Chapitre XXI : Ombres au coin du feu

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Une ovation partit du fond de la salle, Loukas entra et à peine se fut-il habitué à la lumière ambiante que des bras lui enserrèrent la taille.

Il baissa les yeux et découvrit une petite fille, vêtue d'une robe beige à fleurs. Sa tignasse lisse, châtain foncée, tombait simplement sur ses épaules.

« Tonton Loukas ! », fit l'enfant, la voix à moitié étouffée par les vêtements du jeune homme.

« Calice ! Par la déesse, ce que tu as grandi ! », s'exclama l'intéressé. Il prit l'enfant sous les bras et la souleva pour la faire tourner. Ils rirent en cœur. Le visage de sa nièce était adorable : elle avait des joues légèrement rondes, des yeux noisette ainsi que quelques grains de beauté disséminés ici et là.

« Loukas, fils de Ravend ! » déclara une voix roulante et autoritaire, depuis l'autre bout de la salle.

Le jeune homme vit arriver une femme, plus petite que lui mais plus forte. Elle portait une chemise marronne à manches longues, ainsi qu'un grand pantalon très ample, mêlant le rouge et le noir.

Il posa sa nièce et prit sa mère dans ses bras lorsqu'elle arriva à son niveau. Un immense sourire aux lèvres, ses cheveux de la même couleur que les siens étaient coupés très court.

« Bienvenu, mon fils » lui dit-elle en l'embrassant, non sans une certaine émotion dans la voix.

« Content de te voir, mère » répondit le jeune homme sans la lâcher, « Tu m'as véritablement manqué ». Elle lui frotta le dos de manière bienveillante. La guerrière reprit sa place en fermant la porte.

Lorsqu'ils se lâchèrent, le Maître de la Terre reçut une grande tape dans le dos qui le fit sursauter : Calice continuait de tirer sur son pantalon pour qu'il la reprenne dans ses bras.

En se retournant, il découvrit le visage d'Orlando, son frère, légèrement marqué par les combats qu'il avait menés. Sa barbe cachant ses lèvres, seules ses joues un peu surélevées attestaient qu'il souriait. Ses cheveux bruns étaient attachés en une natte derrière sa tête. Il portait un pourpoint de cuir ainsi qu'un pantalon de toile, très similaire à ce que Loukas avait l'habitude de porter. Sur le haut de son crâne était posé une couronne d'apparence assez lourde, faite de pierres grises.

« Bonsoir, mon roi », plaisanta le jeune homme en le prenant par une épaule pour l'attirer à lui.

« Bonsoir, Maître ! Décidément, tu arrives toujours à l'improviste ! », répondit le souverain en riant, la petite rigola également.

Misano – la mère des deux hommes – revint à la grande table au milieu de la pièce. Deux autres personnes se tenaient debout devant leurs chaises, ne sachant quoi faire face à cette interruption.

Le sang de Loukas se glaça. Devant une de ses chaises se trouvait Miruen ; elle lui souriait chaleureusement, mais seul un souffle de givre parvint jusqu'à son cœur. Il déglutit avec peine, reprenant sa nièce dans ses bras.

Son ancien amour portait une robe bleue piquée de perles marines blanches, elle ressemblait beaucoup à sa sœur, mais avec un visage moins dur, moins sévère et également un corps plus frêle, avec moins de formes. Ses cheveux noirs surplombés d'un petit diadème en argent étaient attachés en une longue tresse lui tombant sur l'épaule gauche.

L'autre personne, Loukas ne l'avait qu'aperçue jusqu'à présent. Il s'agissait de son mari, Chris. Son air suffisant d'aristocrate contrastait avec son corps musclé, enveloppé d'un grand manteau de fourrure. Son expression était impassible, il regardait simplement la scène en attendant de pouvoir se rasseoir.

« On pourra aller jouer dehors après le repas, Loukas ? » supplia Calice, le tirant de sa rêverie.

« Si ton père est d'accord et si tu manges bien, ma chérie », il la déposa sur son siège avant d'enfin faire une révérence au couple, qui lui rendit respectueusement, avant de reprendre place.

Orlando lui fit signe de prendre le siège à sa droite, qui était vide. « D'ordinaire, c'est la place de mon épouse mais elle est en déplacement, alors je t'en prie ! D'autre part, je n'ai pas besoin de vous présenter, vous vous êtes apparemment croisés il n'y a pas si longtemps », commenta-t-il en désignant Miruen et Chris.

« En effet » répondit Loukas, le regard bas.

Il s'installa, la pièce était toujours comme dans son souvenir : des murs dorés, un grand lustre au-dessus de la table en marbre blanc, des chaises en bois de frêne. Un serviteur arriva pour dresser une assiette au Maître de la Terre, malgré le fait qu’il prétextât ne pas avoir faim. Il fut servi comme les autres.

Il s'amusa à constater que les repas étaient toujours aussi simples, servis dans des plats en céramiques légèrement décorés. Il savait également qu'il ne devait pas s'attendre à autre chose que ce qu'il avait devant lui. Les dirigeants du royaume de la Terre privilégiaient les plats uniques, pour apprendre à aimer de tout et pour rester humble, ne pas se reposer sur ses richesses. C'était une leçon de vie que tous les invités et tous les membres de la famille royale expérimentaient durant la durée de leur séjour à Moongarde. Aucun traitement de faveur.

