Chapitre XXXV : Oiseaux de feu

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Les geckos cendrés progressaient désormais plus lentement, à l’approche du cratère. Les soldats avaient leurs armes au clair, et faisaient attention ou ils mettaient les pieds, les coulées de lave avaient beau avoir l’air anciennes et donc solides, mieux valait rester prudent. Il s’agissait d’un volcan effusif, alors personne ne s’attendait à une quelconque explosion, mais si jamais une énorme vague de magma en fusion se mettait à couler depuis le cratère dans leur direction, cela pourrait signifier la mort pour chacun d’entre-eux. Fort heureusement, ils avaient une grande confiance en Amanda, qui ouvrait la marche, accompagnée de Lilith et de Yann.

La caporale jetait sans arrêt des regards au Maître de la Terre, en fronçant les sourcils. Elle ne voulait pas parler franchement à sa commandante, car il était trop proche et l’entendrait donc forcément, et cela l’agaçait au plus haut point.

Amanda, elle, avait les yeux rivés sur les bords du cratère, consciente que bientôt, elle devrait faire usage de sa magie pour se faire obéir de créatures très puissantes. Dans son cœur, une pointe d’appréhension émergea lentement.

À leur gauche, un immense panache de fumée s’éleva, ce qui en fit sursauter plus d’un.

« Ce sont des fumerolles, faite bien attention ou vous marchez ! », expliqua Maxim, qui se tenait plus ou moins au milieu de la troupe.

« Vous connaissez bien les volcans, sergente ? », demanda Joriss, un grand brun aux yeux noirs et aux cheveux frisés, qui portait un ravissant bouc.

« J’ai grandi dans une famille qui faisait du commerce de minerais, notamment ceux que l’on ne trouve qu’à proximité des volcans, comme la cendralite ou la lavalite. J’ai eu des cours particuliers concernant la géologie et la formation des volcans, oui », elle sourit au soldat. Amanda se promis de lui demander des informations à ce sujet, car cela l’intéressait vraiment, de plus, Maxim semblait être quelqu’un de très sérieux, qui ne souriait que rarement, alors la voir sourire en parlant de cela montrait qu’elle aimait et connaissait bien le sujet.

« Moi ça m’inquiète quand même un peu, on est habitué à la chaleur, mais ici il fait vraiment très chaud ! », s’exclama Koïra en épongeant son front humide. Elle devait sans cesse ramener ses longs cheveux blonds en arrière, pour qu’ils ne se collent pas à son visage.

« Si tu veux, on échange d’armure, on verra comment tu te sentiras après ! », lui fit remarquer Sasha, qui portait une armure lourde.

« Ce n’est pas le moment, soldates, faite plutôt attention aux fissures latérales. Regardez, il y en a une là-bas ». Maxim pointa du doigt une lézarde dans la roche et la cendre, à une vingtaine de mètres de la troupe, et d’où jaillissait par moment de minuscules coulées de lave fumantes.

« Ce n’est pas un endroit accueillant, soyez sur vos gardes, commandante », déclara Shôr en se rapprochant d’elle. Jaken acquiesça, montrant qu’il était d’accord, et fit comme son collègue.

Amanda n’aimait pas l’idée d’avoir des gardes, néanmoins elle commençait à trouver les deux hommes sympathiques et efficaces, d’autant qu’ils n’étaient pas là pour l’empêcher de faire quoi que ce soit. Penser à ses troupes lui faisait oublier brièvement la tâche qui l’attendait.

« Il y a beaucoup d’énergie en ce lieu, un peu comme si nous étions dans une forêt enchantée », signala Yann en jetant des regards à droite et à gauche.

« Ce n’est pourtant pas la même ambiance, il y a beaucoup plus de colère ici, les émotions sont à vif, elles ne sont pas fluides comme en forêt ». La Maître du Feu essaya de se rappeler de la sensation qu’elle avait eu lorsqu’elle avait découvert les bois autour de la cabane de Loukas, cette sensation de paix et d’harmonie qui lui manquait parfois, et qu’elle essayait de retrouver en méditant.

« Pardonnez-moi de vous interrompre, commandante, ce n’est peut-être pas le moment de philosopher. Regardez ». Lilith lui montra du doigt des formes reptiliennes, qui progressaient à travers les couches de sédiments et la cendre.

Amanda leva le poing, et la troupe s’arrêta. Les deux lanciers avancèrent, tout comme les deux gardes royaux. Maxim et deux fantassins surveillaient l’arrière tandis que d’autres guettaient les flancs.

« Des salamandres ? », murmura la commandante en plissant les yeux. Les gaz volcaniques lui brouillaient la vue.

