Chapitre VII : Tranquillité

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Loukas était arrivé la nuit précédente à sa petite cabane ; à présent, il devait être environ dix heures du matin et les rayons du jour perçaient à travers les volets.

Il se leva, avec un simple pantalon en toile de jute en guise de vêtement et commença ses étirements. Pendant trois quarts d'heure, le jeune homme enchaîna les exercices de musculation qu'il affectionnait, à même le plancher, sans rien entendre d'autre que les bruits d'une forêt déjà réveillée depuis longtemps. Une fois bien essoufflé, il ouvrit une porte qui grinça sur ses gonds pour découvrir une fois encore l'environnement entourant sa maison, au beau milieu de la nature.

Elle était située dans une clairière aménagée par ses soins ; son architecture était très simple, une vraie petite chaumière en bois de chêne et de châtaignier, avec un toit de chaume et de paille d’où dépassait une cheminée en pierre. Autour de la demeure s'étendait un jardin débordant de plantes, de fruits et de légumes divers. Deux petits pommiers y faisaient de l'ombre ; une autre habitation plus petite se dressait un peu plus loin, entièrement faite de pierres.

Un sentier serpentait jusqu'à un petit lac, traversé par un ruisseau sinueux ou l'eau claire clapotait doucement. Loukas resta quelques instants à l'entrée de sa maison, il ne se lassait pas de voir se paysage si familier.

La route jusqu'ici avait durée deux jours et n'avait pas été très agréable, bien qu'elle soit plus rapide qu'avec un autre type de monture. Après avoir profité de la vue, il marcha d'un pas assuré vers le lac et s’immergea sans hésiter. L'eau était froide, mais pas glacée, le climat hivernal du Royaume de la Terre étant bien différent de celui de l'Eau : La saison froide y était beaucoup moins rude, le vent soufflait plus du nord que de l'ouest, il était ainsi amortie par toutes les élévations de terrain du pays. La flore était aussi plus dense, bien plus résistante ; les arbres ne perdaient que très rarement leurs feuilles. Le Royaume était parfois surnommé ''le garde-mangé'', car les plantes poussaient avec une rapidité étonnante -en raison du climat propice- ce qui avantageait les paysans et les éleveurs.

Pour ces raisons, il pouvait se permettre un bain matinal. S'adossant à une pierre, il contempla le ciel ; le soleil perçait à travers les quelques nuages et diffusait une douce lumière, réchauffant significativement l’atmosphère.

Trempé et ruisselant, il quitta le bassin en frissonnant, l'air était tout de même très frais. Il rentra alors chez lui rapidement et enfila un pourpoint de cuir léger, un pantalon de toile plus épais, des brassards en acier, ainsi que des bottes en fourrure.

Il s'assit ensuite à sa table, à quelques pas de l'entrée sur la gauche. Sur celle-ci était disposées deux écuelles, l'une d'elle était significativement plus grande que l'autre. Loukas prit la plus petite et rompit un morceau de pain ; il prit également un grand couteau et coupa plusieurs tranches d'un jambon qui était pendu au-dessus de la table par une esse.

Pour finir, il attrapa un petit pot qu'il ouvrit, en raclant le fond avec ses couverts, il dégagea une motte de beurre parsemée d'herbes diverses.

Tout en mangeant, le jeune homme ruminait sa rencontre avec la Princesse Miruen, son amour d'enfance. Bien sûr, la souffrance était toujours présente ; la nuit, il lui arrivait de pleurer en y pensant, son cœur était lourd et serré à présent, affectant son humeur et son moral. Mais il ne pouvait rien y faire, sans compter qu'il s'était préparé à cette éventualité.

Seulement, le fait qu'elle ait eu un enfant et qu'elle lui ait donné son nom prouvait qu'elle non plus n'avait pas oublié l'affection qu'elle lui portait, bien que les relations amoureuses entre personnes de différents Royaumes soient totalement interdites.

Loukas chercha dans son esprit une explication : Était-il simplement parti trop longtemps ? N'y avait-il aucun avenir à cette relation ? Toutes les raisons qu'il trouvait été plausibles. La situation lui semblait si complexe qu'il s'énerva sur son repas. Une fois qu'il eut terminé, il décrocha le jambon et le jeta dans la grande écuelle, qu'il emporta dehors à bout de bras.

Il la posa dans l'herbe à droite de la porte, comme par habitude, puis il siffla longuement. Sans attendre quoi que ce soit, il s’assit sur un banc taillé dans un tronc d'arbre posé contre le flanc de la maison, et contempla la forêt. Une bonne dizaine de minutes plus tard, alors qu'il rêvassait, un bruissement dans les feuillages attira son attention.

Les buissons commencèrent à bouger avant qu'un énorme loup de presque deux mètres cinquante -de la tête à la queue- les écarte, en bondissant dans la clairière ; la truffe en l'air, il fonça en direction de l'écuelle sans accorder d'attention au jeune homme, son pelage gris tout humide était parsemé de taches noires, et quelques-unes de ses griffes acérées étaient tachées de sang séché. Au garrot, il devait faire environ un mètre soixante.

