Chapitre XII : Au bord de l'eau

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Loukas dévala les marches du passage secret deux à deux ; Silvio lui avait parfaitement indiqué la direction, il s'agissait d'un passage dérobé caché dans le dôme de la famille Royale. Il fit abstraction de l'heure qu'il devait être et espérait simplement ne pas être trop en retard, il n'avait jamais éprouvé une telle peur en ne respectant pas un horaire.

« J'espère qu'elle est toujours là-bas » pensa-t-il.

En tournant autour du pilier central de l'escalier, il arriva soudain dans un couloir exigu. Quelques mètres plus loin, une grille fermée était gardée par une soldate, armée d'une paire de griffes de combat. Le plus gros de son armure était posé sur une chaise, à ses côtés. Lorsqu'elle le vit arriver, elle sursauta et brandit ses poings armés face à lui, dans un élan défensif. Loukas s'arrêta.

« Pardonnez-moi d'arriver de façon si précipitée, je suis attendu par Maître Amanda. Suis-je sur la bonne route ? », demanda le jeune homme en reprenant son souffle.

La soldate baissa sa garde et poussa la grille, qui s'ouvrit sans même un grincement, « Elle vous attend en bas. Laissez votre arme ici » demanda-t-elle en désignant Tempête, l'épée qu'il avait emportée.

Dégrafant rapidement son fourreau, il posa sa lame sur le bord du mur avant de reprendre sa route.

« Est-ce que je viens de laisser une de mes armes aux mains d'une personne que je ne connais même pas ? Juste pour gagner quelques secondes ? » se questionna Loukas. Cette pression mentale étrange qu'il ressentait lui faisait faire des choix inconsidérés, il avait de plus en plus mal au crâne. « Je dois être plus prudent et me ressaisir ! ».

Il déboucha très vite dans une vaste pièce rectangulaire. Devant lui se trouvait une sorte de quai parfaitement aménagé, abritant deux petites barques en bois et trois pirogues, faites de paille brune. Le plafond lisse était soutenu par plusieurs arches, intégrées aux murs en briques rouges de la pièce. Un peu plus loin sur sa gauche, une porte semblait mener à une sorte de cellier, servant probablement à entreposer des marchandises où des objets ; il y avait sans doute une salle de garde également.

Une ouverture en demi-cercle laissait entrer la lumière du début de l'après-midi, et permettait de faire sortir les embarcations. Le reflet des rayons sur l'eau calme du canal projetait des formes azurées sur les parois. De temps à autre, une petite goutte tombait du plafond, produisant un son cristallin très clair.

« Tu es presque en retard », déclara une voix sur sa droite. Loukas se tourna et découvrit Amanda, adossée au mur, non loin de l'escalier.

Elle ne portait pas la même tenue que lorsqu'ils s'étaient rencontrés au petit matin ; elle était vêtue d'une jupe jaune, fendue au niveau des cuisses et s'arrêtant au-dessus des genoux. Son ventre ainsi qu'une partie de son dos était complètement nu, sa poitrine était cachée par une bande de tissu de la même couleur, descendant en pointe vers son nombril et retenue par deux minuscules bretelles dorées. Au niveau de ses poignets, elle portait deux brassards en cuir léger, ses pieds nus étaient simplement parés de quelques bracelets de cheville.

Elle avait également prit le temps de se coiffer. Ses cheveux bruns bouclés étaient attachés grossièrement, descendant en cascade sur son épaule gauche.

« Je rêve ou elle s'est maquillée ? » s'interrogea Loukas, sans même penser une seconde à la remarque qu'elle venait de lui faire.

Ils s’observèrent, immobiles, le temps d'un battement de cils, découvrant plus en détails leurs habillements respectifs.

« Qu'est-ce qui t'as pris autant de temps ? » demanda Amanda en quittant son appui sur le mur, son visage exprimait une certaine incrédulité quant au retard du Maître.

« Pardonne-moi » s'excusa-t-il, « J'ai passé la matinée enchaîné à Mens et ses chefs de guerre, je n'ai pas vu le temps passer. En vérité, je n'ai pas mangé pour pouvoir venir plus ou moins à temps ». Le regard de la jeune fille se figea en une expression désolée, « Tu n'as pas mangé du tout ? Mais tu ne tiendras pas longtemps au soleil sans avoir au moins avalé un morceau ! ». Elle s’énerva en élevant la voix.

