiens, bien sûr, mais essaie de ne pas réagir trop vite, s’il te plaît ».

De plus en plus énervé, il se retourna contre son otage et réitéra ses questions, plus posément, les dents serrées.

« Je ne veux pas… ».

« Alors prépare-toi à rejoindre ton dieu malfaisant », il ramassa son épée et fit quelques moulinets.

« Attendez ! Non ! ».

« Je t’écoute, dépêche-toi, ma patience à des limites et tu es sur le point de les atteindre ».

« Mon maître est à Séclairis, au royaume de la Foudre ! Nous nous réunissons là-bas aussi souvent que possible… ».

« Pourquoi ? De quoi parlez-vous ? », la peur étreignit Loukas à la seule mention de la capitale du royaume de la Foudre. Sa voix se fit plus apeurée.

« Des avancées de l’armée… Des plans pour l’avenir, mais je ne participe pas à toutes les assemblées… Vous avez tué mes amis… ».

« Parlez-vous des montagnes ? De ce que vous y faite ? ».

Le nécromant regarda Loukas avec curiosité, ouvrant et fermant la bouche plusieurs fois, avant de se décider à répondre.

« Oui… Nous en parlons aussi, comment le savez-vous ? Qui êtes-vous ?! », s’emporta le sorcier en tentant de se cacher derrière le fauteuil.

« Ce n’est pas toi qui poses les questions ». Loukas tendit la main, le sol se mit à trembler et plusieurs ronces de dix centimètres de diamètre jaillirent de la terre pour enserrer le nécromancien. Leurs épines s’enfoncèrent dans sa robe jusqu’à sa peau, lui arrachant un horrible hurlement.

« Loukas ! Tu ne veux pas en apprendre plus ? », questionna May, les yeux écarquillés. Elle semblait terrifiée par les effets du sortilège.

« Il m’en a dit assez, je n’ai plus besoin de lui, et sa simple vue m’est pénible », il ferma le poing. Les épines s’enfoncèrent plus profondément, les ronces le lacérèrent de plus en plus et il ne pouvait se débattre, seulement hurler.

Lorsque les cris cessèrent, le corps du sorcier tomba lourdement sur le sol, mort. Un petit nuage de vapeur noire jaillit de son thorax défoncé, s’élevant doucement vers le ciel.

Le dragonnier utilisa sa magie pour le capturer, l’enfermant dans une sphère d’énergie verdâtre.

« C’est son âme », déclara-t-il, calmement.

May le dévisagea, laissant planer le silence quelques secondes avant de répondre. « Tu comptes en faire quelque chose ? ».

« Je ne peux rien en faire, ou presque ».

« C’est-à-dire ? ».

« C’était un nécromancien : pour obtenir ses pouvoirs, il a dû pactiser avec Melquiox, le dieu-démon. Son âme est donc pervertie, morcelée, irrécupérable ».

« Mais alors, si elle est irrécupérable, tu ne devrais pas la laisser ? », questionna May, de plus en plus dubitative.

« Je peux lui accorder un moment de paix en le maintenant ici… Mais je ne peux pas la garder, et finalement, l’acte le plus cruel que je puisse faire et de la laisser s’en aller, rejoindre son odieux maître. Avec lui, il sera torturé et transformé en démon… Ce n’est souhaitable pour personne ».

« Pourtant, tu l’as tué », argumenta la dragonnière. « Tu savais ce qu’il allait advenir de lui et tu l’as tué ».

« C’est un reproche ? ».

« Non, Loukas, c’est un fait. C’est tout ».

Le silence s’installa, au dehors, on entendait toujours les flammes crépiter. Le vent souffla également, mais il ne fallait pas s’attendre à entendre chanter des grillons ou des oiseaux nocturnes, en ce lieu désolé.

« Je ne pouvais pas le laisser vivre, il aurait causé beaucoup de mal. Ces gens n’ont que faire des humains, des elfes, des nains. Ils ne veulent que la puissance et la domination, ils ne pensent qu’à leur petite personne. Je déteste l’individualisme, un pouvoir est un don, pas un jouet n’y un moyen de pression. Il faut s’en servir pour aider les autres ».

« Certains pouvoirs sont des malédictions. Tu n’as pas besoin de te justifier, n’étant pas magicienne, je ne suis pas en mesure de comprendre certaines choses ». Elle lui prit le bras et lui tapota amicalement l’épaule.

« Quoi qu’il en soit. Il faut que je me rende à Séclairis », annonça-t-il en lâchant le contrôle qu’il avait sur l’âme du nécromant, qui s’en alla vers le ciel et disparu, comme soufflée par le vent.

Elle le lâcha et recula de quelques pas. « Tu n’es pas sérieux ? ».

« Bien sûr que si. Je dois absolument voir ce qu’ils font là-bas, ça m’inquiète énormément. La cité n’est pas si loin du royaume de la Terre. Ils ont de quoi rassembler une immense armée dans la vallée au sud de la ville, et si ce qu’il vient de me dire est vrai, il y a des dirigeants sur place, c’est une opportunité que je ne peux pas manquer ».

