Chapitre XXXII : Au-dessus des nuages

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En quittant la forêt, Claod se dirigea vers le sud. Il longea tout de même les bois, restant au plus près de la cime des arbres afin d'éviter Nienlass, la capitale, ainsi que les nombreux champs alentours qui l’empêchait de pouvoir se cacher, autre part qu'au-dessus des nuages.

Leur objectif était de rejoindre le royaume de l'Air. Loukas voulait retourner au siège de son ordre, la caste des dragonniers. Celui-ci se trouvait à Cileterre, la plus grande cité de ce royaume.

Le voyage ne dura pas longtemps, la ville n'étant vraiment pas très loin : Nienlass et Cileterre étaient les capitales les moins éloignées l'une de l'autre. Il suffisait de traverser la mer intérieure au sud de Nienlass, pour apercevoir la montagne sur laquelle Cileterre avait été bâtie.

Le garçon n'aimait pas trop cette contrée. Toujours trop venteuse, pas assez d'arbres à son goût, mais beaucoup de terrains vallonnés, de collines et de falaises. La météo était aussi très capricieuse.

Tout cela plaisait cependant beaucoup à Claod, car les vents étant forts, il n'avait pas besoin de déployer de gros efforts pour voler, il lui suffisait de prendre les bons courants et de se laisser porter. Mais pour le moment, il passait juste au-dessus de la mer.

L'eau semblait calme, comme toujours, mais Loukas donna un coup de talon à sa monture pour qu'elle reprenne de l'altitude. Les eaux étaient peuplées de monstres de toutes sortes, allant du simple nautils, jusqu'aux immenses krakens. Fort heureusement, ces derniers ne vivaient pas dans des étendues si petites, du moins, pas les adultes, qui préféraient hanter les fonds abyssaux du grand large.

L’éclair invisible ne prêta cependant pas attention aux diverses embarcations qui sillonnaient la côte à la recherche de poisson. Les marins étaient de toute façon trop occupés pour lever les yeux vers le ciel.

Le dragonnier se fichait complètement qu’on les voit à présent, étant donné que pour lui, c'était le dernier voyage qu'ils faisaient en territoire humain. La seule chose qu'il voulait faire était de prévenir une personne. Une seule personne, avant de rejoindre les elfes.

Claod fonça à vive allure, la nouvelle selle lui permettait des mouvements plus amples, plus fluides. Ainsi ils traversèrent une bonne moitié de la mer intérieure sans que le soleil ne commence à descendre. Loukas n'ordonna même pas une halte pour se reposer, ou pour manger un morceau. Il y avait pourtant d’innombrables îlots qui auraient permis cela.

« Je préfère que l'on arrive rapidement. Je parle à May, on passe ou non la nuit là-bas, selon comment tourne la discussion et on part rapidement », pensa le jeune homme.

Une pointe s'éleva soudain de la ligne d'horizon. La pointe d'une montagne. Elle grossit, se rapprochant progressivement.

D'autres pointes s'élevèrent, dévoilant une chaîne rocheuse, encore lointaine, certes, mais de plus en plus proche. En-dessous d'eux, les îlots devenaient plus nombreux, mais la végétation les quittait, laissant place à des arbres morts, ainsi qu'à de vulgaires cailloux, guère accueillants.

La chaîne de montagne parut immense alors que Claod arrivait près de la rive. Il n'y avait aucun bateau de ce côté de la mer, et aucune ville en vue. La zone était véritablement déserte, mis à part le ciel où dansaient des centaines d'oiseaux, au-dessus des eaux troubles de la mer.

Loukas fit virer sa monture vers l'est, afin de contourner la plus haute des montagnes d'assez loin. Le dragon commença également à s'élever de plus en plus haut.

Le dragonnier se tassa sur le dos de l'animal, le vent était véritablement assourdissant. Ses tympans vibrèrent, à tel point qu'il crut qu'ils allaient se crever. Claod ralentit, resta quelques secondes à l'horizontale avant de remonter à nouveau. Il fit cela plusieurs fois pour éviter que son passager ne subisse trop de séquelles.

Ils prenaient de plus en plus d'altitude néanmoins, jusqu'à dépasser les nuages. La montagne continuait de les toiser de toute sa hauteur, elle n'en finissait pas, le sommet était caché par un épais manteau de brume qui ne semblait pas du tout naturel.

C'est là que Loukas vit Cileterre, à quelques centaines de mètres en dessous du brouillard. La ville était construite sur le flanc escarpé de la chaîne montagneuse. Elle n'avait pas de rempart, ce n'était pas nécessaire au vu de l'altitude, seules les créatures volantes pouvaient arriver par surprise. En outre, l’unique entrée possible s'incarnait dans la route principale, qui n'était pas bien large.

