Chapitre XXVII :Un ordre nouveau

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La jeune Maître du Feu parcourait les couloirs du palais avec une détermination sans précédente. Son regard était extatique et résigné. Sur ses talons, Théo tentait de suivre sa cadence tant bien que mal, car son armure était tout de même assez lourde.

Amanda arriva prêt de ses appartements, ouvrit la porte de sa chambre d'un coup sec, et attrapa dans la foulée le grand sac de voyage qu'elle avait pris soin de préparer des jours à l'avance.

« C'est enfin le moment. Je vais enfin pouvoir quitter cet endroit ! ». Se dit-elle en soufflant du nez. Elle toussa légèrement, car elle avait gravi les marches menant aux étages si vite qu'elle en avait presque oublié de respirer.

« Vous avez quitté les généraux avec une grande hâte, Maître Amanda. Pourquoi tant d'empressement ? », questionna Théo en haletant.

La jeune fille le fusilla du regard, « J'ai une mission, je n'ai pas l'intention de faire attendre la reine. Nous redescendons, si tu veux faire une pause, va s'y. J'ai une arbalète et des carreaux à récupérer ».

« Mais... Attendez moi ! ». Le soldat se mit sur ses talons alors qu'elle était déjà presque à l'autre bout du couloir. Elle se tourna vers lui, à l'angle du mur, et il ne vit que l'éclat de ses yeux rougeoyants, avant qu'elle ne disparaisse.

Amusé par la situation et par le chaos ordonné qui régnait à présent dans la capitale, elle dévala de nouveau les escaliers en direction de l'entrée du palais, un petit sourire pervers au bord des lèvres.

Dans un couloir vide, elle dégaina ses lames et effectua quelques acrobaties, fendant l'air de ses nouvelles armes, tranchants des ennemis invisibles. Elle fléchit les jambes pour sauter et donner un coup de pied quand soudain, une vive douleur dans la poitrine la fit tomber à la renverse. Elle lâcha ses faucilles et se tint l'estomac.

Son visage se figea en une expression de douleur, comprimant ses traits. Ses cicatrices se mirent à luire comme des braises sur lesquels on aurait soufflé, si bien que l'on aurait dit que ses joues allaient s'embrasser.

Elle cria, et ne put retenir ses larmes tant sa souffrance était grande.

« Maître Amanda ! », s'exclama Théo en découvrant la scène. Il accouru aussi vite que possible auprès d'elle pour lui porter assistance.

« Que se passe-t-il ? Vous allez bien ?! ».

Il tenta de la remettre debout, mais rien n'y faisait. Ses jambes lui semblaient aussi lourde que du plomb.

« Ne me touche pas... ! », cria-t-elle, la voix cassée par les larmes. Elle sanglota de plus belle, puis frappa le sol de son poing à plusieurs reprises.

Théo arrêta son bras, « Vous allez vous faire mal ! ».

« J'ai déjà mal ! ». Sa voix se brisa et elle cria de nouveau.

« Je vous en prie ! Dite moi quoi faire pour vous aider... », supplia le guerrier. Il avait véritablement l'air inquiet.

« La gourde... ». Elle désigna du doigt sa gourde en cuir, qui était tombée de sa ceinture lorsqu'elle s'était écroulée.

Le soldat la ramassa et lui tendit. Elle la déboucha, inspira profondément et prit plusieurs gorgées de l'épais liquide qu'elle contenait. Ce dernier avait une odeur rance qu'il était difficile de supporter sans avoir envie de vomir.

L'état de la jeune femme sembla se stabiliser. Elle respirait moins bruyamment et avait arrêtée de pleurer, bien que les sillons creusés par ses larmes étaient encore bien visibles.

« Je ne vous avait jamais vu faire une crise de ce genre. À en juger par cette étrange potion, ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas ? ». Demanda Théo, d'une voix étrangement douce.

Amanda fit signe que non.

« Venez, je vais vous aider à vous relever ».

Alors qu'il passait son bras sous son épaule, le général Mens déboucha dans le couloir, accompagné par une demi-douzaine de généraux, allant du chef de guerre au commandant de bataillon, ainsi que quelques sergents privilégiés.