Orlando devina sa pensée et se mit à rire, posant une main sur son avant-bras. « Alors mon frère, quelle nouvelle apportes-tu de tes voyages ? Raconte-nous ».

« Oh oui, raconte, tonton ! » implora Calice avec un grand sourire en trépignant sur sa chaise.

« Calme toi, mon enfant, regarde, tu mets de la purée partout ! » s'énerva Misano qui était à côté d'elle. Elle posa une serviette sur ses genoux et entreprit de nettoyer les bêtises de sa petite fille, qui en mettait littéralement partout.

Loukas – bien content de revoir sa famille – raconta son voyage au royaume de l'Eau – omettant volontairement le passage où il avait craqué en apprenant que son amour d'enfance s'était marié – puis il narra son aventure dans la mine avec les araignées géantes, sans toutefois parler de Claod. Il détailla sa rencontre avec Yann et le passage à la ville de Portflot, la convocation et le voyage jusqu'au royaume du Feu, où devait avoir lieu la réunion des Maîtres, et il s'arrêta là.

« Je discuterai de cette réunion avec toi plus tard, en privé, j'espère que cela ne vous dérange pas ? » demanda-t-il à Miruen et à Chris. Il avait beaucoup de mal à les regarder et évitait dès qu'il le pouvait. Il espérait que personne ne l'avait remarqué. Quand il croisa le regard de sa mère, il remarqua qu’elle fronçait les sourcils.

« Elle me connaît par cœur, c'est normal qu'elle ait remarqué », pensa le jeune homme.

Ce fut Chris qui répondit, « Eh bien, si cela concerne le royaume de l'Eau, nous devrions en être informé, notre reine aussi était aussi à cette réunion, après tout ». Sa compagne lui lança un regard dur avant de prendre la parole.

« Pardonnez-le, faites comme bon vous semble, Maître ». Sa voix était douce, donnant des frissons à Loukas qu'il s'empressa de faire disparaître en avalant une grande bouchée de la purée qui lui avait été servie. On aurait dit un mélange entre de la carotte et des petits pois, le tout relevé par une sauce aigre.

Le roi regarda son frère d'un air grave, les coudes posés sur la table. Il se tenait le menton, son assiette était vide. « Tu peux parler mon frère, j'ai totalement confiance en nos invités. De plus, Chris n'a pas tort, si tu ne leur dis pas maintenant, ils l’apprendront plus tard de la bouche d'Elza, essayons d’être efficace et de gagner du temps ».

Le Maître soupira, puis prit le pichet d'eau. Il se servit un verre et l'avala d'une traite, avant de raconter comment la réunion s'était passée. Il n'oublia pas de parler d'Amanda et de Vinc, le Maître de l'Air que tout le monde croyait mort.

Ces premières nouvelles ravirent tout le monde, mais la situation dans laquelle se trouvait le royaume du Feu entailla sérieusement les réjouissances, sans compter qu'Orlando le savait : le royaume de la Terre connaissait cette situation, car il était plus ou moins dans la même, seulement, il ne se risquerait pas dans une aventure aussi dangereuse que d'engager toute ses troupes dans une croisade vengeresse. La stratégie du pays était plutôt basée sur la défense et les positions retranchées.

« Voilà la situation », déclara Loukas pour finir son exposé. Il s'attarda sur son plat, pour ne pas le laisser refroidir.

Orlando soupira, « Je comprends les craintes de Saràn, malheureusement je ne vois pas bien ce que nous pouvons faire. Comme tu l'as expliqué, nous sommes dans la même situation et malgré les accords avec le royaume de l'Eau nous assurant du soutien logistique, notre cousin patauge de bataille en bataille avec nos armées. Le terrain étant bien moins hostile pour les orcs sur nos frontières que sur les frontières du royaume du Feu, nous avons du mal. Mais nous tenons bon, c'est ce que je disais hier au seigneur Chris ».

Ce dernier acquiesça, le visage grave.

Ils en discutèrent plus en détails pendant une bonne demi-heure, afin de déterminer si le royaume de l’Eau pouvait fournir plus de ressources pour alimenter l’effort de guerre, mais Miruen et Chris étaient catégorique : tout était poussé à son maximum. N’ayant pas envie d’argumenter plus, ils passèrent à des sujets moins importants et évoquèrent également des souvenir. Loukas posa des questions, car il n'était pas venu à la capitale depuis quelque temps, aussi voulait-il savoir comment les juges et les sénateurs géraient la politique. La soirée avança doucement au fil des conversations royales.

Misano prit la parole lorsque qu'un moment de silence s'installa, « Nous devrions laisser nos représentants discuter entre eux. Seigneur Chris, m'aiderez-vous à coucher la petite ? Votre épouse vous rejoindra plus tard ».

Elle se leva et le prit par le bras, l'obligeant presque à la suivre. Il ouvrit la bouche pour protester mais elle l'entraîna vers la porte sans l'écouter, en décochant au passage un clin d’œil à ses fils. Calice, de son côté, dut aussi aller avec eux, après avoir fait un bisou à tout le monde, elle fit la grimace à Loukas.

« On n'a pas été dans le jardin, tonton ! », son visage exprimait cette forme de tristesse qu'ont les enfants lorsqu'ils sont déçus, de sorte qu'ils peuvent tout de même se mettre à rire à tout moment.