Des tours s'élevaient des deux côtés de celle-ci, reliées par une arche, en-dessous de laquelle se dessinaient les battants d'une porte en bois épaisse, renforcée de plaques en pierres noires. La route passait ensuite par un pont, seulement assez large pour qu'une charrette puisse l’emprunter.

Loukas détailla rapidement l'architecture, alors que Claod tournoyait au-dessus de la cité. Les maisons étaient faites de pierre blanche et grise, chacune d'elles était d’une hauteur différente et avait soit un toit en terrasse, soit un toit constitué de tuiles grises, abritant des multitudes de nids d'oiseaux. Les diverses places et endroits peuplés étaient décorés par des mangeoires et des perchoirs ; il y avait d'ailleurs toujours des centaines de volatiles qui virevoltaient au-dessus des rues, qui serpentaient, telles des veines à travers le mont.

Par endroit, la route devait laisser place à d'autres ponts, menant à d'autres quartiers de la ville, soit plus en hauteur, soit plus en contrebas.

Le dragonnier observa les flancs de la montagne. De somptueuses cascades chutaient dans de grands bassins creusés, eux-mêmes reliés à des canaux, approvisionnant toute la ville en eau fraîche.

Le seul bâtiment se détachant du paysage semblait sculpté à même la roche. Il dépassait du flanc de la montagne sous la forme d'un tétraèdre, percé en de nombreux points d’alcôves de différentes tailles, remplis de nids énormes.

« Le quartier général de l'armée du royaume de l'Air, Dircrow. C'est d'ici que partent les expéditions à dos de griffons, ainsi que les éclaireurs aigles géants ! », s'écria Loukas, en espérant que sa monture l'entende. Cette dernière dévia de sa trajectoire sans attendre.

« Montons plutôt directement à la caste. Si je passe par le château, le roi voudra discuter et cela nous ralentirait considérablement. Même s'il fait partie de la caste, je ne tiens pas à ce qu'il intervienne. May le mettra au courant si elle le veut, il ne ferait que nous faire perdre du temps en explication et, je ne suis peut-être plus vraiment bienvenue ici non plus ».

Sur ces mots, le dragon reprit son ascension, laissant derrière lui la capitale, baignant sous le soleil déclinant, à l'ouest.

L'air commençait vraiment à manquer au dragonnier, quand soudain il aperçut une sorte de tour immense, s'élevant à quelques dizaines de mètres au-dessus du sommet du monde, le pic le plus haut qu'aient conquis les humains, excepté le mont Darmëis, la montagne de l'ancien royaume de la Lumière.

Le siège de la caste des dragonniers était en vue. Diverses autres petites tours dépassaient du sommet de la montagne, elles semblaient faites de pierre aussi blanche que les nuages alentours. Le tout avait cependant l'air très fragile, certaines pierres manquaient, même de loin il pouvait le voir. Un pan entier du parapet d'une des tours s'était écroulé, et des trous étaient visibles un peu partout.

La structure entière s’enfonçant dans la roche, il était difficile de voir s’il y avait plus de dégâts, la caste étant en grande partie taillée à l'intérieure même du mont.

À mesure qu'ils se rapprochaient, une neige fine et poudreuse les étreignirent. Loukas dut fermer les yeux, il ne put que distinguer un affleurement non naturel, qui servait d'ordinaire de piste de décollage aux dragons.

« Aucun dragon ne vole aujourd'hui ! », commenta Loukas, lui-même surprit par cette affirmation. D’ordinaire, il y avait des leçons de vol presque tous les jours, et pour passer inaperçu, il devait emprunter un chemin dérobé. Claod décrivit un tour de plus autour du pic, avant de se poser, aussi silencieusement que d'habitude. Ses griffes crissèrent sur les rochers sculptés grossièrement, faisant écho dans le tunnel qui s'offrait désormais à eux. Depuis les airs, ils ne l'avaient même pas remarqué ; pourtant, il était assez imposant pour que l’éclair invisible puisse y rentrer les ailes déployées.

Le dragonnier mit pieds à terre en titubant, sa respiration était difficile, il n'y avait presque plus d'air ici, à l'extrême verticale du monde, et même Claod était légèrement gêné. Deux piliers d'un blanc nacré s'élevaient à l'entrée du tunnel, ils étaient ornés de symboles et damasquinés de runes cabalistiques, allant du violet au rouge sombre.

Loukas passa rapidement entre les piliers et retrouva instantanément son souffle. Il toussa plusieurs fois. Les enchantements de la caste étaient toujours actifs, ils remontaient à des centaines et des centaines d'années avant sa naissance et pourtant, le temps ne les altérait nullement.

« C'est étrange, il n'y a personne, d’habitude il y a au moins deux ou trois dragonniers à la porte principale, que ce soit dans les airs ou ici. Il s’est passé quelque chose. Quelque chose de grave ». Il scruta le tunnel, la roche nue laissait vite place à des blocs taillés, mais néanmoins effrités. Un crochet sur sa gauche retenait une torche. Elle était froide.