« C'est comme ça que tu dis bonjour Cody ? Aux pieds ! », s'énerva Loukas en se levant de son banc, les bras croisés. Interrompu dans son action, l'animal s'immobilisa devant sa gamelle ; il tourna les talons avant de montrer les crocs en grognant.

« Baisse les yeux mon toutou », commanda le garçon en adoptant une posture d'attaque, « Tu n'as tout de même pas oublié qui est le chef ici ? ».

Pour toute réponse la bête aboya, avant de tourner lentement autour de lui, la gueule entrouverte. D'une main, Loukas pointa le sol et sourit, ordonnant à son élément de se plier à sa volonté.

Une motte de terre et de roche de la taille de son poing se détacha du sol pour aller flotter autour du Maître, puis une deuxième ; et enfin, deux autres sphères jaillirent, lévitant près du jeune homme. « Je t'attends mon gros ».

L'animal hésita, pencha la tête de droite à gauche et remua la queue. Après un temps qui lui parut interminable, il avança vers lui ; approchant lentement, pas à pas, le dos toujours courbé, prêt à bondir à la première occasion.

Arrivé à un mètre de lui, il se figea puis poussa un long hurlement vers le ciel. Loukas cria de la même manière, les deux échos de leurs cris se répercutèrent à travers les arbres, perdant peu à peu de l'intensité.

Le Dragonnier reprit son souffle et éclata de rire ; il lâcha l'emprise qu'il avait sur les sphères, qui reprirent leurs places initiales alors que le loup géant adoptait une posture de jeu, bondissant autour de son maître, lui léchant le visage et le reniflant dans de grands bruits de respiration canine. Il tournait joyeusement en rond, la langue pendante.

« Ça fait du bien de te revoir, mon ami ! », lui dit le jeune homme en faisant tomber l'animal sur le flanc, pour le caresser. Celui-ci ne montra aucune résistance, il semblait même apprécier les chatouilles du petit humain.

Après plusieurs minutes, il en eut assez ; il se releva, s'ébroua et fit comprendre à Loukas -d'un claquement de mâchoire- que le jeu s'arrêtait là.

« D'accord mon gros, je te laisse manger alors. Bon appétit, j'espère te revoir bientôt », murmura-t-il, avec un grand sourire. La bave du canidé lui recouvrait toujours le visage. Sans même attendre la fin de sa phrase, il attaqua la viande avec une avidité renouvelée par l'attente qu'il avait dû endurer. Son appétit semblait sans limite quand il se mis à ronger l'os du jambon, pour n'en laisser que des miettes. Le jeune homme se releva et essuya son visage et ses vêtements, avec une grimace de dégoût.

« Et dire que je venais de me laver », rumina-t-il en observant Cody. Cela faisait quelques temps qu'il ne l'avait pas vu, pourtant lorsqu'il était enfant c'était son meilleur ami ; avec lui, il avait vécu de folles aventures depuis le jour où son père lui avait offert. Ce n'était encore qu'un louveteau fraîchement capturé, venant des montagnes du nord, seul et apeuré. Loukas s'était bien occupé de lui, ils étaient inséparables en ce temps là.

Mais l'instinct de ces animaux reprenant souvent le dessus, Loukas devait s'attendre à ce qu'il vienne de moins en moins le voir. Cette pensée l'attrista encore plus, une ombre passa sur son visage, éclipsant son sourire. Il refoula sa mélancolie et, les mains dans le dos, rentra dans la maison.

En s'allongeant sur son lit, il observa les lignes des poutres du toit, au-dessus de sa tête. Dehors, les lourds bruits de pas du loup s'éloignèrent de la cabane. Le jeune homme laissa ses pensées vagabonder, revivant les moments forts de sa vie, les moments de combats, de doute et de douleur, de peur et d'espoir, et les moments avec sa famille et avec ses amis, peu nombreux.

En laissant s'échapper un soupir, il attrapa un livre sur une petite table et le feuilleta. C'était un exemplaire de « Pouvoir Divin », écrit par Trodd, également Maître de l'Air et érudit ; il le lui avait offert la fois ou ils s'étaient rencontrés. Il traitait justement du potentiel des Maîtres élémentaires, surtout de leurs aptitudes à détruire et à combattre.

En lisant quelques passages, Loukas ne put s'empêcher de repenser à ce que l'homme lui avait dit lorsqu'ils avaient parlé de la fin du livre : « La conclusion de cet ouvrage étant que les Maîtres devaient être au service de la paix et du bien-être des Hommes. Ce n'était pas leur rôle de combattre et de faire la guerre ; s'ils passaient plus de temps à méditer, alors ils seraient surpuissants, presque comme les dieux ».

Ces paroles résonnèrent en boucle dans son esprit, il se leva et se mit à genoux devant son porche, les yeux fermés, faisant le vide en lui. Pendant plus d'une heure il resta immobile, sans rien entendre d'autre que le bruit du vent, et le clapotement de l'eau.

