Chapitre XXVIII : Les geckos cendrés

19 minutes de lecture

La route vers le volcan se fit en premier lieux dans un calme presque absolu. La troupe était très silencieuse, ce qui troublait Amanda. Elle avait toujours pensée que les guerrières et guerriers de l’armée étaient des gens très franc et très bavards, oubliant parfois certaines règles. C’est la réflexion qu’elle s’était faite en parcourant le quartier général, à Tropyrr, car il était toujours très animé et les soldats parlaient beaucoup. Mais il s’avéra qu’ils étaient d’une discipline de fer en cet instant. Était-ce temporaire, elle n’aurait su le dire, seul Théo était un peu plus désinvolte et sifflotait alors qu’il marchait dans le sable.

La chaleur étouffante ne semblait gêner personne, mise à part les chevaux. Les salamandres étaient habituées aux chaleurs extrêmes et ne souffraient pas du tout.

Ils firent plusieurs haltes sur la route, et durent dresser un campement pour dormir. La Maître du Feu laissait faire Lilith, qui connaissait visiblement bien la marche à suivre en ce qui concernait le campement et les tours de garde, elle-même étant assez ignorante du sujet.

Elle parcourait le carnet qu’elle lui avait donné, lorsqu’elle avait du temps libre ou qu’elle montait Duncan.

Elle essaya de reconnaître qui était qui, parmi le groupe, mais pour le moment, il lui était impossible de retenir les noms de tout le monde, ils étaient trop nombreux.

Cependant, le profil de certain était vraiment intéressant, c’est ainsi qu’elle put voir que sur trente-deux, il y avait d’abord : la caporale, Lilith, puis sa seconde, Maxim. Ensuite venait cinq éclaireurs, dix fantassins dont sept à l’épée et trois utilisant des griffes de combat, six fantassins armés de lance dont deux étaient montés sur des salamandres, deux lanceurs de gourdes explosives, deux gardes royaux, – sans doute pour sa propre protection – trois mages du Feu, et enfin deux intendants, équipés plus ou moins comme des éclaireurs.

Certains étaient plus facile à identifier que d’autres, notamment les mages et les gardes royaux. Les intendants étaient aux rênes de deux des charrettes, et Maxim menait la dernière. Il n’y avait qu’une dizaine de chevaux, les troupes faisaient des roulements pour la marche à pieds, et laissaient parfois les animaux seuls, pour qu’ils n’aient pas trop mal au dos.

Lors d’une halte pendant la deuxième journée loin de la capitale, la Maître prit une plume et de l’encre, et inscrivit le profil de Théo à la troupe, mais elle ne savait pas trop quoi écrire, alors elle lui fit passer le carnet, pour qu’il s’en occupe lui-même.

Il ronchonna un petit peu, mais obtempéra quand même. Amanda ne s’en inquiéta pas, ce n’était pas son affaire, après tout, et bien qu’il se devait d’obéir à sa supérieure, elle ne fit pas grand cas de son humeur, comme à son habitude. Il devait être énervé d’être sous ses ordres, tout simplement.

Lorsque la marche repris et qu’elle récupéra le carnet, elle vit qu’il s’était identifié en tant que garde royal, bien qu’il n’ait pas du tout l’équipement et la formation adéquat. Elle en fit part à Lilith, cette dernière s’emporta et le fit remarquer au guerrier.

« Ma mission est la protection et la surveillance de Maître Amanda, j’ai été intégré à la troupe sans que l’on m’assigne une autre tâche alors je considère que celle-ci est toujours valide », prétexta Théo.

« Identifiez-vous comme un intendant, dans ce cas, ou bien comme un éclaireur. Mais vous n’avez en aucun cas le droit de vous identifier comme un garde royal, soldat. Ces guerriers ont reçu une formation lourde et sont fort d’une expérience que vous n’avez pas, je vous interdis de vous attribuer leur titre ! Ce serait fouler au pied les sacrifices et l’entraînement qu’ils ont reçu ! ». La caporale était énervée, les deux gardes en question – qui étaient près d’Amanda – regardaient la scène avec attention.

« En d’autres termes, vous estimez que je ne suis pas assez compétent ? », s’offusqua Théo en posant la main sur le pommeau de son épée.