« Je pense, il serait plus prudent de les éviter, nous sommes sur leur territoire ».

« Ces bestioles vivent en groupe ? Celles que j’ai pu voir étaient toujours seules, isolées » déclara Yann, en faisant référence aux salamandres qui peuplaient parfois les mines du royaume, où il avait souvent travaillé.

« Les mâles aiment être seul, et passent beaucoup de temps sous terre. Les femelles préfèrent être à l’air libre, et en groupe. Surtout près des volcans ou elles sont la proie des phœnix », lui apprit Lilith.

Les reptiles semblaient assez placides, ils se mouvaient lentement, leurs langues fourchues gouttant parfois l’air. Certains, plus vif, plongeaient leurs nez dans la cendre chaude, pour en extirper ce qui ressemblait à des larves grasses et blanchâtres.

« Ça doit être un site de ponte pour les vers des dunes, c’est ce qui les a attirés ici. C’est bien la première fois que j’en vois un dans la cendre, aussi haut sur les pentes d’un volcan ».

« Quels sont les ordres, commandante ? », demanda la caporale.

« Comme vous l’avez dit, il est plus prudent de… ». Elle s’arrêta. Une ombre leur cacha brièvement le soleil, et un coup de vent violent fit virevolter la cendre et les gaz autours d’eux. Instinctivement, ils se baissèrent tous.

La seconde suivante, une bête immense se posa avec fracas au milieu des salamandres. Ces dernières sifflèrent de mécontentement et de peur, certaines réussirent à s’enfuir à toute allure, dans des directions différentes, mais d’autres n’eurent pas cette chance.

Amanda n’en revenait pas, ses yeux s’élargirent comme des billes et les battements de son cœur s’accélérèrent. Devant eux, à une quinzaine de mètres, se trouvait un immense dragon de près de dix mètres de long, aux couleurs du sable légèrement grisé, qui dévorait avidement les salamandres qui passaient à sa portée. Il les attrapait violemment, s’aidant des griffes de ses musculeuses pattes avant pour les déchiqueter. Deux d’entre-elles purent détacher leurs queues pour tenter de s’échapper, mais le dragon ouvrit la gueule et projeta un puissant jet de flammes jaunes qui les carbonisa. Malgré leurs épaisses écailles, les salamandres ne pouvaient supporter une telle chaleur.

De contentement, le drake rugit et battit des ailes, soulevant encore plus de poussière, de scories et de cendres dans l’air. Les soldates et les soldats durent se couvrir le visage, pour protéger leurs yeux et leurs poumons. De leur position, ils pouvaient entendre ses puissantes mâchoires se refermer sur la chair des reptiles, déchirant la peau et brisant les os. Du sang rosé dégoulina le long de son museau luisant.

Lilith lança un regard paniqué à Amanda, Yann quant à lui ne pouvait pas détacher son regard de la créature, il avait l’air perdu et tétanisé.

La commandante fit signe aux mages d’approcher, ce qu’ils firent en essayant de rester le plus discret possible. Achille transpirait à grosses gouttes et avait une respiration haletante, Marie ne savait où poser son regard et seul Jiel semblait pleinement concentré. C’était un petit homme brun, aux cheveux courts et aux yeux noisette, qui selon les apparences, semblait savoir se servir de son sabre de bataille autant que de la magie.

« Vos ordres, commandante ? », demanda-t-il, le plus sérieusement possible.

« Je veux que vous assuriez la protection des troupes s’il crache le feu, mais ne l’attaquez pas, compris ? De toute façon je crois que cette espèce est insensible au feu ».

Le jeune homme analysa la demande de sa supérieure, et après un petit haussement de sourcils, il lui signifia qu’il avait bien compris. Il fit revenir à eux sa consœur et son confrère mage, et ils se mirent en position.

« Lilith, vous prenez son flanc droit, et je vais sur son flanc gauche. Assurez-vous de ne pas toucher les ailes, nous voulons le faire fuir, pas le tuer. C’est compris ? ».

La caporale lui adressa un signe de tête entendu, preuve qu’elle avait parfaitement saisi ses ordres. Les gardes royaux se resserrèrent autour de la jeune femme sans qu’elle ne leur en ait donné l’ordre, poussant également légèrement Yann sur le côté. La Maître du Feu ne leur en tint pas rigueur, ils faisaient leur travail. Elle leur répéta les ordres qu’elle avait donné aux mages, car les gardes étaient également rompus à l’utilisation de la magie, et pouvaient donc parfaitement dévier les flammes.

