Chapitre XXII : Le royaume de la Terre

20 minutes de lecture

Comme à son habitude lorsqu’il était chez lui, Loukas fut réveillé par le chant des oiseaux, gazouillant aux aurores sans être gênés par quoi que ce soit, virevoltant entre les branches jusqu'à leurs nids, perchés parmi les feuilles.

Il écouta ce spectacle sonore sans ouvrir les yeux, imaginant que les volatiles composaient une chanson pour leurs futurs petits, pas encore sortis de l’œuf, ou bien qu'ils eussent un débat très animé sur un sujet crucial. Comme, par exemple, le goût particulier qu'avaient les vers de terres en cette période de l'année.

Il fut tiré de ses rêveries par un baiser soudain, il ouvrit les yeux pour plonger son regard dans celui de sa compagne, encore un peu endormie. Elle l'embrassa de nouveau avant de se blottir contre lui, comme l’aurait fait un chaton avec sa mère, au coin d'un feu de cheminée.

« Tu es déjà réveillée ? » s'interrogea Loukas, sans vraiment attendre une réponse de sa part. Il la serra contre lui en étirant ses jambes sous la peau d'ours.

« J'ai dormi plus longtemps que toi, c'est normal », répondit-t-elle d'une voix douce et légère.

« Tu m'as entendu revenir cette nuit ? » demanda Loukas, surpris. Il pensait pourtant ne pas avoir fait trop de bruit.

Elle hocha la tête avant d'ajouter, « J'ai eu peur en voyant que tu n'étais plus là », elle se tourna dans le lit pour le regarder, « Tu étais où ? Ton mot ne disait presque rien ».

Il vit dans son regard qu'elle avait dû être inquiète, il s'en voulut alors de ne pas avoir donné plus de détails sur son message.

« J'étais parti faire un tour dans ma ville natale, leur annoncer que nous arriverions dans la journée et pour voir un petit peu comment les choses évoluaient, ça m'a aussi permis de revoir ma famille. Je te les présenterai aujourd'hui et nous passerons quelques temps là-bas, les jardins sont magnifiques maintenant que les feuilles tombent », il s'accouda à son oreiller, « à moins que tu ne veuilles rester ici. Qu'en dis-tu ? ».

Les yeux de la Maître du Feu s'élargirent comme des billes, ils brillaient tels des charbons ardents.

« Nous allons à Nienlass ?! », s’émerveilla-t-elle.

Il acquiesça. Elle bondit du lit, il en tomba sur le plancher pendant qu'elle remuait toute ses affaires.

« Mais qu'est-ce que tu fais, par tous les dieux ?! » questionna le jeune homme en se tenant la tête.

« J'ai beaucoup trop hâte ! Habille-toi, il faut qu'on se prépare ! ».

« Mais on a le temps » balbutia le Maître en se levant enfiler un pantalon en tissu foncé, qui traînait dans un coin.

Elle lui jeta un regard noir qui aurait presque pu lancer des éclairs, montrant qu'elle ne plaisantait pas.

« Habille-toi ! ».

« Oui oui, d'accord » lui dit-t-il, résigné, « Mais mangeons un morceau et faisons un brin de toilette avant, sans compter que notre moyen de transport ne viendra pas de sitôt ».

« Claod ? Il n'est pas revenu ? ».

« Si, Claod il me suffit de siffler, mais je pensais à un autre moyen de transport ».

Sa compagne ne comprit pas, il lui fit signe que ce n'était pas important. Ils iraient par les airs cette fois-ci, bien qu'en pleine journée se soit compliqué.

« Dis-moi, je mets la rouge ou la jaune ? », elle se tourna vers lui et agita tour à tour deux robes. L'une était rouge fraise, brodée de quelques fils d'argent, elle descendait jusqu'aux cuisses en ondulant. La deuxième, jaune avec plusieurs touches d’orange, était plus serrée et avait un décolleté plus prononcé.

« La rouge », fit Loukas sans même s'accorder un moment de réflexion.

« Mais, pourquoi ? », répondit la jeune fille, légèrement irritée, « Qu'est-ce que tu as contre l'autre ? ».

« Rien du tout » justifia le Maître de la Terre, « Le rouge est ma couleur préférée, donc je préfère la rouge ».

Amanda le regarda avec tendresse, avant d'enfiler son vêtement, « Moi, c'est le bleu ».

« Ah oui ? Pourquoi cela ? » demanda Loukas en cherchant de quoi s'habiller dans son armoire.