« En effet. Vous ne l’êtes pas. Laissez la protection rapprochée à ceux qui sont là pour ça et restez à votre place ».

Il ne répondit pas et continua de marché.

« C’est un ordre, soldat ! ».

« Je veux d’abord voir si vous dite vrai ». Il empoigna son épée et dégaina, puis siffla en direction du garde royal le plus proche.

Ce dernier avait une armure lourde, faite de solarium, sertie de rubis et de topaze. Son casque avait la forme d’une étrange tête d’oiseau de proie. Il ressemblait à un paladin, en plus chétif mais néanmoins redoutable. Son armement était constitué d’une lance, d’une épée et d’un bouclier lourd de forme triangulaire, la pointe la plus longue était dirigée vers le sol.

« En garde ! », cria Théo en levant son arme.

Amanda sursauta, ne sachant comme réagir elle fit faire un écart à Duncan, car elle ne voulait pas qu’il soit blessé. Le deuxième garde royal l’aida à se diriger un peu plus loin et ne semblait pas le moins du monde inquiet pour son camarade.

Ce dernier fit un moulinet avec sa lance et para le coup avec facilité. Puis il se positionna face à son adversaire et baissa la tête pour le saluer, en signe de respect.

« Arrêtez ça ! Immédiatement ! », s’époumona Lilith, les poings sur les hanches. D’autres membres de la troupe s’arrêtèrent pour regarder, malgré les ordres de la caporale et de Maxim, qui menait actuellement le groupe, avec les charrettes.

Théo donna plusieurs autres coups, sans succès. Le garde parait ses attaques avec aisance et se contentait de le repousser, sans jamais prendre l’initiative d’attaquer. Il lança un regard interrogatif à sa commandante.

« Théo ! Ça suffit ! », ordonna Amanda en fronçant les sourcils.

Ce dernier ne répondit pas et feinta son adversaire, lui touchant cette fois-ci l’épaule gauche. Le garde grommela, décontenancé, et cette fois, il contre-attaqua, faisant tournoyer sa lance avant de la descendre en piquet vers le mollet de sa jambe faible.

Théo esquiva adroitement, pivota sur lui-même et frappa à l’horizontal, mais son adversaire était entraîné, et para facilement avec son bouclier, avant de repousser sa lame d’un coup bien placé. Il se servit de la portée de son arme comme avantage en la tenant presque au bout, et en faisant des mouvements larges, mais il n’avait pas compté sur la force de Théo, qui réussit à lui arracher l’arme des mains. Cette dernière fit quelques tours dans les airs avant d’atterrir dans le sable, à plusieurs mètres de son propriétaire.

Le garde ne dégaina toutefois pas son épée et serra le poing, attendant la charge du guerrier, qui ne tarda pas. D’un mouvement souple, il dévia sa lame et lui frappa le poignet avec son bouclier, lui faisant lâcher prise.

Théo dégaina sa dague, et le garde royal leva sa paume libre vers le ciel. Une flamme jaune apparue dans celle-ci en crépitant.

Surpris par cette décharge magique, le jeune homme tenta de rester au corps à corps, pour ne pas devenir une cible facile, mais tous les coups qu’il portait était paré ou esquivé, le garde ne lança cependant pas son sort.

Une boule de feu explosa soudainement entre eux, faisant fondre le sable qui crissa sous la pression de la chaleur.

Ils regardèrent dans la direction d’Amanda, qui tendait la main, le regard dur. Trois autres sphères enflammées dansaient autour d’elle. La température était montée d’un cran.

« J’ai dit : ça suffit ! Soldat, saisissez-le ! ». Elle désigna Théo.

Trois éclaireurs lui sautèrent dessus, il n’eut pas le temps de se défendre et fut maîtrisé en à peine une minute.

« Lilith ? Il y a de la place dans une des charrettes ? ».

« Oui, commandante ».

« Parfait, attachez-le. Il y restera le temps de se calmer. Confisquez aussi ses armes et fouillez-le pour vérifier qu’il n’en a pas d’autre. Modifiez également le journal, mettez-le avec les intendants, il s’occupera du camp et des vivres ». Elle reporta son attention sur lui.