Il la prit en main, ajusta ses vêtements et dégaina une de ses lames, Claod était sur ses talons. En passant les piliers, il frémit, et les flocons de neige s'époussetèrent de ses fines écailles.

Son maître lui tendit la torche, il entrouvrit simplement la gueule et fit claquer sa langue. Une gerbe d'étincelles colorée jaillit et le feu prit immédiatement sur le tissu. Visiblement, il était encore huilé.

Les deux compagnons avancèrent. L'endroit était lugubre, mais toujours intact.

Loukas détailla l'architecture en plusieurs points qu'il jugeait important et il en conclut qu'il n'y avait pas trop de dégâts, pas assez pour que la caste tombe en ruine tout de suite.

Ils traversèrent des salles véritablement immenses, construites pour accueillir des bêtes imposantes, des dragons à la taille gigantesque. Les murs étaient souvent percés, laissant passer d'innombrables rais de lumière, éclairant les tentures, les voûtes de pierre et les piliers.

Les tableaux étaient également très beaux. Ils représentaient les exploits accomplis par les membres de la caste, depuis des temps immémoriaux. Ils étaient accrochés ici et là, par endroit, dans les pièces appropriées.

Le jeune homme s'arrêta devant l'un d'entre eux. Sur la peinture figurait un homme montant un dragon pâle, presque transparent. Son cou était aussi long que sa queue, voire plus, ses griffes n'étaient pas bien grandes et il n’avait pas de crocs, mais pourtant l'animal semblait terriblement puissant et dangereux.

Le cavalier portait une armure apparentée au royaume de l'Air, comme le montrait le casque ailé, et les lattes d'acier entremêlées constituant le plastron. Il tenait à la main une lance, et sur son côté pendait une épée. Des flèches à l’empennage blanc dépassaient d'un carquois dans son dos.

Le curieux couple était en plein cœur d'une bataille. Les visages n'étaient pas représentés avec précision, mais Loukas put voir la rage sur celui des orcs et des gobelins, ainsi que sur les visages de toutes les autres créatures du mal.

Les combattants du royaume de l'Air ne resplendissaient pas non plus, néanmoins, l'espoir se lisait en eux alors qu'ils combattaient. Leur général venait à eux depuis les cieux, apportant avec lui la pluie et la tempête.

« C'est une peinture de Vinc, le Maître de l'Air que nous avons rencontré », chuchota Loukas à Claod.

« Il chevauche Glortag, le premier et le seul dragon des cieux que l'humanité ait eu la chance de contempler ». Il se détourna et continua sa route, ruminant les souvenirs qu'il avait dû dragonnier en exil et de sa monture de légende.

Le dragon battit des ailes et grogna. L'écho se répercuta dans une vaste salle vide ou il n'y avait que des tables et des vieux bancs. La cheminée n'était pas allumée.

C'est dans cet endroit que les dragonniers festoyaient, dans le temps, mais à présent seuls les bruits de pas de Loukas et Claod pouvaient s'y entendre, et non les chansons et contes de jadis.

Ils traversèrent encore de nombreuses salles vides avant d'arriver là où le jeune homme voulait se rendre. La salle était éclairée par de multiples fentes creusées dans la roche, laissant passer la lumière mourante du jour. Il n'était pas possible d'embrasser tout l'endroit du regard, des bacs et des pots remplis de végétaux divers remplissaient l'espace. La plupart étaient des plantes grimpantes, n'ayant pas trop besoin de soleil.

Rouges, vertes et même dorées, elles avaient une odeur de cendre et grimpaient jusqu'au plafond, s'enroulant autour des piliers en pierre et s’accrochant à la moindre aspérité de la roche.

Contre l'un des murs, il y avait un bassin en arc de cercle. Une tête de dragon sculptée déversait de l'eau par sa gueule, créant de minuscules ondulations parmi les nénuphars rosés.

Aux côtés de ce bassin, une femme était assise dans un siège rembourré, de couleur rouge sombre. Des coussins étaient étendus à ses pieds, ainsi qu'une bonne dizaine de livres très épais aux reliures d'argent.

Les pieds nus, sa silhouette était fine, mais son dos, légèrement courbé. Sa peau fripée était drapée d'une longue robe, oscillant entre le vert et le bleu. Autour de son cou pendait un collier en or auquel était accroché une griffe.

Ses cheveux grisonnants étaient encore noirs par endroit, elles les avaient attachés en un chignon à l'arrière de son crâne.

Elle leva des yeux ambrés à l'approche de Loukas, une expression de surprise passa sur son visage couvert de ride mais elle retrouva contenance et reprit sa lecture, tournant lentement la page du tome qu'elle lisait.

« Maître Loukas », dit-elle d'une voix chevrotante de vieille femme.

« Bonjour, May ».

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