Chapitre XXX : Ami ou ennemi

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Amanda chevauchait Duncan, au-devant de la troupe. Elle repensait à la soirée d’hier soir, au campement, car cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas passé un si bon moment en compagnie de d’autres personnes.

L’unité des geckos cendrés était de plus en plus soudée, à mesure que les guerrières et guerriers discutaient en chemin, pour tuer le temps. Seuls les éclaireurs étaient encore distants, car ils étaient la plupart de temps absents ou en patrouille. Ils prenaient aussi les premiers tours de garde, ce qui leur faisaient sauter les repas de groupe.

« Ils sont toujours comme ça ? », demanda-t-elle à Lilith, qui était à cheval à côté d’elle.

« Pas toujours, mais ils ont à cœur de bien faire leur boulot. C’est leur manière à eux de vous montrer que ce sont de bons professionnels, mais ils vous apprécient et vous respectent, ne vous inquiétez pas ».

La jeune femme hocha la tête, l’air pensif. Son visage s’illumina soudainement, comme si elle venait de se rappeler quelque chose.

« Dite-moi, Théo est libre, à présent ? Ou bien est-il toujours dans la charrette ? ».

« Il y est toujours. Voulez-vous qu’on le libère ? ».

« Oui, assurez-vous qu’il a bien retenu la leçon avant. Vous lui rendrez ses armes ce soir, lorsque nous seront arrivé en ville ». En effet, ils n’étaient dorénavant plus très loin de Chisé, la région devenait peu à peu plus rocailleuse, et difficile d’accès. Les crêtes et falaises ne manquaient pas dans cet environnement hostile, il fallait faire attention ou passaient les chariots, ainsi que les montures. La route serpentait entre des amoncellements de roches poussiéreuses, sur lesquelles poussaient des touffes d’herbes grises, des cactus et des arbres épineux, au feuillage épars.

Devant eux, le chemin devenait plus étroit et descendait jusque dans une gorge, qui était en fait le lit d’une rivière, qui s’asséchait presque entièrement tous les ans à cette période de l’année. Le fond descendait à quatre ou cinq mètres. Il était bien évidemment possible d’emprunter un pont, mais il se trouvait à plusieurs lieues de là, vers le sud, et cela leur ferait perdre un temps précieux.

« Faite attention, il n’est pas rare d’avoir des mauvaises surprises dans ce genre d’environnement, soyez sur vos gardes », hurla Maxim à la troupe. Les fantassins armés de lance entouraient les chariots, prêt à les protéger. Les autres fantassins étaient éparpillés en petits groupes, soudés autour des mages et des artificiers, les gardes royaux se rapprochèrent d’Amanda, tout comme les deux monteurs de salamandre : Pauline, et Alexian, tous deux étaient armés d’une lance et d’un bouclier.

En talonnant leur curieuse monture, ces dernières prirent de la vitesse et passèrent en tête du cortège. Les monstres reptiliens se mirent à grimper avec agilité sur les rives sèchent du lit de rivière, afin de les protéger depuis les hauteurs. Il n’y avait que deux kilomètres et demi à faire vers le nord-est avant de pouvoir sortir de la gorge, les flancs de cette dernière étant trop abrupte pour les véhicules et les chevaux.

Amanda eut un peu de mal à faire avancer Duncan, car la terre était quelque peu boueuse à certains endroits, et il fallait éviter les pierres et le cours d’eau, qui clapotait doucement au milieu du passage. Many, l’intendant, l’aida en mettant pied à terre pour le guider par la bride. Il en profita pour crier aux autres d’être prudent, ils ne pourraient pas avancer aussi rapidement que sur la terre sèche ou le sable.

Lilith put rattraper la commandante, en compagnie de Théo, qui grommelait derrière elle, comme à son habitude.

« Il a fallu que vous me libéreriez dans ce bourbier… ».

« Si tu n’es pas content, retourne dans la charrette, au moins on ne t’entendra pas », murmura Amanda, assez fort pour qu’il l’entende tout de même.

Il souffla bruyamment du nez, ce qui la fit légèrement sourire. Elle commençait à aimer lui rendre la vie dure, et n’allait pas s’en priver.

Un mouvement parmi les rochers attira son attention. L’un d’eux – un gros couvert de mousse – se craquela, et des pattes velues, ainsi que deux pinces épaisses, s’extirpèrent doucement des interstices.