« Désolé ma belle, ça sera pour une autre fois, mais regarde un moment par la fenêtre avec mamie, tu verras peut-être Cody, il est censé être là-bas », il lui fit une grosse bise avant de la laisser partir. Elle trottina jusqu'à la sortie, légèrement plus heureuse maintenant qu'elle avait l’opportunité de voir de près un loup géant.

Le repas étant fini, le roi, Loukas et Miruen changèrent de pièce pour passer dans un petit salon chaleureux, décoré de manière sobre, avec des canapés et des fauteuils rembourrés placés devant une cheminée. Le feu crépitait doucement, éclairant la salle d’une faible lumière.

Le Maître se coucha sur un canapé, les bras derrière la tête, « Ça fait du bien de revenir là où j'ai grandi », il essayait de ne pas faire attention à Miruen ; bien qu'il ne soit plus vraiment amoureux d'elle, il y avait toujours un lien entre elle est lui, comme une sorte d'affection ou de tendresse qu'on accorde à une personne ou un objet issu de son passé, et qui nous gênerait quelque peu. Il s’efforça de penser à Amanda pour rester tout à fait serein.

Elle s'installa sur un fauteuil près du feu, les jambes croisées. Ses doigts tapotaient l’accoudoir de façon répétée, son regard se perdit parmi les motifs du tapis rouge au sol. Elle non plus s’efforçait de ne pas lui accorder plus d’attention que nécessaire.

Orlando s’approcha d'une table sur laquelle était posés une cruche de vin ainsi que quelques verres, il s'en servit un avant de venir s'adosser aux pierres chaudes du foyer.

Après avoir bu plusieurs gorgées, il demanda, « Tu comptes rester quelques jours ? Ça ferait plaisir à la petite. Elle te ressemble de plus en plus, tu sais. Ses meilleurs amis sont des animaux, comme toi quand tu étais petit. Je devrais songer à lui offrir un loup géant, comme notre père l’a fait avec toi » plaisanta le souverain.

« Il ne vaut mieux pas ! Trouve lui quelque chose de moins sauvage et qui prend moins de place. Et pour te répondre, je reviendrai demain, sans doute, mais je ne coucherai pas ici ce soir, Cody ne supporterait pas. Je compte rester quelques temps à la capitale, puis je vais sans doute arpenter un peu notre beau royaume. Cependant, d'ici peu, je pense que je partirai, pour un long voyage », il hésita avant d'ajouter, « Je ne sais pas si je reviendrai de celui-ci, il y aura sans doute de sérieux risques ».

Miruen eut un hoquet de surprise, elle mit une main devant sa bouche et fixa le roi.

« Ça fait à peine deux ans que tu es revenu et tu comptes repartir en terres infectées ? Ta famille ne compte-t-elle pas du tout pour toi ? », il soupira, détournant le regard.

Piqué au vif, Loukas s'assit face à son frère, « Tu sais bien que ce n'est pas vrai, je vous aime bien plus que vous ne le pensez ! ». Il rougit légèrement, gêné par le fait que Miruen soit là pour entendre ça. Cela ne semblait pas déranger le roi.

« Pourtant tu n'es jamais là, tu te dérobes sans cesse, Loukas, ne le nie pas ».

« Je fais ce que je crois être juste, Orlando. Pour notre famille, pour notre pays ! ».

« Ce n'est pas ce que nous voyons, mon frère ! Toutes les semaines, ma fille me demande quand est-ce que tu reviendras. Elle n'a pas beaucoup de souvenirs avec toi mais elle veut s'en faire, tu es sa famille, elle t’adore vraiment, tu sais ? Que dois-je lui dire moi ? Que son oncle est à nouveau parti risquer sa vie pour on ne sait quoi ? Qu'il ne va peut-être jamais revenir ?! Comment veux-tu que je lui dise quelque chose que moi-même je ne veux pas entendre ? Comment veux-tu que je console notre mère les nuits où elle pleure ? Elle a souvent l'impression d'avoir perdu à la fois son mari et son fils, il y a des années ! Lorsque tu as fugué, après la mort de père, je suis devenu roi est j’ai dû recoller les morceaux… », il s'emporta et de colère envoya voler son verre, qui éclata en morceau contre un mur. Il se tourna face au feu, sa mine sombre accabléee par la souffrance accumulée durant toutes ces années.

« La nuit parfois, je fais un rêve, toujours le même », lui dit-il. « Dans ce rêve, nous sommes encore enfants, du moins, toi tu l’es encore. Notre père est toujours en vie, il nous protège et nous parle des Maîtres de la Terre, qui préservent notre royaume des monstres et des démons qui veulent le détruire. Il les décrit comme des sauveurs, des personnes incroyables, nous l'écoutons avec attention. Lorsque je me réveille et que je pense à toi, je ne vois pas cette image de héros que je voyais dans ses histoires, je ne vois que mon frère comme il l'a toujours été, c'est à dire loin de nous... ».

Des larmes coulèrent le long des joues de Loukas, frappé de plein fouet par les paroles de son frère.

« Je sais bien que c'est l'image que je renvoie, que je ne suis pas présent, pourtant je veux être avec vous, j'aimerais beaucoup partager des moments joyeux à vos côtés ! Seulement... Il y a tellement de choses à découvrir, tellement de choses à faire, des choses que j'ai parfois l'impression d'être le seul à pouvoir faire ! Mes actions – aussi incompréhensibles soient-elles – sont dirigées vers un seul et même objectif : protéger mon royaume ainsi que tous les royaumes élémentaires. Humains, elfiques, nainiques et tous les autres ».