« Je n'y ai pas vraiment pensé, je ne voulais surtout pas manquer ce rendez-vous, j'avais promis » bafouilla Loukas. « Même si je ne sais pas bien pourquoi je suis si sérieux quant à cela » pensa-t-il en joignant ses mains dans son dos.

Amanda soupira, avançant d'un pas décidé dans sa direction. « Viens pas ici alors », ordonna la jeune fille en le prenant par la main.

Il se laissa faire en voyant qu'elle l’emmenait vers le local qu'il avait repéré sur sa gauche, à son arrivé.

Un fois à l'intérieur de la pièce, la Maître du Feu le fit asseoir sur une caisse le temps qu'elle cherche quelque chose plus au fond. C'était bel et bien un entrepôt, comme il l'avait pensé.

Lorsqu'elle revint, elle s'installa à côté de lui, bondissant agilement sur la caisse en tenant un petit sachet en tissu, fermé d'un cordon rouge, qu'elle lui tendit.

En l'ouvrant, il découvrit une vingtaine de fruits mélangés, comprenant : des dattes, des figues, des baies qu'il ne put toutes identifier. Il y avait aussi des amandes, des noix et des graines.

« Nous irons nous promener lorsque tu auras terminé », l'avertit Amanda en battant des pieds sur sa caisse.

Tout en croquant dans une figue, Loukas attrapa une baie et lui tendit. « Dans ce cas, aide moi et nous pourrons y aller plus rapidement, non ? ».

Un éclair de surprise passa sur son visage, elle le considéra de bas en haut, comme pour le jauger, avant d'accepter en mordant dans le fruit.

Ils mangèrent silencieusement durant environ cinq minutes, avec pour seule compagnie le clapotement de l'eau, à l'extérieur, ainsi que les bruits de la ville plus en retrait. Lorsque le sachet fut complètement vide, ils échangèrent un sourire avant de quitter la pièce, d'un signe de tête d'Amanda qui indiquait la sortie.

En passant la porte, Loukas perçut une nouvelle fois cette sensation étrange qui l'entravait, sa tête lui tourna alors qu'un sentiment d'ivresse lui imbiba l'esprit.

« Amanda ? ».

L’intéressée se retourna, arborant la même expression que lui, elle tituba légèrement.

« Est-ce qu’il lui arrive la même chose qu'à moi ? » se questionna le jeune homme avant de lui demander, « Es-tu maquillée ? Ton visage est différent ».

La jeune femme ne fut pas surprise par cette question plutôt étrange. Elle se pencha en avant, les mains dans le dos, « Pas vraiment, pourquoi ? », une de ses bretelles tomba le long de son bras.

Loukas s'approcha, plongeant son regard dans le sien, leurs visages n'étaient qu'à une vingtaine de centimètres l'un de l'autre. « Tes lèvres sont plus rouges que ce matin... ».

Les deux Maîtres furent comme pétrifiés, le souffle coupé tandis qu'ils ne pouvaient tout simplement plus bouger, ni parler. Une goutte d'eau tomba à nouveau du plafond pendant ce silence hypnotique.

Il voulut se détourner mais propre sa magie l'en empêcha, prenant presque totalement le contrôle de son corps, qui se raidit sous une pression extérieure. Il eut l'impression de ne pas contrôler c'est pouvoir, c'était exactement l'inverse.

Au fond des yeux d'Amanda, Loukas aperçut des braises ardentes, brillant intensément au travers de ses iris. Sans prévenir, ses yeux se nimbèrent d'une lueur rouge, son regard s’enflamma et Loukas sentit une envie irrésistible de s'approcher.

« Je crois que je t'aime », murmura la jeune femme.

Ils firent un nouveau pas vers l'avant. Le bourdonnement s'intensifia dans leurs têtes et allait leur vriller les tympans, c'en était assourdissant. Ils fermèrent les yeux ; leurs lèvres se rencontrèrent.

À cet instant, la sensation d'étreinte redoubla, mêlant une grande douceur à un instinct primal. Ils ressentirent un incroyable picotement au bout des doigts, les poils de Loukas se hérissèrent et Amanda eut la chair de poule.

