Chapitre XX : Le château de Moongarde

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Le Maître et le loup géant s'engagèrent au bord du sentier, un panneau surélevé affichait le message suivant : « Nienlass, capitale du royaume de la Terre, porte nord-est ».

Beaucoup de monde parcourait les rues de la cité à cette heure, bon nombre d'enfants surtout. Ils jouaient pour la plupart à des jeux divers, alors que les adultes revenaient du travail, se dispersant pour rentrer chez eux par des allées transversales. Les maisons étaient construites en pierre, en bois de chêne et en ardoise pour les toits, donnant un contraste de couleur allant du clair au foncé entre les murs et les toitures. Chaque bâtisse était singulière, mais toutes avaient un petit jardin clôturé, ou bien séparé entre-eux par des haies de buissons rarement taillées.

En harmonie parfaite avec la nature, le terrain n'était que très rarement modifié afin que les hommes n'empiètent pas de trop sur les espaces abritant les animaux, c'est pourquoi le jeune homme croisa énormément d'arbres accueillant des écureuils, ainsi que des buttes rocheuses, des petites collines, des lacs et des ruisseaux bordés par des roseaux. Avec la nuit qui approchait, les croassements des grenouilles commençaient à envahir l'espace sonore des lieux.

Loukas rabattit sa capuche sur son visage ; il ne doutait pas qu'il pouvait parfaitement être reconnu par n'importe qui ici, dans sa propre patrie, ce qui était beaucoup moins le cas dans les autres royaumes.

En continuant le long du chemin, ils arrivèrent sur une place où un groupe de musiciens jouait, assis sur le bord d'une fontaine. L'un avait une flûte, l'autre un tambour et le troisième une mandoline, un attroupement s'était formé autour d'eux alors que les habitants commençaient à danser. Des jeunes filles se firent inviter. Elles pouffèrent avant de donner leurs mains innocentes à leurs cavaliers du moment, qui bombèrent le torse, fiers de pouvoir montrer leur talent de danseur.

Une enfant tendit les bras pour être portée sur les genoux d'un des musiciens, alors Loukas s'arrêta pour écouter quelques instants. Lorsque la chanson suivante commença, elle était plus douce, plus calme, plus mélancolique. Les notes, plus graves, rapprochèrent les couples de fortune, puis l'enfant se mit à chanter. La fin de chaque couplet était reprise en cœur par les habitants :

Ma voix dans les plaines atteindra les frontières,

Même des plus lointains royaumes.

Les âmes de nos pères sont rendues si fiers,

De nous voir paume contre paume.

La meute est plus forte que le loup solitaire,

Sauf quand on parle des gnomes.

Oh déesse si chère, entend nos prières,

Entend mon premier psaume...

Mon beau royaume de la Terre,

Pardonne mes manières,

Mais promet-moi juste une chose.

Quand tombera la lumière,

Entoure-moi de tes pierres,

Et ne tombe jamais en poussière...

Chante l'enfant ours au pelage clair

Ma voix dans les airs atteindra les chaumières,

Même des plus lointaines contrées.

Les cris de nos frères résonnant à la guerre,

Nous donnent un arrière-goût salé.

Du chant des commères le griffon n'a que faire,

Il les dévore sans broncher.

Oh dieu si cher, entend nos prières,

Récolte nos pieux baisers...

Mon beau royaume de l'Air,

Pardonne mes manières,

Mais promet-moi juste une chose.

Quand tombera la lumière,

Protège-moi de tes fers,

Et ne tombe jamais en poussière...

Chante l'enfant aigle au plumage vert

Ma voix dans les eaux atteindra les rivières,

Même des plus lointains pays.

Gonfle les ruisseaux des pleurs de nos mères,

Et la vengeance nous rallie.

Les voiles des bateaux, le kraken téméraire,

Il les réduit en charpies.

Oh déesse si chère, entend nos prières,

Veille sur nos précieuses vies...

Mon beau royaume de l'Eau,

Pardonne mes manières,

Mais promet-moi juste une chose.

Quand tombera la lumière,

Garde-moi du tonnerre,

Et ne tombe jamais en poussière...

Chante l'enfant truite aux yeux de verre

Ma voix dans les flammes atteindra les enfers,

Même des plus lointaines planètes.

Enflammer les âmes infâmes des chimères,

Pour enfin faire la fête.

Le phœnix se consume dans sa rage meurtrière,

Des serres jusqu'à la tête.

Oh dieu si cher, entend nos prières,

Garde-nous près de ton être...

