Chapitre XXXIII : La caste des dragonniers

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Loukas s'approcha de la vieille femme, faisant un bref salut de la main, « Comment te portes-tu ? ».

« Aussi bien que j'en ai l'air. Je t'ai entendu arriver ».

« Ah oui ? Tu semblais pourtant surprise », répondit Loukas en s’assaillant sur le bord du bassin.

« C'est ton apparence qui m'a surprise, pas ta présence. Claod a beau être le dragon le plus silencieux que je n’ai jamais connu, il n'en est pas moins qu'il doit ralentir pour te garder en vie. Il serait totalement silencieux sans toi, mon enfant, et bien plus rapide ».

Elle lui lança un sourire malicieux, « Or ce n'est pas le cas, et donc, je t'ai bien entendu arrivé ».

Claod serpenta entre les plantes du mieux qu'il put, scrutant May de ses yeux reptiliens en ronronnant.

« Bonjour mon petit, tu as grandi depuis la dernière fois ? ».

La gueule de l'animal se tordit en une sorte d'expression amicale, sa gorge vibra en un sifflement grave.

« Oui moi aussi je suis contente de te revoir », lui avoua la dragonnière en fermant son ouvrage.

Il siffla une seconde fois et se roula près du siège, posant sa tête sur ses pattes avant. Sa queue battit l'air en silence.

« May. Je suis venu te parler, j'ai beaucoup de chose à te raconter », s'exclama Loukas en glissant quelques doigts dans l'eau froide du bassin.

« Oui j'imagine fort bien les choses que tu veux me dire. Alors je t’écoute, mon enfant ». Elle posa ses mains sur ses genoux, et attendit.

Le jeune homme dévisagea la cheffe de sa caste, il ne s’attendait pas à ce qu’elle le laisse parler aussi librement. Cependant, il commença son récit, comme il l’avait habilement préparé pendant le voyage.

À mesure qu’il parlait, il se détendit, osant même aborder des sujets très personnels mais montrant bien qu’il avait une grande confiance en la vieille femme, il lui parla de tout : de son aventure au royaume de l’Eau, sa rencontre avec les araignées géantes, la réunion des Maîtres à Tropyrr, son idylle avec Amanda et bien sûr, des événements récents.

C’est lorsqu’il commença à parler avec peine de sa stérilisation qu’elle l’arrêta en levant une main. Il commençait à avoir les larmes aux yeux.

« Je sais ce qu'ils t'ont fait », répondit-elle. « Je sais qu'ils t’ont puni pour ce que tu as fait, avec cette fille… cette Maître du Feu ».

« Elle s'appelle Amanda. Elle n'a que dix-sept ans, May... ».

« Et alors ? Elle est majeure, vous auriez dû réfléchir aux conséquences de vos actes, non ? Ou peut-être y avez-vous réfléchi et avez décidé que ce n'était pas bien grave, que vous ne vous feriez pas prendre ? ». Elle lâcha ses mots sans méchanceté dans la voix, et pourtant les phrases semblaient tranchantes aux oreilles de Loukas.

Il fronça les sourcils et se leva d'un bond. Claod montra brièvement les crocs, sans pour autant bouger.

« Je ne te jette pas la pierre, mon enfant », ajouta May. « En vérité, je comprends ta douleur. J'ai déjà rencontré des personnes ayant subi le même sort que toi. Ils m'ont raconté la souffrance, le traumatisme. Crois-moi, je compatis à tes malheurs ».

« Oh oui, merci de compatir, c'est vrai cela arrange tout. Je me sens beaucoup mieux. Mon frère aussi était plein de compassion ».

« Ne sois pas cynique avec moi jeune homme ! », elle grimaça, avant de se pincer l'arête du nez, soufflant de manière las.

« Tu sais », lui dit-elle, « Je n'ai aucunement envie d'entendre à nouveau un garçon me raconter les effets d'une stérilisation magique, alors épargne moi cela s'il te plaît ».

Loukas hocha la tête et se rasseyant.

« Très bien, je ne t'en parlerais pas alors ».