« Pourquoi tu ne veux pas le tuer ? », murmura Yann, le visage pâle. L’incompréhension se lisait sur son visage alors qu’il cherchait son regard.

« Je connais un dragonnier qui ne me le pardonnerais pas. De plus, il s’agit d’une créature rare, liée au désert et au feu, je ne peux pas faire ça en tant que Maître ! », déclara-t-elle, avant de foncer à toute jambe vers le flanc gauche de la créature. Elle fut suivie de près par Maxim, Shôr et Jaken évidemment, mais aussi Yann, qui ne savait pas vraiment quoi faire, sans arme n’y armure. Le reste de l’unité se déploya autour de la bête, en lançant quelques invectives à haute voix pour se motiver et se galvaniser.

Le dragon tourna son énorme tête sans pour autant s’arrêter de mâcher sa salamandre, d’abord sur sa droite, car c’est de ce côté qu’il y avait le plus de bruit. Plus sur sa gauche, car une énorme boule de feu explosa sur sa nuque dans un crépitement.

Amanda – qui avait lancé le sort – siffla en sa direction. « Hey, toi ! Dégage d’ici ! Tu es sur notre chemin ! ». Elle dégaina ses faucilles et les frappa l’une contre l’autre à plusieurs reprise, le visage fermé et la mine résolue.

La bête la fixa de ses grands yeux jaunes reptiliens, lâcha sa proie et ouvrit la gueule en poussant un immense rugissement. L’écho de son cri parcouru tout le corps d’Amanda comme un choc électrique, tant il était puissant. Les soldats qui étaient en train de courir s’arrêtèrent net, transis de peur, les autres avaient une démarche plutôt hésitante.

Alors que les oreilles de tous les humains sifflaient, la créature garda la gueule ouverte et inspira profondément par les naseaux. Une étincelle jaillit de sa gorge, et l’instant d’après, un déluge de flamme inonda complètement Amanda.

Yann eut assez de temps pour plaquer au sol Jaken, lequel était sur la trajectoire, tandis que Shôr et Maxim esquivèrent, roulant dans la cendre par réflexe.

Lilith hurla comme si elle venait de perdre quelqu’un de sa famille, en détresse et les larmes aux yeux, elle ne donna aucun ordre. Les soldats se ressaisirent tout de même et s’attaquèrent aux pattes du dragon, et bien que ces dernières soient autant recouvertes d’écailles que le reste de son corps, il commença à saigner, plusieurs plaies s’ouvrirent dans sa chair et un coup de lance particulièrement bien placé de la part d’Hommed lui abîma sérieusement une griffe.

Le dragon n’eut d’autre choix que de reporter son attention sur les petits humains qui l’attaquaient. Aussi, il stoppa son jet de flamme et balaya sa queue en leur direction pour les repousser. Seul Achille et Koïra se prirent le coup, et furent projeté à l’arrière de la troupe en poussant de curieux cris indescriptibles. Leurs armes retombèrent lourdement au milieu de la troupe, ajoutant plus de chaos à une situation déjà bien complexe.

Le dragon hurla de nouveau et se mit face à ses adversaires, du moins, les soldats dirigés par Lilith, car Maxim et les gardes royaux n’étaient pas encore sur pieds. Alors qu’il s’apprêtait à les inonder sous les flammes, une autre boule de feu explosa contre son flanc droit. Il se tourna, et découvrit Amanda, indemne, ses vêtements n’étaient même pas roussis, à part peut-être les bords de son cache-poussière, qui fumait un peu. Les soldats laissèrent libre cours à leur joie, et Lilith put respirer librement, se maudissant pour sa bêtise, d’avoir cru qu’une Maître du Feu pourrait mourir, consumée par le feu. Ses lames étaient en revanche complètement incandescentes, et alors que la caporale cherchait son regard pour être sûre qu’elle allait bien, elle constata que ses yeux étaient exactement pareils, et brillaient comme des rubis en plein soleil.

« C’est tout ce que tu sais faire ?! », le défia la jeune femme. Un sourire de dément se grava sur son visage.

Le dragon rugit de plus bel et battit des ailes en sa direction, comme pour tenter de l’impressionner, mais cela n’eut aucun effet. Elle frappa de nouveau ses lames entres-elles, et hurla en réponse avant de s’élancer vers lui.

Il cracha de nouveau et puissant jet de flammes en sa direction, mais elle l’écarta d’une main sans même ralentir sa course. Les soldats redoublèrent d’effort et le firent reculer, il n’avait pas l’air sûr de vouloir s’attaquer à une troupe de ce genre, et ne savait où donner de la tête.

