Chapitre XIX : Retour à la maison

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Dans une grotte aux pierres rouges, à plusieurs kilomètres de Tropyrr, Loukas était en train de seller correctement Claod. Sa barbe avait repoussé depuis le conseil des Maîtres, son expression était aussi plus détendue.

« Nous allons bientôt rentrer chez nous, mon ami », dit-il au dragon, qui grogna. Le jeune homme avait dû adapter sa selle pour pouvoir accueillir un deuxième voyageur, cela lui avait pris des jours. Sans compter qu'il n'était vraiment pas doué pour ce genre de travail, ses mains étaient couvertes de bandages divers, attestant de ses blessures récentes.

« Bon, ça devra faire l'affaire, je ne peux rien faire de plus pour le moment », il tira sur une sangle du mieux qu'il put et Claod émit un feulement plaintif avant d’ouvrir la gueule comme pour mordre, dans un pur reflexe défensif.

« D'accord, d'accord, je ne touche plus à celle-ci, mais toi en échange essaie de ne pas aller trop vite, c'est compris ? Inutile de tenter de l'impressionner ».

La bête le poussa légèrement tout en ronronnant.

« Qui ne doit-il pas impressionner ? » demanda une voix derrière le jeune homme.

Il se tourna et découvrit Amanda dans l'entrée de la grotte : elle portait une tenue de voyage bordeaux et ne semblait même pas transpirer, malgré la chaleur qu'il faisait à l'extérieur. Pourtant, la matinée commençait à peine.

Elle descendit prudemment le long de la paroi rocheuse, un gros sac en bandoulière sous le bras.

« Te voilà, tu n'as pas eu d'ennuis sur la route ? » demanda Loukas en accueillant sa compagne.

« Non, mais tu n'as pas choisi un endroit facile à trouver, pourquoi cette grotte si éloignée de la ville ? ».

« C'est ici que Claod a dormi tout ce temps, c'est plus facile de m'occuper de lui en pleine journée à l'abri des regards ». Il lui prit la main et lui sourit, effaçant de son esprit tous ses doutes.

« Tu as dit au revoir à tout le monde ? Il n'y a pas eu de problème ? » questionna le dragonnier en retournant s'occuper de sa monture.

« Non, aucun problème. Mes amis ne m'ont pas retenue, ma famille a eu plus de mal à accepter. Mais tu sais, ils ont tous peur des Maîtres en général, alors maintenant que j'en suis une, me voir m'éloigner ne les déranges pas trop. Quant à la reine et aux gens du château, ils savent parfaitement que l'on se reverra bientôt à coup sûr, j'ai bien cru que Mens allait verser une larme ! » plaisanta-t-elle.

En riant, elle emplit la caverne d'un son cristallin, à peine couvert par le bruit des écailles du dragon glissant sur la roche.

Loukas sourit avant de reprendre, « Et pour ton vœu ? Qu'as-tu demandé à Saràn ? ».

« J'ai demandé à pouvoir être toujours chez moi dans le royaume, ainsi qu'une future place dans l'armée, lorsque je l'aurai décidé ».

Elle déposa ses affaires le long de la paroi et croisa ses bras dans son dos. L'air songeuse, elle observa le plafond.

« Elle m'a demandé de rester, tu sais, la reine. Elle pourrait vite avoir besoin de moi maintenant que je suis officiellement une Maître, mais j'ai refusé, je veux d'abord voyager, et voir ton royaume ».

Touché par les paroles de sa compagne, Loukas alla l'embrasser. Claod grogna de plus belle, sa queue en éventail racla la pierre, produisant un son des plus désagréable et laissant au passage une belle éraflure à la roche.

Coupés dans leurs ébats, les amoureux se préparèrent à partir, mais pas avant que Loukas ne réprimande son compagnon de toujours. Ensuite ils purent monter en selle, sur le dos du dragon mécontent.

« Attache-toi avec les lanières ici, et là. N'oublie pas de t'agripper à moi » conseilla le dragonnier en désignant les attaches.

« Ça va te faire très peur au début, personnellement mon premier vol c'est très mal passé ».

Claod grogna de nouveau, il savait pertinemment que c'était sa faute et que tenter de faire des vrilles avec un passager était une mauvaise idée. Loukas le caressa gentiment, histoire de le calmer le temps qu'Amanda soit bien sanglée.

Une fois qu'il eut vérifié que c'était bien le cas, il s'attacha également, cela lui prit moins de temps car avec l'expérience il savait ce qu'il faisait.

