Chapitre III : Entre Maître

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À quelques lieux de là, un autre campement était visible à travers les pins et les fougères, bien plus modeste, il n'y avait qu'un petit feu entouré d'une dizaine de pierre, ainsi qu'une couverture dans laquelle un homme d'allure assez rustre était en train de se réchauffer.

Il avait une barbe brune mal taillée, des cheveux mi long tombant devant son visage en plusieurs mèches assez sales, des mains de travailleur se frottant l'une contre l'autre sous des gants en cuir usé. Des vêtements simples en tissu de mauvaise qualité et une grande cape à capuche.

L'homme grommela, révisant sa position, trop inconfortable à son goût. Il posa une nouvelle bûche dans son feu, découvrant un glaive court caché sous sa couverture, ainsi que le manche d'un grand couteau de chasse.

« Bordel, ce qu'il peut faire froid dans cette région », jura-t-il avant de s'installer du mieux qu'il put pour essayer de dormir. « Je devrais arriver en ville demain dans la soirée si tout va bien, la route royale serra assez tranquille je pense ».

La nuit fut courte mais réparatrice, le curieux chasseur reprit la route aux premières lueurs de l'aube, emportant avec lui un baluchon plutôt chargé, la lune était encore bien visible, tandis que les rayons du soleil perçaient doucement à travers les arbres. L'homme passa à travers les branchages et les fougères avant de déboucher sur le côté d'une route de gravier devant faire environs six mètres de large. Un panneau de bois signalait les destinations, il n'y en avait qu'une ici, la ville de « Portflot », située à l'ouest.

« C'est par là, je trouverais sans doute du boulot là-bas, c'est la route pour aller jusqu'à la capitale après tout », pensa le chasseur.

Il se mit en route, marchant à pas réguliers sur le chemin, seul le bruit du vent et des oiseaux matinaux était perceptible, son voyage fut silencieux jusqu'au début de l'après-midi.

Mais après qu'il eut avalé un morceau de pain et un bout de viande séchée, il commença à entendre des bruits plutôt reconnaissables, des bruits de sabots ainsi que des tintements métalliques.

« Un convoi ? », se dit-il en tentant de voir plus avant, ou une colline montante lui cachait la vue. Sans attendre d'en être sûr, l'homme pivota sur sa droite et se cacha derrière un arbre plus épais que les autres. Puis il tendit l'oreille, sans un bruit.

Il savait que ce n’étaient pas des ennemis ou même des gens malhonnêtes mais son instinct de solitaire parlait pour lui en cet instant, les interactions sociales ne semblaient pas lui plaire outre mesure. Le temps passa et le fracas des roues des chariots étaient à présent bien audible, le chasseur ne risqua même pas un coup d’œil, de peur d'être repéré et prit pour un bandit.

« Il doit y avoir une escorte de cavalerie pour un convoi aussi important ».

Les chariots passèrent à une vitesse incroyable, accentuée par la pente qu'ils venaient de descendre, les bruits de sabots et de roues continuèrent pendant un peu moins d'une minute, avant que le convoi ne s'éloigne, plongeant la région dans un calme renouvelé, ou le vent et les oiseaux reprenaient leur légitimité sonore.

L'homme revint sur la route, non sans une certaine méfiance, avant de reprendre son chemin plus rapidement, afin de mettre de la distance entre lui et cette cacophonie de chevaux. Il gravit la colline, et tomba devant quelque chose qu'il n'aurait pas pu envisager. Plus loin sur la route, un jeune homme était assis, en plein milieu, sa capuche relevée sur sa tête ne permettait pas de l'identifier mais il semblait assez jeune, deux épées étaient visibles sur ses flancs, ainsi qu'une troisième, plus longue, dans son dos.

« Qu'est-ce qu'il fait ici celui-là ? Il faisait partie du convoi ? L'ont-ils laissé ici ? » se demanda le chasseur en continuant d'avancer.

« Il est seul, je peux bien prendre le risque de lui poser la question, surtout qu'il n'a pas l'air bien, la vue d'un Maître devrait lui remonter le moral ». Pendant une dizaine de minute, le garçon ne bougea pas d'un pouce, arrivé à quelques mètres de lui, il sentit une sorte de vibration énergétique, mais il ne s'en inquiéta pas.