« Et si ça ne te convient pas, tu comparaîtras devant la cour martiale pour refus d’obéir aux ordres de tes supérieurs et agression prémédité d’un frère d'arme ! ».

Il la dévisagea, surpris, car il s’attendait visiblement à ce qu’elle prenne sa défense, mais il n’en était rien. Il baissa les yeux.

« Bravo pour votre sang-froid, commandante », la félicita Lilith en restant auprès d'elle.

« Merci. Il commençait à m'exaspérer de toute façon ».

« Ne le prenez pas comme ça, il n'a pas l'air d'être quelqu'un de méchant ». Elle fit la grimace avant de lui décocher un sourire. « J'espère cependant qu'il ne posera pas de problème supplémentaire, sans quoi nous devrons prendre des mesures punitives un peu plus sévère ».

« Je suis d'accord ». Amanda fronça les sourcils alors que les éclaireurs l'emmenaient à l'intérieur de la charrette. Il ne se débattit pas.

« Si je puis vous demander, commandante, sans vouloir faire d'ingérence dans votre mission, la raison de notre voyage ? ».

« Bien sûr. Je dois convaincre les phœnix de nous accompagner, nous auront besoin de leur puissance de feu pendant notre croisade. D’ordinaire, ils ne défendent que leur territoire mais il est souvent arrivé qu’ils nous prête main-forte pendant des combats. Étant une Maître, c’est à moi de leur demander ».

Lilith inspira profondément, relativement surprise par cette révélation. « Les soldats doivent-ils être mis au courant ? Cette mission me semble relativement risqué, si je puis me permettre ».

« Oui vous pouvez leur en parler, je n’y vois pas d’inconvénient. Il faut que tout le monde garde à l’esprit nos missions, aussi, la communication est importante ».

« Nous ferons cela lors de la prochaine halte, commandante ».

Amanda hocha la tête, elle avait du mal à répondre à ce titre, n'ayant jamais commandé personne, jusqu'à présent.

Les heures passèrent lentement, alors que le convoi progressait à travers les dunes. Les charrettes étaient bien entourées, car les créatures des sables pouvaient parfaitement les prendre pour cible à cause des victuailles qu'elles contenaient.

Amanda profita du calme imposé par la situation pour méditer sur son cheval. Bien que la position ne soit pas des plus confortable, elle réussit à entrer en communion avec les éléments autour d'elle, en particulier tout ce qui avait un lien avec la chaleur. Elle sentit l'énergie dégagée par le soleil, et par le noyau terrestre. Il s'agissait des deux sources les plus puissantes, mais il y avait aussi les sources plus diffuses, comme les volcans. Grâce à cela, elle put déterminer la position de son objectif avec précision.

Parallèlement à cela, des visions et des murmures commencèrent à passer les portes de son esprit vagabondant. Elle entendit des voix, mais n'arrivait pas à comprendre ce qu'elles disaient, ni de qui il s'agissait.

Des images défilèrent dans sa tête. Elle vit la cabane ou vivait Loukas. Ce dernier était debout, juste devant l'entrée, une torche à la main. Il avança, sa démarche était incertaine, il semblait blessé car il avait du mal à se mouvoir, et d'un geste calculé, jeta la torche à l'intérieur. Lorsque cette dernière atterrie sur le plancher, Amanda sentit une immense douleur dans sa poitrine.

Elle sursauta en revenant à elle, des gouttes de sueurs perlaient sur son visage, en passant sur ses cicatrices.

« Qu'est-ce que... ». Déboussolé, il lui fallut un moment avant de reprendre ses esprits et savoir exactement où elle était. Par instinct, elle toucha la garde de ses lames dorées, et Ducan ralenti son allure.

Maxim, qui était à côté d'elle depuis plus d'une heure et qui avait laissé les rênes de sa charrette à quelqu'un d'autre, se rendit compte de son état et lui demanda. « Commandante, vous allez bien ? ».

« Oui, je crois... Excusez-moi, je n'ai pas l'habitude des longs trajets à cheval ».

« Un mot de votre part, et nous dressons le camp », répondit la guerrière avec assurance.