Mon beau royaume du Feu,

Pardonne mes manières,

Mais promet-moi juste une chose.

Quand tombera la lumière,

Accueil nous sur tes terres,

Et ne tombe jamais en poussière...

Chante l'enfant serpent aux écailles solaires...

L’attroupement, ému par cette chanson que tout le monde connaissait, se mit à applaudir, les danseurs laissèrent échapper quelques larmes. Les hommes embrassèrent les mains de leurs cavalières avant de les laisser aller à leurs affaires. Loukas aussi applaudit, du haut de sa monture, très touché également pas le chant. L'enfant semblait fière mais aussi gênée d'être autant ovationnée, même le groupe de musicien l'acclama pour sa prestation, à laquelle ils avaient pourtant largement contribué.

Le Maître de la Terre dût se retenir de ne pas fabriquer une nouvelle fleur minérale pour lui offrir, car il avait d'autres affaires à régler. S’il se montrait maintenant, la foule souhaiterait qu'il prenne part à un banquet ou à d'autres rassemblements, malheureusement il n'avait pas le temps pour cela. Il reprit donc sa route en talonnant Cody, qui grogna de mécontentement.

« Il est dommage que deux couplets aient été enlevés à cette chanson » rumina-t-il en chemin, faisant référence aux royaumes de la Foudre et de la Lumière.

Ils passèrent sous une arche de pierre naturelle d’où grondait une cascade, juste avant d'arriver devant un immense château. Construit entièrement dans une sorte de brique marron ou de métal aux reflets mystiques, il était bâti en forme d'étoile à sept branches. Il y avait à chaque extrémité des tours de cent mètres de haut, un nombre infini de personne vadrouillait en cet endroit. Il n'y avait pas de douves alors les marchands itinérants posaient leurs affaires au plus près des murs, les soldats qui patrouillaient ne semblaient pas avoir pour consigne de les en empêcher.

Cody contourna l'édifice. Il était très calme, la langue pendante, il ressemblait plus à un très gros chien.

Sa part sauvage laissait place à autre chose, un comportement qu'il avait dû avoir il y a longtemps et qu'il avait presque oublié. Une sorte de retenue, de contenance.

Lorsqu'ils furent face au sud, une grande porte se dressa à la place de la pointe de l'étoile, elle était entièrement réalisée en un métal vert et bleu que Loukas ne prit pas la peine d'identifier.

Devant les épais vantaux, une dizaine de soldats montaient la garde, équipés de lourdes armures faites visiblement dans le même métal que les murs d'enceinte du château, mais serties de pierres précieuses brillantes, allant des rubis aux saphirs, en passant par des diamants de toutes tailles. Leurs casques prenaient la forme d'une tête de taureau. Chacun portait à sa ceinture un marteau de guerre d'apparence létale et ils avaient aussi des boucliers rectangulaires assez épais.

En avançant, celui qui portait une cape gris foncé – signe qu'il était sergent – lui fit signe de s'arrêter. Avant d'arriver à sa hauteur pour lui parler, les soldats mirent la main à leurs ceintures.

Loukas prit la parole en premier, « Je souhaite entrer au château, sergent, je n'ai aucune arme sur moi. Le roi est-il encore en séance de doléance ? », il leva les mains en signe de paix.

« L'accès au château de Moongarde est pour le moment très réglementé, veuillez-vous identifier et retirer votre capuche. Pour ce qui est de notre souverain, il a des affaires privées à régler et ne pourra voir personne, je suis navré ».

Cody grogna, sa nature sauvage prenant légèrement le dessus, il ne comprenait pas pourquoi on lui barrait la route et il n'aimait pas ça du tout, en général les choses qui lui barraient la route ne le faisaient pas longtemps. Les soldats frémirent, les loups géants étaient pour le moins rares en cette région, surtout apprivoisés.

Le jeune homme ôta sa capuche sommairement pour éviter de perdre trop de temps. « Je suis Loukas, Maître de la Terre, fils de Ravend et de Misano, frère du roi et ambassadeur de notre royaume, je pense que cela suffit comme présentation », il sourit en regardant la réaction des militaires.

Tous s'inclinèrent, certains plièrent même le genou, dont le sergent.

« Pardonnez-nous de ne pas vous avoir reconnu, Maître ! Bienvenu chez vous, je vous en prie ! » s'exclama-t-il en faisant signe d'ouvrir les portes.

« Il n'y a pas de mal, vous faite de l’excellent travail, soldat, continuez comme ça », le rassura le jeune homme en reprenant sa route.