« À cause de l'oasis, c'est ce genre de bleu que j'aime. On m'a dit que le bleu de la mer était différent, c'est vrai ? ».

« Oui, il est beaucoup plus foncé, un peu comme ça », il lui montra une tunique bleu roi avec un col large et des lacets.

Elle observa le vêtement, pour ainsi dire sous toute les coutures, avant de faire une grimace, « non, je n'aime pas trop, mets-là pour voir ? ».

Il s’exécuta. « Alors ? ».

La jeune fille l'examina une fois encore, de plus près cette fois, passant ses mains sur son corps, jouant avec les lacets entre ses doigts, détaillant chaque muscle de son compagnon pour finir par l'embrasser à pleine bouche. Ils sentirent tous les deux une impulsion magique les traverser de part en part, Loukas la serra fort contre lui en s’efforçant de ne pas succomber à l'attrait mystique.

Ils se lâchèrent après une vingtaine de secondes, le souffle court.

« Je préfère nettement quand tu la portes » lui avoua Amanda dans un soupir.

« C'est ce qu'il m'a semblé » lui répondit le garçon en souriant, les effluves magiques se dissipaient lentement.

« Ça arrive plus souvent ces temps-ci, tu ne trouves pas ? Ça m'inquiète un peu », avoua-t-il.

Elle acquiesça, « On arrive à se contrôler non ? Alors il n'y a pas de soucis à se faire », elle lui offrit une caresse sur la joue avant de continuer ses préparatifs.

Ils s'habillèrent ensuite en silence. Loukas garda sa tunique bleue, cela faisait bien longtemps qu'il ne l'avait pas mise. Les lacets étaient serrés, il avait sans doute grandi depuis.

Justement, ils prirent un petit déjeuner, cependant le jeune homme n'avait qu'une seule chaise, cela lui rappela quelque chose d'assez triste.

« Auparavant, il y en avait deux » expliqua-t-il à sa compagne. Il lui parla alors de son ami l’ermite, du nom d’Olag. Le vieil homme l'avait recueilli lorsqu'il s'était enfui de chez lui et s'était perdu dans la forêt. Il lui avait appris bon nombre de choses, notamment la méditation, la musculation, la cueillette et le maniement de l'épée.

« Lorsque je suis parti avec Claod de cette maison » narra le jeune homme, « J'avais ton âge, je crois. Je suis allé vers l'ouest, je voulais voir la fille que j'aimais à cette époque, mais je n'ai pas pu. Je suis descendu vers le sud découvrir le royaume de l'Air et puis celui du Feu, en remontant par la suite par celui de la Terre, direction le royaume de la Foudre et enfin le pays des elfes, au nord. Olag a gardé un ami à moi pendant tout ce temps, il n'a jamais laissé tomber mes affaires, ne m'a jamais oublié... ».

Il garda le silence un instant, lui était assis sur le lit, ayant laissé la chaise à Amanda, qui était pendue à ses lèvres.

« Lorsque je suis rentré, après des années de voyages et d'aventures, c'était le début de soirée, je m'en souviens encore clairement. Cela doit faire deux ans maintenant. Le jour tombait lentement à l'ouest, je suis rentré dans la maison et l'ai trouvé allongé sur le lit. Il était mort, paisiblement, dans son sommeil… Je n’ai pas su dire depuis quand, mais vu son état, cela ne devait pas dater de trop longtemps. Même Claod était triste ce jour-là, Cody aussi a aboyé toute la nuit. Il était presque un père pour nous. Le deuxième pour moi, en quelque sorte ».

« Qui appelles-tu Cody, mon amour ? » demanda Amanda d'une voix aussi douce que possible.

Loukas partit d'un rire léger, il ne lui avait pas encore parlé de son plus vieux compagnon. « Il s'agit d'un loup géant que mon père, Ravend, m'a offert pour l'anniversaire de mes cinq ans, je l'ai emmené avec moi quand je me suis enfui. C'est d'ailleurs presque la seule chose que j'ai prise ».

Il joua un moment avec sa chevalière, « Depuis, il vit autour de la maison sans jamais vraiment s'approcher, sauf si je l'appelle ou que je lui offre à manger. Tu auras l'occasion de le voir plus tard, il a déjà senti ton odeur et sait que tu es là », lui dit-il en lui faisant un clin d’œil.