« Attention ! », cria-t-elle à Many, qui tournait le dos à la créature. Ce dernier se retourna vivement et sauta sur le côté, juste à temps pour éviter de se faire saisir la jambe.

Amanda leva une main vers lui, et une langue de flammes jaillit de sa paume pour venir lécher le dos de la bête, qui émit un chuintement bref, et finit complètement carboniser, malgré son apparence minérale.

« Des crabes des vases ! Faites attention aux rochers ! », averti la jeune Maître en dégainant l’une de ses faucilles.

« À vos ordres ! ». Les fantassins redoublèrent de vigilance, il fallait protéger les chevaux, car leurs pattes fines étaient sans défense face aux coups de pinces des crustacés géants.

« Merci, commandante. Sans vous je finissais unijambiste », lui confessa Many, l’air penaud.

« C’est normal », elle descendit de Duncan pour mieux évaluer le terrain. « C’est le travail des éclaireurs, pourtant ils sont je ne sais où, ça m’énerve un peu ».

Lilith siffla pour alerter les sentinelles en hauteur, sur leurs salamandres. « Voyez-vous les éclaireurs ? Ils devraient être de retour maintenant ! ».

Pauline haussa les épaules d’un air désolé, et Alexian n’était pas plus avancé, ils scrutèrent les alentours à la recherche des soldats, mais sans succès.

« Peste, que leur arrive-t-il ? », se demanda Lilith à voix basse.

« Ce n’est pas normal, il y a quelque chose qui cloche ».

« Quand on les retrouvera, nous aurons une petite discussion avec eux ».

« Ils vont finir dans la charrette à ma place », commenta Théo, avec un petit sourire en coin.

« Tu es toujours là, toi ? », s’énerva Amanda en lui faisant les gros yeux. Il ne répondit pas, faisant mine de ne pas avoir entendu.

Le convoi continua sa route en restant sur ses gardes, quelques crabes vinrent les importuner, attirés par l’éventualité d’un repas facile, mais ils furent réduits en charpies. Les carcasses de certains d’entre-eux furent récupérés car leur chair était tendre et savoureuse, et pouvait constituer un bon repas, pour le plus grand bonheur de Salomon. Cependant, toujours aucune trace des éclaireurs, et cela commençait à peser sur l’humeur et le moral du commandement. Lilith se rongeait les ongles, et Amanda était en train de bouillir intérieurement, en s’imaginant comment elle pourrait les punir.

Ils arrivèrent bientôt devant un monticule de terre et de roche, qui barrait le passage et créait une minuscule cascade, tant le niveau de la rivière était bas. Ils pouvaient sortir de la gorge sur leur droite, par un dénivelé qui remontait au niveau de la rive. Alexian, qui était sur le côté gauche de la rivière, dû manœuvrer sa monture pour la faire descendre par les rochers glissants, afin de rejoindre le groupe. Des batraciens sautèrent dans les flaques boueuses au passage du reptile géant.

Pauline continua de surveiller les alentours depuis son poste surélevé. Ses yeux verts s’écarquillèrent soudainement, elle siffla en direction de sa commandante en pointant du doigt le nord-est.

« Allons s’y ! Soldats, protégez les chariots, un groupe avec moi ! », cria Amanda, accompagnée de Lilith. Maxim resta en retrait pour diriger les guerrières et guerriers restant.

Les deux salamandres grognèrent en accélérant, dépassant rapidement les chevaux et les troupes à pieds.

« Qu’est-ce que… », murmura Amanda. Plus loin parmi les collines, elle pouvait apercevoir William, le plus expérimenté de ses éclaireurs, aux prises avec un individu encapuchonné, à la cape rapiécée. Les autres éclaireurs étaient à terre autour d’eux.

La Maître avait sorti ses lames, et s’empressa de courir à la rescousse de ses soldats en hurlant à ses troupes de charger. Son sang se mit à bouillir, ses yeux s’illuminèrent de rage et elle dépassa même les montures. Ses faucilles vibrèrent d’énergie et s’enflammèrent.

Alors qu’elle arrivait à portée de voix de l’individu, elle sentit une sorte de connexion mentale, ainsi qu’une odeur de poussière et d’acier.

« Ça me rappelle quelque chose… », pensa-t-elle.