« Mais tu n'as pas à faire tout cela ! Tu n'as pas besoin de partir arpenter les contrées hostiles des terres infectées pour protéger les royaumes ! » s'énerva Orlando, « Regarde Omell, notre cousin, il dirige les armées et nous protège sans partir à l'autre bout du monde ! Même Yann et les frères Field et Foeld contribuent à leurs manières pour nous aider, mais toi, personne ne voit ce que tu fais, si tu fais vraiment quelque chose… ».

« Tu veux des preuves donc, c'est bien ça ? », Loukas se leva et retroussa une de ses manches, découvrant une longue cicatrice légèrement boursouflée, « Tu vois ceci ? », puis il montra sa nuque, arborant une autre blessure : une fine marque de croc. « Et ça ? », enfin il défit son gilet et enleva son haut, découvrant son dos, ou la balafre vermeil cinglait sa chair, de sa clavicule gauche jusqu'à son bassin.

« Sans oublier celle-là. Toute ces cicatrices je les ai obtenus en combattant un vampire très puissant, qui aurait pu mettre en danger beaucoup de monde ! Et les araignées ? Tu as déjà oublié que j'ai affronté toute une colonie d'araignées géantes il n'y a pas si longtemps dans son royaume ?! », il désigna Miruen, qui était restée en retrait de la dispute, elle sursauta et détourna le regard.

Loukas continua, « J'ai combattu : des orcs, des gobelins, des trolls, des chimères », il compta sur ses doigts, « Des gargouilles, plusieurs nécromanciens, des aldres, des morts-vivants, des squelettes se tenant debout aussi bien que toi ! Sans parler des horreurs que j'ai vues : les spectres et les banshees... Et pourtant j'ai continué, pour voir toujours plus loin les dangers qui nous guetterons possiblement. Je voulais voir, comprendre le monde qui nous entoure pour mieux nous protéger des menaces, mais alors que j'allais toujours plus loin, tu sais ce qui m'a fait rebrousser chemin ?! » demanda le jeune homme presque hors de lui.

Orlando fit non de la tête.

« C'est vous. J'ai pensé à vous, j'ai pensé à mes proches et à tous les gens qui étaient restés dans nos royaumes. J'ignorais pourtant avoir une si adorable nièce mais, je suis revenu, j'ai pris conscience que la civilisation me manquait et qu'il me fallait du calme, plutôt que d'être sans arrêt sur mes gardes, à l’affût du moindre danger. J'ai voulu oublier toutes les choses que j'avais vues, alors je suis rentré pour prendre du repos », il se rassit sur le canapé, les joues toujours humides et les yeux rouges.

« Cela fait deux ans maintenant, comme tu l'as dit. Je n'ai pas oublié ce que j'ai affronté dans les terres infectées. Si tu savais dans quel état est le royaume de la Foudre… Il y a des choses que j’ai découvertes là-bas que je ne pourrais jamais raconter ; je pense toujours à autre chose dès que je peux, mais je n'oublie pas, je ne veux pas que quelqu'un d'autre vive cela... Nous ferons la fête, mon frère, nous nous ferons des souvenirs heureux lorsque toutes les choses horribles ne seront plus, alors je pourrais revenir à Moongarde sans m'inquiéter inconsciemment de tout ce qui pourrait arriver ».

Il se leva et prit un verre de vin, qu'il vida d'une traite, avant d’en reprendre un autre, ce dernier avait un goût épicé légèrement sucré, avec un arrière-goût amer. Il était rare qu'il parle de tout cela, préférant ne pas évoquer ses souvenirs. D'autres larmes vinrent s'abandonner sur ses joues, jusque dans sa barbe.

Une main vint lui prendre doucement l'épaule, il se retourna et découvrit Miruen, son visage était empreint de tristesse.

Elle regarda également Orlando, toujours debout à côté de la cheminée, avant de leur parler de sa voix claire.

« Deux frères ne devraient pas se disputer ainsi après seulement quelques heures de retrouvailles. S'il vous plaît, faites la paix, il me peine de vous voir ainsi, que ce soit vous, mon roi, ou toi, Loukas », elle logea sa main dans la sienne en posant l'autre sur sa joue.

Le Maître se dégagea de l'étreinte de la jeune dame avant de reprendre place sur le canapé, faisant tourner son verre, il rumina, « Je ne suis pas fâché. Je peux comprendre ton agacement et ta frustration… Si seulement je pouvais rester avec toi et Calice plus souvent, je le ferais sans hésiter… ».

« Moi non plus, je ne suis pas en colère, pardonne-moi », murmura Orlando, il vint lui tapoter l'épaule et s'assit à côté de lui. L’ambassadrice reprit sa place dans le fauteuil.

« En vérité, je suis à chaque fois très content de te voir, j'aimerais juste que cela soit plus souvent et pour plus longtemps. C'est égoïste, et je m'inquiète pour toi, comme toujours. Ce que tu as vécu : ton exil forcé, les terres infectées… Je ne pourrais le vivre moi-même, et pourtant je pense être fort », avoua le monarque.