Elle blêmit légèrement puis murmura, « C'est rassurant ». Il n'y avait pas de loup géant dans son royaume, ils venaient presque exclusivement des Montagnes du Nord, immenses et infranchissables.

Ils finirent leur petit déjeuner, constitué surtout de fruit cueillis sur les arbres dehors, ainsi que de viande séchée. Puis ils sortirent se débarbouiller dans le petit bassin à l'extérieur.

Loukas siffla plusieurs fois, dans l'espoir de faire venir Cody, mais même après une dizaine de minutes, celui-ci ne se montra pas.

« Il ne viendra sans doute pas aujourd'hui, la soirée d'hier lui a suffi » pensa-t-il, quelque peu déçu, mais résigné.

Il siffla d'une autre façon, plus aiguë, presque imperceptible, afin d'appeler Claod. Ce dernier arriva du nord avec autant de bruit qu'un simple oiseau, faisant son possible pour ne pas abîmer le sol de ses griffes, car il savait que son cavalier n’appréciait pas. Sa tête reptilienne se tourna vers Amanda, qui s'était assise sur le banc près de l'entrée, elle lui sourit. Il donna un coup de langue en sa direction avant d'approcher de son ami.

Le Dragonnier lui donna quelques caresses, l'animal semblait particulièrement heureux de le voir, sa queue fendait l'air comme celle d'un chien, ses écailles frémirent, cliquetant à la façon d'une cotte de mailles en argent. Il ronronna, fermant les yeux face aux attentions de son maître.

« Tu as besoin d'affection aujourd'hui ? Tu ne m’as pas fait ce coup-là depuis nos quinze ou seize ans » remarqua le garçon. Stupéfait, sa bouche s'ouvrit toute seule étant donné son sentiment d'incompréhension.

« Il est peut-être nostalgique ? » supposa sa compagne en venant le rejoindre.

« Les dragons ne sont pas nostalgiques, en tout cas si c'est ça, il ne l'a jamais été avec moi » commenta-t-il en grattant la gorge de la bête.

« Nous devons y aller mon vieux, allez, lève-toi », dit-il d'une voix douce.

Le dragon leva une paupière, son éternel sourire de lézard lui donnait un air malicieux, il finit par se ressaisir avant de dégager ses flancs pour les laisser monter.

Il leur laissa le temps de s'attacher correctement avant de bondir dans les airs, rejoignant rapidement les nuages.

Amanda laissa échapper un cri d'angoisse en s'accrochant de toutes ses forces à Loukas, qui de son côté, serrait les sangles en cuir à s'en faire saigner les mains.

« Il est beaucoup trop en forme aujourd'hui ! », pensa le garçon, les dents crispées.

Claod effectua plusieurs vrille, fendant l'air de ses ailes, avant de reprendre une allure stable et de filer tout droit vers le sud.

Les deux cavaliers reprirent leur souffle autant que possible, avant d'apprécier le paysage. Surtout Amanda, qui eut enfin le courage de véritablement ouvrir les yeux. Le décor n’avait pas changé pour Loukas, seulement, les arbres commençaient à perdre leurs feuilles, la végétation était clairsemée, fractionnant la forêt de veines brunes.

Derrière eux, la montagne se dressait fièrement, projetant son ombre gigantesque sur le versant ouest.

Le trajet fut bien plus court par la voie des airs que par voie terrestre. Ce fut par cette belle matinée, alors que le soleil levant sublimait la région de sa chaude lumière orangée, qu'Amanda découvrit la plus grande cité jamais construite par les humains : Nienlass, la capitale du royaume de la Terre, érigée au milieu d'une vaste plaine, entourée de champs innombrables, d'arbres fruitiers et de pâturages hébergeant toutes sortes d'animaux d'élevages.

La ville décrivait un cercle parfait, vue du ciel. Huit portes perçaient les murs, faisant converger les routes vers le centre, où se trouvait le château de Moongarde. Ces tours s'élançaient telles des lances vers les cieux, dominant tous les édifices du fait de leurs tailles incroyables.

Depuis leur point de vue, il était facile de voir comme toutes les rues et les allées étaient bordées par la nature. Ici il y avait des fleurs, là-bas des arbustes aux branches désordonnées. Même la plupart des habitations avaient un jardin.

La Maître du Feu put constater qu'il y avait énormément de parcs naturels. Les gens pouvaient s'y promener, laisser leurs enfants jouer près des petites étendues d'eau, lire un livre assit sur un banc, où simplement discuter entre amis.