« Je vous remercie. Nous pouvons encore continuer une petite heure, ensuite nous ferons notre dernière halte avant la nuit ».

« Bien, Maître ». Sur ses mots, elle galopa vers les éclaireurs, qui étaient en tête, afin de leur faire part de la nouvelle.

Amanda se frotta les yeux. Elle était fatiguée, c'est vrai, mais ce n'était pas tant une fatigue physique. Elle ne se voyait pas dire à ses nouveaux compagnons qu'elle avait de curieuses visions, et que cela semblait toujours concerner les dieux, ainsi que Loukas. Il y avait quelque chose entre-eux, pourtant, le lien qu'ils avaient eu auparavant était bel et bien brisé à jamais. Était-ce autre chose ? Un lien différent ? Un autre dieu s'amuserait-il a les torturer de nouveau ?

« C'est sans doute le passé qui m'encombre l'esprit... », pensa la jeune femme en soupirant. Elle n'avait pas de réponse, et cela la troublait.

Le trajet se passa dans le calme jusqu’au dernier arrêt de la journée, près d’une oasis, entourée par quelques collines rocheuses et des cactus verts et pourpres.

Amanda fit boire Duncan et le brossa. Bien qu’elle n’ait jamais eu de cheval, elle savait à peu près comment s’occuper de lui, mais ne tarderait pas à demander des conseils aux intendants, car ils étaient plus doués qu’elle pour cela, notamment pour tout ce qui était de l’ordre du matériel et de l’entretient.

Du coin de l’œil, elle vit Aline – une des fantassins de la troupe – faire descendre Théo de la charrette pour qu’il se dégourdisse les jambes. Ce dernier lui lança un regard noir, avant de détourner les yeux.

« Tu avais cas rester tranquille », pensa-t-elle en se dirigeant vers Lilith, qui était en train de discuter avec les éclaireurs.

« Ah, commandante, je peux vous être utile d’une quelconque façon ? », questionna cette dernière en souriant lorsqu’elle l’aperçu. Les éclaireurs la saluèrent, jusqu’à ce qu’elle leur fasse le signe du repos.

« Je voulais savoir si vous aviez des retours des troupes concernant notre mission. Mais peut-être n’avez-vous pas eu le temps de leur parler ? ».

« Si j’ai eu le temps, il n’y a pas eu d’objection ou de remarque, les soldats sont là pour vous assister, après tout. Je disais justement aux éclaireurs qu’il leur faudrait reconnaître les flancs du mont, pour nous trouver un chemin sûr jusqu’au sommet. Nous devrons laisser quelques soldats en bas, pour garder les animaux et le matériel, les charrettes ne pourront pas grimper ».

« D’accord, c’est une bonne idée… ». Elle baissa la tête, déçue de ne pas être aussi compétente qu’elle, et s’apprêtait à retourner après de Duncan pour monter sa tente et s’isoler pour la soirée.

« Commandante ? », questionna Lilith.

« Oui ? ».

« Je me demandais, voudriez-vous dîner avec nous ? Vous avez mangé seule hier, et je peux le comprendre, mais nous serions plus qu’honoré si vous vous joigniez à nous ». La caporale désigna les fantassins qui étaient en train de dresser le campement, et de préparer le repas du soir.

« Je… Je ne sais pas », avoua-t-elle, ne sachant trop si elle en avait envie ou non.

« Nous avons de succulents haricots rouges, et de la semoule », argumenta la caporale en levant un doigt au ciel, avec un grand sourire.

Amanda soupira intérieurement, elle n’était pas certaine que cela soit une bonne idée, mais accepta tout de même, pour ne pas froisser son aide de camp. Cette dernière avait l’air ravi qu’elle ait accepté.

Elles se dirigèrent donc auprès des troupes, bien que la plupart d’entre-eux soient affairés à monter les tentes et à sécuriser les environs, certains étaient déjà en train d’allumer un feu pour faire la cuisine, en sortant les ustensiles et les ingrédients. Il y avait parmi eux l’un des intendants, et une demi-douzaine de soldats, dont les deux gardes royaux qui restaient la plupart du temps auprès d’elle.

Alors qu’elle arrivait à leur niveau, ceux qui étaient assis se levèrent et tous la saluèrent comme il se doit.