Le jeune homme sentit la main de la Maître du Feu se loger dans la sienne, serrant très fort, ses ongles s'enfoncèrent presque jusqu'au sang dans sa peau.

Sans y prêter un quelconque intérêt, Loukas relâcha complètement l'emprise qu'il exerçait sur son pouvoir, laissant presque libre cours à la force indépendante qui l'animait. Les pavés sous ses pieds commencèrent à vibrer d'une toute nouvelle énergie.

Il se dégagea la main pour agripper sa compagne par la taille, celle-ci colla son corps contre le sien et il sentit ses bras s'enrouler autour de son cou.

« Ses lèvres ont un goût d'orange légèrement sucré », s'exclama intérieurement le Maître de la Terre, dans un dernier élan de lucidité. « Mais sa peau est brûlante, j'ai l'impression de bouillir ! ».

Ils étaient en sueurs, certaines gouttes s'évaporèrent complètement sous l'action de la chaleur, Amanda poussa plusieurs gémissements de plaisir.

Les deux Maîtres restèrent collés l'un à l'autre pendant plus d'une minute, leur position changea plusieurs fois, Loukas posa même ses mains sur les joues et la nuque de la jeune fille, qui était complètement brûlante. Elle même osa passer quelques doigts sous les vêtements de son nouvel amant, notamment sous sa tunique, lui griffant le torse et le dos sans le vouloir.

Lorsque le contrôle mentale qui les tenait s'atténua, leur ivresse magique retomba et ils se repoussèrent, haletant, ruisselant de sueur et le souffle court. Chacun prit conscience de certains changements autours d'eux.

Autour de Loukas, les pierres, les pavés et même certaines briques provenant des murs s'étaient détachées, flottant à présent dans une harmonie parfaite au-dessus de lui. Les algues qui étaient dans l'eau avaient également bougé, pour venir jusqu'à ses pieds. Le sable même était venu se coller à sa peau, formant une minuscule couche minérale sur son corps.

Du côté d'Amanda, l'air s'était réchauffé d'une bonne quinzaine de degrés, un lierre à côté de l'entrée avait littéralement prit feu, noircissant les briques. L'eau du canal devait également être bouillante, car des bulles et de la vapeur s'en échappait.

Ils calmèrent rapidement leurs pouvoirs respectifs, avant de risquer à nouveau un regard l'un vers l'autre.

Le jeune homme transpirait à grosses gouttes, les cheveux trempés. Plusieurs larmes coulèrent sur ses joues barbues alors qu'il réalisait ce qu'il s'était passé.

Amanda ne transpirait déjà plus, tellement son corps avait atteint une chaleur importante. Lorsqu'elle aperçut son compagnon pleurer, elle eut un hoquet d'affolement, ramenant ses mains sur sa bouche. Elle accourut rapidement dans ses bras, s'accrochant à ses vêtements.

La tête contre son torse elle murmura, « Je... Pardonne-moi Loukas ! Je ne sais pas ce qu'il c’est passé ! Je ne me contrôlais plus ! ». Elle resserra son étreinte, « Crois-moi je ne voulais pas te mettre dans cet état ! ».

Instinctivement, le jeune homme pris dans ses bras la Maître du Feu, sa peau était encore très chaude mais il s'en accommoda rapidement. Complètement décontenancé, il sonda rapidement son cœur. Il n'avait pas de forte attirance pour Amanda -bien qu'elle soit très jolie- cela ne faisait même pas vingt-quatre heures qu'ils s'étaient rencontrés.

Pourtant ils venaient de s'embrasser avec une vigueur toute nouvelle pour lui, jamais il n'avait ressenti cela, c'était totalement inédit.

La magie qui les avait happés depuis le moment où ils s'étaient vus le rendait confus, toutes ces interrogations s’embrumèrent dans son esprit. Il prit tout de même la peine de répondre à Amanda, d'une voix lointaine.

« Ce n'est rien, moi non plus je n'ai rien pu faire contre cette sensation. Pardonne-moi Amanda... », il l’attrapa par les épaules pour observer ses yeux, « Tu as ressenti la même chose que moi, pas vrai ? Une sorte d'attirance invisible ? J'ai voulu me détourner, mais ma magie m'en a empêché ».

La jeune fille hocha la tête en faisant la moue. Il sourit timidement, reportant ses questions à plus tard. Malgré les choses étranges qui lui était arrivées lors de ses voyages, ce qui venait de se produire était tout nouveau.