Malgré la fraîcheur de la matinée, il y avait du monde dans toutes les avenues, surtout près des marchés et près des portes, où les travailleurs sortaient commencer leur journée, tout en croisant les quelques veilleurs de nuit qui rentraient dormir.

Claod vira sur sa gauche, passant au-dessus des nuages, il ralentit l'allure et déploya plus largement ses ailes. L'aube illuminant le ciel, il resta caché le plus possible. Ses passagers n'étaient pas bien lourds, cependant, ils le ralentissaient quand même énormément.

Loukas, qui connaissait son compagnon par cœur, suivait le rythme. Il se penchait en même temps que lui. Amanda derrière, avait plus de mal.

Puis d'un coup de talon, il indiqua au dragon d'aller se poser, sans toutefois désigner un endroit particulier.

Après une bonne minute, le jeune homme cria dans le vent, « accroche-toi ! ».

« Quoi ? » répondit sa compagne.

Claod replia ses ailes d'un coup, ils entendirent un bruit de toile tendue, puis il rentra sa tête. Ils chutèrent en avant.

L'air leur fouetta le visage, surtout Loukas qui était devant, son amante se contenta de se cramponner à lui de toutes ses forces en criant.

L’éclair invisible mérita une fois de plus son nom, en quelques secondes ils étaient au sol dans l'allée d'un parc, entourés par de grands arbres.

Les passagers se détachèrent, le jeune homme descendit le premier en titubant, les effets de ce genre de vol étaient plutôt déstabilisants.

À peine Amanda avait-elle posée le pied par terre, que Claod s'envolait à nouveau, faisant virevolter les feuilles mortes alentours.

« Tu as été parfait encore une fois mon ami » déclara le garçon, même si la bête ne l'entendait déjà probablement plus.

Amanda ne faisait qu'admirer le décor, son expression trahissait son émerveillement face à tant de verdure.

Le couple était presque seul en ce lieu, il n'y avait pas beaucoup d'habitations dans le coin, seulement des commerces et des ateliers. Le vent souffla depuis l'ouest, détachant à chaque bourrasque d'autres feuilles. Jaunes et marrons, elles vinrent à leur tour recouvrir le sol pavé.

Plus loin, on entendait les bruits de la ville, cette dernière était beaucoup plus calme que Tropyrr. Les gens vivaient avec plus de nonchalance, parcourant tranquillement les rues, faisant leurs courses ou allant juste travailler.

La Maître du Feu dévisagea son compagnon, il fermait les yeux, savourant l'odeur d'écorce et d'herbe haute.

« Bienvenue à Nienlass », murmura-t-il.

Elle s'approcha et l'embrassa tendrement, ils s'enlacèrent un moment avant de remonter le chemin tous les deux.

« Tu connais la ville sur le bout des doigts, j'imagine ? » lui demanda-t-elle, les mains dans le dos.

« Plutôt, oui. Ici, c'est un quartier commerçant, il doit être bondé tous les jours en ce moment, étant donné que nous sommes au mois de Kaïll. La fin d'année approche, ainsi que la fête des morts, les gens achètent et offrent des cadeaux à leurs proches tout le mois ».

La jeune fille acquiesça avant de lui lancer un regard espiègle.

« Et toi ? Quelque chose te ferait plaisir pour cette fin d'année ? ».

Surpris, Loukas réfléchit un instant en soupirant, « Je ne sais pas, tu crois que j'ai eu le temps de penser à ça ? ».

Il lui décocha un clin d’œil avant d'ajouter, « Tu veux un cadeau ? ».

« J'ai déjà eu mon cadeau en te rencontrant », répondit-elle en venant lui prendre le bras.

Loukas rougit, ils arrivaient au bout du chemin, près d'une des routes principales menant à Moongarde. Elle le lâcha donc promptement, non sans faire la grimace.

À peine croisaient-ils les premiers habitants qu'une voix s'éleva depuis la foule.

« Regardez ! C'est Maître Loukas ! ».

Les passants se tournèrent un à un vers lui, la plupart lui adressèrent une profonde révérence, doublée d'un sourire chaleureux, avant de retourner à leurs occupations. Mais certains vinrent l'aborder et lui parler.

D'abord, ce fut une femme d'une trentaine d'années, elle portait un pantalon très large et un haut sans manche, le tout de couleurs allant du marron à l’orange.