« Repos, je vous en prie. Laissons le protocole de côté en fin de journée ».

« À vos ordres, commandante », répondit la troupe. Ils restèrent cependant debout, et ne purent détacher leurs regards d’elle. La hiérarchie étant très respecté au sein de l’armée, ils avaient du mal à s’en défaire et ne savaient visiblement pas trop comment réagir face à la désinvolture de la jeune femme.

Lilith l’invita à s’asseoir sur un des tapis de sol disposé autour du feu, et elle s’installa elle-même à ses côtés, en dégrafant sa ceinture pour poser ses armes.

L’intendant demanda à un guerrier de déplacer la petite marmite au-dessus du feu, le temps qu’il aille chercher de l’eau à l’oasis. Ils la filtrèrent dans un chiffon avant de la faire bouillir pour y mettre la semoule.

Maxim se joignit à eux, après être passé voir les sentinelles. Elle avait en main un panier tressé rempli d’herbes diverses, qu’elle semblait avoir cueillit près de l’eau.

« J’ai trouvé un peu d’alguelline, tu en auras besoin ou j’en fais des bandages ? », demanda-t-elle au cuisinier.

« Elle a un goût trop fort quand elle pousse dans ce type de lagon, vous pouvez la garder, mais merci quand même. Vous avez trouvé des aromatiques ? ».

« Oui, tiens, sers-toi ». Elle lui tendit le panier, qu’il posa à ses pieds pour en examiner le contenu, l’air pensif.

« Ne met pas de chose trop forte, Aldo et Sasha n’aimeront pas », expliqua la sergente.

« Pas de soucis, je vais faire doux pour tout le monde. Je peux assaisonner ? ».

« Je t’en prie, mais reste raisonnable ».

Par habitude, Shôr et Jaken, les deux gardes royaux, virent se placer auprès de la Maître du Feu, en lui faisant un petit signe de tête. Il ne se séparèrent cependant pas de leurs piques.

Un des fantassins – du nom de Joriss – sortit une petite flûte en bambou, et commença à jouet un petit air. D’autres guerriers discutaient entre-eux, à voix basse, de sujets divers.

Le deuxième intendant venait de finir de monter les tentes et de nourrir les animaux, avec l’aide des mages et de quelques soldats, ils vinrent donc les rejoindre.

Les éclaireurs étaient absents, ainsi que certains fantassins et les deux lanceurs de gourdes explosives. Ils devaient être en patrouille, ou bien en tours de garde.

Amanda essaya de déterminer qui faisait quoi, elle avait déjà vue que Baltier l’intendant faisait souvent les repas et s’occupait des vivres, aidé par Coralie et Koïra ; Maxim semblait connaître les plantes, tout comme Rédouane. Irion avait de l’affection pour les chevaux, il était avec eux le soir et se levait même la nuit pour s’enquérir de leur santé et leur offrir de l’eau.

Joriss jouait visiblement de la flûte le soir, pour détendre l’atmosphère, et Anna chantait parfois pour l’accompagner.

Le deuxième intendant, Many, s’occupait plutôt de l’organisation du camp et du matériel, ainsi que de l’entretien des chariots et de l’équipement. Lorsqu’il fallait chasser, les fantassins munis de lances s’en chargeaient, comme Salomon, Tarra et Hommed, bien qu'il n'y ait pas beaucoup de gibier parmi les étendues sablonneuses et désertiques du royaume.

Lilith tendit un bol à Amanda, ce qui la tira de ses pensées un instant. Elle saisit le récipient en la remerciant.

Les trois mages s’assirent également proche d’elle, ils ne pouvaient s’empêcher de lui jeter des regards curieux. Elle projeta son esprit vers eux, leur signifiant bien qu’il ne fallait pas la prendre à la légère, surtout lorsqu’il s’agissait de magie.