« Merci. Dans ce cas pourquoi es-tu venu me voir ? Que veux-tu me dire d'autre ? Bien que je sois ravi d’avoir de tes nouvelles je dois bien t’avouer que je ne comprends pas ». Elle lui lança un regard inquiet et compatissant.

Il prit une profonde inspiration, comme pour avouer une bêtise à un parent. « Je vais partir, je quitte les royaumes humains pour sans doute, ne plus y revenir. Je vais au nord-est, à Ernestelle, la cité-état des elfes ».

May le considéra de bas en haut, tout en caressant la reliure de son ouvrage.

« C'est à cause de ce qui t'ai arrivé que tu pars ? ».

« Entre autres, oui ».

« Alors tu es vraiment stupide. C'est assez décevant je dois dire ».

Il soupira, le ton de la vieille femme commençait à l’agacer légèrement.

« Pourquoi donc ? ».

« Tu abandonnes trop facilement, Loukas ! Oui, tu as eu une mésaventure assez traumatisante, oui, tu as enfreint les règles et a été réprimandé pour cela ». Elle jeta son livre au sol, faisant tressaillir le dragonnier. « Mais à chaque fois que tu es confronté à une épreuve, tu prends la fuite ! Et tu sais que c'est vrai. Tu veux encore fuir, vers les elfes, ce coup-ci ».

« Je ne fuit pas ! Je n'ai pas d'autre choix que de m'en aller ! Mon frère et mon peuple me déteste, je ne suis plus le bienvenu nulle part ! Si je n’avais pas eu Claod, je serais derrière les barreaux à l’heure qu’il est ! Mon propre frère… il ne veut plus me voir… ».

« Tu es le bienvenu ici, non ? La caste fait partie de toi, tu es chez toi entre ces murs ! ».

« Ce n'est pas la même chose, May ! », il se détourna d'elle, passant une main sur son front en plissant les yeux.

Le ton de la cheffe des dragonniers se fit plus doux, elle se leva et posa une main sur son épaule. « Écoute, Loukas. Tu es encore un enfant. Ce n'est pas un mal, pas du tout, mais c'est bel est bien le cas. Je pense que tu as vu beaucoup de chose dans les terres infectées, des choses que tu n'aurais pas dus affronter si tôt dans ta vie. Tu veux vraiment les affronter à nouveau ? ».

Elle marqua une pause, donnant plus de poids à ses paroles.

« Que tu en veuille à ton peuple et à tes dieux pour les lois et les règles qu'ils dictent, je le comprends, cela passera, avec le temps ».

« Je ne vois pas pourquoi cela passerait, je ne vois pas pourquoi la rage qui m'anime aujourd'hui devrait s'éteindre ! C'est à cause d'Anava que j'en suis là aujourd'hui ! C'est à cause d'elle que tout cela est arrivé ! Tu voudrais que je pardonne et que j’oublie ? Tu voudrais que je reste ? ».

Elle murmura une prière avant de répondre.

« Non, ce n'est pas ce que je veux. Si la déesse de la Terre en a décidé ainsi, nous ne pouvons connaître ses desseins. Nous ne sommes que des mortels, après tout ».

Le jeune homme se tourna et lui tint face, la regardant dans les yeux.

« Et parce que nous sommes des mortels, nous devons nous plier aux quatre volontés d'une divinité ? Sans jamais remettre en question ces actes ?! ».

Le regard qu'elle lui lança était empli d'une grande tristesse, à telle point qu’il regretta presque d'avoir élevé la voix.

« Tu es un Maître de la Terre, Loukas, ne blasphème pas, je t'en prie ».

Il baissa la tête, examinant silencieusement les livres, par terre. Il finit par murmurer une prière en signe d'excuse.

Après un long silence, il reprit la parole.

« Vinc est là-bas ».

« Pardon ? », le visage de May se décomposa, son air suffisant et sa contenance s’effacèrent pour laisser place à une expression confuse.

« Vinc est vivant, Glortag aussi. Ils sont à Ernestelle, si tout va bien. Lorsque j'étais en exil je l'ai croisé, près des marais, au sud. Il allait voir les elfes et ne voulait pas que je le dise, mais maintenant, cela n'a plus d'importance. J'ai mis la plupart des Maîtres au courant également mais ils n'ont sans doute pas jugé bon de prévenir la caste. C'est une des choses que je voulais aussi te dire, alors voilà ».