« On est prêts mon ami, à toi de jouer, conduit-nous à la maison » murmura le jeune homme, il sentit les bras de sa compagne se serrer autour de sa taille. Il ne portait qu'un pourpoint léger en cuir ainsi que le reste de sa tenue de voyage habituelle ; Ravend pendait à sa ceinture, étant plus petite que Nuralion et Tempête, il préférait l'avoir avec lui lors de ce genre de déplacement, elle était facile à dégainer, même en plein vol. Le corps chaud de sa compagne se blottit tout contre son dos, il déglutit difficilement.

L’éclair invisible bondit en dehors de la grotte, s'envolant dans la foulée. En l'espace de quelques battements de cils, la clarté du jour et la chaleur du soleil les frappa de plein fouet. Le dragonnier banda ses muscles et se pencha en avant autant que possible, en jetant de temps à autre des regards derrière lui pour s'assurer qu'Amanda allait bien.

« Elle n'a pas crié, c'est déjà bon signe, mais j'espère qu'elle ne sera pas malade ».

La route menant jusqu'à sa petite cabane dans les bois n'était normalement pas longue grâce à Claod, sa vitesse étant bien supérieur à celle des chevaux ou des smilodons – les ours à dents de sabre que l'on trouvait dans son royaume.

Néanmoins, ils firent plusieurs haltes pour se dégourdir les jambes. Amanda avait du mal, en vol, elle n'osait pas ouvrir les yeux.

« C'est tout à fait normal, il m'a fallu longtemps pour m'habituer, Claod était plus petit à l'époque, il avait aussi du mal à me soutenir. Aujourd'hui c'est bien plus facile et heureusement pour nous ».

Une fois qu'ils eurent passé la frontière du royaume de la Terre, Claod accéléra et fit un détour par l'est du royaume, comme il le faisait à chaque fois, préférant ne jamais passer au-dessus de Nienlass, la capitale.

Loukas reconnut bien vite sa forêt, ainsi que l'énorme pic solitaire au nord de celle-ci.

« Nous sommes bientôt arrivés ! » hurla-t-il dans le vent sans être sûr que sa compagne l'entendait. Il donna un coup de talon à sa monture, mais c'était inutile, il savait parfaitement où aller et où atterrir. Mais c'était une de ses habitudes depuis bien longtemps.

Il piqua vers le sol, fendant l'air de son corps reptilien pour déployer ses ailes au moment adéquat. Avec un bruit de toile tendu, il se posa sans mal dans la clairière de son ami, là où ils avaient tous les deux grandi.

Le calme s'installa de nouveau. Bien que les oreilles leurs sifflaient, ils entendirent assez vite le son de l'eau qui clapotait non loin, ainsi que le chant des oiseaux.

« Ça va ? Comment te sens-tu ? Attends, je vais t'aider à descendre » proposa Loukas à la jeune fille. Elle ouvrit enfin les yeux, le visage plein d'émerveillement.

Elle aperçut le ruisseau, les chênes, les bouleaux, les érables aux feuilles rouges et jaunes, ainsi que la petite cabane en bois accoudée à un potager. Elle frissonna, l'air était beaucoup plus frais ici qu'au royaume du Feu. Loukas détacha ses liens et la fit mettre pieds à terre, elle retira vite ses bottes car elles lui faisaient mal. Le jeune homme fit de même avec les siennes et avança vers sa demeure.

« Tu viens ? » demanda-t-il alors qu'Amanda ne bougeait toujours pas.

Elle fit un signe affirmatif de la tête et suivit son amant ; il ouvrit la porte, l'invitant à rentrer.

« C'est ici que je vis, bienvenue », il souriait, Claod reprit son envol pour vaquer à ses propres occupations, il était environs dix-huit heures. Ils n'étaient partis de Tropyrr que le matin de la veille.

« C'est... … C'est merveilleux ! » rétorqua la jeune fille sans savoir ou regarder, elle s'approcha du lit, simplement recouvert d'une peau d'ours et s'assit un instant.

« Si tu as soif, il y a des gobelets ici. Pour manger, Claod nous ramènera sans doute quelque chose, sinon j'irai chasser et cueillir quelques légumes dans le jardin, pour ma part un bain ne me ferais pas de mal. Tu devrais te reposer pendant ce temps, le lit est confortable ».

Il retira son pourpoint, non sans mal, et l'accrocha à un porte manteau de fortune, avant de sortir de la cabane.

Il se dirigea comme à son habitude vers le lac en ôtant ce qu'il lui restait de vêtement, puis s’immergea dans l'eau. Elle était encore plus glacée que la dernière fois, la saison froide commençait, mais ils avaient encore de beau jour devant eux avant qu'il ne fasse vraiment plus froid et qu'il neige.