L’assaillant envoya balader William d’un coup de poing à la mâchoire. Il s’effondra dans le sable, et recula vers sa commandante en se tenant la joue. « Il a attaqué Nim et Aldo, on a essayé de l’arrêter ! », se justifia-t-il d’une voix tremblante.

« Reste derrière moi », lui dit-elle, avant de reporter son attention sur son ennemi.

« Salut, Amanda. Ça fait longtemps », grogna l’individu à capuche. Il portait des vêtements en mauvais état, négligés au possible, ainsi qu’une épée courte et un grand couteau de chasse. Il n’était pas en position d’attaque.

« Je te connais ? ». Elle fit tournoyer ses faucilles, prête à combattre à tout instant. Sa troupe arriva pour la soutenir, et entourer l’agresseur. Lilith ordonna qu’on s’occupe des éclaireurs, qui à première vue semblaient seulement inconscient.

« Ouais, tu me connais, on a passé quelques jours ensemble à Tropyrr, l’année dernière ». Il avait une voix grave, un peu grasse, comme s’il était malade.

La jeune femme fouilla dans sa mémoire, mais ne voyait pas de qui il pouvait s’agir, cependant, cette sensation mentale qu’il lui renvoyait lui faisait dire que c’était quelqu’un de puissant, aguerrit à l’art de la magie.

« Si tu retirais cette capuche ? On gagnerait du temps ».

Il soupira, la présence des soldats le gênait visiblement, mais il finit par accepter et la retira.

Amanda le reconnu immédiatement, elle ouvrit la bouche sans savoir quoi dire. Il avait des cheveux noirs, tombant négligemment sur ses épaules, sa barbe fournie était pleine de grains de sable. Ses yeux noirs renvoyaient l’écho d’un homme fatigué, il n’avait visiblement pas dormi depuis un moment. Son allure laissait penser qu’il n’était qu’un simple vagabond.

« Yann ? ».

Il hocha lentement la tête.

« Yann, le Maître de la Terre ? », s’exclama Lilith, du haut de son cheval. Les soldats ne baissèrent cependant pas leurs armes, même après cette révélation.

Amanda murmura quelque chose qu’il n’entendit pas, en serrant ses faucilles de plus en plus fort. La température grimpa en flèche, les guerriers autour d’elle firent quelques pas de côté, surpris par sa réaction et par cette soudaine décharge d’énergie.

Le vagabond haussa un sourcil. Instinctivement, il fit un pas en arrière. D’après son étonnement, il ne s’attendait pas à ce qu’elle l’attaque.

Les flammes qui nimbaient les lames de la Maître du Feu virèrent au bleu. Elle s’élança sur lui et frappa, il leva son épée au dernier moment et réussit à parer le premier coup, mais dû se baisser pour ne pas se prendre le deuxième.

Il lança un sort, et le sable autour d’eux se mit à bouger très vite, empêchant les fantassins d’approcher plus près pour aider leur commandante. Les mages et les lanceurs de gourdes n’osaient pas agir, de peur de la blesser également.

Les passes d’armes s’enchaînèrent, et Yann était de plus en plus défensif, tandis qu’Amanda frappait avec force, rage, vitesse et précision. Elle n’utilisait cependant pas plus sa magie qu'elle ne le faisait déjà.

« Pourquoi tu m’attaques ? », demanda le Maître de la Terre d’une voix nonchalante en esquivant un coup porté vers sa cuisse.

« Ne parle pas ! », elle fendit l’air de ses lames avec une dextérité folle, et le priva de son couteau d’un geste calculé.

« Je ne t’ai rien fait », il esquiva de nouveau un coup qui aurait pu lui trancher la gorge, et contre-attaqua par plusieurs frappes d’estoc, car il était tout de même résolu à défendre sa vie.

« Tu as la mémoire courte ! ». En bloquant son épée, elle lui donna un immense coup de genou dans les côtes, ainsi qu’un coup de manche à la tempe, le faisant tomber au sol. Il toussa plusieurs fois.

« C’est ta faute ! De ta faute si je suis comme ça ! ». Elle le frappa au sol, il leva son épée en défense. Elle banda sa volonté, les flammes qui nimbaient sa lame gauche devinrent blanche. Lorsqu’elle frappa avec, l’épée de Yann fut tranchée en deux, et une détonation retentit. Le sable retomba, ce qui permis à Lilith d’approcher avec Capucine et Collain, l’arme au poing.