En s’en rendant compte, Achille, l’un des mages, esquissa un sourire et leva son verre en sa direction. Elle ne réagit pas, les sorciers n’étaient pas les personnes qu’elle aimait le plus, ce qui était paradoxale étant donné ses facultés magiques. Elle pensa brièvement à Loukas, et aux ravages qu’il avait provoqué à Nienlass avec son séisme. Lorsqu’elle avait repris la route de Tropyrr, elle avait constaté les dégâts colossaux engendré par le Maître de la Terre : les bâtisses brisées, les allées aux pavés tordus, les arbres couchés, les quartiers souterrains effondrés... Un pouvoir pareil ne pouvait avoir que des effets dévastateurs, et elle ne pouvait s’empêcher de penser que c’était aussi sa faute si cela était arrivé. Tous ces morts, toute cette destruction.

Maxim la tira de ses pensées après plusieurs longues minutes, « Vous êtes fatiguée, commandante ? ».

« Hum ? Non, pas vraiment. Je réfléchissais ».

« Vous semblez êtes quelqu’un de très pensive, je me trompe ? ».

« Je ne l’étais pas autant, avant », elle lui sourit tristement, en faisant référence à l’époque précédant son opération.

« Je vois ». La sergente lui sourit également, ses tatouages commençaient à briller, ils semblaient être fait à partir de pigments luisants, qui étaient d’autant plus visiblement maintenant, au crépuscule. « Ce n’est pas habituel qu’un Maître du Feu soit pensif et raisonné. D’après ce qu’on m’a dit, ils sont plutôt impulsifs et téméraires ».

« C’est vrai, à l’image de notre peuple », elle lui fit un clin d’œil. La sergente ne s’attendait pas à une réponse pareille et se mit à rire, ce qui attira quelque peu l’attention des autres soldats.

« Vous avez parfaitement raison ! ».

« Heureusement qu’il y a quand même des gens qui réfléchissent, sinon nous ne serions rien de plus que des barbares ignorants », argumenta Lilith en se joignant à la conversation.

« Oh, vous êtes dure, caporale ! ». Plusieurs guerrières et guerriers furent aussi piqués au vif par cette remarque.

Shôr, le garde royal, ne put s’empêcher d’intervenir en fronçant les sourcils. « Notre force vient de notre impulsivité et de notre ténacité, il serait dommage, voir même insultant, de réduire cela à de la barbarie ».

« Ce n’est pas ce que je voulais dire, je m’excuse », déclara Lilith en levant les mains, en signe de reddition.

« Je suis d’accord avec vous, moi », expliqua Amanda. « Je suis la seule Maître du Feu encore en vie, d’habitude, les Maîtres les plus vieux accompagnent l’initiation de la nouvelle génération, ils sont là pour les guider. Ce n’est pas le cas au royaume du Feu, je suis seule… Seule à cause du comportement des Maîtres du Feu. Les autres royaumes ont significativement plus de Maître… ».

Cette annonce eut l’effet d’une bombe au sein de la troupe. Tous la considérèrent gravement, mais personne ne semblait outré ou énervé.

Maxim posa une main sur son avant-bras. « Vous n’êtes pas seule, commandante ». Ses yeux exprimaient sa dévotion et son respect.

« C’est vrai, nous sommes avec vous. Même si nous ne sommes pas des Maîtres », répondit Talann, un jeune guerrier, qui faisait à peu près la vingtaine. Les autres acquiescèrent, cela semblait être l’avis général de la troupe.

« Merci... », murmura Amanda.

« Assez parlé, servez-vous, le repas est prêt ! », fit remarquer Baltier.

Les membres de l’unité se levèrent par groupe pour venir remplir leur bol, tout en continuant leurs conversations. Lilith prit celui d’Amanda pour la servir, sans réellement lui demander.

« J’espère que cela vous suffit comme repas, les plats fait sur la route sont assez simples ».

« Oui c’est parfait, merci. Nous avons des réserves pour combien de temps ? », demanda-t-elle en acceptant sa ration.

Lilith leva les yeux au ciel pour réfléchir et compta sur ses doigts. « Je ne sais pas trop, trois ou quatre jours je dirais. Baltier, nous avons beaucoup de vivres ? ».

« Assez pour aller jusqu’à Chisé, il faudra se ravitailler là-bas. Les troupes locales feront peut-être la route avec nous jusqu’à la frontière. Ils auront du surplus de nourriture ».

« Si seulement on avait de la viande… », pesta Salomon en récupérant son bol.