Alors qu'il commençait à se détendre, content d'être rentré chez lui, il aperçut Amanda venir vers le lac.

« Tout va bien ? » lui demanda-t-il, pensant qu'il y avait un problème.

« Tu as vraiment cru que je raterai l'occasion de me baigner avec toi ? », sa tenue de voyage glissa le long de son corps, jusqu'à ses hanches, où elle dut prendre le temps de la retirer convenablement, avant de le rejoindre.

En entrant dans l'eau, elle poussa un soupire d'angoisse, « Par tous les dieux pourquoi l'eau est-elle si froide ?! ».

Le Maître de la Terre se mit à rire, « Ça aussi il faudra t'y habituer, ma belle, ici la saison froide est bien plus dure que dans le royaume du Feu ! », il l'attira vers lui pour l'asseoir entre ses jambes et lui faire un câlin.

Elle se laissa faire en claquant des dents, avant de lever une main en l'air ; l'instant d'après, une sphère de feu s'échappa de sa paume pour aller se perdre dans l'eau, produisant un crissement ainsi qu'une colonne de vapeur brûlante. L'eau se réchauffa de plusieurs degrés et la jeune fille en fut plus que soulagée, ses muscles se détendirent.

« C'est bien plus agréable comme ça » rétorqua-t-elle en se retournant vers son compagnon, enroulant ses jambes autour de son corps, et ses bras autour de son cou.

« J'avoue que ce n'est pas désagréable » répondit Loukas en caressant tendrement ses hanches.

Son regard exposait clairement sa fatigue mais elle tenait encore bon, ses cheveux mouillés lui donnaient une allure de sirène. Comme dans un rêve, Loukas effleura sa joue d'une main, faisant au passage tomber quelques gouttelettes sur sa poitrine, avant de l'embrasser. Ses lèvres étaient plus froides que d'habitude.

Ils restèrent ainsi plusieurs longues minutes, sans trop parler, profitant du calme enchanteur de l'endroit.

Loukas connaissait tout cela par cœur, mais sa compagne, en revanche, entendait les bruits de la forêt pour la première fois. Elle finit par s'endormir dans ses bras, complètement épuisée par le voyage ; la nuit était presque tombée.

Loukas porta sa compagne à l'intérieur et l'installa dans le lit, elle était toujours ruisselante d'eau.

« J'espère qu'elle n'attrapera pas froid ». Il resta quelques instants auprès d'elle, admirant les traits de son visage détendu par le sommeil, avant de se lever. Remettant ses bottes, il approcha d'une armoire qu'il ouvrit, découvrant une petite pile de linges divers.

Il choisit de revêtir un haut marron ainsi qu'un gilet noir sans manche. Pour le bas, il reprit le pantalon qu'il portait lors de son voyage.

En approchant de sa table près de l'entrée, il prit un morceau de papier ainsi qu'une plume pour écrire, bien qu'il eût d'abord du mal à se rappeler où il avait mis son encre.

« Je reviens au plus tard demain matin, il y a quelque chose que je dois absolument faire, j'ai d'abord pensé t’emmener mais tu es si belle quand tu dors que je n'ose pas te réveiller, ne t'inquiète de rien et repose-toi ».

Il posa le mot bien en évidence et attrapa à la hâte un grand manteau à capuche qui traînait dans la poussière, en haut d'une étagère, avant de sortir.

Se dirigeant d'un pas décidé vers les bois, il siffla avant de tâter ses flancs.

« Merde, j'ai reposé toute mes armes sur la selle de Claod » grogna-t-il en continuant sa route à travers les arbres.

« J'aurais au moins dû garder Ravend ».

Au bout d'une bonne dizaine de minutes, Loukas tomba sur ce qu'il cherchait. Cody sortit des buissons à pas feutrés, courbant l'échine, il retroussa ses babines, montrant ses dents démesurées. Son pelage semblait humide, le jeune homme en déduisit qu'il venait probablement d'essayer de pêcher ; les loups géants mangeaient de tout, même du poisson.

« Calme-toi mon beau, c'est seulement moi. S'il te plaît, j'ai besoin de toi aujourd'hui, tu veux bien m'aider ? ». Il mit un genou à terre, puis le deuxième, et attendit les bras levés vers la bête.

Cette dernière donna un coup de mâchoire dans le vide avant d'approcher lentement, Loukas savait que d'ordinaire, il s’agissait plutôt d'un avertissement, mais il ne doutait pas que son ami ne lui ferait aucun mal.

Il eut raison, heureusement pour lui, l'humeur de Cody se radoucit et il vint renifler le Maître de la Terre en tournant autour de lui.