Le vieil homme était en train de parler, mais il se coupa dans sa phrase en voyant Amanda.

« Maître ? Tout va bien ? Que se passe-t-il ? ». Il avait l'air vraiment préoccupé par l'état de la jeune femme, et se dirigea vers elle, les sourcils froncés par l'inquiétude.

« Ce n'est rien... », murmura-t-elle en soupirant.

Théo lui lança un regard grave avant de s'adresser au général. « Elle est allé trop vite dans les escaliers, messire. Pas étonnant que sa tête ait fini par tourner. N'ayez crainte, je m'occupe d'elle ».

Les paroles du jeune soldat rassurèrent quelque peu le dirigeant de l'armée du royaume. Il tira sur sa moustache en examinant la Maître un court instant, avant de s'en retourner s'occuper de ses troupes, qui attendaient en faisant des messes basses.

Une fois le petit groupe passé, Amanda récupéra ses armes et les remis à sa ceinture, ainsi que sa gourde.

« Je me suis laissé aller. Je n'aurais pas dû... », pensa-t-elle. D'ordinaire, elle s'entraînait seule au combat, et ses crises survenaient lorsqu'elle faisait un effort trop important. La potion était là pour l'aider à se rétablir plus vite, de façon à reprendre rapidement ses exercices.

Elle se risqua à palper la peau de sa joue brûlée, pour constater qu'elle ne s'était pas craquelée plus que ça. En poussant un soupir de soulagement, elle reprit son chemin sans un mot, avec la même allure que d'habitude.

Les mains dans les poches, elle se mit à réfléchir, ressassant les paroles de Glaross : le dieu du Feu lui était apparu alors qu'elle se remettait à peine de son opération, lui disant que son destin était tout autre que de rester avec Loukas, elle avait de grandes choses à accomplir, des combats à mener. Il lui avait fallu endurer cette épreuve pour prouver qu'elle était forte, et elle l’avait fait. À présent, elle pouvait aiguiser ses talents, et aider sa reine et son royaume au mieux.

Elle avait eu bien du mal à accepter cela, même après que le dieu ait confessé avoir manipulé ses sentiments pour le Maître de la Terre, avec l'aide d'Anava. Comment ne pas remettre sa foi en question après cela. Néanmoins, sa réaction fut plutôt surprenante, car elle resta fidèle à son dieu tout en réaffirmant sa dévotion envers lui. Ce renouveau ne l’avait pas empêcher d’essayer de mettre fin à ses jours, car lorsqu’elle était seule dans le noir, elle revoyait les casques métalliques des inquisiteurs qui se penchaient au-dessus d’elle. Lorsque cela arrivait, l’angoisse était tel qu’elle ne pouvait s’empêcher de se faire du mal.

Plongée dans ses pensées, elle se concentra sur son ventre. Il la faisait moins souffrir, mais à chaque fois, c'était très intense.

« Cette douleur ne disparaîtra jamais... J'en suis sûre ».

« Comment cela ? », demanda Théo.

Amanda sursauta, elle ne s'était pas rendu compte qu'elle avait dit cela à haute voix.

« Rien. Oublies ça ».

Le guerrier ne fit aucun commentaire.

Ils accélérèrent au fur et à mesure qu'Amanda reprenait des forces, et que ses jambes la portaient de nouveau. Comme l'avait dit la jeune femme, ils retournèrent dans la boutique de Richard pour récupérer les carreaux et l'arbalète, remise à neuf. Le forgeron s'était même permis d'ajouter un mousqueton afin qu'elle puisse l'accrocher à sa ceinture. Elle pouvait bien évidement l'enlever si cela la gênait.

Après avoir une nouvelle fois remercié l'artisan, ils rejoignirent la porte de l'est, ou d'importants contingents se massaient au-devant des lourds vantaux de bois.

La jeune femme s'occupa en détaillant les unités présentes : il y avait d'abord de nombreux fantassins équipés d'épées et de boucliers ; d'autres munies de griffes de combat et dont les armures étaient surmontées d'or. Il y avait aussi des lanciers, des épéistes à deux mains maniant les mêmes épées que les fantassins, mais avec une garde renforcée, et sans bouclier. Leurs armures étaient cependant plus épaisses.