Loukas sourit. « Tu es aussi fort que notre père, peut-être même plus », lui avoua-t-il pour seule réponse avant de changer de sujet, il n'aimait pas les discutions à cœur ouvert comme celle-ci, en tout cas pas sans avoir au préalable bu quelques verres. Il interrogea donc son frère sur le contenu de ses journées, et Miruen et lui l’écoutèrent parler de ses discutions incessantes avec les juges du royaume : les juges étaient les représentants du peuple, élu par la population parmi une foule de sénateurs, garant du paysage politique du pays et qui étaient également régulièrement tirés parmi les femmes et les hommes majeurs du royaume. Ces gens n’étaient pas ou peu payé, et s’organisaient pour donner de précieux conseils aux monarques, conseils que, généralement, ils suivaient.

Il leur raconta que la juge militaire le taraudait pour qu’il envoi toujours plus de troupe à la frontière avec les terres infectées, les raids ennemis étant de plus en plus nombreux, et surtout plus violent ; fort heureusement, Omell, le Maître de la Terre, leur cousin et grand chef de guerre de l’armée, s’occupait de tempérer ses ardeurs. Le juge social lui demandait beaucoup, ces temps-ci, à cause des fêtes de fin et de début d’année qui approchaient, mais cela n’était pas très épuisant, car organiser des festivités et apporter de la joie à son peuple faisait partie des tâches qu’il préférait.

La juge commerciale et le juge agricole étaient les plus pénibles, au regard du roi, car ces derniers parlaient souvent de chiffres et de statistiques, et cela relevait presque de l’exploit de comprendre réellement de quoi il en retournait. Orlando souffrait souvent de migraines après s’être entretenu avec eux.

Le juge judiciaire, qui s’occupait de faire respecter les lois, était assez autonome, et ne le dérangeait que très rarement. Pour lui, c’était par ailleurs un homme intègre et respectueux, qui mettait du cœur à l’ouvrage.

La dernière juge – la juge prophète –, était également rarement présente et s’entretenait plus avec les représentants des différents ordres religieux qu’avec lui, ce qui lui allait parfaitement, car c’était une femme étrange et lunatique, qui avait l’art et la manière de la mettre mal à l’aise.

Orlando finit son exposé en se servant un nouveau verre de vin, qu’il vida rapidement, puis il passa sa langue sur ses lèvres pour en recueillir les dernières gouttes. Il en proposa un à l’ambassadrice, mais celle-ci refusa poliment. Loukas prit également une nouvelle rasade du délicieux nectar, et reporta son attention sur elle, soucieux de ne pas paraitre impoli, il imagina une question à lui poser.

« Cela fait longtemps que vous êtes là, Chris et toi ? » lui demanda-t-il, sans pour autant trop la regarder.

« Depuis un peu plus d'un mois, la route a été longue depuis Agalcia, notre capitale. Notre enfant a pris froid et j'ai eu peur qu'il lui arrive malheur, nous attendons donc que les médecins soient sûrs qu'il n'y a aucun risque pour repartir au royaume de l'Eau ».

« Oh, c'est grave ? Je peux faire quelque chose ? », s’inquiéta le Maître. La santé d'un bébé valait plus que ses problèmes de cœur.

« Je ne saurais le dire, la saison froide arrive et j'ai été imprudente ».

« Elle voulait absolument lui montrer notre merveilleux royaume » déclara Orlando, un sourire triste sur les lèvres.

Miruen rougit, « Si tu veux, on peut aller le voir, il dort mais si tu as une idée pour faire baisser la fièvre, je t'en serais très reconnaissante ». Les ombres projetées par les flammes de la cheminée dansaient sur son visage.

Il hocha la tête, « Très bien, allons-y alors, tu veux bien venir Orlando ? », demanda-t-il à son frère, autant pour ne pas être seul avec son amour d'enfance que pour lui montrer ce qu'il pouvait faire en termes de magie, il n’ayant presque jamais vu ses pouvoirs à l’œuvre.

Ce dernier acquiesça et se leva pour les suivre jusqu’aux chambres.

Ils montèrent tous – au bout d'un certain temps de marche – dans une sorte de monte-charge menant à une des tours. Chaque tour étant bien trop haute pour y mettre des escaliers, les gens et les marchandises transitaient par-là, autant pour le côté pratique que pour le confort. D'autres monte-charges étaient installés, seulement ils étaient vides pour le moment.

Orlando tira sur une poignée de cuivre et l'ascenseur se mit en branle, actionné par un ingénieux système de poulies et de rouages : un cadeau de la technologie naine, à l'époque où les transactions avec ce peuple étaient quelque chose de commun.

Ils montèrent donc, accompagnés par un affreux bruit de métal, jusqu'à un hall où transitaient les ascenseurs, avant de se diriger vers un petit couloir qui tournait rapidement sur leur droite, avant de monter en pente douce. Les deux hommes suivaient la jeune femme en silence. Loukas admirait une fois de plus les décorations de son ancienne demeure, bien qu'elles ne soient pas nombreuses.

Miruen s'arrêta devant la porte d’une chambre et entra ; l'intérieur était plutôt sobre encore une fois : un grand lit double aux draps bleus, des meubles en bois vernis, une table basse et des sièges d'apparence confortable, une autre pièce sur le côté semblait mener à une salle d'eau.