Amanda était transpirante, elle respirait bruyamment et semblait sur le point de s’écrouler. Les flammes nimbant ses armes s’estompèrent dans un nuage de fumée noire. La caporale vint la soutenir.

« Commandante, vous allez bien ? Êtes-vous blessé ? ». Elle avait l’air véritablement inquiète et l’observait sous toute les coutures.

« Je n’ai rien… Comment vont nos éclaireurs ? », elle se laissa faire, ne tenant presque plus debout. Son ventre la faisant atrocement souffrir, elle saisit fébrilement sa gourde et la porta à ses lèvres. Les souvenirs de l’entretient avec le templier, à Nienlass, lui était revenu dès qu’elle avait vu le visage de Yann. Le chef des inquisiteurs avait dit que plusieurs personnes – dont Yann – les avaient vues, Loukas et elle, et avaient des doutes concernant la relation qu’ils entretenaient, à l’époque.

« Ils sont salement touchés, mais ils survivront. Aucuns d’eux n’a de blessure mortelle ».

« Bien. Attachez-le, nous verrons ce que nous ferons de lui plus tard, après avoir pris soin de nos blessés ».

Le Maître de la Terre était tellement sonné qu’il n’opposa aucune résistance, les mages s’occupèrent de lui, aidés de Théo et Lilith. Maxim et le reste de la troupe arriva bientôt et les éclaireurs furent placés à l’abri dans les charrettes. Par miracle, ils logèrent tous, mais il fallut charger les montures de matériels, ce qui força tout le monde à marcher. Fort heureusement, le terrain était moins hostile après la rivière.

Yann était attaché à la selle de Duncan, qui n’était pas chargé pour qu’Amanda puisse se reposer après son combat.

Sa tête dodelinait de droite à gauche, il avait le regard perdu dans le vague et les bras ballants.

« Tu es misérable. Si tu pouvais te voir », lui dit-elle.

« Je pourrais me libérer par magie très facilement… ».

« Ça ne changerait rien à ton allure, et me donnerait un formidable prétexte pour t’exécuter sommairement ». Elle posa une main sur le manche d’une de ses faucilles.

« Rappel-moi pourquoi tu veux ma mort ? Je n’ai pas souvenir de t’avoir fait du mal… Nous nous sommes quittés en bon terme à Tropyrr ».

« Tu nous a vendu aux inquisiteurs, c’est à cause de toi si nous sommes stériles à l’heure qu’il est. Si tu n’étais pas un Maître je te tuerais lentement sans hésiter ».

« Je vous ai… vendu ? ».

« Ne nie pas ! ».

« Ce n’est pas moi qui ai enfreint la loi, ici. Le verbe ‘’vendre’’ n’est pas approprié. Je ne voulais pas être complice de vos ébats interdits ».

« Tu as trahis ton meilleur ami », lui lança-t-elle.

Il ne répondit pas et baissa la tête. Visiblement, cette dernière phrase ne l’avait pas laissée indifférent.

« Commandante, Chisé est en vue », l’informa Maxim.

En effet, la ville n’était plus très loin, les premières habitations étaient visibles au-delà des dunes. Il s’agissait de la deuxième ou troisième ville du royaume, en termes de taille et d’habitants. La rivière qu’ils avaient traversée plus tôt dans la journée prenait sa source dans les collines rocheuses au nord de la cité, et était très utile pour les agriculteurs locaux, qui cultivaient surtout des fruits, comme des figues, des dattes et des grenades.

« Pauline, Alexian, je peux compter sur vous pour aller leur annoncer notre arrivée ? Nos chevaux ne sont pas en état et nous n’avons plus d’éclaireurs ».

« Bien reçu, commandante ! ». Les chevaucheurs de salamandre éperonnèrent leurs montures, qui filèrent à toute vitesse sur le sable chaud. Leur queue creusa des sillons ondulés, derrière-eux, alors qu’ils s’éloignaient.

« Tu diriges bien, je trouve. Et les yeux rouges te vont bien », commenta Yann.

« Je me fiche de ton avis. Nous allons te laisser aux autorités locales, elles décideront quoi faire de toi, nous avons une mission à accomplir ».

« Moi aussi, j’ai une mission… ».

« Ça ne m’intéresse pas ».

« Pourtant ça te concerne, puisqu’il s’agit de veiller sur toi », il sourit, mais il ne semblait pas le moins du monde joyeux.