Elle lui prit simplement la main quelques instants pour lui souhaiter la bienvenue chez lui. Amanda fut très surprise par la réaction des gens.

Un trio de personnes âgées lui demanda ensuite de ses nouvelles, comme l'on parlerait à un vieil ami. Il répondit qu'il rentrait juste du royaume du Feu et que tout allait bien pour lui. Ils le laissèrent poliment continuer son chemin après s'être inclinés.

D'autres passants se succédèrent, parfois pour seulement lui serrer la main, d'autres fois pour avoir des rumeurs où des nouvelles des autres royaumes. Certains l'invitèrent à venir déjeuner et une petite fille lui offrit un petit pain aux céréales. Il n'eut pas le cœur de le refuser.

La Maître du Feu finit par s'amuser de cette situation, elle ne connaissait pas encore cela, mais les Maîtres étaient tout le temps reconnu par la population de leur royaume, ils étaient véritablement aimés. Après tout, leurs pouvoirs leur venaient des dieux eux-mêmes.

Ils arrivèrent par la route du nord sur la grande place où se dressait le château, la jeune femme en restait sans voix depuis qu'elle l'avait aperçu. L'édifice était pour elle encore plus impressionnant que vu du ciel.

Loukas, qui ne pouvait pas faire autrement que d'accepter les mains tendues, la laissa à ses rêveries, en gardant tout de même un œil sur elle pour qu’elle ne se perde pas. Parfois, il la tirait par la manche pour lui faire signe de le suivre de plus près. Aucun passant ne s'intéressa à elle.

Heureusement pour eux, le château n'était pas très loin, ils purent ainsi arriver jusque sur la grande place centrale sans trop de problème. La jeune fille fut émerveillée par les tours et les fortifications massives de l'édifice. Bien que tout ceci fût visible depuis longtemps, tant le bâtiment montait en hauteur, il était pour elle très impressionnant de pouvoir l'admirer le plus près possible. L'activité près du château était notable, pourtant le dragonnier pouvait attester qu'il n'y avait pas grand monde par rapport à d'habitude. Certains jours, la foule était si importante qu'il était impossible de circuler normalement, les enfants pouvaient facilement se perdre et les charrettes n’avançaient pas.

Devant l'entrée des fortifications, une charrette, visiblement celle de quelqu’un de haut placé, était garée et semblait attendre.

« Nous avons de la visite ? Ou mon frère partirait-il en promenade ? » pensa le jeune homme. Il fronça les sourcils.

En approchant, il vit se dernier dans la cour, il parlait à un homme portant une tunique à capuche orangée.

Les gardes le laissèrent passer, non sans avoir dévisagé Amanda au passage. Loukas leur fit signe qu'elle était avec lui pour ne pas créer de tension inutile.

Orlando le remarqua et sourit. « Bienvenue mon frère ! Tu as bien dormi ? ». Il lança un regard curieux vers la jeune fille.

« Je vais bien merci, je t'avais dit que je revenais aujourd'hui ».

« Je constate que tu as dit vrai. Nous présenteras-tu ? », il s'approcha, les mains dans le dos.

Loukas prit son frère et sa compagne par l'épaule. « Orlando, le roi du royaume de la Terre et mon frère aîné. Amanda, la première Maître du Feu confirmée parmi notre génération ».

Le monarque ouvrit la bouche en grand, il regarda son frère puis la jeune fille. Un énorme sourire marqua son visage, il avait clairement l'air ravi.

« C'est véritablement un honneur de vous rencontrer, Maître ! ». Il s'inclina profondément.

« Il en est de même pour moi, cher roi », gloussa Amanda en tendant sa main. Orlando la prit et la porta délicatement à ses lèvres, avant de se relever.

« Si j'avais su que tu nous amenais une Maître aussi importante, j'aurais fait venir plus de gens pour vous accueillir ! ».

« Si je te l'avais dit, tu aurais fait fermer les routes et installer des troubadours partout pour crier la nouvelle dans toute la cité », fit remarqua le dragonnier en lui décochant un clin d’œil.

« C'est bien vrai, et cela aurait été parfaitement approprié ! Je m'excuse cher Maître du Feu, mon frère a vraisemblablement oublié les bonnes manières ».

Ils rirent tous de bon cœur, la silhouette encapuchonnée s'approcha à pas feutrés et salua le Maître de la Terre, sans vraiment faire attention aux autres.