Les artificiers de l'armées qui étaient chargés d'utiliser les fameuses gourdes explosives étaient engoncés dans des armures lourdes, avec un casque rappelant la forme d'une tête de reptile.

Par ailleurs, les cavaliers du royaume étaient montés sur d'étranges lézards géants de la taille d'un cheval, à la peau noire cendrée. Certaines humaient l'air de leur longue langue fendue, et fouillaient le sable à l'aide des grandes griffes qui armaient leurs pattes musclées. Amanda identifia qu’il s’agissait de salamandre : des animaux puissants que l’on trouve près des volcans et autres champs de lave. L’une des bêtes lui lança un regard amusé, puis sorti sa grande langue fourchue avec un petit sifflement.

Seuls les éclaireurs étaient montés sur des chevaux, ainsi que les hauts gradés. Il y avait aussi une multitude de charrettes, certaines pour le transport de troupes et d'autres pour les vivres et le matériel.

La jeune Maître fut saluée plusieurs fois, mais la majorité des regards qui lui étaient adressés étaient méfiants, voir un peu apeurés. Les soldates et soldats s'écartaient à son passage, jusqu'à ce qu'elle arrive devant une troupe singulière : les guerriers qui la composaient étaient très imposants, et tous vêtus d'armures d'or et d'argent identiques, serties de gemmes de toutes les couleurs.

« Comment font-ils pour porter de tels armures ? On dirait des forteresses vivantes », commenta Amanda en passant auprès d'eux. Il n'y avait visiblement que des hommes.

« Ce sont des paladins, mademoiselle. Ils ont quelque chose d'inhumain qui les renforce et les surclasse », répondit Théo sans oser soutenir le regard des soldats saints. Ces derniers étaient initialement au service du dieu de la Lumière : Stillanis. Mais le royaume de la Lumière ayant été détruit, les survivants de l'ordre trouvèrent refuge à Tropyrr, il y a de cela des centaines d'années. Ainsi, les pratiques et le savoir-faire de cette caste ne tomba pas dans l’oubli, et les descendants de l’ordre purent continuer à servir l’humanité.

L'un d'entre eux s'avançait droit sur la Maître, sans dévier de sa trajectoire. Il avait en main un énorme marteau à deux têtes, brillant comme une étoile, qu'il maintenait sur son épaule.

Lorsque la jeune femme arriva à sa hauteur, elle s'arrêta, car il lui barrait la route. L'immensité du colosse lui faisait de l'ombre. Il devait bien la dépasser de plus d'un demi-mètre.

Les mains sur les gardes de ses faucilles, elle leva les yeux et déclara : « Je peux t'aider ? ».

« Es-tu Amanda, la Maître du Feu ? », demanda-t-il d’une voix doublée d’un écho métallique.

« En effet ».

« Je me nomme Régiselt. Je suis le dirigeant de l'ordre des paladins ». Son armure se mit à briller d'une pâle lumière, rappelant celle des astres. « Mais on m'appelle également '' le chevalier '', en référence à mon titre ».

Amanda lui tendit la main. « Ravit de te rencontrer, Régiselt. J'ai souvenir de t'avoir déjà aperçu au palais ».

Il prit sa petite main entre ses deux gants de métal avec la plus grande prudence et inclina légèrement la tête. « C'est possible, bien que j'y séjourne assez rarement. Comment allez-vous ? ».

Elle accueillit sa question avec une certaine interrogation. Ce n'était pas quelque chose qu’on lui demandait souvent, ces temps-ci.

« Je... Je vais bien, merci. Et vous ? N'avez-vous pas chaud là-dessous ? ». Elle pointa du doigt son harnois.

« Je vais bien, impatient de vous accompagner. Je sens à peine la chaleur, regardez ». Il posa la tête de son marteau au sol – ce qui le fit trembler – puis ôta son casque. Une chevelure dorée en jaillit, recouvrant ses épaulières et entourant son visage lisse. Il avait les yeux d'un bleu indigo très profond, des joues rondes, un peu rouges, des lèvres rosées, et des traits assez androgynes. Malgré son apparente jeunesse, il était impossible de déterminer son âge.