La Maître du Feu se retourna sur sa selle et le regarda dans les yeux. « C’est une plaisanterie ? Tu te moques de moi, pas vrai ? ».

Le chasseur fit signe que non.

« Tu es conscient que je te déteste ? ».

Il haussa les épaules. « Peut-être. Ou peut-être que tu es en colère, là maintenant, mais que plus tard tu accepteras mon aide. Ne sois pas aussi têtu et renfermé que Loukas ».

La seule mention du nom de son ancien amant la fit sursauter. Une boule de feu se forma dans sa paume, qu’elle lança à ses pieds. La sphère s’écrasa dans le sable en émettant un atroce crissement minéral. Il s’arrêta, contemplant l’effet du feu sur le sable.

« Ne t’avise pas de prononcer son nom ! ».

« Pourquoi ? Tu l’as dit toi-même… C’est mon meilleur ami… ». Une larme vint couler sur sa joue jusqu’à se perdre dans sa barbe. Ses lèvres tremblèrent quelque peu et il renifla plusieurs fois, il semblait sur le point de craquer. Peut-être que d’être responsable de sa stérilisation l’affectait plus qu’il ne le laissait paraître.

Devant son aspect plus que misérable, Amanda s’adoucit un peu, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir de la pitié, malgré la haine qu’elle ressentait pour lui. Elle se rendit compte que ce n’était pas la seule à avoir changé, ces derniers temps. À moins que le chasseur ait toujours été comme ça, mais ce n’est pas l’impression qu’elle avait eue lorsqu’elle l’avait rencontré.

« Avançons… Ce n’est ni le lieu ni le moment de discuter ». Sur ces mots, elle s’en retourna et prit sur elle de l’ignorer, du moins le temps du trajet qu’il leur restait.

Les habitants de Chisé étaient heureux de voir arriver la troupe. Les soldats locaux n’étant pas vraiment au courant de l’opération de la Maître du Feu, ils furent briffé par Lilith, pendant que Maxim emmenait les éclaireurs blessés auprès des soigneurs, basé dans la caserne locale. Les deux intendants firent l’inventaire, et Amanda les chargea de refaire le plein de vivre, au moins pour l’ascension du volcan.

Les soldats s’occupèrent comme ils le pouvaient, soit en prenant également du repos à la caserne de la ville, soit en se promenant. Quelques-uns en profitèrent pour cuisiner les crabes géants et revendre les carapaces, qui pouvaient valoir cher sur le marché. L’argent ne leur servirait à rien là où ils allaient, mais les coursiers pouvaient toujours le transmettre à leur famille, pour ceux qui en avait une.

Théo se désigna pour surveiller Yann à la prison, les soldats en garnison étant eux aussi sur le départ pour la guerre, ils se devaient de passer du temps avec leurs proches. Théo avait déjà fait ses adieux à Tropyrr, il pouvait donc faire ça pour eux.

« Le comte de la cité m’a chargé de vous dire que vous avez le champ libre pour effectuer votre quête, il ne vous gênera pas vu que l’ordre vient de la reine. Les troupes locales lèvent le camp bientôt pour rejoindre l’armée principale, ils attendent les derniers détachements issus des villages alentours », expliqua Lilith à Amanda. Les deux femmes étaient dans la caserne, dans la pièce communément utilisée par les chefs de guerre, mais ces derniers étaient occupés pour le moment. Elles avaient devant elles une table, sur laquelle se trouvait une carte du pays et des royaumes voisins. Il était aux alentours de vingt-trois heures.

« À quelle distance sommes-nous du mont ? ».

« Une ou deux heures de marche, peut-être moins si nous avançons rapidement. Il faudrait laisser nos montures ici, ce serait plus prudent et éviterait de laisser des gens aux pieds du volcan ».

« Oui, j’y ai pensé sur la route. Mais je serais plus rassuré si nous laissions des soldats en ville également ».

« Je ne sais pas, commandante. Nous sommes avec vous pour vous protéger, alors je suis réticente à laisser nos guerrières et nos guerriers en retrait ». Elle fit la grimace.

« Je comprends, mais il nous faut faire vite et nous voyagerons plus rapidement si nous sommes moins nombreux. De plus, je suis la seule à pouvoir approcher les phœnix sans me faire incendier, cette mission pourrait vous mettre tous en danger ».