Un berceau posé sur un seul pied se tenait près de la fenêtre, recouvert par un voile blanc. Sur une petite table à son côté se trouvait des jouets en bois en forme d’animaux.

Miruen s'approcha et souleva le voile tout doucement, avant de passer une main à l'intérieur, Orlando s'installa sur une des chaises, un peu plus en retrait.

Elle fit signe à Loukas d'approcher ; une expression attendrit passa sur son visage avant de laisser place à une forme d'inquiétude.

Le jeune homme arriva près du berceau pour découvrir, à l'intérieur, un petit être boudiné, sans cheveux ou presque, à la peau rosée, un peu rouge par endroits. Il gigotait dans son lit et avait pris le doigt de sa mère, par instinct.

Il éternua, avant de se mettre à pleurer. Miruen le prit doucement dans ses bras pour le border tout en regardant le Maître.

« Comment comptes-tu t'y prendre ? ».

Le jeune homme réfléchit avant de poser le plus délicatement possible sa main sur le front de l'enfant ; il était très chaud, quelques gouttes de transpiration perlaient sur son corps frêle.

Il passa une main sur ses joues en soupirant, les yeux plissés, « Tu n'aurais pas une fleur ou une plante par hasard ? ».

Surprise, Miruen haussa les sourcils, ce n'était visiblement pas à cela qu'elle s'attendait, elle répondit tout de même en gardant toute sa contenance.

« Non je ne crois pas, c'est important ? ».

« Plutôt, oui » lui dit Loukas en souriant, il balaya la pièce du regard, à la recherche de quelque chose qui pourrait faire l'affaire, sans succès. Orlando le considéra avec attention, une main caressant sa barbe.

S'approchant de la fenêtre, le Maître soupira, c'est alors qu'il remarqua un petit lierre sortant d’un trou dans la paroi, qui montait péniblement, en contrebas.

« C'est bon, j'ai ce qu'il me faut, à vrai dire, c'est parfait », il tendit la main en direction de la plante grimpante. Des pigments verdâtres s'échappèrent de ses doigts, passant à travers le verre, ils descendirent pour l'atteindre et la pénétrer. Dans un petit crissement, le lierre grandit avec une rapidité étonnante, de sorte qu’il atteignit très vite la fenêtre.

Loukas l'ouvrit et fit deux ou trois signes de la main, projetant une fois de plus des pigments.

Orlando se leva, les yeux grands ouverts. Le lierre décrivit des formes arrondies, s'accrochant aux carreaux et descendant dans la pièce. Miruen eut un mouvement de recul jusqu'à son lit, légèrement apeurée. Elle n’était pas familière avec la magie de la Terre. La tige et les feuilles étaient semblables à des tentacules.

Loukas sourit ; sa magie faisait toujours de l'effet, il s'en réjouit intérieurement avant de se concentrer.

La plante se figea dans l'air alors qu'il baissait les mains, « Je peux le prendre ? Il ne sentira rien du tout, je te le promets, il ira mieux ensuite », il désigna le bébé, le visage impassible.

L'ambassadrice hésita plusieurs secondes, elle regarda Loukas dans les yeux, l'air circonspect, puis Orlando, qui faisait plus ou moins la même tête qu'elle. Il n'avait pas l'air inquiet, plutôt curieux.

La jeune mère posa le petit dans les bras du Maître, qui entreprit de le bercer du mieux qu'il put. « Je n'ai jamais tenu d'enfant » songea-t-il en s'appliquant. La petite main du nourrisson s'agrippa fébrilement à la sienne.

D'un doigt distrait, il effectua quelques mouvements furtifs. Le lierre se remit en mouvement, étendant ses feuilles dans la pièce au fur et à mesure qu'il avançait. Il s'enroula aux chevilles du jeune homme, ainsi qu'aux épaules, sous les bras, autour du torse, le recouvrant presque entièrement d'une prison végétale. Miruen et Orlando s'approchèrent.

« Tu sais ce que tu fais, Loukas ? » demanda le roi, d'un ton calme.

« Parfaitement, ne bougez pas vous deux, j'en ai encore pour une minute » répondit le Maître.

Le lierre serra plus fort, lui arrachant une grimace de douleur, sa peau fut comprimée l'espace d'un instant avant qu'il se fasse à cette nouvelle sensation. L’extrémité de la plante vint se poser sur le front du nourrisson sans même qu'il le sente.

« Voilà », il interrompit ses gestes, et le lierre s'arrêta de pousser.

« Maintenant tu vas guérir, pas vrai ? » demanda-t-il au bébé, il se rappela que l'enfant portait le même nom que lui. Cette pensée lui arracha un nouveau rictus de douleur qu'il s'empressa de mettre sur le dos de son sort.

Pour finir, il souffla sur la tige, les feuilles frémirent, puis une énergie vert clair, très douce, partit de la base pour remonter jusqu'au bébé, le nimbant d'une aura brillante. Le jeune homme reçut un choc électrique ; il fit de son mieux pour rester calme et garder sa contenance mais il ne put réprimer un léger cri de souffrance.

Orlando s'approcha encore, inquiet pour son frère, et Miruen porta ses mains devant sa bouche.

Ce fut terminé en un éclair. Le Maître coucha le petit dans son berceau. Le lierre se fendit et craqua, il devint gris et tomba en poussière, tandis que le vent s’engouffrait par la fenêtre, balayant les restes de végétaux dans la chambre.