May s’assit fébrilement, caressant mécaniquement les accoudoirs de son fauteuil, le regard perdu dans le bassin.

Pendant un instant, Loukas cru qu'elle allait pleurer, mais elle le fixa intensément. Son visage n'affichait aucune expression.

« Il y a combien de temps, exactement ? ».

Le garçon marcha le long d'un lierre particulièrement épais, passant ses doigts sur ses tiges noueuses.

« Il y a plus de deux ans maintenant ».

« Tu n'as rien dit pendant deux ans ? Même à moi ?! Alors que je t'ai accueilli dans la caste sans que les autres membres ne soient au courant ? ».

« Désolé… » répondit-il sincèrement.

« Pas autant que moi. Tu comptes le rejoindre si je comprends bien ? ».

« Il est là-bas, et je veux m'y rendre, rien de plus. Je n'ai pas spécialement envie d'être avec lui si c'est ce que tu veux savoir ».

« Bien », murmura la vieille femme.

« Je lui transmettrait tes salutations ? » demanda le garçon, sans être convaincu par sa propre question.

« Non, merci », déclara-t-elle sans même réfléchir, « Je le ferais moi-même ».

Loukas la regarda gravement, espérant ne pas avoir bien interprété ce qu'elle sous-entendait. Il allait lui poser la question mais elle le devança.

« Je viens avec toi jusqu'à Ernestelle ».

Loukas devint rouge, « Quoi ? Mais, la caste ?! Qui va diriger si tu n'es pas là ?! ».

Il s'attendait à ce qu'elle réplique rapidement, d'un ton acerbe, mais il n'en fut rien. Au lieu de cela elle baissa les yeux sur les livres et les coussins à ses pieds, laissant la question du jeune homme en suspens.

« Il n'y a plus de caste, Loukas, tu l'as sans doute remarqué mais je suis seule ici. Le temple et vide, il tombe en morceau chaque jour un peu plus ».

Le sang du dragonnier se glaça, il balbutia, « Mais, pourquoi ? La dernière fois que je suis venu tu faisais la leçon à trois garçons qui venait de dompter leurs dragons ! L'un d'eux avait même réussit à se faire aimer de sa vouivre côtière ! ».

Il pointa du doigt le passage par lequel ils étaient venu, « Je me souviens avoir vu des dizaines de paquetages dans les escaliers, et dans les airs il y avait une bonne demi-douzaine de bêtes en plein exercice de vol ! ».

Elle hocha faiblement la tête en soupirant. « Oui, je sais tout cela, mais les choses changent. Je ne pensais pas que cela arriverait aussi vite. Tu sais pourquoi ? Pourquoi la caste devient de l'histoire ancienne ? ».

Loukas n'osa pas répondre, alors elle continua.

« Les dragonniers sont comme vous, comme Vinc et toi. Ils laissent tomber leurs engagements, pensant que monter une créature légendaire leur octroie une sorte de statut particulier, pensant qu'ils ne doivent rendre de compte à personne. La disparition de ton ami Maître de l'Air avait déjà fragilisé la caste, les dragonniers ne voulaient pas rester ici. La plupart m'ont rendu leur emblème pour profiter de la vie, de leur côté. D’autres ont simplement arrêté de venir ici ».

Elle lui lança un regard plein de reproche.

« Toi non plus tu ne veux pas rester ici, même si les autres dragonniers ne t'ont jamais vraiment vu ils agissent de la même façon que toi. Je ne dis pas que tu es responsable de la chute de la caste, mais tu as forcement joué un rôle, volontairement, où non ». Elle marqua une pause et ramassa un gobelet orné, posé sur le côté de son fauteuil. Le plongeant dans le bassin elle en but rapidement une gorgée avant de reprendre son discours moralisateur.