Le chasseur l'apostropha, « Hey mon gars, qu'est-ce que tu fiches ici au milieu de la route ? Tout va bien ? ».

L’intéressé tourna la tête, et se releva lentement, il retira sa capuche et souris timidement à son interlocuteur. Des larmes coulaient sur ses joues, parmi les poils de sa barbe d'une semaine, ses cheveux presque longs se mirent à flotter dès qu'ils furent libérés du tissu, il avait les yeux gris clair, un visage assez sombre, accentuée par sa tristesse apparente, il portait également un pourpoint de cuir ainsi qu'une paire de gant.

Le chasseur recula d'un pas, surpris.

« Loukas ?! C'est toi ? ».

Loukas fit un signe de tête affirmatif, avant de répondre, « Salut, Yann, ça fait longtemps, je suis aussi surpris que toi », il fit tomber la neige de ses vêtements pour paraître plus présentable devant son ami, malgré les larmes plus que visible.

« Tu m'étonnes ! Deux Maîtres de la Terre qui se retrouve comme par hasard sur cette route, c'est improbable ! Mais qu'est-ce qui t'arrive ? Tu n'as pas l'air bien mon vieux ».

Yann se rapprocha et prit son compagnon par les épaules, cherchant à le regarder dans les yeux.

Ce dernier soutient son regard en penchant la tête, un triste sourire aux lèvres. « Disons simplement que je ne suis pas dans ce qu'on pourrait appeler une bonne journée », il se remis à sangloter sur ses derniers mots, trois nouvelles larmes perlèrent de ses yeux, il les essuya rapidement.

« Mais je suis content que tu sois là, mon ami », dit-il en tentant de se dégager de l'étreinte de Yann, mais celui-ci tint bon.

« Ouais, moi aussi, aller vient t'installer près des arbres, on va discuter un peu nous deux ». Il l'emmena sur le bord de la route, sans vraiment lui demander son avis, il était visiblement plus fort physiquement de toute façon.

Ils s'installèrent du mieux possible à l'abri du vent et Yann fit rapidement un feu, avec des branches sèches et de la mousse pas trop humide, trouvée ci et là sur des arbres morts.

Loukas enfouit sa tête dans ses bras et ses genoux en regardant les flammes danser, il semblait se sentir mieux, du moins un petit peu.

« Alors raconte-moi ce que tu fais ici » lui demanda Yann d'une voix apaisante. L’intéressé fit un signe négatif de la tête et retourna à sa contemplation. Le chasseur insista, dotant plus qu'il n'avait pas de temps à perdre.

« Aller dit moi, on est ami non ? Pourquoi je te retrouve à genoux au milieu de la route ? Je vois bien que tu vas mal alors dit moi ce qui te traquasse ».

La voix de Yann se faisait plus dure, son temps était précieux et il souhaitait gagner la ville au plus vite, les enfantillages de son compagnon le perturbaient.

« Je… Je voulais retrouver quelqu'un » répondit Loukas.

« Quelqu'un ? Tu connaissais quelqu'un dans le convoi qui est passé ? ».

« Je pensais la connaître », de nouvelle larme perlèrent sur ses joues, se mêlant à sa barbe.

« De qui il s'agit ? Vraisemblablement une personne importante, j'ai cru à un convoi royal lorsque je l'ai vu arrivé », la curiosité de Yann était piquée au vif.

« C'est le cas, je voulais parler à Miruen... », il prononça ce nom avec difficulté, entre ses dents serrées.

« Ah Miruen, la princesse du royaume de l'Eau, petite sœur d'Elza, la Reine ! J'ai entendu dire que son accouchement c'était bien passé, pourquoi voulais-tu la voir ? ».

Loukas pleura de plus belle, des pleures mêlés d'un rire cynique, puis il regarda Yann avec ses yeux rouges et commença à lui expliquer.

Il lui raconta comment pendant son enfance, Miruen et lui étaient tombés amoureux, lorsqu'elle était venue au royaume de la Terre, il était prince à cette époque. Un amour d'enfant bien spécial, car même lorsque Loukas s’enfuit de chez lui pour vivre en solitaire, il pensait toujours à elle, pensant naïvement que ses sentiments étaient toujours réciproques. Bien qu'il n'y croyait plus trop, l'espoir l'avait toujours motivé.