Sa méditation prit fin lorsqu’une ombre passa à une vitesse fulgurante au-dessus de lui, cachant brièvement le soleil. Il ouvrit les yeux et sursauta, surpris. Claod atterrit à moins de trois mètres de lui, sans faire trop d'effort pour ménager le sol sous ses pattes, ni pour se mouvoir silencieusement.

Le jeune homme fronça les sourcils, « Je n'arriverai jamais à rester concentré si tu laboures le jardin à chaque fois que tu atterris ! », le gronda-t-il en se levant, les mains sur les hanches.

La bête, étonnée de cette animosité, se recroquevilla en s'avançant, la tête penchée. Ses ailes se replièrent alors qu'elle approchait sa tête de celle de son ami ; celui-ci ne bougeait pas, totalement impassible.

Ils étaient à moins d'un mètre à présent, chacun plongea son regard dans celui de l'autre, pendant presque une minute. Les yeux d'un bleu azuréen piqués de minuscule tâche noire du Dragon étaient d'une beauté saisissante. Ses pupilles se rétractèrent de plus en plus, comme s’il voulait percer l'enveloppe de Loukas pour sonder son âme.

Le petit humain lâcha prise et enlaça l'épais cou de la créature. Elle se laissa faire sans broncher, se contentant de faire frémir ses écailles en signe de satisfaction.

« Il va être temps de repartir, la route est longue jusqu'au Royaume du Feu, as-tu fait tout ce que tu avais à faire ? ».

La créature trembla de nouveau, avant que le jeune homme la lâche ; ensuite, elle s'ébroua. Ses écailles cliquetèrent doucement, comme une cotte de maille parfaitement huilée et sa langue passa rapidement sur ses lèvres serrées. Mais son regard ne quitta pas son maître. « Je reviens tout de suite » lui dit celui-ci avant de s'engouffrer dans sa cabane. Il en ressortit quelques minutes plus tard, arborant sa tenue de voyage, ses trois lames, sa cape ainsi que son sac, rempli d'affaires diverses. Il était bien plus lourd que pour le trajet précédent.

« Nous y allons ? », demanda Loukas.

Le Dragon ne bougea pas. Perplexe, le garçon fit le tour de la bête pour être sûr qu'elle n'avait rien ; il était arrivé plus d'une fois qu'elle lui cache une blessure, mais il n'y avait rien.

« Étrange », pensa-t-il, « Je vais chercher ta selle, c'est peut-être ça que tu attends ».

Mais une fois l'animal sellé, il ne bougeait toujours pas, se contentant de regarder son compagnon d'un air béat, sans même lever une patte.

Légèrement impatient, Loukas le réprimanda, « Mais tu vas bouger oui ? Au moins dit-moi ce qui ne va pas sinon on va y passer la nuit ». Les bras croisés, il attendit un instant, tout ce que fit Claod, c'est battre le sol meuble de sa queue puissante, telle un chien attendant un os. En soupirant, le Dragonnier tenta une dernière chose, « Je te demande pardon d'avoir râlé, mon ami le Dragon rancunier », marmonna-t-il.

Sur ses mots, la bête tourna les talons et s'installa en position de vol, plus loin dans la clairière, tout en jetant un regard à Loukas, signe qu'il pouvait monter.

« Tu es vraiment impossible parfois », soupira-t-il en montant sur son dos. Il attacha les sangles de cuir et ajusta son plastron. Pour finir il ramena sa capuche sur sa tête du mieux qu'il put.

« Je suis prêt, c'est quand tu veux ».

Claod déploya ses ailes et bondit, dépassant la cime des arbres en moins d'une seconde. Il mit le cap vers le sud-est, le soleil presque à la verticale au-dessus de lui ne le gênait pas le moins du monde.

Autour d'eux, la forêt s’étendait à perte de vue, parfois les arbres étaient plus haut, signe d'une variation de terrain. Dans l'esprit du Maître de la Terre, c'est comme si le bois était vivant ; bien entendu il l'était, mais cette affirmation avait un autre sens dans la tête du jeune homme. Pour lui, cette forêt était sa maison, son foyer. L'endroit où il avait passé une grande partie de sa vie.

Le vent balaya la cime des arbres, donnant l'impression qu'une vague verte immense s’apprêtait à ravager le territoire. « Je ne me lasserai jamais de voir ça » pensa Loukas. En jetant un regard vers le Nord par dessus son épaule, il aperçut la plus grande montagne de son Royaume. Son sommet était caché par les nuages et la majeure partie de sa surface était couverte de neige, surtout en cette saison.

« Toi non plus je ne me lasserai jamais de te voir ».

Pour finir il regarda devant lui, tout ce qu'il put voir sur la ligne d'horizon était des formes architecturales, mi beige mi marron, mêlées de verdure.

« Il n'y a pas trop de nuage, regarde ! On peut voir Nienlass ! » cria-t-il au Dragon. Ce dernier ne prêta pas du tout attention aux paroles de son maître, ce qui le força une fois de plus à s’interroger sur sa capacité à comprendre ce qu'il lui disait.

« Tant pis pour toi, tu ne verras pas la Capitale aujourd'hui » bouda le Dragonnier, « Allez, en route pour le Royaume du Feu ».

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