« Par le passé, le rôle des dragonniers changea plusieurs fois, en bien ou en mal. Ce n'est pas à moi d'en juger, n'y à toi. À personne d'ailleurs. Mais, toujours est-il que leur rôle changea. Les premiers dragonniers étaient des explorateurs, ils aidèrent les érudits à tracer les cartes et les frontières. Puis les suivants eurent un engagement auprès des royaumes afin de les défendre, pour étendre les villes et les villages, repousser les créatures dangereuses et sécuriser les pays que nous connaissons maintenant ».

« Je sais tout cela », rétorqua Loukas, légèrement irrité.

« Laisse-moi finir », le coupa May d'un ton tranchant. « Ensuite, lors des guerres de l'ombre – alors que nous n'avions même pas encore découvert l'existence des elfes – les dragonniers durent combattre les monstres du dieu-démon, Melquiox. Beaucoup de membre perdirent la vie dans des batailles, aux côtés de simples soldats. Leurs dragons furent piétinés dans la boue, et leurs ossements furent perdus et oubliés ».

Buvant une autre gorgée d'eau fraîche, elle s'éclaircit la voix.

« Puis vint une ère de paix, pendant laquelle les dragonniers accumulèrent les richesses. Ils s'enorgueillirent de leurs exploits passés et devinrent vaniteux. Passant le plus clair de leur temps à ériger des temples, comme celui-ci », elle leva les mains, désignant de ses paumes le plafond au-dessus de leurs têtes. « Ils ne volaient presque plus et n'étaient pas en quête de savoir. Puis, le royaume de la Lumière tomba, ainsi que celui de la Foudre. Les dragonniers furent décimés en masse. Leur richesse ne les sauva pas, là où les plus lucides purent s'enfuir et rejoindre ce temple. Le dernier temple ».

« Et maintenant ? », demanda le garçon.

« Maintenant ? », elle le scruta du coin de l’œil, essayant de déterminer s'il voulait vraiment savoir ou s'il savait déjà. « Maintenant, c'est moi la cheffe de la caste, depuis bien longtemps d'ailleurs. J'ai donné comme directive de défendre les dragons, partout où les hommes leur faisaient du mal, comme chez les deux éleveurs Maîtres de la Terre, Field et Foeld. J'ai privilégié le savoir et la connaissance, ainsi qu'un entraînement rude ; mais il faut croire que rien n'a changé, les dragonniers sont toujours des idiots, des aventuriers où des conquérants, amoureux de leur fierté ».

Elle se leva brusquement et posa une main sur la joue de Loukas, qui regardait pensivement ses pieds.

« Voilà pourquoi je viens avec toi, voilà pourquoi j'abandonne. La caste est finie, elle l'a sans doute toujours été. Plus je reste ici et plus je m'en rends compte. Je suis vieille à présent, j'ai un dernier voyage à faire. Je ne mourrais pas seule entre ses murs ».

Le garçon leva les yeux vers elle, quelques larmes coulèrent de leurs yeux alors qu'ils se regardaient.

« Tu n'es pas seule May, tu as Jorass ».

« C'est vrai », elle leva les yeux vers le plafond, plus particulièrement vers une partie recouverte de branchage et de lierre.

« Approche, mon vieil ami ! ». Sa phrase se répercuta en écho, plusieurs fois dans la pièce, avant de retomber. Les végétaux inertes se mirent à bouger sur presque quinze mètres, des cailloux tombèrent, rebondissant brièvement sur les pavés. Les racines suivirent le mouvement en se détachant du plafond pour venir pendre mollement près des stalactites.

Claod se leva et ouvrit la gueule dans un rictus carnassier, avant de rapidement battre la queue comme un chien impatient. Puis, il ne bougea plus.

Une aile se détacha du plafond, puis une deuxième. Elles étaient attachées à deux membres terminés par de longs doigts fins et osseux.

Le corps reptilien se défit de la pierre pour venir s'agripper au mur le plus proche, aidé par sa queue. À l’extrémité de celle-ci, il y avait une membrane en forme de feuille de chêne. Un cou musclé supportait la tête du dragon, constitué d'un long museau orné de deux tentacules, donnant l'impression qu'il avait une moustache. À l'arrière du crâne, une autre paire de tentacule cernait ses os, pour venir descendre le long de sa colonne vertébrale apparente.

