Chapitre VI : Départ en mer

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Les deux Maîtres de la Terre laissèrent passer une demi-heure pour se préparer et manger un morceau, avant de sortir en ville. Ils payèrent bien sûr l'aubergiste, très mécontente de les voir partir si tôt.

Dès qu'ils franchirent la porte, la clarté du jour leur fit plisser les yeux pendant un bref instant. Les odeurs marines, similaires à celles de la veille, attaquèrent leurs narines ; les pêcheurs ayant travaillé pendant la nuit devaient tous être en train de vendre leurs poissons depuis le port, en contrebas.

Un homme encapuchonné vint à leur rencontre alors qu'ils avançaient vers une ruelle adjacente ; il portait l'habit typique des mages novices, une simple robe bleue ceinturée au niveau de la taille par un large cordon doré ainsi qu'une capuche de la même couleur, à laquelle pendait de petites perles, attachées par des fils cuivrés.

Les ornements tintaient légèrement à chacun de ses pas, mais c'était à peine perceptible parmi les allées et venues des citadins bruyants. Il devait avoir dans les vingt ans.

« Veuillez m'excuser, êtes-vous les personnes que je suis venu chercher ? On m'a dit que vous alliez venir d'ici peu ».

Le mage montrait des signes de fatigue importants : Sa peau était très pâle, ses cheveux brun mi-long coiffés en tresses de taille variées étaient plein de sueur. Il avait dû pleurer car ses yeux quelque peu rougis étaient encore gonflés ; il respirait bruyamment, par saccade.

Yann, très inquiet, posa fermement sa main sur son épaule, « Oui, c'est bien nous, mais mon garçon, que t'arrive-t-il ? Tu sembles sur le point de t'écrouler ! ». Regardant tout autour de lui, le chasseur cherchait sans doute si quelque chose n'était pas normal, mais Loukas le rassura.

« C'est le mage ayant servi de relais à l'Archimage pour qu'il puisse nous contacter, vu le temps que nous a pris la conversation, je ne suis pas surpris de le retrouver dans cet état. Tu n'as pas de potion sur toi mon jeune ami ? ».

« Je n'ai pas eu le temps de m'en procurer » s'excusa le mage, « Pardonnez mon état pitoyable, mais je ne pouvais pas me permettre de m'absenter, je vous aurais perdus ». Il sortit un mouchoir d'un recoin de sa robe afin de s'éponger le visage.

Yann interrogea les deux hommes du regard, en penchant la tête.

Remarquant son air circonspect, Loukas lui expliqua. « Lorsque les mages utilisent la magie, ils puissent dans leur énergie vitale, ou mentale à toi de voir, ce qui les affaiblit grandement si ils puissent trop dans leur réserve, ou bien si ils sont trop fatigués. Dans le cas présent, ce novice était sûrement trop faible pour servir d'intermédiaire à un sort de communication aussi puissant. Nous les Maîtres, ne sommes jamais épuisés lorsque nous lançons des sorts, c'est pourquoi c'est étrange pour toi de le voir dans cette état ». Il fit s'asseoir le mage sur un banc, près d'un parc floral. Glissant une main dans une de ses poches, le Dragonnier en retira un minuscule flacon, rempli d'un liquide violet, légèrement brillant, qu'il tendit au garçon.

Les yeux du mage s'élargirent à la vue de la ridicule petite fiole, tenant entièrement dans la paume d'une main. Il la prit délicatement entre deux doigts avant de la déboucher, avalant vivement son contenu en une seule gorgée. Presque instantanément il reprit des couleurs, son expression crispée laissa place à un visage apaisé, totalement libéré de l'épuisement et du manque de magie ; ses veines se teintèrent de violet pendant plusieurs longues secondes, parcourant tout son corps, le liquide faisait son œuvre.

« Vous vous sentez mieux ? », questionna Yann, qui connaissait tout de même les effets des potions de regain magique.

« Beaucoup mieux, je vous remercie Maître Loukas, bien que je sois surpris que vous ayez de telles potions sur vous, je vous suis redevable dorénavant » répondit le mage, il se leva et s'inclina respectueusement devant les deux hommes.

« Ce n'est rien jeune novice, à l'avenir fait attention à ton énergie, ce genre d'erreur pourrait te coûter la vie », réprimanda-t-il en se levant à son tour.

D'une voix mal assurée, le garçon promit de faire de son mieux. Alors que les feuilles des chênes et des châtaigniers tombaient par dizaines autour d'eux, le trio décida d'aller vers le port en passant par le marché, bien que les rues soient bondées ; c'était l'itinéraire le plus court et il était facile de passer inaperçu dans une foule, même s’il ne s'agissait pas du but premier.