Amanda s’attaqua à lui, et trancha net une griffe de sa patte avant droite, ce qui l’obligea à battre en retraite. Il cracha un dernier jet de flammes – vite dispersé par les mages et la Maître du Feu – avant de regagner furieusement la sécurité des nuages, faisant au passage s’envoler d’avantage de cendres et de braises.

Les soldats poussèrent des acclamations et se sautèrent presque dans les bras. Maxim et quelques autres assistèrent les troupes et vérifièrent l’état de leurs blessures, pour s’assurer qu’ils puissent continuer ou s’il fallait qu’ils redescendent, attendre les secours. Achille et Koïra avaient probablement au moins une côte cassée et plusieurs fêlée, bien que leurs armures aient absorbés une bonne partie du choc qu’ils avaient subi. Achille avait en plus de ça une grosse plaie à la tête, sans doute liée à sa mauvaise réception. Koïra avait eu plus de chance de ce côté-là.

Jaken et Yann se relevèrent, et le garde grommela des remerciements au Maître de la Terre, avant de vite détourner le regard pour passer à autre chose.

« Je ne l’explique pas, mais vous m’avez fait peur », avoua Lilith en approchant de sa commandante. Son cache-poussière était encore un peu fumant.

« Il n’y avait pas de quoi avoir peur. Je craignais plus ses crocs que son souffle », avoua la jeune femme en souriant faiblement. Devant elle gisait encore les carcasses noircies des salamandres, ainsi que le sang et les écailles abandonnés par le dragon dans sa fuite.

« Heureusement, il s’en est allé. Vous avez dû l’effrayer ».

Amanda acquiesça, ce dragon ne devait pas tous les jours tomber sur quelqu’un capable de le défier, et encore moins sur quelqu’un en mesure de dévier ses flammes. L’effort mental l’avait cependant un peu essoufflée, ses pouvoirs avaient beau être d’une nature bien supérieure à ceux des simples mages, son opération lui avait coûté cher et continuait de l’affecter physiquement. Elle prit une gorgée de l’épaisse potion qu’elle gardait toujours près d’elle en cas de problème, par acquis de conscience.

« Quelqu’un sait ce que c’était comme dragon ? », demanda Yann.

« Une fournaise du désert, elles ne viennent que rarement près des volcans, préférant chasser dans les dunes de sable, car même si le feu ne leur fait presque rien, il s’agit du territoire des phœnix, et ils ne sont pas du genre à partager », lui répondit Lilith.

« D’accord, et vous ne pensez pas que les phœnix ne vont pas tarder à venir profiter des restes de son repas ? ». Il désigna du pouce les carcasses des reptiles géants.

Les troupes s’interrogèrent du regard, et plusieurs soldats commencèrent à scruter le ciel, l’air inquiet, mais visiblement, personne n’avait la réponse. Certains haussèrent simplement les épaules, ne désirant de toute façon pas lui adresser la parole.

« Que ce soit le cas ou pas, j’ai besoin d’affronter le plus fort d’entre-eux, l’alpha, celui qui sera à même d’ensuite les rassembler à ma place. Je ne vais pas me fatiguer à tous les soumettre à ma volonté, ce serait trop long ». Elle pensa à toutes les troupes du royaume qui marchaient dès à présent vers les terres infectés pour y commencer la croisade, ainsi qu’au force des paladins qui les accompagnaient. Elle se devait de ne pas les décevoir, et de vite les rejoindre.

L’unité reprit la route, après s’être consciencieusement occupé des blessés, qui pouvaient les accompagner, car il ne restait plus qu’une centaine de mètres. Ils devaient simplement rester à l’arrière et faire attention. Cela fit remarquer à Amanda qu’il n’y avait pas de médecin attitré dans le groupe. Bien que les intendants aient des connaissances médicales, elle pensa qu’il serait peut-être une bonne idée d’avoir un réel spécialiste, qui disposerait d’outils et d’une bonne trousse de secours. Elle fit part de sa réflexion à Lilith et à Maxim, qui ne purent qu’acquiescer, la caporale lui promis de voir ce qu’elle pourrait faire à ce sujet, une fois redescendu en ville.

« Nous y sommes, enfin », se dit alors Amanda, en parcourant les derniers mètres qui la séparait du bord du cratère. Elle posa les yeux sur cet incroyable fosse représentant la cheminée immense d’où remontait des litres et des litres de lave en fusion, mêlant le noir et le rouge orangé. La chaleur était étouffante, les fumées étaient étourdissantes, le sol tremblait et l’air semblait vibrer autour d’eux. Les gargouillis du volcan qui leur servaient de fond sonore depuis le début de l’ascension étaient désormais plus fort que jamais. Ils pouvaient entendre les bulles de gaz éclater, les croûtes magmatiques se fissurer et se tordre, les roches crisser et fondre sous la pression de la chaleur.

