Les deux amants finirent par ce lever pour faire un brin de toilette, ayant tous deux beaucoup transpiré ; ils avaient très chaud, surtout Amanda, paradoxalement. Elle chantonna en passant un linge humide le long de ses bras.

« Je vais ouvrir la fenêtre » proposa Loukas. Il lui offrit une dernière caresse avant de nouer un bout de tissu autour de sa taille -intérieurement, il espérait tout de même qu'elle n'y mettrait pas feu- puis il se dirigea vers la porte-fenêtre, donnant sur le balcon.

L'air extérieur était beaucoup plus frais, ses poils se hérissèrent au contact du vent. Il resta un moment sous le ciel, une chose lui vint à l'esprit, mais il hésita longuement ; derrière lui, Amanda se lavait toujours.

Arrivé au bout de son introspection, il l'appela à le rejoindre d'une voix douce.

Elle vint s'agripper à son bras, le corps enveloppé de sa chemise de nuit, la même que lorsqu'il l'avait rencontrée pour la première fois. Son visage affichait une expression interrogative.

« Je veux te présenter quelqu'un, peux-tu éteindre les lumières qui sont dans le coin ? » lui dit-il.

La jeune femme s'exécuta, « Je ne comprends pas mais d'accord. Dois-je me rhabiller ? ».

« Non, tu peux rester comme ça, ne t'inquiète pas et fais-moi confiance. Par contre, promets-moi de ne pas faire de bruit et de rester à mon bras, s'il te plaît ». Sa voix trahissait une certaine appréhension, Amanda acquiesça.

Loukas siffla, un sifflement très aigu, à peine perceptible, puis il attendit en prenant sa compagne par la taille. Ils se regardèrent un instant, la Maître du Feu ne comprenait toujours pas.

Sans un bruit, presque comme une ombre, une créature ailée d'apparence reptilienne, noire comme la nuit avec de petits reflets azurés, jaillit de nulle part. En glissant sur les dalles -la plate-forme n'étant pas assez large- elle rabattit sa queue ainsi que ses ailes pour se tasser le plus possible. Ses yeux presque uniformément bleus regardaient les deux amants avec attention, en particulier la femelle.

Claod émit un grognement plaintif, ses écailles cliquetèrent alors qu'il clignait des yeux, sa langue passa rapidement sur ses lèvres. Il ouvrit la gueule, dans une esquisse de sourire, puis attendit une réaction de la part des Humains en face de lui. Sa posture était éminemment défensive étant donné que c'était la première fois, ou presque, qu'il approchait un autre humanoïde que son Dragonnier.

« Amanda, je te présente Claod. Claod, voici Amanda, tu veux lui dire bonsoir ? » déclara le Maître de la Terre, autant à la bête qu'à sa compagne.

La créature produisit un feulement sourd, sa gorge vibra et il pencha la tête, ses ailes membraneuses semblables à celle des chauves-souris finirent de se replier dans un léger claquement.

La jeune femme resta pétrifiée ; Loukas la prit par la main et s'approcha avec elle du Dragon. Ses yeux exprimaient non pas de la peur, mais plutôt de l'émerveillement.

Elle murmura, « Bonsoir Claod ».

Il posa sa main sur la tête de son ami et retira la sienne lentement. Ce dernier frémit au contact de cette nouvelle main, plus petite et plus douce que celle du jeune homme.

« Il est magnifique » déclara Amanda, ce qui ne manqua pas de faire pousser au Dragon un petit grognement de satisfaction.

« Mais je ne connais pas cette espèce, de quelle sorte de Dragon s'agit-il ? ».

« C'est, un Éclair Invisible », répondit le Dragonnier, impassible.

« Ce n'est pas drôle ».

« Je ne plaisante pas », il croisa les bras et sourit tristement, il avait parfaitement anticipé cette réaction de déni.

Amanda fronça les sourcils, « Je ne te crois pas, c'est impossible ! Ce Dragon n'a jamais été vu par qui que ce soit, c'est d'ailleurs plus une légende qu'un réel Dragon ! » objecta-t-elle. Claod lui lécha la main, ce qui la fit reculer avec un petit sursaut de surprise.

« Je ne te mens pas, j'ai trouvé son œuf lorsque je me suis enfui de chez moi, dans la forêt. Il était trop faible pour percer sa coquille, il serait mort d'épuisement si je ne l'avais pas aidé ». Il s’assit sur le bord de balcon, les yeux rivés sur son compagnon de voyage.

« Depuis, il me considère comme sa seule famille, je ne sais pas si je suis un père, une mère, un frère ou je ne sais quoi d'autre pour lui. Mais c'est mon meilleur ami, et c'est grâce à lui que j'ai pu visiter beaucoup de lieux dangereux. Et par la même occasion, venir ici avec une semaine d'avance ». Il caressa l'animal au niveau du cou.

« Mais si c'est vrai », reprit Amanda, « Pourquoi je n'en ai jamais entendu parler ? Une découverte pareille aurait fait beaucoup de bruit ! ».

« Parce que je n'en ai jamais parlé à personne », il la regarda avec gravité, « Tu es la deuxième personne à connaître son existence. L'autre est May, la Chef de la Caste des Dragonniers dont je fais secrètement partie ». Il omit volontairement de compter son vieil ami l’ermite, malheureusement décédé, qui connaissait également le Dragon. Il lui parlerait de lui un autre jour, lorsqu'il serait d'humeur.