Loukas s'assit contre le mur ; il avait des marques de friction sur tout le corps et tremblait. Son frère vint à ses côtés.

« Ça va ? Comment tu te sens ? ».

« Ce n'est rien, c'est un sort qui demande normalement à la personne soignée de souffrir, j'ai évité ça au bébé en absorbant la douleur sur moi ». Il sourit faiblement, « C'est bien la première fois que je détourne un sort comme ça ».

« Tu es vraiment incroyable, frangin » lui avoua Orlando en lui rendant son sourire, il l'aida à se relever. Miruen était près de son fils, ne sachant que dire. Elle s’élança soudain vers le Maître et l’enlaça.

Loukas sursauta ; les yeux dans le vide, il ne bougea pas d'un pouce. Son cœur s'emballa, il tenta de se maîtriser du mieux possible mais rougit tout de même.

Elle lui murmura, « Merci, mon ami, je ne sais pas comment t'exprimer ma reconnaissance. Disons que ceci suffira pour le moment », la jeune femme l'embrassa longuement sur la joue avant de se détourner.

Sans voix, il dégluti et regarda son frère, mais ce dernier haussa les épaules avant de se racler la gorge, « Nous allons vous laisser pour ce soir, ambassadrice, nous nous verrons demain matin, il est plus que temps d'aller dormir ».

Elle hocha la tête lentement avant de se diriger vers la salle d'eau. Les deux hommes se dirigèrent vers la sortie, Loukas regarda une dernière fois le bébé. Il dormait à poing fermé ; une toute petite marque verte était restée sur son front. Elle partirait dans quelques jours, le temps que le sortilège se dissipe.

Il soupira en fermant doucement la porte, et vit que son frère partait déjà en direction des monte-charges, les mains dans le dos. Le souverain paraissait fatigué. Il le rattrapa en quelques foulées avant de lui demander.

« Tout va bien ? ».

Orlando lui adressa un regard las, « Oui, ça va, je suis juste épuisé. Si tu savais comment sont organisées mes journées, sans parler de Calice qui me colle sans arrêt depuis que sa mère est en voyage ».

Il soupira, « Tu ne veux pas l'emmener avec toi dans tes aventures, par hasard ? » plaisanta-t-il.

Ils rirent de bon cœur tout en quittant la tour. La lune était déjà haute lorsqu'ils descendirent dans la cour, Misano était là. Elle vint les rejoindre, seulement éclairée par la lueur des lanternes et des étoiles.

« Ah, vous êtes là ! Je ne vous trouvais plus, j'avais peur que tu sois déjà reparti » avoua-t-elle à Loukas. Il la prit dans ses bras un instant.

« Pas sans te dire au revoir. Nous étions dans la chambre de Miruen, j'ai pu soigner son enfant. Nous voulions justement prendre l'air avant mon départ, mais je disais à Orlando que je reviendrai demain ».

Sa mère accueillit la nouvelle avec grand enthousiasme, elle le reprit dans ses bras. « Mais c'est formidable ! Ça fait un bout de temps que tu n'es pas resté aussi longtemps, dits-moi ! Tu as quelque chose à te faire pardonner ? », demanda-t-elle d'une voix suspicieuse.

Loukas se mit à rire, « Non, pas du tout ! En vérité je ne serai pas seul, quelqu'un d'important est chez moi à l'heure actuelle, et je voudrais vous la présenter ».

Sa mère et son frère échangèrent des regards à la fois choqués et amusés, avant de le fixer, le sourire aux lèvres.

Comprenant ce qu'ils s'imaginaient, il prit les devant.

« Non, non, ça n'a absolument rien à voir avec ce que vous vous imaginez, je n'en dirai pas plus. Vous verrez bien », il croisa les bras, résolu à ne rien ajouter.

Sa famille ignora sa remarque, « Si ton père était là » souffla sa mère en baissant la tête, « Il serait content pour toi… ».

« Je te dit que ce n'est pas ce que tu crois, maman ! », prétexta le Maître, mais personne ne l'écoutait.

« C'est ta nièce qui va être aux anges, une nouvelle fille avec qui jouer et parler, ça lui fera le plus grand bien ! » s'exclama Orlando, les yeux rivés vers le ciel étoilé.

Loukas leur lança un regard froid, mêlant la lassitude avec une forme de résignation. Il savait bien comment ils étaient, inutile d'en dire davantage, leur imagination avait pris le dessus sur toutes les explications qu'il pourrait fournir. Ils verraient bien de quoi il en retournait demain.

« Bon, je vais vous laisser à vos divagations alors. Quelqu'un a vu Cody ? ».

Misano sortit de sa rêverie, « Tu pars déjà ? On n'a même pas eu le temps de discuter ! Comment as-tu trouvé Miruen ? ».

Loukas fit un bond, avant de répondre, « À demain, Maman, toi aussi, frangin. Si tu pouvais prévenir notre cousin, je ne sais pas s’il est à la capitale mais j'aimerais avoir une discussion avec lui ! ». Sur ses mots il s'engagea sur le chemin pour contourner le château.

« J'essayerais de le faire venir, il n'est pas très loin vers l'est, normalement il pourra se libérer ! » lui répondit Orlando en faisant au passage un signe à un garde pour qu'il approche.