Plusieurs membres de la troupe s’exclamèrent haut et fort. La plupart en appelaient à Glaross, pour qu’il soit clément et qu’il n’abatte pas sur eux sa colère, d’autre montraient leur admiration devant ce prodige naturel et géologique qu’il était rare de pouvoir observer de si près.

Yann ramena son coude sous son nez et fit la grimace. « Qu’Anava me vienne en aide, puisse-t-elle me ramener au calme, sous les frondaisons des forêts ».

« Ta déesse a contribué à créer les endroits comme celui-ci. Tu es presque autant à ta place que moi », lui répondit Amanda en s’approchant de l’escarpement. En contrebas, elle crue apercevoir des silhouettes aviaires, mais il y avait beaucoup de fumée, et le bassin de lave était à presque deux-cent-cinquante mètres.

« Je crois que je vois des phœnix, mais je ne suis pas sûr. Dispersez-vous par groupe de trois, avec un mage dans chaque groupe pour dévier les flammes éventuelles. Les attaques de ce rapace géant sont fatales sans protection magique », ordonna la commandante. « Lilith et Maxim, restez près de moi et des gardes, toi aussi Yann. Le danger est omniprésent en ce lieu désolé ».

Les soldats s’exécutèrent et balisèrent le terrain sur une petite cinquantaine de mètre, par petits groupes, protégés par Jiel, Marie et enfin Achille. Chacun essayait de repérer les lieux ainsi que les éventuelles traces des oiseaux légendaires.

Amanda abandonna bien vite l’idée de se fier à sa vue, ferma les yeux et s’agenouilla dans la cendre chaude et les scories. Des flammes rosâtres commencèrent à danser autour d’elle, dans un ballet ininterrompu et relativement inquiétant. Yann recula d’un pas hésitant, détaillant la Maître du Feu des pieds à la tête.

« Mais… qu’est-ce qu’il lui arrive ? Qu’est-ce que c’est que ces choses ? ».

« Des feux follets ? », se demanda Maxim, visiblement très surprise.

« Non », lui répondit Lilith, elle avait du mal à parler car elle n’en croyait pas ses yeux. « Ce sont des pixies, des esprits au service de Glaross qui veilles et protègent les volcans. Il est rare de les voir si actives ! ».

« Il est rare de les voir, tout court », objecta Shôr. Il retira son casque et murmura une courte prière. Jaken l’imita, posant même brièvement un genou à terre. Le solarium de leurs armures brillait de façon remarquable, ce qui était presque éblouissant, à la fois pour ceux qui les regardaient trop longtemps que pour eux-mêmes.

« J’en appel aux esprits du Feu, aidez-moi à trouver les phœnix, aidez-moi à remplir ma mission et à les convaincre de nous prêter leur force, aidez-moi à combler les attentes de ma reine, de ma patrie, et de mon dieu ». Amanda murmura à voix basse, en continu, sans se préoccuper du regard des généraux et des gardes autour d’elle. Ne comptait en cet instant que l’énergie de son élément, c’était tout ce qui lui importait. Elle se devait de la ressentir, de l’absorber et de la comprendre, de l’assimiler, car elle était elle-même cette énergie, elle était elle-même une de ces flammes dansantes.

À travers ses paupières fermées, ses yeux s’illuminèrent, ainsi que les veines qui parcouraient ses brûlures, sur son visage et sur son corps. La lumière était tellement intense qu’on pouvait les voir à travers ses vêtements. Ses lames commencèrent à vibrer, infusées d’une nouvelle énergie.

Elle ressentait le pouvoir de son dieu autour d’elle, les flammes, la chaleur, celle du soleil et celle des remontées magmatiques. Tout n’était que feu, et cet état d’esprit se grava dans son cœur, réveillant l’aspect le plus sombre des Maîtres du Feu. Cela lui rappela son ancienne façon d’être, la femme qu’elle était il y a de cela de nombreux mois maintenant, celle qui brûlait d’une passion dévorante, d’un feu alimenté par l’amour et la joie. Son carburant avait changé, désormais.

Les soldats sentirent d’abord un vent se lever, qui venait du nord, puis un cri perçant et déchirant, encore plus puissant que celui du dragon, bientôt suivi par une demi-douzaine d’autres cris, similaire et pourtant différent.