Ils se frayèrent donc un chemin à travers les étals de poissons de toutes tailles, ceux-ci allant du plus minuscule à ceux de plusieurs mètres, accrochés sur de grandes planches de bois par de solides clous et cordes tressées. Les marchands de fruits et de légumes vantaient les mérites et les bienfaits de leurs produits en criant du mieux qu'ils pouvaient par-dessus le bruit des pas et des conversations de la populace ; deux jongleurs ainsi que trois musiciens s'étaient donnés pour mission d'animer cette ''harmonieuse anarchie'' de leurs chants et cabrioles. Ils avaient pour avantage d'être sur une marche surélevée et étaient ainsi clairement visibles avec leurs habits de couleur. Les grelots d'argent accrochés à leurs ceintures répandait un son mélodieux, parfaitement en accord avec leur prestation.

Les trois hommes ne s'arrêtèrent que pour acheter quelques pommes, Loukas en profita pour acheter un vivaneau entier, prétextant qu'il avait très faim, ses compagnons ne trouvèrent rien à redire. « Claod ne sera pas trop fâché de mon absence prolongée avec ça » pensa-t-il.

Ils arrivèrent enfin au port, l'odeur du sel était omniprésente, et les vagues se fracassant contre les pierres taillées des jetées produisaient un vacarme de tous les diables. Sans compter les dizaines de mouettes et de goélands qui tournaient en cercle en piaillant, attendant le moment de plonger pour attraper leur pitance.

Un grand galion aux couleurs du Royaume de l'Eau, arborant les armoiries de la Reine Elza, était amarré à l'un des quais. Son équipage s'affairait sur le pont ; un amiral donnait des ordres à son timonier. Ils semblaient prêt à prendre la mer.

Un homme en robe bleue fit des signes en direction des trois voyageurs, le mage novice lui rendit son salut, « Il s'agit de l’Écume de Siphia, ils nous attendent ».

« L’Écume ? », demanda Yann en se tournant vers Loukas. Celui-ci sembla réfléchir un instant, avant de finalement hausser les épaules. Les deux hommes se tournèrent alors vers le mage, le regard interrogatif.

Soupirant légèrement, le jeune garçon répondit, « Les Écumes de Siphia sont les prêtres de l'église de l'Eau, ils veillent la plupart du temps sur les navires qui peuvent se permettre de les payer, ils sont généralement de puissants mages. Je m'étonne que vous ne le sachiez pas, Maîtres ». Son visage trahissait une certaine forme de mécontentement, comme si le simple fait de ne pas savoir cela était insultant pour lui.

« C'est un peu comme si je ne connaissais pas les Racines d'Anava ou les Étincelles de Glaross, les églises de la Terre et du Feu, vous voyez ». Yann et Loukas s'excusèrent humblement par politesse, sans oser en rajouter.

« Dans tous les cas, je vais vous laissez ici messieurs, ma route ne me fera pas prendre la mer aujourd'hui », rétorqua Loukas pour changer de sujet. Il regarda le bateau de la proue à la poupe en faisant une grimace. Yann, qui c'était tourné vers lui, arborait la même expression ; tous deux se regardèrent, sachant parfaitement ce que l'autre pensait. En effet, pour des Maîtres de la Terre il était difficile de quitter le continent sans se sentir extrêmement mal à l'aise. Le sentiment de perdre pieds étant alors très intense, même une fois rendu sur les îles du Royaume.

Les deux amis se donnèrent une accolade amicale, pour se souhaiter bonne route. Lorsque le mage s'approcha pour le saluer, Loukas lui fit signe d'attendre, puis il se pencha vers les pavés du port et posa un doigt sur le sol. Yann sentit le pouvoir de la Terre en action lorsque la magie de son ami se mit en œuvre ; les poils de ses bras se dressèrent, néanmoins il avait déjà vu Loukas à l’œuvre la veille, alors il sourit.

Un bourgeon émergea d'entre les pierres, d'abord minuscule, mais gagnant de plus en plus en taille jusqu'à atteindre l'envergure d'une main humaine. Le Maître passa un doigt près du bourgeon, l’effleura doucement et il s'ouvrit alors, découvrant un chardon brillant de mille reflets bleutés, il semblait fait de glace.

« Mais, c'est impossible » pensa Yann, « Cela doit plutôt être du glacium, le minerai qui ressemble énormément à la glace. Cependant c'est bien du métal », pensa le chasseur, en tant que mineur aguerri. Loukas coupa la tige du chardon, qu'il souleva lentement ; vérifiant son œuvre un moment, puis il la tendit au mage, en prenant soin de ne pas se piquer.

« Pour votre Reine, avec toute mes amitiés. Puissiez-vous faire bon voyage ».