« Nous connaissons les risques, cheffe. Nous sommes prêts à tout ».

« Je sais… Mais je vous demande quand même de laisser des troupes ici, pour surveiller nos affaires. Les éclaireurs ne pourront de toute façon pas venir, de la compagnie leur fera du bien pour qu’ils se rétablissent ».

Devant les recommandations de sa commandante, la caporale n’avait d’autre choix que d’accepter. « Bien, je suivrais vos ordres, les intendants resteront donc avec les blessés, ainsi que nos lanceurs de gourdes, car leur matériel est lourd à porter. Les chevaucheurs de salamandre également, étant donné que le phœnix est leur prédateur naturel ».

« Laissons aussi Tibalt et Coralie, ils sont en armure lourde ».

« Ce ne sont pas les seuls, malheureusement : Anna, Salomon, Tarra, Sasha, sans parler des gardes royaux et même de Maxim ».

« Ah, les laisser tous nous fragiliserait peut-être un peu trop en cas de rencontre imprévue. Que diriez-vous d’emmener les plus jeunes, les gardes, et la sergente ? ».

« Très bien, alors Sasha et Anna viennent avec nous, je vais leur annoncer vos directives. Il nous reste à traiter le problème de Maître Yann. Il nous a quand même attaqué ».

« Oui… Vous avez informé le comte de cela ? ».

La militaire fit signe que non. « Si je l’avais fait, la nouvelle serait remontée très vite au royaume de la Terre, et le roi Orlando ne tolérerait sans doute pas que l’on détienne un de ses Maîtres dans nos prisons. Par vengeance pour la réaction qu’a eu notre reine en apprenant pour votre internement par les inquisiteurs, il ferait pression au nord pour qu’on le libère, et notre situation militaire ne permet pas de poster des troupes à cette frontière ».

« Oh, je vois… Les relations avec ce royaume se sont considérablement dégradées, on dirait ». Amanda fronça les sourcils, la géopolitique n’était pas son fort, heureusement que ce n’était pas le cas de la caporale.

« Oui. Cependant, je ne suis pas d’avis de le libérer. Pour l’heure, le comte ignore qui se trouve dans la cellule, il doit penser que ce n’est qu’un simple malfrat. Il ne posera pas plus de question pour l’instant, car la mobilisation des forces armées l’accapare, mais quand les choses seront plus calmes… ».

« Il nous faut donc prendre une décision avant le départ de l’armée ».

« En effet. Vous a-t-il dit pourquoi il nous avait attaqué ? J’avoue que je ne comprends pas ce geste, les Maîtres sont censés aider les gens, après tout, ils sont les envoyés des dieux ». L’incompréhension se lisait sur son visage, elle se dirigea vers un pichet d’eau et leur servit à boire.

« Je ne sais pas », répondit Amanda, « Il m’a seulement dit qu’il avait pour mission de me protéger, ou de veiller sur moi. Ça n’a pas de sens, il n’était pas comme ça quand je l’ai rencontré ». Elle saisit le verre que Lilith lui tendait et le vida d’une traite. « Il faut aussi reconnaître qu’il aurait très bien pu tuer nos éclaireurs, mais il s’est contenté de les mettre hors d’état de nuire ».

« Son but n’était donc pas de faire un bain de sang, mais pourquoi les attaquer en premier lieu, alors ? ».

« Il serait plus rapide de lui demander ».

« De lui demander quoi ? ». Yann passa la porte, les mains dans les poches comme s’il venait acheter un bouquet de fleurs. Il les dévisagea d’un air las. Les deux femmes dégainèrent leurs armes et se mirent en position défensive, relativement surprise par cette apparition inattendue.

« Qu’est-ce que tu fais ici ?! », cria Amanda. La température autour d’elle ne cessait de grimper. L’eau dans le pichet se mit à bouillir.

« Dans la caserne, ou dans cette pièce ? ».

« Les deux ! », répondit Lilith. La proximité avec la Maître du Feu la fit très vite transpirer. Elle essuya promptement son front en jetant des regards en biais à la commandante.

« Je vous cherchait, j’aimerais me joindre à votre unité », annonça-t-il sans faux-semblant.

« Quoi ? Mais, pourquoi ? Et comment est-tu sortie de ta cellule ?! ».