Ses pensées furent dirigées vers Miruen, son amour d'enfance. D'autres lames perlèrent sur ses joues. La douleur lui étreignit le cœur.

« Tu es sûr que tout va bien ? » demanda la jeune fille d'un air interrogateur, elle n'était visiblement pas convaincue. « C'était si désagréable que ça... ? », elle baissa les yeux vers ses pieds.

« Non ! Enfin, je ne crois pas, je... », il l'eut pas le temps de finir, elle s'avança pour l'embrasser de nouveau.

Le baiser fut plus court, mais beaucoup plus spontané, aucune sensation étrange ou magique ne se déclara. Amanda poussa un léger soupir aigu, elle ferma les yeux et se laissa aller, ses épaules se relâchèrent. Loukas fit de même.

La douceur était bien plus palpable, leurs mains se touchèrent de manière plus sensuelle, plus intime. Elle ne le griffa pas cette fois-ci, mais se rendit compte qu'elle l'avait fait en passant les doigts sur les blessures de son amant. Il fronça les sourcils, c'était douloureux.

« Je t'ai fait mal ? », lui dit-elle en reculant légèrement, sans le lâcher.

« Ne t'inquiète pas ce n'est rien, j'ai connu bien pire » la rassura Loukas. « Pourquoi ce nouveau baiser ? ». Il avait bien remarqué qu'il n'y avait pas de sentiments particuliers derrière cela.

« Je voulais réessayer, pour voir » répondit-elle, visiblement déçue.

« Oh. D'accord ». L'atmosphère devenait pesante, il tenta de changer de sujet. « Il serait temps que nous prenions une embarcation non ? Tu voulais aller sur l'oasis, pas vrai ? ».

La jeune fille fit un signe de tête affirmatif, son expression attristée changea et elle se dirigea vers une des pirogues qui mouillait sur le quai. « C'est toi qui rame ! ».

« Évidemment », pensa Loukas en la suivant. Son cœur battait encore très fort ; il se rendit compte qu'il tremblait.

« Oh, j'ai oublié quelque chose », déclara Amanda en s'arrêtant. La seconde suivante, elle repassait devant lui pour retourner dans l'entrepôt. Elle revint un instant plus tard, avec à la main une ombrelle couleur saumon, attachée par un ruban jaune. « On peut y aller » lui dit-elle, avec un grand sourire.

La Maître du Feu s'installa à l'avant de la pirogue -tournée vers le canal- et attendit simplement, triturant quelques mèches de ses cheveux, l'air vaguement absente.

Le Dragonnier se mit à l'arrière et prit la rame -où plutôt la pagaie- taillée dans un bois exotique très agréable au toucher. Il commença à manœuvrer vers la sortie.

À mesure qu'ils se rapprochaient de l'arche en pierre, la lumière devenait plus intense, jusqu'à ce qu'ils sortent enfin au grand jour.

La berge était au-dessus d'eux, car ils étaient dans les douves du palais, qui étaient alimentées en eau par un canal artificiel, relié à l'oasis.

« C'est par ici », lui indiqua Amanda en pointant du doigt le passage en question. Il tourna donc sur sa gauche, empruntant le chemin aquatique. Au-dessus, il entendait la ville en pleine effervescence : les bruits de pas, les conversations des passants, les cris des commerçants qui vendaient leurs marchandises.

Les berges descendirent à leur hauteur, après quelques dizaines de mètres sur la rivière, une fois qu'ils eurent quitté les douves. Elles étaient faite de sable blanc, sur lesquelles des enfants jouaient à toutes sortes de jeux. Des adolescentes étaient allongées au soleil, avec pour seule protection des pagnes colorés.

Les adultes profitaient également de l'eau et de la chaleur, bien qu'ils fussent plus rares. La plupart buvaient un coup, à l'ombre des palmiers.

Des garçons firent signe à Amanda lorsqu'ils l'aperçurent, elle leur rendit leur salut en agitant les bras vers eux. L'un d'eux lui fit comprendre de venir les rejoindre ; ils étaient en train de lutter dans le sable, devant les regards de plusieurs demoiselles amusées, assises sur un drap rouge.