« Vous voyez ? », dit-il. « Je ne transpire même pas ».

La jeune femme leva un sourcil et ajusta son chapeau.

« Hum. Je vois, mais j'imagine que tu ne m’as pas coupé la route pour échanger de simples civilités. Tu parlais de m'accompagner ? ».

« En effet ». Il s'inclina légèrement. Pendant un bref instant, ses yeux avaient changé de couleur pour un vert émeraude, avant de revenir au bleu. « Je me suis chargé de vous escorter pour votre mission, j'ai par ailleurs un cadeau pour vous ».

« Un cadeau ? », répéta la jeune femme. Elle se demanda ce qu'un paladin pourrait bien avoir à lui offrir.

« Oui ! ». Il remit son heaume d'un geste gracieux et récupéra son marteau. « Si vous voulez bien me suivre ». Il ouvrit la marche d'un pas lourd, mais néanmoins rapide.

Amanda resta dans son ombre, avec Théo sur ses talons.

Alors qu'ils approchaient des charrettes, la Maître croisa le regard d'un magnifique étalon d'un blanc de nacre. Un maréchal-ferrant était en train de vérifier l'un de ses sabots. Le jarret de la bête trembla, mais l'homme connaissait son métier. Il lâcha l'animal alors que le groupe approchait de lui.

Son poitrail se soulevait rapidement, il s'ébroua, faisant voler sa longue crinière grise. Il avait chaud, et sa selle en cuir ne devait pas lui apporter de fraîcheur, bien au contraire.

Le paladin attrapa la bride du cheval, et la tendit à Amanda.

« Voici votre monture. C'est un pur-blanc, vous pouvez le voir en approchant, car sa peau est un peu rosée. Il n'est pas très âgé, c'est pourquoi son crin est encore gris. J’ai pensé qu’un cheval vous serait utile, la route est longue vers notre destination ».

La jeune Maître était hébétée. Elle saisit la bride et contourna l'animal pour venir lui flatter l'encolure. Son regard se plongea dans le siens. Il avait de magnifiques yeux bleus.

Devant son mutisme, Régiselt demanda : « Il vous plaît ? Je l'ai choisi moi-même parmi les chevaux qui sont ordinairement dressés pour nous, dans des pâturages spéciaux, au nord-ouest de la capitale. Les paladins apprécient le blanc, j'espère que vous aussi ».

« Il est magnifique. Quel est son nom ? ».

« Duncan. Mais si cela ne vous plaît pas, vous pouvez toujours changer ».

« Non. Duncan c'est très bien ». Elle sourit, ce qui était devenu chose rare. Elle n'avait jamais eu d'animal, et n'avait jamais imaginé posséder un cheval. Elle eut une brève pensée pour Claod, l’Éclair Invisible de Loukas, mais elle la repoussa.

« Content de l'apprendre. J'ai fait broder votre nom sur la selle. Tout le monde saura qu'il est à vous ».

« Merci », souffla-t-elle, sans le regarder.

Régiselt hocha la tête, puis se proposa de l'aider à monter. Elle refusa gentiment, ce n'était pas nécessaire. Bien qu'elle n'ait que rarement monté à cheval, elle trouva bien vite les étriers pour prendre appuie et monta en selle. Théo se permis de vérifier les sangles, puis recula un peu pour lui laisser de la place.

« Suivez-moi, j'ai autre chose pour vous, si je puis dire », déclara une nouvelle fois le paladin.

C’est du haut de sa nouvelle monture qu’elle lui emboîta le pas. Sa main caressait machinalement la crinière de Duncan. Ils remontèrent le cortège jusqu’à une petite troupe assez singulière, constituée de femme et d’homme, armés et habillés différemment des autres.

« Ils ont une allure assez étrange… », se dit la jeune cavalière.

Le guerrier de lumière s’arrêta devant une jeune femme aux cheveux auburn, portant une grande queue de cheval. Elle portait une armure de fantassin standard, en écailles de poissons des sables. L’ensemble ressemblait à s’y méprendre à une cotte de mailles. À son flanc pendait une épée courte, ainsi qu’une dague presque aussi longue que cette dernière. Sur son plastron, elle portait un petit carré en tissu vert clair, signe de son grade de caporale. Elle était en train d’ajuster les sangles de ses brassards lorsqu’elle le remarqua, et se mit au garde-à-vous.