Amanda ouvrit les yeux, s’apercevant que volait vers elle d’immense rapace de près de huit mètres d’envergure, couvert de flammes rouges des ailes jusqu’au bec. Ils étaient au nombre de sept, et un huitième fit son apparition, et dominait les autres, car il les dépassait en taille de presque deux mètres. Les bêtes plongèrent et remontèrent du volcan, la chaleur ne semblait pas les déranger le moins du monde. Trois d’entre-eux se posèrent même dans la lave, aussi facilement qu’un cygne se posant sur l’eau.

Le plus gros fonça droit vers la jeune femme depuis les airs. Jaken et Shôr se mirent devant elle, sans être vraiment sûr de pouvoir la protéger. Malgré leur entraînement intensif, qui faisait d’eux les meilleurs soldats du royaume du Feu, ils n’étaient pas forcement confiant quant à leur situation.

Yann recula et commença à faire appel à la magie pour se protéger, la terre se plia à son commandement et vient former un bouclier sur son avant-bras. Lilith et Maxim ne surent comment réagir, la première avança mécaniquement au niveau des gardes royaux, l’épée au clair, la deuxième fit quelques pas en arrière, gardant Yann à l’œil et faisant signe aux autres soldats de ne pas s’approcher. Les mages commencèrent à psalmodier des incantations pour les protéger, car les phœnix en pleine combustion pouvaient dégager près de trois-cents degrés très facilement, et donc immoler sur place n’importe quel individu assez inconscient pour les approcher à moins de dix mètres. Or, si c’étaient ces derniers qui voulaient approcher, mieux valait être très prudent, et faire ses prières.

Amanda se releva et épousseta son cache-poussière, avant d’ordonner aux gardes et à Lilith de garder leur distance, quoi qu’il se passe. « Je ne veux pas que vous soyez blessés, et je ne sais pas si dans cet endroit je pourrais contrôler mes pouvoirs comme je le voudrais. Ne restez pas à côté de moi, je suis aussi dangereuse que ces créatures, voire même beaucoup plus dangereuse ».

Elle s’avança à la rencontre de celui qu’elle pensait être le mâle alpha, qui se posa dans la cendre, à plusieurs mètres d’elle. L’oiseau poussa un rugissement strident, dévoilant l’intérieur de sa gorge brûlante. Les flammes qui parcouraient son corps prenaient la forme de plumes incandescentes, qui oscillaient de droite à gauche et lui donnait un effet très hypnotique. Il était tout de même possible de voir ses serres intégralement noires, seule partie de son corps qui n’était pas complètement nimbé de feu.

« Vous savez pourquoi je suis venu ! Vous savez qui je suis, vous le sentez ! ». Hurla la jeune femme. Elle ouvrit ses mains, et une étincelle rayonnante en jaillit, nimbant soudainement son corps de flammes bleutées aux reflets violets. Ses yeux virèrent également au bleu clair, tout comme ses veines.

Elle continua son monologue. « J’ai besoin de votre puissance ! Nous en avons besoin, plus que jamais auparavant ! ».

La créature battit des ailes en criant de plus belle, et une vague d’air bouillant les assaillit, mais Amanda ne bougea pas, insensible à ce genre d’attaque. Les deux gardes derrières elles tendirent chacun une main en avant et protégèrent la caporale et la sergente, tandis que Yann opposa son bouclier. La terre qui constituait ce dernier se mit tout de même à fondre, mais le Maître avait de la ressource et maîtrisait bien ses pouvoirs, il réussit donc à tenir bon.

Amanda fronça les sourcils, elle n’aimait pas qu’on lui résiste et s’approcha du grand mâle, déterminé à se faire obéir. Ce dernier parut décontenancé et pencha la tête, ses grands yeux semblables à des rubis étincelants la fixèrent intensément, avec une grande attention.

Il battit de nouveau des ailes, plus fort que précédemment, mais la Maître n’en avait cure, et continua à avancer. Les flammes qui l’entouraient virèrent au blanc pâle, l’air autour d’elle prenait littéralement feu et le sol passait par endroit de l’état solide à l’état gazeux, se décomposant dans de volutes panaches de vapeur. Les soldats derrières elle n’avaient pas le choix, ils se devaient de reculer davantage sous peine de subir des brûlures atroces, qui conduiraient inévitablement à la mort. Malgré toute l’énergie qu’ils y mettaient, les protections magiques de Shôr et de Jaken ne faisaient pas le poids et ils durent reculer également, car l’élu de Glaross dégageait presque la chaleur d’un minuscule soleil.