« Oui, je sais, il y a un odeur différente cette fois » expliqua-t-il en se relevant, comme s’il comprenait parfaitement les pensées de la créature. Sans plus de cérémonie, il grimpa sans prévenir sur son dos – non sans mal étant donnée l'envergure de la bête – cette dernière n'émit pas d'objection et commença à trotter vers le sud, nullement gênée par le poids de son cavalier.

« Je vois que tu sais déjà où nous allons » remarqua Loukas le sourire aux lèvres. Pour toute réponse, le loup géant agita ses grandes oreilles.

Il se pencha sur l'animal pour adopter une posture un peu plus sauvageonne. Son poil sentait la boue et les feuilles mortes, ainsi que d'autres odeurs plus désagréables, forçant le Maître à respirer par la bouche le temps de s'habituer. Soudain le loup s'élança, passant de la simple balade à une course effrénée, cavalant à une vitesse folle à travers la végétation, la langue pendante et le souffle court. S'accrochant comme il pouvait, le jeune homme avait cependant du mal avec ce type de transport, alors il baissa simplement la tête pour éviter les branches et attendit que son compagnon trace la route. Sur son visage, on pouvait lire une forme d'inconfort certain.

La course du canidé dura un peu moins d'une heure, même si elle avait paru beaucoup plus pour Loukas. Sur Claod, il n'avait pas ce problème, le dragon supportait de mettre une selle, ce qui n'était pas le cas du loup géant, du moins à l'heure actuelle. Le jeune homme l'avait par le passé monté comme une véritable bête de guerre pendant plusieurs de ses voyages, notamment dans les royaumes humains, et il avait alors dû lui mettre des sangles pour s'attacher. Mais maintenant, il n'acceptait plus d'être harnaché de telle ou telle façon, préférant de loin être totalement libre de ses mouvements, ce qui était d'ailleurs sûrement plus facile pour chasser.

L'orée de la forêt approchait à grand pas, ainsi ils débouchèrent dans une vaste plaine, entièrement recouverte de champs et de pâturages. Les couleurs fusaient dans tous les sens, que ce soit le scintillement des champs de blé d'or – variété ne craignant pas le froid – sans parler des potirons de la taille d'une tête de troll.

Des vaches broutaient tranquillement, tout comme des moutons et des chevaux, le tout librement, sans enclot.

Loukas n'avait pas besoin de diriger sa monture, qui avançait en contournant la plaine pour rapidement tomber sur un sentier qui traversait l'endroit. Ils passèrent devant des étendues d'arbres fruitiers, des rangs de légumes variés, puis par une zone en pente raide, ou des gens semblaient récolter du riz. Les rizières étaient alimentées par des canaux artificiels provenant d'un cours d'eau, prenant sa source dans les bois.

Le jeune homme regardait droit devant lui, quelques instants plus tard, d'immenses murailles se dressèrent devant l'horizon, de couleur beige teintées par endroit de taches marrons. De loin, on aurait presque dit le dos d'une gigantesque vache, il leur fallut encore plusieurs longues minutes, longeant toujours les terres agricoles, avant d'arriver assez près pour pouvoir détailler un peu plus l'endroit.

Il y avait un bon nombre de bâtiments à l'extérieur des murs, dont des silos à grains qui devaient faire aux environs des vingt-cinq mètres de haut, rendant les bâtisses de bois et de pierre ridiculement petites, malgré leurs toits à deux pans, avec lignes de bris en chaume.

Des tours circulaires émergeaient du mur taché à un intervalle visiblement irrégulier, mesurant facilement vingt mètres de plus. La pierre n'était pas la même, ressemblant plus à du basalte, elles étaient surmontées de toits en ardoises noires. À travers les meurtrières, Loukas aperçut des pointes ainsi que les cordes tendues des balistes et des arbalètes montées.

Une porte mesurant près de la moitié du mur qu'elle perçait s'ouvrit un peu plus loin sur la droite, faite d'un bois de frêne renforcé de plusieurs dizaines de barres en métal, visiblement très lourdes. Le Maître de la Terre regarda des deux côtés, il ne vit que les étendues agraires et la ligne des remparts qui continuait son chemin, se perdant dans les dernières lumières du début de soirée. Cody avança en direction de la porte ; des gardes la surveillait, mais ils les laissèrent passer, eux ainsi que ce qui semblait être une bonne troupe d'agriculteurs et d'éleveurs en tous genres.

« Je suis rentré », murmura le jeune homme en flattant l'encolure de son animal de manière bienveillante.

« Toi aussi, tu es chez toi ici ».

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