Chapitre XXXVI : Les terres infectées

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May se frotta les mains, les yeux plissés vers l'horizon. La poussière se mêla à sa transpiration tandis qu'un vent venu de l'est fouettait son visage.

« C'est donc ça, les terres infectées ? », demanda-t-elle.

Devant-elle, une étendue de landes en friche se déroulait à perte de vue. Les végétaux étaient mourants, l'eau se mêlait à la terre pour s’agglutiner en une boue collante nauséabonde.

L'endroit semblait complètement mort, comme si la nature l'avait abandonné. La vieille femme avança à travers les débris d'une ancienne tour, sans entendre le moindre oiseau.

Jorass prit appuie sur le pan d'un mur, grimpant lentement sur le haut de la structure, pour se poser sur ce qu'il restait du sommet, à une dizaine de mètres de hauteur.

La cheffe de la caste observa pensivement les lieux. Il n'y avait aucun être vivant visible, et même en remuant la terre, elle ne trouva pas d'insecte. Des nuages noirs et menaçants s'élevaient dans le ciel, à plusieurs kilomètres.

« En effet », répondit Loukas en la rejoignant. Il avait l'air troublé et sur ses gardes, les mains fermement agrippées sur la garde de ses épées.

« Claod est partit reconnaître la zone, je préfère rester avec toi pour t'éviter de mauvaises rencontres ».

« Pourtant nous sommes encore proche de la frontière avec le royaume de la Terre ? Tu penses que nous pourrions tomber sur des ennemis, ici ? ».

Il hocha la tête d'un air grave, « J'ai appris à me méfier de tout, dans ce pays, cela n'a pas dû s'arranger depuis mon départ. Regarde, il y a moins de deux ans, cet endroit était encore sous le contrôle d'Anava, notre déesse, par le biais de notre royaume. C'était un ancien poste de ravitaillement, surveillé par cette tour de guet, il devait également y avoir des troupes en garnison dans un fort, pas très loin d'ici. Aujourd'hui le mal s'en est emparé, et chaque jour il s'étend un peu plus ».

« Je vois ça. Mais je dois dire que j'imaginais quelque chose de plus impressionnant que des landes désertiques », lui avoua May, quelque peu déçue.

Loukas la dévisagea d'un air las, « Tu t’attendais à des coulées de lave en fusion dans tous les coins, des marres d’acide, une terre brûlante et noire comme la braise, des tentacules sortant des abysses pour te dévorer et des corbeaux avides de chair fraîche ? Nous ne sommes pas dans une histoire pour faire peur aux enfants, ne te fit pas à ce que tu vois. Les terres infectées sont bien plus dangereuses que leur apparence ne le suggère : dans chaque crevasse, il est possible de trouver des créatures monstrueuses, la terre s’effrite et peut se dérober sous tes pieds, les rares animaux et végétaux encore en vie sont affreusement transformés et pourraient même t'attaquer, si tu t'approches trop près ».

« D'accord, j'ai compris, je reste vigilante », elle balaya son argumentation d'un geste de la main, coupant court à son discours.

« Ne sois pas aussi désinvolte », lui conseilla-t-il en examinant un buisson épineux ayant poussé dans le mur. D'un geste il détacha magiquement une pierre de belle taille et la laissa flotter au-dessus de sa tête. May l'observa.

Petit à petit la pierre se désagrégea en partie pour prendre la forme d'une tête de flèche minérale. Il l'a pris dans sa main, et la glissa dans une petite sacoche qui pendait à sa ceinture. Il répéta l'opération jusqu'à avoir une quinzaine de pointes.

« Tu devrais rappeler Jorass, il ne faut pas qu'il reste là-haut. Il est beaucoup trop visible », il désigna du doigt la wyrm des saisons, qui s'était endormie sur le haut de la tour dans une position ridicule, qui semblait par ailleurs inconfortable. Sa queue balayait le mur en raclant les pierres, tel le pendule d'une horloge.

« Visible ? Il n'y a personne à des lieux à la ronde, regarde autour de nous », objecta la dragonnière en passant devant lui pour descendre la colline, sur laquelle était perchée l'ancienne tour.

« S'il te plaît May ! Tu as dit que tu ferais ce que je te dirais une fois dans les terres infectées, non ? Alors écoute moi, si tu veux survivre ! ».

Après un instant elle soupira et siffla son dragon, qui descendit lentement de son perchoir pour venir sur ses talons.

« Je sens que je ne vais pas aimer prendre mes ordres d'un enfant ». Elle ronchonna encore un bon moment, jusqu’à ce qu'ils dressent le campement, à l'ombre d'un affleurement rocheux, surplombé par quelques arbres morts.