« Ça suffit ! Tu vas m’obéir ! Nous avons besoin de vous, cette demande n’est pas négociable, c’est Glaross qui vous l’ordonne à travers moi ! ». Elle tendit la main vers lui et prit le contrôle des flammes qui l’entourait en atténuant leur puissance, ces dernières vacillèrent, comme soufflées par le vent. La bête rugit de plus belle et commença à reculer, la tête basse, acculée par la violence de sa magie. Il courba l’échine, et poussa un petit cri plaintif, tout en faisant son possible pour augmenter sa propre température et raviver ses flammes.

Au-dessus d’eux, les autres phœnix volaient en cercle tout en piaillant, comme des corbeaux autour d’une carcasse.

Amanda continua de faire pression sur le mâle, qui reculait sous ses assauts, jusqu’à ce que son corps de soit plus parcouru que par des braises, découvrant ses plumes ondulés aux reflets huilés. Même ses yeux luisaient beaucoup moins.

La créature hurla de plus bel, à en déchirer les tympans de la troupe, puis elle s’inclina en grognant, n’ayant d’autre choix que d’admettre sa défaite devant cette humaine qui maîtrisait mieux son élément que lui. La Maître du Feu stoppa ses attaques pour ne pas le blesser d’avantage, et se rendit compte du chaos et de la désolation qu’elle venait de semer. Le paysage était toujours aussi cataclysmique, mais venait s’ajouter à ça les dégâts qu’elle avait infligés au bord du cratère, ce dernier était complètement écroulé là où elle se tenait, et de la lave s’écoulait par d’énormes failles, en contrebas, se déversant sur les flancs du volcan. Une portion entière de la cheminée volcanique était sur le point de s’effondrer.

Le phœnix devenu docile dévisagea encore Amanda pendant quelques secondes, avant de plonger vers le cœur du cratère en fusion pour s’offrir un bain de lave et observer à bonne distance. La plupart des bêtes encore dans les airs le rejoignirent et ils se regroupèrent, tel des canards dans une mare.

« Commandante ! », hurla Lilith, les mains en porte-voix. Les autres membres de l’unité se rassemblaient derrière elle, mais aucun ne pouvait approcher la Maître du Feu, la terre était instable et l’air était brûlant, Maxim avait bien essayé et se retrouvait avec d’affreuses cloques sur la peau. Marie était en train d’essayer de soigner ses brûlures par magie.

« Revenez vers nous, commandante ! C’est dangereux là ou vous vous tenez ! Le cratère est instable, et la roche s’effrite ! », ajouta-t-elle. Son inquiétude se ressentait clairement dans sa voix.

L’adrénaline redescendant, Amanda se sentit faiblir, ses jambes étaient lourdes et légères à la fois, ses genoux tremblaient et elle tituba fébrilement jusqu’à ses troupes, sans succès. Elle tomba dans la cendre chaude, sans pouvoir se rattraper, sa tête lui tournait et elle sentit que son ventre lui faisait mal, très mal. Presque aussi mal que lors de son opération, mais cette fois-ci elle n’était pas encore évanouie, bien qu’elle sentît que cela n’allait pas tarder. Yann hurla quelque chose et s’élança vers elle, mais elle ne put lutter, et ferma les yeux, s’abandonnant aux ombres.

Ses pensées la saisirent et l’emportèrent au cœur des forêts du royaume de la Terre, dans un endroit inconnu, ou du moins, qu’elle ne sut reconnaître. Les bois étaient silencieux, les branches se courbaient et les fougères se pliaient sous la caresse du vent, le soleil était bas, il venait sans doute de se lever.

Ses rayons perçaient à travers les arbres, et l’éblouirent quelque peu. Le bruit de l’eau attira son attention sur sa gauche, et elle remarqua derrière les fourrées une petite mare, alimentée par de minces filets d’eaux claires qui dévalaient une petite pente rocailleuse, sur laquelle trônait fièrement un immense saule pleureur. Amanda savait que c’était un rêve, car les arbres étaient en fleurs alors que ce n’était pas la saison : elle croisa des tilleuls, des châtaigniers, des ifs et des charmes.

Soudainement, alors que la Maître s’émerveillait des beautés de la nature, une étincelle jaillit du ciel et une déflagration sourde ébranla la forêt, qui se mit à s’embraser. Tout ne fut que flammes et destruction, les arbres craquaient sous l’assaut du feu et les feuilles tombaient en poussière autour d’elle. Elle tendit les bras, pour tenter d’apaiser le brasier, mais à chaque action qu’elle entreprenait, elle aggravait la situation.

Elle tomba à genoux en hurlant, se griffant le visage face à sa propre impuissance, et c’est là qu’elle remarqua l’immense phœnix aux flammes mauves qui se tenait devant elle. Il n’était pas là auparavant, elle en était certaine.