« Repos », ordonna-t-il. Mais la caporale n’obéit pas, son regard se posa sur Duncan et sur Amanda.

Régiselt sourit et sembla se rappeler de quelque chose, il laissa échapper un petit rire et passa une main sur sa nuque.

« Ah ! J’avais oublié », dit-il. « C’est votre unité, elle ne m’obéit plus désormais ! ».

Amanda écarquilla les yeux, elle n’était pas bien sûre de ce qu’elle venait d’entendre. À présent, toute la troupe l’avait remarquée et s’appliquait à la saluer militairement.

« Ce n’est pas sérieux ?! ».

Même Théo ne semblait pas certain que cela soit une bonne idée. Un léger sentiment de gêne s’installa durant quelques secondes, avant que le paladin ne réponde.

« Mais si, c’est très sérieux, Maître. Il vous faut une escorte personnelle, et quoi de mieux qu’une unité entière pour cela ? Tous ces braves soldates et soldats se sont portés volontaire, aucun d’eux n’est là contre sa volonté ». Il les désigna fièrement, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art. « Ils viennent tous de différentes unités, c’est pourquoi leur équipement n’est pas homogène, ce qui en fait une unité très spéciale, disons mixte. Vous devriez leur dire de se mettre au repos, sans quoi ils resteront comme ça indéfiniment ».

De plus en plus surprise par l’attitude du paladin, Amanda murmura l’ordre en question, et aussitôt, les guerriers obéirent. Leurs regards tournés à l’unissons vers elle la mettait très mal à l’aise. Elle ajusta son chapeau pour se cacher, mais la caporale approcha de Duncan et l’apostropha.

« Bonjour, commandante, je m’appelle Lilith, je serais votre aide de camp et votre suppléante au sein de l’unité. Permettez-moi de vous remettre ceci ». Elle lui tendit un petit carré en tissu vert foncé, symbole des commandants, ainsi qu’un carnet.

« Ce livret pourra vous être utile, je me suis permis d’y inscrire les noms de nos soldats, leurs attributs, leurs compétences ainsi que d’autres informations, pour que vous appreniez à les connaître ».

La Maître hocha mécaniquement la tête, parcourant les pages du petit carnet. En tout, elle compta trente-deux profils. La caporale avait mis ses propres informations en dernier, par humilité, présuma-t-elle.

Lilith continua sa tirade sans faire attention à l’air paniqué de la jeune femme. « Je dois aussi vous présenter ma sergente : Maxim ». Elle fit un signe en direction d’une autre femme : cette dernière portait une tenue de lancière, car son armure était en pierre des sables, un matériau souvent utilisé par les forgerons militaires pour les soldats lourds de corps à corps. Le poids apparent d’un tel accoutrement ne semblait nullement la gêner ; elle était aussi équipée d’une cape courte de couleur grise, bouclée sur son plastron et descendant jusqu’au milieu de son dos, la couleur de la cape montrait également son grade de sergente. Elle avait en main une grande lance dont la pointe semblait être ni plus ni moins qu’une grande écaille de reptile, taillée pour être mortelle. À sa ceinture, elle portait aussi une épée basique, utilisée par de très nombreux guerriers.

Alors qu’elle approchait, Amanda put remarquer les étranges tatouages faciaux, allant du jaune à l’orange, qui ornaient ses joues, son menton et son front. Ses paupières aussi étaient peintes, de sorte que lorsqu’elle fermait les yeux, deux petits soleils se couchaient sur ses cils, les rayons partant dans toutes les directions. Ses cheveux courts n’étaient pas attachés, et étaient d’une teinte assez similaire à ceux de Lilith, mais en légèrement plus foncé.

Une fois arrivé devant la commandante, la sergente salua brièvement avant de se tourner vers sa caporale. Les deux femmes discutèrent du matériel et des troupes, passant en revue les vivres et l’armement.