« Tu crois que ça pousse sur les arbres ? » répondit Many, le second intendant.

« On pourrait chasser ! ».

« Ou on pourrait juste manger en paix », lui dit Aline en mettant un coup de cuillère dans sa semoule.

« Mais c’est trop bon la viande… Ce n’est pas un vrai repas s’il n’y en a pas ».

« Certains diraient que c’est trop bon les épices, pourtant je n’aime pas ça. Les goûts sont subjectifs, ce n’est donc pas un argument ».

Le guerrier fit la grimace. N’ayant rien à redire, il s’assit et mangea ses haricots en grommelant.

Alors que le calme retombait sur le campement, Amanda entendit quelque chose gratter sous un coin du tapis de sol. Elle plissa les yeux et regarda attentivement. Un petit reptile surgit soudain de sous le tissu, il venait de s’extirper de la terre.

« Oh, un gecko cendré », s’exclama Maxim en parlant la bouche pleine.

« C’est une espèce rare », ajouta Lilith.

« Il a l’air délicieux ! », rétorqua Salomon.

« Si tu le mange, ce sera ton dernier repas », le prévint Sasha en fronçant les sourcils, soutenue par Tibalt, Irion et Koïra.

Le petit reptile avait bien la morphologie d’un gecko terrestre : des petites pattes griffues ; une queue grasse qui lui servait de réserve nutritive, ainsi qu’à leurrer les prédateurs, et une tête triangulaire, avec des paupières et une langue rose.

Le gecko semblait décontenancé par la présence de temps de monde sur son terrain de chasse favoris. Il se tourna plusieurs fois, sans trop savoir où aller.

« Ils ne sont pas dangereux ? », demanda Amanda, qui ne connaissait pas cette espèce. La teinte noire et grise de l’animal n’était pas sans lui rappeler un certain dragon.

« Pas du tout. Certains nobles en capturaient pour en faire des animaux de compagnie, ou des brochettes, au siècle dernier. À cause de ça leur nombre à drastiquement diminué, mais l’arrière-grand-mère de notre reine a fait interdire ces pratiques. Ils sont dorénavant protégés sur tout le territoire ».

« Je n’en ai jamais vu avant ». Elle tendit la main vers lui, ce qui l’effraya quelque peu. Il recula et sortit plusieurs fois sa langue.

« Ah oui ? C’est une espèce endémique, pourtant. Mais elle est nocturne, il faut sortir la nuit pour l’observer ».

« Il n’y a pas une comptine pour enfant qui en parle, justement ? », questionna Anna. Lilith hocha la tête.

« Je maintiens qu’il ferait un bon en-cas, la preuve, si on en faisait des brochettes par le passé c’est qu’il doit être mangeable », argumenta Salomon, mais personne ne l’écoutait.

« Il a surtout l’air sans défense ».

« C’est drôle, n’est-ce pas ? Nous sommes tellement habitués à être en contact avec des salamandres, des golems, des scorpians, voir même des dragons, que nous en oublions les petits animaux comme celui-ci, qui ne demandent rien à personne », philosopha Maxim.

Cette phrase avait beaucoup de sens, pour Amanda, qui trouvait la logique très bonne, quoique, un peu déprimante.

L’attention du gecko se trouva soudain accaparée par les mouvements d’ailes d’un papillon de nuit, qui était attiré par le feu. Il se dirigea en sa direction, avec la démarche d’un prédateur.

Alors que presque tout le monde l’observait en train de chasser, la jeune Maître du Feu murmura à Lilith.

« Dite-moi, notre unité a-t-elle un nom ? ».

« Non, elle n’en a pas. Vous avez une chose en tête, commandante ? ».

Elle désigna du menton le petit gecko. « Les geckos cendrés, cela me paraît parfait. Comme lui, il ne faut pas nous prendre à la légère, et ce n’est pas parce que nous sommes petit que nous n’avons pas un impact sur ce qui nous entoure ».

La caporale ne sut quoi dire. Elle ouvrit la bouche, mais se ravisa, se contentant d’un simple sourire. « Va pour l’unité des geckos cendrés, alors ».

Annotations

Vous aimez lire Redd Laktoze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0