« Qu'est-ce que nous allons manger durant le voyage ? Ces terres n'ont pas l'air d'être propice à la chasse ou à la cueillette » souligna-t-elle.

« En effet ». Il n'alluma qu'un minuscule feu, guère suffisant pour faire cuire quoi que ce soit, mais seulement pour y plonger ses nouveaux projectiles.

« Nous nous débrouillerons, j'ai passé des années dans des endroits comme celui-ci, Claod a toujours su me ramener quelque chose à grignoter ». Il lui lança un sourire espiègle, « Je te préviens, ce n'est pas toujours très bon, et pas toujours très nourrissant ».

« Je ne m'inquiète pas pour moi, mais pour Jorass. Il est herbivore, je ne voudrais pas qu'il tombe malade en mangeant des plantes empoisonnées, ou quelque chose dans le genre ». Elle regarda la wyrm d'un air attendrit. Il était posé contre l'affleurement, les yeux fixés sur le petit feu et l'air vaguement absent.

« Ne t'inquiète pas, il trouvera de lui-même des choses à manger. Tu sais, Claod ne mange que du poisson, ou des insectes parfois. Pourtant, il trouve toujours de quoi se sustenter ».

« D'accord, ce n'est pas très rassurant tout de même », avoua la vieille femme.

« Je sais, c'est difficile au début. D'ailleurs un autre conseil, ne quitte jamais ton arme ».

« Ah ? Même pour aller au petit coin ? », plaisanta May, en s'adossant à la pierre beige, parsemée de touffes d'herbes grises.

« Surtout pour aller au petit coin », répondit Loukas en prenant la plaisanterie très au sérieux.

Le vent souffla de plus belle, et bien qu'ils soient quelque peu à l'abri du vent, un nuage de poussière se leva, les forçant à fermer les yeux un instant. Des grains de sables et des petits cailloux vinrent se loger dans sa barbe, qui raccourcissait à vue d’œil.

Lorsque le jeune homme ouvrit de nouveau les yeux, il vit l'ombre d'une aile au-dessus de lui. L'aile de Claod.

L’éclair invisible venait de se poser sur le haut de l'affleurement, détachant au passage une demi-douzaine de petites pierres qui vinrent s'écraser à leurs pieds. Il replia ses ailes et plongea ses yeux bleus dans ceux de son maître.

« Tu as fait vite mon grand. As-tu repéré quelque chose ? ».

May leva également les yeux. Surprise par l'apparition soudaine du dragon elle sursauta, avant de se détendre, une main posée sur son cœur.

« Ne me fait pas peur comme ça, Claod ! ».

Il l'ignora et grogna, pointant son museau vers l'est. Ses griffes crissèrent contre la roche et un petit éclair jaillit de sa gueule entrouverte.

« Je vois. Nous ne sommes pas seul ».

May croisa les bras, « Tu peux me dire de quoi tu parles ? Je n'aime pas vraiment être mise à l'écart ! ».

Il la considéra de haut en bas, « Dis-moi, tu peux interpréter les messages d'un dragon ? Qui plus est d'une race que tu ne connais pas ? Non. Alors laisse-moi comprendre ce que veux me dire Claod ! Je te préviendrai en temps voulu ». Son ton était plutôt cynique, il se vengeait clairement pour les blagues et les boutades qu'elle avait pu lui faire sur le trajet.

Le visage de la vieille femme se tinta de rouge du menton jusqu'aux oreilles, elle se retint de rajouter quelque chose et s'en retira caresser Jorass en marmonnant.

Claod regarda un instant la dragonnière s'éloigner, avant de grogner de nouveau en penchant la tête de droite à gauche.

« Tu n'es pas sûr de toi ? Ce n'est pas habituel ».

Le dragon descendit prudemment le long des rochers. Loukas se leva pour le caresser derrière la tête.

« Si c'est comme d'habitude, ils doivent être une vingtaine. Tout au plus ».

Il soupira et rejoint May, qui boudait dans son coin avec Jorass, toujours à moitié endormi. Elle le vit approcher et lui lança, « C'est bon ? Vous avez fini vos messes-basses ? ».

« Alors en fait, ce ne sont pas des messes-basses, puisque Claod ne peut pas vraiment parler, enfin pas exactement, c'est plutôt moi qui interprète ses gestes », la railla-t-il.

La cheffe des dragonniers lui lança un regard perçant en fronçant les sourcils, sa main tapota nerveusement le manche de son énorme marteau.

« Bon d'accord, oui on a fini. Il doit y avoir des orcs un peu plus loin. M'aideras-tu ? ».

Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, « des orcs ? Allons bon, je veux bien mais, t'aider à quoi ? ».

Il pencha la tête sur le côté, comme s’il n'avait pas compris la question.

« Loukas ? ».