Le novice, décontenancé par la démonstration, prit la fleur délicatement entre ses deux mains et balbutia, « Merci beaucoup Maître ! Je veillerai à ce qu'elle arrive jusqu'à elle sans encombre, elle sera sans aucun doute ravie de ce cadeau. Puisse les dieux vous bénir ! ». Il tourna les talons et courut vers le bateau d'un air pressé.

Yann le suivit en ricanant, non sans adresser un dernier signe de la main à Loukas, « Tu m'apprendras ce sortilège à notre prochaine rencontre ! Il est vraiment magnifique ! », lui cria-t-il.

« J'essayerai ! » répondit le jeune homme en mettant ses mains en porte-voix. En réalité ce sort lui venait des Elfes, et au vu de la difficulté qu'il avait eu à l'apprendre, il doutait de pouvoir le partager avec qui que ce soit.

Il était désormais seul sur la berge ; fort heureusement personne d'autre n'avait vu son petit tour de magie, le port était calme à présent. Sans attendre le départ du galion, le Dragonnier se mit en route vers la sortie de la ville, son expression se fit plus grave, il réajusta sa capuche et avança parmi les ruelles et les allées, tantôt bondées, tantôt plus accessibles, sans s'attarder sur les commerces et les bricoles proposées par les marchands, toujours aussi nombreux.

Sa petite promenade ne dura pas bien longtemps, une fois passé le portail de la bourgade, il bifurqua vers les bois, croisant de temps à autre des bûcherons et des chasseurs. Les alentours étaient néanmoins assez calmes, l'activité étant plutôt dirigée vers la mer.

Après seulement un quart d'heure de marche en pleine forêt, un bruissement d'aile se fit entendre au-dessus de lui, accompagné par les craquements des branches et des feuilles. Loukas se baissa et mit une main devant son visage. Lorsqu'il l'enleva, Claod se tenait devant lui, différents végétaux s'étaient accrochés à ses ailes et à sa queue. Il s'ébroua, projetant des morceaux de bois partout autour de lui ; son maître dut se couvrir de sa cape pour ne pas recevoir d'écharde, puis il s'approcha de son Dragon en souriant.

« Te voilà enfin, tu en as mis du temps mon grand », lui dit-il sur un faux ton de reproche. La créature tourna ses yeux reptiliens vers lui, ses lèvres retroussées. Elle émit un son sourd et fit frémir toute ses écailles, qui cliquetèrent comme une cotte de maille en cristal.

« Je plaisante », rétorqua le jeune homme en faisant la moue, « Tu es trop susceptible. Regarde, je t'ai ramené de quoi manger », il découvrit le poisson qu'il tenait dans son dos. Immédiatement, Claod n'émit plus aucun bruit, ses ailes se replièrent alors que ses yeux s’ouvrirent en grand à la vue du vivaneau. Alors qu'il avait toute son attention, Loukas lança du mieux qu'il put l'animal en l'air, qui fut gobé à peine deux secondes plus tard par le Dragon vorace, qui retrouva tout son calme.

« Je n'ai jamais compris pourquoi il ne mange que du poisson » pensa le Maître de la Terre. Les deux amis échangèrent quelques caresses, notamment des coups de langue de la part de Claod, et des chatouilles entre les écailles de la part du Dragonnier, avant de s'envoler un peu plus loin, pour ne pas risquer une rencontre avec un habitant.

Une dizaine de kilomètres plus loin vers l'est, les deux compagnons se posèrent non loin d'un ruisseau, faisant fuir au passage un couple de renard ; les oiseaux s'envolèrent également en piaillant, faisant remuer les buissons, pour la plupart couverts de neige.

Descendant prudemment de sa monture, le Dragonnier alla boire une gorgée au ruisseau, l'eau était très froide, il toussa plusieurs fois au passage du liquide dans son corps avant de revenir vers Claod, qui était aux aguets ; il aurait sûrement bien aimé chasser par ici, le cours d'eau abritait sans aucun doute de la petite friture, ou au mieux des saumons.

Ils restèrent quelques heures assis dans l'herbe humide et dans la neige. Le Dragonnier en profita pour raconter les événements passés à Claod, qui semblait comprendre plus ou moins la situation ; il écoutait attentivement son maître, pensant peut-être avoir plus de nourriture s’il était sage. Le soleil atteint son zénith lorsqu'il eut finit son récit. Bien que son ventre gargouillait déjà, Loukas réprima son envie de manger et monta en selle.

« Rentrons à la maison mon beau, j'ai hâte de retrouver Cody, ainsi que mon lit ». Le Dragon manifesta son accord par un feulement furtif, avant de déployer ses ailes. En quelques secondes, les deux amis étaient au-dessus des nuages, direction plein est, vers le Royaume de la Terre.

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