Amanda refusa d'un signe de tête, avant de s'approcher de Loukas. Il pagayait sans trop faire attention, n'aimant pas attirer les regards. Elle lui saisit une jambe en souriant. Les filles pouffèrent de rire tandis que les garçons échangeaient des regards étonnés.

« Dis, tu peux me dire ce que tu fabriques ? », demanda Loukas, légèrement gêné.

« Je les rends jaloux. Ne t'inquiète pas, ce sont juste d'anciens camarades de classe » lui confia la jeune fille, reprenant sa place comme si rien ne c'était passé.

« Je vais faire comme si je n'avais rien entendu », murmura-t-il en accélérant la cadence. La chaleur était à la limite du supportable pour lui. « J'aurais du penser à prendre une gourde ».


Après seulement quelques minutes, l'embarcation des deux Maîtres déboucha dans une sorte de lagon. Loukas s'arrêta de pagayer pour se laisser porter ; autour d'eux, d'autres pirogues flottaient doucement sur l'eau cristalline. La plupart étaient surmontées d'ombrelles fines, de différentes couleurs.

Les plus grosses barques regroupaient des familles et des groupes d'amis, tandis que les plus petites semblaient réservées aux couples.

Amanda se pencha, glissant sa main dans l'eau ; il devait y avoir trois ou quatre mètres de fond par ici. Ses doigts effleurèrent plusieurs nénuphars ; elle aperçut un perroquet jaune et bleu, qui passait au-dessus d'eux. Dans un bruissement d'ailes, il disparut parmi les feuilles d'un palmier, sur la berge de sable blanc.

Loukas se surprit à sourire en voyant le regard émerveillé de la jeune fille. « Tu as beau vivre dans cette ville, tu es toujours subjuguée par l'oasis ? » demanda-t-il en posant sa rame.

Amanda darda ses yeux noisette sur lui, « Tu ne trouves pas ça magnifique ? ».

Une cascade au loin déversait de l'eau, depuis un petit promontoire de roche rougeâtre, entouré par une végétation luxuriante. Bien qu'elle ne fût pas bien grande, la lumière se réfléchissait sur le liquide en chute libre, faisant scintiller les mille de gouttelettes irisées. Des dizaines de poissons nageaient paisiblement ; bon nombre d'entre-eux avaient des écailles dorées, semblables à de minuscules pépites d'or frétillantes, inondant les fonds aquatiques de leurs lueurs étincelantes.

Aux endroits les moins profonds, des arbres exotiques dépassaient du lagon pour offrir de l'ombre aux promeneurs. Ces plantes étranges avaient la faculté de se déplacer pour garder toujours leurs feuilles au dessus de l'eau. Quelques îlots recouverts d'herbes plus ou moins haute et de roseaux camouflaient de petites grenouilles aux couleurs chamarrées, qui bondissaient à l'approche des bateaux.

« En effet » répondit Loukas, « C'est magnifique ». Leurs yeux se rencontrèrent une fois encore, la sensation étrange qu'ils avaient expérimentée sur le quai refit surface. Ils eurent des picotements au bout des doigts.

Amanda s'avança vers le centre de la pirogue en même temps que le jeune homme. Saisissant son ombrelle, elle l'ouvrit au-dessus de leurs têtes, la ramenant progressivement de manière à les cacher des regards.

Le Maître caressa lentement la jambe nue de sa compagne, elle se mordit la lèvre et se laissa faire sans un bruit. Autour de la pirogue, l'eau prit quelques degrés.

La sensation magique perdura, les plongeant dans un état d'ivresse extatique. Guidés par cette force mystique, ils ne contrôlaient à nouveau plus leurs actions, mais n'opposèrent, cette fois, aucune résistance.

Sous leur protection de tissu, leurs ombres se mêlèrent durant quelques instants. Ils se contrôlèrent bien mieux, peut-être étaient-ils conscients d'être en public car leurs pouvoirs respectifs restèrent en sommeil. Leurs visages restèrent un moment très proche l'un de l'autre, leurs souffles se confondirent, les regards timides se croisèrent.

« Qu'est-ce qui nous arrive ? » demanda lascivement la jeune femme en penchant la tête.

« Je ne sais pas. Je ne l'explique pas. Mais ce n'est pas moi qui décide, je ressens autre chose » répondit Loukas.