« Tu es sérieuse ? M'aider à les tuer bien sûr ».

Elle pencha également la tête, dans l'autre sens, « Les tuer ? Mais pourquoi ne pas les éviter, tout simplement ? Nous avons nos dragons et si ce que j'ai lu dans les livres est exact, les orcs ne volent pas ».

« J'ai envie de les tuer, ils sont trop près du royaume de la Terre, ça m’insupporte un petit peu je dois dire. En plus, ils viennent ostensiblement par ici et ne sont pas très nombreux », répondit le Maître avec un aplomb impeccable.

Ne trouvant pas vraiment quoi dire face à cela, May hocha simplement la tête. Ses rides se plissèrent alors qu'elle regardait Loukas dans les yeux, sans doute pour essayer de déceler quelque chose. Cependant, il lui fit un grand sourire et s'en retourna près de son feu.

Claod se léchait encore les griffes, ces dernières semblaient pourtant très propres, elles n'étaient même pas couvertes de poussière.

« Elle est d'accord, Jorass la suivra dans tous les cas mais je doute qu'il participe. Il est assez mou ».

Un long feulement s'échappa de la gorge de l’éclair invisible, comme s’il s’agissait d’une réponse.

Il dégaina Tempête et Ravend – son glaive et son épée courte – et effectua quelques moulinets pour s'échauffer. Il fendit l'air, sans s'occuper de ce qui l'entourait, pendant une bonne minute avant de ressentir une gêne à l'abdomen. Une boule de douleur se forma lentement, alors il s'arrêta dans ses mouvements et respira bruyamment.

« Ça ne va pas ? », lui demanda May, qui l'observait du coin de l’œil.

Loukas se força à sourire, « Si, ça va, je n'ai pas combattu depuis... Depuis mon duel contre mon frère, à Nienlass ».

« Ça devait être beau tiens, deux frères qui se battent comme des enfants », plaisanta-t-elle, le marteau sur une épaule et une main sur la hanche. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres pincées.

« Et avant ça ? Quel combat as-tu mené ? ».

« Les séances d'entraînements avec… Amanda, au royaume du Feu ».

Cette fois-ci elle pouffa de rire, « Tu appelles ça des combats, Loukas ? Depuis quand n'as-tu pas vraiment combattu ? ».

« Plusieurs mois, le dernier vrai combat était contre des araignées géantes alors montre un peu de respect ! », s'emporta-t-il, vexé une fois de plus. « Et toi alors ? T'en es-tu déjà servit de ce marteau ? À part pour accrocher un tableau ?! ».

« Je plaisante oh, ce que tu peux être coincé pour ton âge ! ». Elle posa la tête de son arme au sol, sans toutefois changer de posture.

« Mais plus sérieusement, tu es sûr de pouvoir combattre ? Tu as beau être un Maître, il y a des limites. Je ne tiens pas à mourir à cause d'une maladresse de ta part, ou parce que tu surestime tes forces ».

Claod sortit sa langue, il releva la tête vers les airs. Il semblait sur ses gardes.

« Ça va aller, ils ne sont qu'une vingtaine », argumenta Loukas en rengainant seulement son épée courte. « Nous devrions nous mettre en route plutôt que d'argumenter, ils avancent eux aussi, il faut que l'on garde notre effet de surprise ». Il remarqua le dragon.

« Oui ? », dit-il en le regardant.

« Je n'ai rien dit », déclara May.

« Pas toi ! ».

Il observa sa monture remuer la terre et grogner de plus belle.

« Hum, rien d'inquiétant alors. Dépêchons-nous ». Il donna un coup de pieds dans le feu pour l'éteindre, ramassa ses pointes de flèches et trottina vers l'est, sans même regarder si on le suivait. Il entendit rapidement les pas de May venir sur ses talons.

« Claod ? S’il y a des gargouilles, je te laisse t'en occuper ; s’il y a des trolls, je pourrais m'en charger ».

« Quoi ?! Des trolls ? Tu n'as pas parlé de ça ! », s'emporta May.

« Advienne que pourra ».

« Quoi ? », demanda May, de plus en plus surprise par le comportement du jeune homme, qui semblait transformé depuis qu'ils étaient dans les terres infectées. Il était à la fois sur ses gardes, et à la fois content de rencontrer des ennemis, comme si la mort ne l’effrayait pas ou qu’il allait au-devant de danger consciemment.

Il soupira, « Ce n'est rien. Je m'en occuperai de toute façon ».

La cheffe des dragonniers se contenait difficilement, un rictus guerrier passa sur son visage. Elle s'arrêta un moment, imaginant qu'elle lui donnait un énorme coup de marteau dans la nuque pour calmer son insolence, avant de continuer de le suivre, sans réelle conviction.

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