Les vantaux s'ouvrirent, découvrant une simple herse en acier, qui s'ouvrit également sur une cour pavée, révélant l'architecture du château en lui-même, au-delà des murs. Le donjon était constitué d'une structure rectangulaire soutenue par des piliers intérieurs et extérieurs, avec beaucoup de voûtes en pierre et un chemin de ronde, trois tours circulaires s'élevaient depuis l'intérieur : la plus grande devait faire environs trois-cents mètres de haut avec un toit en tuiles violettes. La deuxième devait faire au bas mot cent mètres de moins avec un toit de couleur verte, des chaînes en acier la soutenait, lui donnant une allure de bâtiment interdit. La dernière avait un toit bleuté et faisait environ cent mètres. Dans tous les cas, le château était véritablement immense et de manière générale, Nienlass était la plus grande cité jamais construite par les hommes : tout y était plus grand et plus impressionnant, aux yeux de Loukas, en tout cas.

Il descendit du loup géant lorsque celui-ci s'arrêta dans la cour et lui donna une tape sur le museau.

« Va donc dans le jardin, mais ne fait pas de bêtise, d'accord ? », la bête ne semblait pas avoir compris le moindre mot mais se dirigea tout de même vers le nord en contournant le donjon, laissant le jeune homme seul.

Il tourna son regard sur la porte en pur mithril du château, incrustée de pierres précieuses.

« Tellement de portes à passer », se dit-il en montant les quelques marches qui surélevait l'endroit.

Deux autres gardes lui ouvrirent après lui avoir fait une profonde révérence. Il savait parfaitement où il allait, la porte menait directement à la salle du trône, c'est là qu'il arriva d'un pas décidé. Seulement, il n'y avait personne, mis à part quelques gardes qui patrouillaient, seuls les cliquetis de leurs armures étaient perceptibles à travers la grande salle voûtée, soutenue par d’épaisses colonnes décorées de runes.

Le trône noir au fond de la salle était vide. L'espace d'un instant, Loukas eut l'impression d'y voir siéger son père. Il portait son armure, et à son côté se trouvait Lame-Lierre, l'épée des rois du royaume de la Terre. Il se rappela avoir monté ces marches des dizaines de fois pour sauter sur ses genoux, il lui lançait sans cesse le même regard, mêlant tendresse et fierté.

« Comment me regarderais-tu à présent, papa ? ».

Le Maître de la Terre attendit, avec l'espoir que quelqu'un qu'il connaissait arrive, mais après plusieurs minutes, il décida qu'il ferait mieux de partir à la recherche de son frère plutôt que d'attendre ici.

« Allons vers la salle à manger, ils doivent être en plein dîner à l'heure qu'il est ». En effet, la lumière avait significativement baissé depuis son arrivé à Moongarde, des lanternes avaient été allumées dans les rues, baignant la ville de petites lueurs jaunes presque irréelles.

Arpentant les couloirs qu'il connaissait par cœur, Loukas repensa à son passé en ces lieux : les moments avec ses parents, ses professeurs, les repas en familles. Son père prenait toujours le temps de lui lire des histoires, le soir avant qu'il aille se coucher, Cody était là lui aussi, ce n'était qu'un louveteau à cette époque, mais Loukas pouvait revoir sans même fermer les yeux ses petits crocs luisants, et son pelage si doux au toucher.

Il était si absorbé par ses pensées que ses pas l'entraînèrent sans qu'il s'en rende compte jusqu'à la salle à manger royale, fermée par une épaisse porte de chêne plaquée d'or et d'argent. Une garde semblable à ceux de l'entrée du château était postée devant, elle le reconnut immédiatement et s'inclina respectueusement.

« Maître Loukas ! J'ignorais que vous étiez au château ! », murmura la guerrière.

« Je ne me suis pas annoncé, pardonnez-moi. Je n'ai trouvé personne en arrivant, ma famille est-elle ici ? » demanda le jeune homme en esquissant une révérence.

« Oui, ils sont ici avec l'ambassadrice du royaume de l'Eau. Je vous en prie, ils viennent à peine de commencer le repas. Nul doute que votre frère sera content de vous retrouver ! ».

Avant que Loukas puisse réaliser qui était dans la salle sous le titre d'ambassadrice, la guerrière ouvrit la porte en grand et entra pour l'annoncer, une lumière chaleureuse l'éblouit légèrement, il se couvrit les yeux d'une main.

Il entendit tout d'abord l'annonce du soldat.

« Mes seigneurs, pardonnez mon interruption, Maître Loukas nous fait le plaisir et l’honneur de sa présence ! ».

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