May ne répondit pas, elle sortit de la tente alors il la suivit. Elle lâcha son marteau par terre et croisa les bras.

« Je ne peux pas te suivre sur ce coup, Loukas. C’est trop sportif pour moi, et ça devrait l’être aussi pour toi, vue ton état », déclara-t-elle posément. Claod les rejoints à pas feutrés.

« Je suis désolé ».

« Tu en auras pour longtemps ? ».

« Je ne sais pas. Une journée, au maximum ». Il fouilla dans les provisions et les affaires des nécromanciens pour tenter d’y trouver quelque chose d’utile, mais il n’y avait pas grand-chose à part des ingrédients alchimiques, des fioles, des végétaux pourris et des parchemins. La nourriture n’avait pas l’air mangeable.

Jorass descendit du ciel dans un vrombissement sourd et se posa près de sa maîtresse, qui ne lui adressa même pas un regard. Il se dirigea donc vers Claod et s’allongea près de lui. Malgré la différence de taille, l’éclair invisible semblait bien plus imposant et dangereux que la wyrm des saisons.

« Nous allons t’attendre. Tu connais un endroit où nous serions en sécurité ? ».

« Oui. Je vais vous y conduire et nous viendrons vous chercher quand nous en aurons fini à Séclairis ». Il tenta d’avoir l’air apaisé, de façon à ne pas l’inquiéter, en vain. La cheffe de la caste lui lança un regard triste.

« Je suis inquiète pour toi, Loukas. Tu te mets en danger inutilement, c’est troublant, comme ton commentaire sur le fait qu’ils n’aient pas réussit à te tuer, tout à l’heure ». Elle s’approcha de lui et posa une main sur son épaule, en cherchant le contact de ses yeux, mais il l’évita.

« Je ne me mets pas en danger inutilement, combattre les forces des ténèbres n’est jamais inutile, May ».

« C’est la façon dont tu les combats qui me fait peur. Tu n’as que vingt-cinq ans, Loukas… Tu en fait trop, je sais que tu es un Maître, mais il y a des limites ».

« Il n’y a aucune limite… ».

Elle le fixa d’un air grave, le jaugeant de bas en haut durant quelques secondes silencieuses.

« Tu n’as pas l’intention de revenir, pas vrai ? Tu ne reviendras pas nous chercher… ».

« Quoi ? Pourquoi tu dis ça ? ».

« C’est la sensation que j’ai quand je te regarde. Je vois un jeune homme qui ne veux plus vivre, Loukas. Tu en es arrivé là ? Vraiment ? ».

Alors qu’elle disait ces mots, Claod s’immobilisa et feula. Il avait l’air d’avoir parfaitement compris la conversation.

Loukas se détourna sans rien dire et marcha dans le camp, sans savoir où il allait. Il était hors de question qu’il parle de ça, ça n’avait pas à être un sujet de discussion, même Claod n’était pas au courant et nul doute qu’il comprendrait parfaitement si Loukas lui en parlait à cœur ouvert. Des larmes lui montèrent aux yeux.

Il entendit un ronronnement sourd derrière lui. La queue de l’éclair invisible passa devant lui et lui barra la route.

« Pas maintenant, mon grand… ».

Claod ronronna plus fort encore. Sa tête de gecko apparu à sa gauche, ses yeux d’un bleu profond le fixaient intensément.

Loukas se blottit contre lui, il ne pouvait pas soutenir son regard. La chaleur de ses écailles et les battements de son cœur avait quelque chose de très apaisant. La bête replia ses ailes sur lui du mieux qu’elle put, l’entourant de façon bienveillante.

« Ça va aller… ça va aller », répéta-t-il, autant pour son ami que pour lui-même. Sa voix était brisée, mais il essayait toujours de paraître fort. Malgré tout, il ne put s’empêcher de pleurer.

May était en train de les regarder de loin, à la fois triste et attendrit. Elle ramassa son marteau et soupira. « Je ne sais pas comment tout ça va finir, mais j’ai un mauvais pressentiment, Jorass. Il n’y a bien que Claod qui pourra le faire revenir à lui, j’en ai bien peur. Ce dragon a sans aucun doute des pouvoirs cachés ».

La wyrm des saisons ne réagit qu’en projeta un petit nuage de vapeur avec ses naseaux, avant de se frotter la tête dans le sable.

Une fois la pression retombée, Loukas sécha ses joues et retourna auprès de May, l’éclair invisible sur ses talons.

« Nous devrions y aller, la fumée pourrait attirer l’attention de certaines créatures », prétexta Loukas en rassemblant ses affaires et ses armes, pour les placer sur sa selle.

« Nous vous suivons. Faite bien attention… ».

« Vous aussi… ».

La discussion s’arrêta là, et les deux dragonniers s’envolèrent vers le nord, bien vite engloutit par les ombres de la nuit. Loukas pensa à ce qui se trouvait dans les montagnes du royaume de la Foudre, il se demandait si les monstres avaient pu découvrir des choses. Il n’en avait pas encore parlé à May, mais il y avait dans les profondeurs de la terre, à cet endroit, quelque chose qui intéresserait sans aucun doute la cheffe de la caste des dragonniers.

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