« Je vous salue Maître Loukas, cela fait bien longtemps que je ne vous ai pas croisé », déclara la personne d'une voix très rocailleuse.

Le jeune homme put reconnaître de qui il s’agissait, même à travers la capuche.

C'était Sigurd, l'archichaman, la personne à la tête du cercle des chamans. Il n'était pas vraiment âgé mais avait tout de même les cheveux et la barbe grisonnants. Tout comme lui, il avait les yeux gris clair, mais semblait toujours regarder au travers des choses et des personnes, ce qui était très déroutant lorsqu'on ne le connaissait pas.

En réalité, il avait la capacité de voir le monde des esprits, en quelque sorte. Loukas avait toujours trouvé ça difficile à comprendre, ou à expliquer.

« Bonjour Sigurd, en effet cela fait longtemps. Je suis content de voir que vous vous portez bien », répondit le Maître, visiblement heureux de revoir le chaman.

Ce dernier lui adressa un sourire plein de malice avant d'adresser ses salutations à Amanda, qui lui rendit de bon cœur.

« Vous aussi, vous semblez être bien portant. Les esprits m'ont averti cette nuit de votre venue, c'est pourquoi je suis ici, j'ai à vous parler de quelque chose, si vous le voulez bien, Maître ». La voix de l'archichaman devint plutôt grave, plus sérieuse. Orlando ne semblait pas surpris, sans doute venait-il d'être mis au courant.

« Oui bien sûr, aucun problème. Tu veux bien m'attendre, Amanda ? Je n'en ai pas pour très longtemps, tu es en bonne compagnie après tout ». Il désigna son frère, qui lui-même prit une pose avantageuse pour prouver que son parent avait raison.

La jeune fille pouffa de rire. « Bien sûr, Maître ». Son ton était plus formel, Loukas se rendit compte qu'il lui parlait de façon un peu trop familière. Il se promit de faire plus attention désormais.

Ainsi il s'éloigna en compagnie de Sigurd. À mesure qu'il marchait vers les jardins, l'homme paraissait de plus en plus troublé. Le jeune homme ne le connaissait pas vraiment, mais il lui sembla que ce comportement n'était pas naturel chez lui.

Lorsqu'ils furent à l'abri des regards parmi les rares feuilles encore présentes sur les buissons, le chef des chamans soupira. Le regard perdu sur l'épaule du garçon, il joua nonchalamment avec ses doigts, les mêlant et les démêlant sans arrêt.

« Bien. C'est très bien. Non, enfin. Bref, merci d'être venu », bafouilla-t-il.

« Il n'y a pas de quoi. Vous semblez anxieux », commenta Loukas. Fronçant les sourcils, il croisa les bras.

« Oui, on peut dire ça. Écoutez Maître, c'est, compliqué. Je n'ai pas vraiment les mots. Les esprits m'ont beaucoup parlé de vous cette nuit. Ils savent des choses ». Son regard balaya le jardin comme s’il venait de voir un troupeau de centaures passer à toute vitesse.

Il reprit sa phrase. « Des choses qui ne les troublent pas, mais qui me troublent, moi ».

Loukas savait que les esprits ne plaisantaient pas. Bien sûr, il croyait à leur existence, peu de gens étaient sceptiques. Comme les dieux, tout le monde savait que ce n'était pas des racontars d'ivrogne.

D'ailleurs, la plupart des esprits étaient au service des dieux, c'était eux qui les avaient créés également, après tout. Bien avant que les humains, ou même les elfes, ne viennent au monde.

« Quelle sorte d'esprits vous ont dévoilé des choses ? », demanda le garçon, bien plus inquiet à présent.

« Des brownies, mais aussi des élémentaires ». Il déglutit avec peine. Sa voix était toujours aussi rocailleuse. Il parlait doucement, visiblement par peur d'être entendu.

« Des élémentaires ?! ».

Sigurd hocha la tête, son visage s'assombrit.

« Mais, les élémentaires ne parlent que très rarement aux chamans, je me trompe ? ».

« En effet, ils ne le font presque que sur ordre de leurs dieux. Les élémentaires que j'ai rencontrés en rêve étaient liés à la magie de la Terre ».

Le vent fit s'envoler une trentaine de feuilles mortes dans leur direction, faisant sursauter l'archichaman.

Loukas passa d’une expression choquée, à une autre, plutôt honoré. « Donc, c'est Anava qui vous a indirectement parlé ?! ».