Les deux yeux ambrés de l'animal s’ouvrirent et sondèrent Loukas, ce dernier eut la sensation d'être nu devant ce regard d'une profondeur inégalé, lui rappelant celui que pouvait lui lancer Claod.

Jorass descendit et se lova du mieux qu'il put derrière le siège de sa maîtresse, les derniers cailloux continuaient de tomber du plafond alors qu'il se tassait. Ses ailes se replièrent le long de son corps de plus de dix mètres de long. Il avait réussi à ne rien casser dans la salle, malgré sa taille, ce qui apparut comme un exploit aux yeux du Maître de la Terre.

Maintenant qu'il était bien plus proche, Loukas constata que ses écailles oscillaient entre le vert, le jaune et le rose. Par endroit, de l'herbe et des fleurs colorées poussaient sur son corps. Il en émanait un parfum doux et frais.

May s'approcha et lui caressa doucement le museau, son expression de tristesse s'intensifia et de nouvelles larmes perlèrent sur son visage ridé. La bête ouvrit la gueule de contentement et de la vapeur s’échappa de ses narines. Loukas constata que comme Claod, il n'avait pas de crocs.

« Laisse-moi venir avec toi, laisse-nous venir. Ici, il n'y a plus rien pour nous », murmura la vieille femme.

Claod vint près de Jorass, il ne faisait que la moitié de sa taille. Les deux dragons échangèrent un regard et quelques grognements avant que l’éclair invisible ne s'allonge à nouveau.

« C’est vraiment ce que tu penses ? ».

La dragonnière hocha lentement la tête.

« D'accord », lui accorda Loukas, « Cependant, tu devras agir selon mes ordres dans les terres infectées. Vous n'y êtes jamais allé, contrairement à nous. Si je vous dis de fuir, vous le faites, si je vous dis de m'abandonner également. Pas de question, pas de refus d’obtempérer, c’est bien trop dangereux et tu n’as pas idée de ce qu’une petite erreur peut coûter ».

Elle hocha simplement la tête sans le regarder, alors il préféra changer de sujet.

« Jorass a bien vieillit, il est toujours aussi beau. Ce sont ses couleurs de Plimbal ? ».

« Oui, mais il va bientôt muer pour passer aux couleurs de la saison chaude. C'est comme ça pour toutes les wyrms des saisons ».

« Je ne crois pas l'avoir déjà vu en cette saison, il est vraiment magnifique ».

Elle se tourna enfin vers lui et lui décocha un timide sourire. « Merci mon enfant. Quand souhaites-tu partir ? ».

« Je comptais m'en aller dès ce soir, mais tu as besoin de préparer tes affaires je suppose, donc nous pouvons partir demain matin ». Il passa une main dans sa barbe en plissant les yeux. Quelques touffes de poils se détachèrent de son menton, les signes de sa stérilisation allaient finir par s’accentuer, il serait bientôt imberbe, mais il était loin de s’en soucier. Claod le scrutait du coin de l’œil, la tête posée sur ses pattes avant.

« Je vois. Je serais prête d'ici vingt minutes ».

« Tu es sûre ? On peut attendre jusqu'à demain tu sais, ça ne nous dérange pas plus que ça » répondit-il, mal à l'aise.

« Vous voulez partir rapidement, alors je me plis à vos règles. C'est bien ce que tu viens de me dire non ? ».

« Mais… tu n'es pas obligé, nous ne sommes pas en terres infectées », balbutia-t-il. Seulement, elle était déjà partie vers les escaliers, les laissant seul en compagnie de la wyrm des saisons.

Il soupira et s'assit de nouveau sur le rebord du bassin. Le changement d'ambiance soudain lui parut oppressant. Il rumina les paroles de la cheffe des dragonniers pendant de longues minutes, en particulier ce qu'elle avait dit à son sujet, et au sujet de Vinc.

« Tu crois qu'elle a raison ? » demanda-t-il à l’éclair invisible. Ce dernier jetait toutes les minutes un regard à Jorass, qui de son côté n'avait pas bougé, il semblait même dormir les yeux ouverts.