Amanda jeta de nouveau un coup d’œil à la liste, et réalisa qu’il y avait significativement plus de guerrière que de guerrier, sans qu’elle puisse comprendre pourquoi. Elle jeta un regard en coin à Théo, qui ne savait pas trop où se mettre. Elle constata également que Régiselt la regardait, les bras croisés et le visage impassible, attendant visiblement quelque chose.

Alors que son attention se reporta sur les deux femmes en face d’elle, ces dernières la regardaient également, dans l’expectative.

« Vos ordres, commandante ? », déclara Lilith en souriant chaudement, pour essayer de la mettre à l’aise.

« Nous… Nous avons une mission à accomplir, avant de partir. Il nous faudra rattraper l’armée une fois que cela sera fait », balbutia la Maître du Feu. Elle descendit de Duncan et le caressa machinalement, comme pour oublier le stress qui montait en elle. Les responsabilités ne la gênaient pas, mais donner des ordres n’était pas dans ses habitudes, et les manières des militaires lui étaient encore inconnues.

Elle se doutait bien que la reine ne la laisserait pas seule, par peur qu’elle les abandonne. Après tout, Loukas avait disparu quelques temps après son réveil, malgré le fait qu’il ait été sous bonne garde. La jeune femme savait parfaitement que Claod l’avait aidé. Aussi, il était évident qu’elle aurait une escorte, mais elle ne s’attendait pas à cela et pensait plus à une ou deux personnes, comme Théo.

« Elle m’entoure autant que possible et s’assure que j’ai des responsabilités pour me maintenir occupé. Malin… », pensa-t-elle.

Maxim, la sergente, lui adressa un sourire franc. C’est alors qu’elle osa regarder les soldats autour d’elle. Ils lui lançaient le même type de regard, ainsi que des sourires mêlant le respect et l’admiration. C’était comme ça qu’on la regardait, avant, lorsqu’elle n’avait pas encore rencontré Loukas. Lorsqu’elle n’avait pas fauté.

Elle eut un pincement au cœur, car ces gens étaient là parce qu’ils croyaient véritablement en elle, et la considérait toujours comme importante, malgré ses erreurs.

« Jeune homme, vous êtes rattaché à l’unité également », déclara Régiselt en pointant Théo du doigt. Ce dernier acquiesça sans réfléchir, considérant de toute façon que sa mission n’était pas terminée, car il n’avait pas reçu d’ordre à ce sujet.

« C’est tout pour moi, Maître. Je vous retrouverais et resterez avec vous lorsque vous aurez rejoint le convoi ! nous ferons des haltes dans chaque ville, d’ici à la frontière sud-est. La dernière escale se fera à Ismir, la ville fortifiée ! J’espère vous revoir avant et vous souhaite bonne chance, mademoiselle ». Il lui prit la main et la serra vigoureusement. Amanda lui adressa un sourire amical, mais ne sut quoi lui répondre à part : « À bientôt ».

L’armée commençait à bouger, les commandants et les chefs de guerre avaient aboyés des ordres à leurs suppléants, et ces derniers organisaient le départ. Plusieurs troupes d’éclaireurs partaient déjà au triple galop dans différentes directions, s’affairant à guider les troupes qui viendraient en renforts depuis les différentes cités du royaume. Tropyrr s’étaient vidée de ses troupes, seule restaient quelques milliers d’hommes, pour servir de garnison.

Amanda leva les yeux vers les remparts, pour découvrir que des centaines de citoyens les regardaient partir. Il y avait des enfants, des femmes et des maris, saluant une dernière fois leurs conjointes et conjoints.

Une main sur son épaule la fit se retourner. C’était Lilith.

« Je suis fier d’être à vos côtés, Maître Amanda ». Déclara-t-elle. Ses yeux se voilèrent de larmes, elle était visiblement émue.

« Merci… », murmura la jeune femme, un peu gênée. « Vous avez des gens à saluer ? », demanda-t-elle pour changer de sujet.

La guerrière fit signe que non. Une ombre passa dans son regard, très vite effacé par sa détermination.

« Quelle sera notre route, commandante ? ».

« Nous devons aller vers l’est, au nord de la ville de Chisé ».

« Vers le mont des lèvres rougeâtres ? ».