Elle posa une main sur son avant-bras, « C'est pareil pour moi, mais je ne comprends pas ce que ça veut dire, Loukas », le timbre de sa voix vibra, comme animé par une crainte soudaine.

Le Dragonnier non plus ne comprenait pas, ils semblaient liés par une magie puissante, mais il n'arrivait pas à déterminer laquelle. Il ressentait clairement une différence avec la magie qu'il utilisait d'ordinaire.

« Glaross, le Dieu du Feu peut-être ? » se demanda-t-il Une question lui vint à l'esprit par la suite, une question qui lui laissa échapper un soupire juste avant qu'il ne la pose.

« Amanda ? Ça te déplaît ? », il recula légèrement au fond de la pirogue. « Je sais que c’est étrange et plutôt rapide, mais peut-être que tu as un petit ami, où quelque chose du genre. Alors ça pourrait devenir compliqué. On se connaît à peine, enfin. Je ne sais pas ».

Amanda ajusta sa prise sur son ombrelle, « Je ne suis pas sûre, c'est tout ce que je peux te dire pour le moment », elle tourna son regard vers l'oasis.

« Tout à l'heure, elle m'a dit qu'elle m'aimait » songea le jeune homme. Son expression devint pensive, il se gratta la barbe et repoussa ses cheveux en arrière.

« Ce n'est donc qu'une illusion ? » ironisa-t-il, souriant tristement. Amanda fut comme piquée par une guêpe en entendant son commentaire. Soudainement elle atterrit presque sur les genoux du Maître, manquant d'ailleurs de les faire tous les deux tomber à l'eau. Le saisissant par le col de sa tunique, elle l'embrassa si fort qu'il en eut le souffle coupé. Ils roulèrent dans la pirogue, la faisant tanguer dangereusement.

Le jeune homme ouvrit les yeux et baissa la tête, la jeune fille était allongée sur lui, ses jambes et les siennes s'entremêlaient à la perfection et ses bras étaient enroulés autour de son torse. Une de ses mains était cependant coincée dans le bas de son dos, il rougit lorsqu'il s'en rendit compte mais Amanda ne bougea pas ; il n'y avait, de toute façon, pas beaucoup de place là où ils étaient.

« Je ne pense pas que cela ne soit qu'une illusion ! Je pense plutôt à une forme de destin ou quelque chose du genre. Un coup de foudre ? C’est peut-être Gorgothïn, le Dieu de la foudre et du tonnerre, qui nous joue des tours ? », marmonna-t-elle en posant sa tête sur son épaule. Ses yeux brillèrent intensément ; au-dessus d'eux, l'ombrelle leur renvoyait un coin de fraîcheur plus qu'agréable.

« Je n’en sais rien » répondit-il, « Comment vois-tu la suite des événements ? ». « Je pensais qu'on pourrait être ensemble le plus souvent possible, histoire de voir comment ça va évoluer », lui proposa la jeune femme, sans l'ombre d'une hésitation.

Ils se relevèrent et reprirent leurs places dans l'embarcation, en prêtant attention aux personnes autour d'eux. Ils constatèrent qu'ils n'avaient pas été trop remarqués, les autres bateaux étant plus éloignés.

Le Maître de la Terre prit plusieurs minutes pour réfléchir : d'un côté, il voulait lui aussi passer plus de temps avec Amanda, néanmoins s’ils étaient découverts, ou que d'autres incidents survenaient entre eux, cela pourrait mettre en danger beaucoup de gens, à commencer par leur propre personne.

« Qu'est-ce que tu en dis ? » demanda-t-elle d'une voix timide. Son regard se reporta sur la cascade. Leur pirogue commençait à partir loin du canal, ils étaient presque rendus à l'autre bout de l'oasis.

« Je suis d'accord » finit par déclarer Loukas, « Mais je veux que tu fasses attention à ne pas être trop proche lorsque nous sommes en public, ça pourrait mal finir ».

« Trop proche comment ? » questionna Amanda en penchant la tête, l'air amusée.

« Tu vois parfaitement ce que je veux dire » lui dit le jeune homme en souriant.


Les deux amants passèrent encore plusieurs heures ensemble, sur l'oasis, à discuter de tout et de rien ; ils échangèrent quelques anecdotes et parlèrent de leurs Royaumes respectif plus en détails. Il semblait que la jeune fille était plus ou moins au courant de la situation militaire de son Royaume. Ce qui avait l'air de la contrarier était surtout qu'elle ne puisse rien y faire pour le moment.