« Je suis comme je suis, il me semble naturel de s'éloigner de ce qui fait mal, c'est un réflexe de survie, même si cela peut paraître égoïste. Comme quand les poissons s'éloignent de toi quand tu les pourchasse ».

La bête pencha la tête à la mention de poisson. Ses yeux reptiliens cherchèrent dans la pièce la présence éventuelle des vertébrés aquatiques, sans succès. Sa langue orange passa furtivement sur sa gueule fermée.

« Seul les fous restent auprès des gens qui leur font du mal », ajouta-t-il en jouant avec le pommeau d'une de ses épées.

Il se mit à penser aux vraies raisons qui le poussaient à aller à la rencontre des elfes, à Ernestelle : il avait pris une décision très importante qu'il n'avait partagée avec personne, même pas Claod, à savoir, la fin de sa propre vie.

Plus personne ne voulait de lui, malgré ce que disait May. Il n'avait plus aucun endroit où aller et refusait de vivre une vie paisible dans son coin, ce n'était pas envisageable. Lorsqu'il était dans son lit, à Nienlass, et qu'il n'avait d'autre choix que de réfléchir, il en était arrivé à la conclusion que la mort était sa meilleure option, bien loin d'être la plus réjouissante.

Il se sentait vide, fatigué, de plus en plus déprimé. De nombreux combats le mènerait inexorablement vers le décès, mais il était hors de question que sa mort soit inutile, il voulait servir à quelque chose, une ultime fois. Aucuns Maîtres n’étaient jamais morts d’un suicide, et il ne voulait pas être le premier.

Son but à Ernestelle était d'y rester, pour toujours, loin de son pays natal et des hommes qui l'avaient blessé...

Le regard dans le vague, ses yeux se mirent à luire de larmes pendant un instant, avant qu'il ne refoule ses sentiments les plus sombres.

May revint quelques minutes plus tard. Elle portait un plastron en cuir léger, sans manche, ainsi que des brassards. Elle avait chaussée des bottes hautes cerclées de fer et portait un très gros marteau de guerre sur l'épaule, comme s'il s'agissait d’un simple balai. Dans l'autre main, elle tenait un sac en toile plein à craquer.

« Je suis prête », lui dit-elle, remarquant alors qu'il ne réagissait pas.

« Mais, tu comptes emporter ce marteau ? ».

« Évidemment, comment vais-je me défense sinon, idiot ? ».

« Il n'est pas trop lourd ? ».

Elle balaya sa question en effectuant un moulinet avec l'arme, avant de la faire revenir sur son épaule.

« Je suis bien plus forte que ce que tu le crois, jeune homme. J’ai encore beaucoup de ressource, et ne t’avise pas de faire de commentaire sur mon âge ».

« Bon, très bien, c'est toi qui vois », il claqua des doigts, Claod se leva et suivie son maître, en serpentant entre les plantes.

May siffla, et Jorass la rejoint également, non sans souffler d'autres volutes de vapeur. Ils parcoururent tous ensemble le chemin vers la plate-forme, Loukas marchait en tête, déterminé à partir pour ne jamais revenir.

Il se retourna plusieurs fois, pour constater que May traînait les pieds, s'attardant dans telle ou telle pièces, détaillant les fresques et les peintures une dernière fois. Elle semblait déchirée.

« Tout va bien ? », lui demanda le dragonnier.

« Non... C'est ici que j'ai passé le plus clair de mon temps depuis que je me suis lié à Jorass. Partir s'avère être une épreuve pour le moins difficile », lui avoua la vieille femme en passant devant la peinture représentant Vinc et Glortag.

Loukas acquiesça et resta auprès d'elle. Il la laissa lui évoquer les souvenirs qu'elle avait en passant devant certain endroit, pour l'aider, mais aussi pour avoir un dernier souvenir de la caste. Un dernier souvenir heureux et paisible.

Il pensa enfin qu’il n’était pas le seul à abandonner son ancienne vie, et cela lui fit chaud au cœur. Il espéra soudain que la vieille femme lui survive, afin d'éventuellement raconter ses derniers instants à ceux que cela intéressait.

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