La Maître hocha la tête. « J’ai quelque chose à y faire, puis nous pourrons rejoindre les troupes à Ismir. Nous en aurons pour un peu moins de quatre jours ».

La caporale buvait ses paroles, attachant une importance à chaque mot qu’elle prononçait. Elle acquiesça par une légère courbette.

« Je vous fait signe quand tout le monde est près, je dois dire un mot aux intendants qui transportent notre matériels ». Elle désigna du doigt le trio de chariots qui attendait, non loin.

Amanda acquiesça timidement. Tenant Duncan par la bride, elle avança parmi les rangs de sa nouvelle troupe. Les soldats la saluèrent lorsqu’elle passait près d’eux. Pour la première fois depuis longtemps, elle n’avait pas honte d’être ce qu’elle était.

Elle se tourna encore une fois vers le haut des murailles, comme pour chercher quelque chose, et c’est là qu’elle l’aperçu. Son père se tenait dans la foule, aux côtés de sa mère. Le couple se tenait la main et lui faisait des signes, elle ne put déterminer l’expression sur leur visage, car elle était tout simplement incompréhensible. Ils souriaient tous deux, mais ce n’était pas un sourire joyeux.

La jeune femme réprima son envie de pleurer, elle aurait voulu les rejoindre, leur dire qu’elle était désolée, qu’elle pouvait rester ici, avec eux, pour toujours. Mais c’était impossible, il était trop tard pour mener cette vie, car une autre l’attendait déjà.

Elle leur fit un signe, puis dégaina une de ces faucilles et l’enflamma. Duncan se cabra légèrement, surpris par l’apparition des flammes qui léchaient le métal enchanté.

Les soldats la regardèrent alors qu’elle levait fièrement son arme vers le ciel, comme un défi lancé aux dieux eux-mêmes.

« Pour le royaume du Feu ! Pour notre patrie ! », hurla-t-elle soudainement. Cette fois, les larmes lui coulèrent sur les joues, sa voix se brisa quelque peu, ajoutant une dimension dramatique à son élocution.

L’armée entière repris ses paroles, et une énorme ovation se leva des remparts. Tout le peuple applaudit et cria, encourageant les combattants.

Incapable de se retenir, Amanda pleura, le regard toujours tourné vers sa famille. Elle doutait de les revoir un jour, les souffrances qu’elle avait enduré ces derniers mois n’était qu’un début. La guerre allait débutée, et malgré son jeune âge, elle devait assumer son statut et ses pouvoirs plus que jamais auparavant.

Elle se remémora le regard qu’avait parfois Loukas, lorsqu’il parlait de son passé, et lorsqu’ils s’entraînaient tous les deux. Ce regard étrange, qu’elle n’avait jamais vraiment pu comprendre, elle sut l’interpréter, à présent. Il s’agissait d’une forme de tristesse retenue, comme un sourire de façade, une illusion afin d’éviter les questions.

« Développe ton propre style ; nous sommes des Maîtres, la magie coule en nous avec facilité, n'hésite pas à t'en servir », lui avait-il dit un jour.

Malgré tout ce qu’il c’était passé, elle ne pouvait se résoudre à ne plus penser à lui, bien que cela soit toujours douloureux.

Alors que ses larmes tombaient sur la crinière de Duncan, Lilith s’approcha et lui confirma que la troupe était prête. C’était à elle de donner l’ordre du départ.

« Allons s’y… », murmura-t-elle. En baissant les yeux, elle remarqua que Théo la fixait d’un air grave, mais elle l’ignora, comme toujours. Il était à ses ordres à présent, alors elle pensa lui faire effectuer les tâches ingrates de l’unité, comme le nettoyage des latrines. Cette pensée lui fit esquisser un sourire.

Elle remit son arme à sa ceinture, et se plaça en tête, aux côtés de sa caporale. Le gros de l’armée prenait la route, tandis qu’ils partaient dans une autre direction. Les acclamations des civils les suivirent jusqu’à ce que la cité ne soit plus en vue. Un silence religieux s’installa peu à peu sur la troupe de guerre.

Amanda ajusta son chapeau, et plongea dans ses pensées. Voyager à cheval était un bon moyen de méditer.

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