« Qu’est-ce que… Glaross, c’est toi ? », balbutia-t-elle entre deux sanglots. Elle prit conscience que son apparence était celle qu’elle avait avant sa stérilisation, car elle n’avait plus aucune marque de brûlure et avait encore ses cheveux.

« Tu as bien agit, mon enfant ! », lui répondit le phœnix flamboyant d’une voix profonde et grave. Chacun de ses mots étaient un grondement se rapprochant du tonnerre, et allumaient ici et là d’autre foyer incandescent. « Je suis fier de t’avoir choisi comme Maître ! Mais, je suis en colère de voir que tes rêves t’emportent vers le domaine de ma sœur, Anava, et pas vers les étendues arides et désertiques qui jalonnent mon royaume divin ! Je me demande pourquoi ? ».

« Je ne sais pas ! J’ai fait ce que Saràn m’a demandé, du reste, je n’en ai aucune idée ! ».

La bête ailée semblait plus grande désormais, sans qu’Amanda ne l’ai vue grandir, elle occupait presque tout l’espace devant elle, et masquait même le soleil.

« Je peux lire dans ton cœur, jeune fille ! Tu n’as pas le droit de me mentir ! Je ressens ton affection pour les énergies de la Terre ! ».

« Mais je ne mens pas ! », se défendit la Maître du Feu. « Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, c’est un simple rêve ! ».

Glaross ne répondit pas, il semblait être en train de se calmer, ou du moins de réfléchir. Autour d’eux, les flammes progressaient plus lentement et oscillaient calmement tel les vagues à marée basse.

« Tu te souviens de notre dernier entretient, jeune fille ? ».

Amanda hocha faiblement la tête, le regard dans le vide. Elle savait que son dieu l’appréciait, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir peur de lui ; son allure, son caractère, son aura, sa prestance, il avait beaucoup de charisme et parlait très fort, ce qui était déconcertant pour une simple mortelle.

« Je t’avais dit alors que tes sentiments pour Maître Loukas avaient été manipulés, qu’ils n’étaient pas réels, qu’Anava et moi avions fait cela pour te pousser à donner le meilleur de toi-même dans la guerre à venir. Pourtant, je sens dans ton cœur que ce jeune homme occupe toujours une place importante ».

« C’est faux ! Je ne ressens rien pour lui, je ne peux plus rien ressentir ! La stérilisation m’a ôté cette faculté ! » se défendit la Maître, désespérée. Elle recula timidement, car elle avait haussé le ton et avait peur de l’avoir offensé. Inconsciemment, elle porta une main à sa ceinture, mais elle n’avait pas d’arme.

« Tu remets en doute mon jugement ?! N’oublie pas que j’ai des pouvoirs que tu ne peux même pas imaginer, je suis un dieu ! ». Il battit des ailes et le brasier reprit de plus belle, le sol se mit à trembler, un grondement s’éleva depuis les entrailles de la terre et des failles s’ouvrir sur de la lave en fusion.

« Peu importe ! Va ! Tu as encore beaucoup à faire pour vaincre les ténèbres qui s’amassent à l’est ! Tu dois encore te renforcer, cuirasse ton esprit ! ».

« Peux-tu me dire pourquoi j’ai des visions de Loukas ? Sais-tu quelque chose sur ce phénomène ?! ».

« Je demanderais à ma sœur, je t’en fais la promesse ». Le dieu disparu soudainement dans les flammes qui l’entouraient, et seul ses yeux étincelants s’échappèrent du brasier dans un panache de fumée ocre.

Elle se mit sur ses pieds et tenta de se mettre à l’abri près de la mare, sous le saule, mais la plupart de ses branches étaient en feu. Déséquilibré par les tremblements de terre, elle chuta plusieurs fois, apeurée et désœuvrée, son pied droit glissa sur une pierre, et elle tomba dans la mare en criant.

La Maître du Feu se réveilla en sursaut et cria. Les yeux encore mi-clos, elle agita les bras autour d’elle pour essayer de savoir où elle se trouvait.

« Doucement, doucement ! Amanda, c’est moi ! C’est Yann ! ».

Il lui saisit la main et la serra fort, tout en lui tenant l’épaule pour la maintenir allongé. Elle découvrit qu’elle était à l’infirmerie de Chisé, la plupart des lits étaient vides.

« Elle est réveillé ! », cria le Maître de la Terre.

Lilith et Maxim accoururent à son chevet, les généraux semblaient soulagés et affichaient de larges sourires satisfaits.

« Bon retour parmi nous, commandante ».

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