Sigurd lui fit des signes frénétiques pour qu'il parle moins fort. Il le prit par une épaule, l'invitant à changer d'endroit.

« Rien n'est jamais certain. En tout cas ce qui est sûr, c'est qu'ils ne voulaient pas que je vous prévienne. Bientôt, il va vous arriver quelque chose. C'est inévitable cependant, mais je me devais de vous avertir, en l’honneur de la sympathie que j’ai pour vous ».

« Quelque chose ? Comment ça ? ».

« Une chose, déplaisante ». Malgré tout, il ne semblait pas vouloir en dire plus.

« Dites-moi ! Vous n'êtes pas venu juste pour m'en dire si peu ? » s'emporta Loukas.

Sigurd prit une posture défensive. « Ce n'est pas comme si je pouvais vous le dire comme ça ! C'est quelque chose qui doit arriver de toute façon. Les esprits seraient très en colère si je vous disais ce qui va arriver. Sachez seulement que vous ne devez pas prendre cela trop à cœur lorsque ça arrivera. Croyez-moi, vous saurez de quel événement il s'agit lorsque vous y serez confronté. Je voulais vous dire de prendre les choses de manière, disons, détachée. Afin que vous n'en soyez pas trop affecté ».

Loukas reprit son calme. « Je comprends ce qu'il veut dire malgré tout », se dit-il. « C'est quand même très frustrant, comment veut-il que je ne sois pas constamment sur mes gardes maintenant ? ».

Voyant que le Maître ne répondait pas, Sigurd continua. « Vous savez, lorsque je leur ai dit que j'allais au moins vous mettre en garde, ils se sont fâchés. Je prends des risques, ma connexion avec le monde éthéré pourrait en être affectée maintenant ». Il eut l'air soudainement abattu.

Loukas lui lança un sourire désolé. « Pardonnez-moi. Je comprends votre situation, je tâcherai de faire attention, j'imagine ».

L'archichaman souffla de soulagement. « Merci Maître. Je vais rester ici, à la capitale, jusqu'à ce que les choses se tassent. Je reviendrai vous voir dans peu de temps ».

« Comment ça ? Vous voulez dire que cela va arriver dans un futur proche ?! », s'inquiéta Loukas à nouveau.

« Cela, je n'en suis pas sûr, même si je pense personnellement que cela va arriver aujourd’hui. Mais vu que vous êtes là, à l'endroit où vous êtes né et avez grandi, il est fort probable que oui. Les esprits aiment faire des rapprochements de ce genre, vous savez. Le genre d’évènement que les gens normaux appellent des coïncidences ironiques. Ou quelque chose du genre ».

Le dragonnier ne se sentit pas très à l'aise tout d'un coup. Son cœur s’accéléra alors qu'il cherchait dans les recoins de sa tête ce qui allait bien pouvoir lui arriver.

Ses premières pensées furent tournées vers sa famille. Son père avait été assassiné par les forces du mal alors qu'il revenait du front. Il n'était pas impossible que cela se reproduise, même ici à la capitale.

Ensuite, il pensa à Amanda. À leur relation illégale. Une sueur froide lui parcourut le bas du dos.

« Ça pourrait parfaitement être ça, mais nous avons été discrets, je crois. Il est possible que ça n’ait aucun rapport ». Il tenta de chasser ses idées noires de sa tête lorsqu'il remarqua que Sigurd le regardait. Il le regardait vraiment cette fois. Dans les yeux.

« Qui y a-t-il ? », demanda le jeune homme, un peu circonspect.

« Rien. Ce n'est rien. J'ai cru voir quelque chose. Mais c'est parti. Excusez-moi ». Il le bouscula légèrement pour partir en direction de la porte du château.

« Je vous reverrai bientôt, Maître ! », cria-t-il, « n'oubliez pas de prendre les choses de manière détachée ! ».

« Détachée, détachée. Facile à dire » marmonna le garçon, à présent seul au milieu du jardin.

Il rumina encore les paroles de l'archichaman pendant quelques minutes, s’efforçant de trouver un sens à tout ceci, sans réel résultat. Finalement, il abandonna.

« C'est vraiment terrifiant de recevoir ce genre d'information, ou de conseil. Enfin peu importe ce que c'était ».

Il se promit intérieurement d'être plus sur ses gardes, sans vraiment savoir ce qu'il devait surveiller en priorité, avant de revenir lui aussi vers l'entrée de Moongarde.

Annotations

Vous aimez lire Redd Laktoze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0