« À demain, mon chéri ! N'oublie pas que tu n'as pas répondu à ma question ! » lui cria sa mère, les mains en porte-voix.

Loukas s'éloigna rapidement. Il regarda le ciel, il devait être tard à présent ; les étoiles étaient bien visibles, malgré l'éclairage de la cité. Après quelques minutes de marche, il arriva dans un jardin parfaitement entretenu. Les jardiniers allaient cependant avoir la surprise de trouver des traces de pattes de loup géant au milieu des carrés d'herbes.

Les arbres étaient bien rangés, leurs feuilles parfaitement taillées, il y avait des hêtres, quelques bouleaux, des cerisiers, deux ou trois châtaigniers plus haut que les autres ainsi que divers buissons au feuillage coloré. Il apparaissait clairement au Maître que les végétaux étaient sous l'emprise de plusieurs sortilèges de longue durée : à l'approche de la saison froide, il ne devait pas y avoir autant de feuilles.

Pourtant c'était le cas, il s'approcha de l'un d'entre eux et posa une main sur son écorce. C'était un chêne, il sentit tout de suite la magie parcourir sa sève, lentement, de manière insidieuse, invisible. Chaque Maître possédait un lien particulier avec la nature : Yann était plus proche des minéraux, les frères Field et Foeld connaissaient bien les animaux, ils les comprenaient. Son cousin était comme lui, proche des végétaux, ainsi, en fermant les yeux, il vit les flux incessants de tous les végétaux autour de lui, brillant d'une lueur verdâtre surnaturelle. C'était son don.

Un bruit attira son attention sur sa droite, des branches mortes craquèrent. Nullement surpris, il reprit son chemin.

« Cody ? », appela le jeune homme, mais l'animal ne se montra pas, « Je crois savoir où tu es, mon beau » pensa-t-il.

En marchant, il se remémora toutes les fois où il était venu ici, étant enfant. C'était l'endroit qu'il aimait le plus de tout le château. Chaque fois qu'il avait le temps, il venait profiter de l'ombre des arbres, de la caresse du vent, la sensation qu'il avait lorsqu'il marchait dans l'herbe et la terre, pieds nus. Cette sensation ne lui apparaissait plus clairement, il ôta donc ses bottes pour la faire jaillir du plus profond de ses souvenirs, laissant libre court à sa nostalgie.

Il retrouva rapidement l'endroit qu'il cherchait, une petite clairière entourée par les buissons. En son centre se tenait un lac où les grenouilles croassaient. En tous cas, habituellement elles croassaient, mais pour l'instant elles étaient occupées à éviter les mâchoires de Cody, qui bondissait parmi les roseaux dans l'espoir de se faire un petit en-cas du soir.

Loukas soupira, « J'en était sûr, tu n'as pas passé l'âge de faire ça ? Lorsque tu étais louveteau, les grenouilles ne te voyaient pas alors tu avais tes chances, mais maintenant tu es trop gros, mon ami » expliqua-t-il en croisant les bras.

La bête l'ignora et renifla bruyamment, la langue pendante. Il ruisselait d'eau, manifestement il n'avait pas réussi à attraper le moindre batracien, mais il ne semblait pas contrarié le moins du monde. Il regarda le Maître de la Terre en bavant.

« Oui, c'est l'heure d'y aller. Tu pourras retenter ta chance une autre fois, mais pour le moment dépêchons nous, il est vraiment tard » argumenta le jeune homme en allant pour monter sur son dos. L'animal se laissa faire sans broncher. Il lança un aboiement aux grenouilles puis s'élança avant que Loukas ait le temps de s'installer correctement. Le garçon poussa un juron.

Le retour se passa tranquillement. En ville, il n'y avait plus grand monde, ils croisèrent encore quelques spectacles de rue mais Loukas préféra ne pas s'attarder.

Une fois revenu au plus près de sa cabane, épuisé, il offrit une dernière caresse à son compagnon canin avant que celui-ci ne s'enfuie dans les bois. Cela faisait une éternité qu'il n'était pas resté aussi longtemps avec lui sans exprimer son envie de partir en solitaire.

« Peut-être que lui aussi a besoin de retrouver ses anciennes habitudes, de temps à autre », se dit le jeune homme, « Après tout, Nienlass est aussi sa ville natale, en quelque sorte ».

Il entra silencieusement dans sa cabane. La nuit était fraîche, il s'en rendit compte au fur et à mesure qu'il retirait ses vêtements, il frissonna avant de fermer la porte.

Sa compagne dormait profondément, les quelques lumières nocturnes éclairaient son visage par le biais de l’entrebâillement des volets. Elle avait ramené la peau d'ours sur son corps nu. Il se glissa à ses côtés, le plus doucement possible et elle soupira, encore endormie. Il la regarda pendant une bonne minute, détaillant chaque centimètre de sa peau mate, avant de prendre le risque d'écarter une mèche de cheveux qui lui tombait sur le nez. Sa main s'attarda sur sa joue, puis il descendit sur son épaule et jusqu'à ses hanches, c'est là qu'il se posa pour s’endormir paisiblement. Le sommeil était venu sans crier gare.

Cette nuit, ses rêves ne l'emmenèrent pas près des horreurs habituelles, ils ne lui firent pas revivre ses combats et ses craintes. Ils se firent plus doux, comme ils l'étaient de plus en plus souvent ses temps-ci.

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