« Pourquoi autant de secret, Loukas ? », elle lui prit la main alors qu'il caressait toujours Claod, complètement immobile.

Le jeune homme réfléchit un instant, « Disons que c'est un atout pour moi de savoir qu'il n'est jamais loin, et que personne ne s'attend à lui. Ça me rend imprévisible », il marqua une pause dans sa phrase et plongea son regard dans le sien. « Ça le garde aussi en sécurité. Tu connais les frères Field et Foeld ? ».

« Les deux Maîtres de la Terre ? ».

« Oui. Ce sont les plus grands éleveurs de tous les Royaumes. Bien sûr ils ne font pas particulièrement de mal aux animaux, mais je pense qu'ils seraient prêts à beaucoup de chose pour pouvoir observer Claod de plus près ».

« Très bien, je comprends » demanda Amanda d'un ton compatissant, « Mais pourquoi me le montrer à moi alors ? ».

« Tu t'en doutes, non ? », il se gratta la barbe.

« Non, dis-moi », elle sourit en s'approchant de lui.

« Parce que, dans moins d'un mois, comme tu l'as dit, nous rentrerons chez moi. Donc je ne vois pas l'intérêt de te le cacher, autant qu'il commence tout de suite à s'habituer à ta présence. Comme ça, il t’acceptera sur son dos sans broncher ». Il grimaça, n'étant pas spécialement convaincu par cette idée.

Elle lança un regard de défi à Claod, toujours silencieux. Il semblait ne pas s’intéresser du tout à la conversation, sans pour autant donner l'impression qu'il ne la comprenait pas.

« Donc, s’il m'aime bien, nous gagnerons du temps. C'est ça ? ».

« En gros, oui » répondit le jeune homme.

« D'accord ». Amanda ouvrit une paume face au ciel, une flamme bleue apparut dans le creux de sa main. Le Dragon ne bougea pas, ses yeux se fixèrent cependant sur la Maître du Feu avec attention, ses pupilles rétrécirent.

« Si j'en crois les légendes, tu utilises le plasma. Pas vrai ? », elle tendit sa main vers Claod, qui ouvrit la gueule en grand, Loukas recula de surprise.

« Tu vois ? On sert le même Dieu, toi et moi, on est fait pour s'entendre », elle avança vers lui en faisait jaillir une autre flamme de sa main libre.

« Tu es sûre de ce que tu fais Amanda ? » questionna le Dragonnier. Il se prépara à lancer un sort, de peur que les choses ne tournent mal ; il n'avait pas idée de ce qui pourrait arrêter un jet de plasma à bout portant.

Sa compagne arriva à portée de bras du Dragon, ce dernier ne bougeait toujours pas, tel une statue ; la lumière émise par les flammes vint se refléter sur ses écailles. Une lueur bleue émergea du fond de sa gorge, pour remonter vers sa langue. Une minuscule sphère brillante vint rouler à sa surface. Arrivé au centre, la sphère se liquéfia ; il ferma la gueule et la substance se mit à recouvrir ses lèvres, formant un sourire plasmique, luisant dans l'obscurité.

« C'est très beau ce que tu fais là » fit la jeune femme en riant, « À mon tour maintenant ».

Sa chemise de nuit glissa le long de son corps tandis que les flammes se propageaient sur sa peau nue. Le plasma se malaxa et se tordit pour former une couche de matière courant sur elle, sans la brûler. Elle décrivit des signes ésotériques avec ses mains, puis tourna sur elle-même, créant une sorte de robe de bal magique absolument sublime, ainsi qu'un minuscule diadème, le tout agité de petits arcs électriques violets, trahissant une certaine liaison avec la magie de la foudre, tant la chaleur dégagée était forte.

Fier de son œuvre, elle sourit, regardant tour à tour le Dragon et Loukas, qui n'en revenait pas. Claod ne se fit pas prier pour continuer la compétition.

Un courant magique parcourut tout son corps, de la queue jusqu'aux bouts des ailes, entourant chaque écaille de la même énergie. Les motifs ainsi créés étaient totalement inconnus des deux humains. Même son maître, qui le connaissait depuis toujours, n'avait jamais vu cela ; il laissa échapper un soupire d'admiration.

Le Dragon avait les yeux parcourut d'arcs ésotériques. Des dents de plasma se dessinèrent dans sa gueule, ses ailes membraneuses virèrent au fluo. Tout le balcon s'illumina de magie l'espace de quelques secondes, les cheveux de Loukas et d'Amanda se dressèrent sous la chaleur et l'électricité statique dégagée par la décharge.

L'intensité des flammes diminua cependant peu à peu chez l'humaine et le Dragon, jusqu'à ce que l'obscurité reprenne ses droits et ne les enveloppe à nouveau de son voile.

Claod donna un léger coup de museau sur l'épaule de la jeune femme, il semblait sourire ; un feulement aigu s'échappa de sa gorge.

Puis, il disparut, plongeant sans un bruit dans les ténèbres de la nuit.

Amanda remit son vêtement et sourit, « Je crois qu'il m'aime déjà ».

Le jeune homme était décontenancé, mais quelque part l'affinité qu'elle avait avec le Dragon était logique : ils partageaient tous les deux le même Dieu, car la bête utilisait un souffle de plasma, lié au Dieu du Feu, Glaross.

Cette nuit, ils dormirent dans le même lit, sans se soucier des problèmes qu'ils pourraient avoir. Toutes ses émotions firent oublier à Loukas que la réunion était pour demain, et que les autres Maîtres devaient arriver d'ici quelques heures.