« C'est le tempérament des Maîtres du Feu ; ils ont toujours tendance à se précipiter vers les dangers et les batailles, c'est pourquoi il n'y en avait plus depuis longtemps. Je constate qu'elle n'est pas différente. Sait-elle au moins combattre ? ». Loukas lui posa la question, elle eut l'air quelque peu décontenancée.

« Et bien, je me débrouille assez bien », elle rougit. Après de longues minutes, Amanda réussit à lui faire promettre de l'entraîner au combat, bien que celui-ci n'était pas spécialement motivé à cette idée. Ils regagnèrent ensuite le canal, puis le port. Les rives ensablées comptaient bien moins de monde que lorsqu'ils étaient passés plus tôt.

Dans un silence relatif, les deux Maîtres attachèrent la pirogue et regagnèrent la terre ferme. Sans plus de cérémonie, ils remontèrent l'escalier ; la sentinelle était toujours là, debout et aux aguets.

Loukas repris son arme, non sans exprimer un certain remord en repensant au moment où il l'avait laissée sans même réfléchir. Intérieurement, il se dit que la lame lui en voulait.

Amanda lui prit le bras, « Pouvons-nous manger ensemble ce soir ? La Reine aussi pourrait venir si elle est libre ; ou bien Mens, même s’il est assez désagréable ».

Ils avancèrent dans l'escalier tout en discutant, « C'est une bonne idée, mais j'ai bien peur qu'ils ne soient tous les deux occupés, nous pouvons nous passez d'eux pour ce soir, tu ne crois pas ? », il décocha un clin d’œil à la jeune fille. Ses joues s’empourprèrent.

Bien que la soirée ne commençait que dans quelques heures, Loukas alla se changer dans sa chambre. Il enfila une veste de cuir sans manche et une autre tunique, blanche cette fois-ci. Puis il revêtit un pantalon en toile marron plus souple ainsi que des souliers légers.

« Je n'ai pas besoin d'arme pour cette fois », se dit-il en passant devant ses épées, posées négligemment là où il les avait laissées. Il détacha Tempête et la rangea avec les autres, avec plus de précautions.

Avant de partir rejoindre sa compagne, il prit le temps de se regarder dans un miroir, il y en avait justement un près de la baignoire.

Sa barbe avait trop poussé, il ne s'en rendait compte que maintenant. Ses cheveux aussi étaient plutôt longs, tombant sur ses épaules de part et d'autre, ainsi que sur sa nuque. En soupirant, il attrapa une lame de rasoir et entreprit de se rendre plus élégant.

« Ça fait bien longtemps que je n'ai pas pris soin de moi ».

« Va-t-elle changer de vêtement aussi ? », se dit-il en repensant à la Maître du Feu. « Une robe de soirée peut-être, les nuits sont beaucoup plus froides que les journées dans ce Royaume ».

Il continua de se poser tout un tas de question -que d'ordinaire il aurait jugé sans intérêt- avant de se laver le visage. Il s'admira pendant quelques instants. Sa barbe était bien plus courte et aussi mieux taillée.

Pour ses cheveux, il n'avait pas pu faire grand-chose à part les couper grossièrement, ce qui lui donnait toujours cet air un peu négligé. « Bon, c'est mieux qu'avant, je trouve ».

Il jeta un regard vers l'extérieur, à travers la fenêtre de sa chambre : le soleil finissait doucement sa descente vers l'ouest, illuminant le désert d'une couleur sombre, alliant le jaune et le orange. Il faisait aussi briller l'oasis d'une lueur plus intime, comme si ce moment de la journée, où les travailleurs rejoignent leurs familles, où les enfants rentraient chez eux, où les animaux cherchent plus un endroit pour dormir que de la nourriture, correspondait à un face à face romantique, entre la lumière mourante et l'eau endormie.

Loukas resta plusieurs minutes sur son balcon, admirant les subtilités et les jeux des ombres. Elles dansaient sur les façades, les devantures des commerces et les habitations de la ville.

« Cela fait longtemps que je n'ai pas passé de journée comme celle-ci », un sourire illumina son visage d'un bout à l'autre. Il se dirigea vers la porte, en essayant d'imaginer la tenue que sa compagne allait porter.

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