Il haussa les épaules, ses yeux roulèrent dans ses orbites. « Les murs sont en pierre. Je suis Maître de la Terre ».

Amanda jura entre ses dents, elle pensa un instant le jeter au milieu d’un lac pour voir s’il ferait autant le malin, avant de renoncer, et de se calmer. « Dis-moi que tu n’as pas détruit la prison ».

« Non. Juste le mur de ma cellule, mais je l'ai reconstruit, donc le garde n'a pas pu me suivre. C’est pratique ces chambres qui donnent sur l’extérieur, qui plus est au rez-de-chaussée », ironisa-t-il en s’accoudant à la table pour scruter la carte.

Ignorant sa remarque, Lilith prit la parole, « Tu n’as pas répondu à la question : pourquoi vouloir rejoindre notre groupe ? ».

« Je veux aller à la guerre avec vous ».

« Avec nous ? L’armée du royaume ? ».

« Non, vous. Votre unité ». Il avait soudain l’air très sérieux.

« C’est ridicule ! », s’emporta Amanda. D’un geste vif, elle planta la pointe de l’une de ses faucilles dans la carte, à l’endroit où se trouvait Nienlass. Yann sembla contrarié que la pointe de l’arme soit arrivée là.

« Ça porte malheur de percer une ville sur une carte », argumenta-t-il en faisant la grimace.

Elle ignora une fois de plus sa remarque. « Va à la guerre avec les soldats de ton royaume, et laisse-nous à notre croisade. Tu n’as rien à faire dans mon royaume ! », hurla la Maître du Feu.

Il s'énerva quelque peu devant le ton que prenait la jeune femme. « Si ! Je suis là pour veiller sur toi, Amanda ! J’ai échoué avec Loukas, mais je ne veux pas que tu sois aussi perdue que lui ! Je veux être là pour toi, comme j’aurais dû l’être pour mon ami ! ».

« Tu l’as trahi ! Par conséquent tu m’as trahi, moi aussi ! Je n’ai que faire de tes remords, en ce qui me concerne, ton âme peut bien pourrir sur la planète-mère de Melquiox ! ». Ses yeux rouges se mirent à luire comme des rubis en plein soleil.

« Je me fiche de ce que tu peux bien penser de moi ! Si tu refuses mon aide je n’aurai d’autre choix que de vous suivre, comme je le fais depuis Tropyrr ! ».

« Vous nous suivez depuis la capitale ? C’est pour ça que vous avez attaqué nos éclaireurs, parce qu’ils vous avaient repéré ? », s’exclama Lilith en tentant d'élever la voix entre eux deux.

« Ils m’ont demandé d’arrêter de vous suivre, et voulaient me conduire loin de vous, après tout le mal que je me suis donné pour traverser le lit de la rivière. C’était hors de question ».

Amanda compta sur ses doigts, « Tu trahis ton meilleur ami ; tu me traque et m’espionne ; tu attaques mes soldates et mes soldats, et maintenant, tu veux rejoindre MES geckos cendrés ?! ».

« Oui », déclara-t-il, avec un aplomb impeccable.

Elle se tourna vers Lilith, « Il est complètement fou ».

« Euh. Si vous le dite, commandante. De toute façon nous ne pouvons visiblement pas l’enfermer, et pas l’empêcher de nous suivre, alors autant qu’il nous accompagne ». Elle lui fit un clin d’œil, fugace et discret. Visiblement, la caporale avait une idée derrière la tête, mais il fallait qu’Amanda ait confiance en elle.

Hésitante, la Maître du Feu ne répondit pas tout de suite, balayant son regard grave entre ses deux interlocuteurs. Sa seconde avait peut-être un bon plan pour se débarrasser de lui, mais elle ne connaissait pas assez Yann. Il pouvait tout aussi bien fonctionner, ou être déjoué.

« Fait comme tu veux, mais ne t’approche pas de moi, je ne veux pas non plus t’entendre. Oh, et je refuse que tu portes une arme, c’est ma seule condition ».

« J’accepte ».

Sur ces mots elle dégagea sa faucille de la table et sortie de la pièce à vive allure. La température retomba de plusieurs degrés dès qu’elle fut hors de vue. Lilith lui emboîta le pas, non sans avoir auparavant clairement signifié à Yann que s’il levait encore la main sur un membre de l’unité, aucun dieu ne pourrait le protéger de la colère de sa commandante.

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