En revenant la voir aujourd'hui après bien des années, il vit son mari, un noble du royaume, ainsi que son enfant, son petit garçon, son petit garçon portant le même nom que lui.

Yann ne savait pas quoi répondre, il savait bien sûr que son ami était le prince cadet du royaume de la Terre, et que par conséquent ce n'était pas surprenant qu'il ait déjà rencontré Miruen, mais il n'aurait jamais imaginé une histoire comme celle-ci. Il pensa tout de même au fait que les personnes de royaume différent ne pouvaient pas avoir de relation amoureuse, son ami avait joué avec le feu en plaçant de l'espoir dans cet amour d'enfance.

« Tu comprends maintenant ? J'espère que tu as fini avec tes questions, je suis fatigué », enchaîna Loukas en réajustant sa capuche.

« Très bien, je comprends ta tristesse, mais je ne vais pas te laisser là à te morfondre, viens avec moi jusqu'à Portflot, comme sa on pourra discuter sur la route, aller ! ». Yann tendit sa main vers son ami en arborant un sourire gêné.

Loukas semblait perplexe, après un long soupir, il prit la main du chasseur, « Je n'ai pas vraiment d'autre chose à faire, alors j'accepte ».

Les deux camarades éteignirent le feu après s'être réchauffés quelques minutes, puis ils regagnèrent la route. Regardant des deux côtés de celle-ci, ils prirent le chemin de l'ouest, sans un bruit.

Le dragonnier brisa le silence par une question, « J'y pense, mais que fais-tu sur cette route ? Je n'aurais jamais pensé te trouver au royaume de l'Eau ».

Surpris mais tout de même content que son ami entame une conversation, Yann lui répondit avec le sourire.

« Et bien en fait je ne suis pas là par plaisir, mais j'ai déjà écumé presque toute les mines du royaume de la Terre et du Feu, il ne reste que celui de l'Eau et de l'Air ou je n'ai pas travaillé en tant que mineur. Bien que j’aie déjà arpentés ces royaumes de long en large », il arrêta brusquement sa phrase pour éternuer.

« À tes souhaits ».

« Merci », dit-il en reniflant, « Je n'arrive toujours pas à m'habituer à ce climat, d'autant plus que nous sommes en plein mois de Myriam, ça n'arrange pas les choses ». Il se tourna vers Loukas, « Sais-tu quel jour on est exactement d'ailleurs ? ».

Le jeune homme pencha la tête en arrière en plissant les yeux vers le ciel nuageux, « Le Meyas de la troisième semaine il me semble ».

Yann fit les gros yeux, ses sourcils épais se levèrent.

« À bon ? Je nous pensais plus proche que ça de la fête de la bière, dommage ».

« Tu me donne soif » lui avoua Loukas en se grattant la barbe.

« Rassure-toi, nous devrions arriver en début de soirée en ville, rien de telle que l'hydromel de ce royaume pour te remonter le moral, tu verras ! ».

Le chasseur débordait d'énergie, cela faisait bien plusieurs semaines qu'il ne s’était pas senti aussi vivant. N'étant d'ordinaire pas très social, il ne pouvait baisser sa garde qu'en présence d'un ami, et ils étaient rares. Pour la première fois, Loukas sourit sincèrement, il devait lui aussi être en manque de contact humain.

« Je doute que cela soit suffisant, mon ami ».

« Je sais bien », répondit Yann, non sans une pointe de déception dans la voix, « Mais c'est déjà un début, tu t'en remettras avec le temps, surtout que d'après ce que tu m'as dit tu n'as connu qu'elle, pas vrai ? ».

« En effet » murmura-t-il.

« Bon et bien voilà, tu as encore plein de chose à découvrir, et je t'aiderai du mieux que je peux », il lui mit une grande claque dans le dos et lui fit un clin d’œil de sous sa capuche.

« M'aider ? Tu risques de faire fuir toutes les filles avec ta tête de gobelin ! » railla Loukas en riant.

« Ah oui, c'est comme ça ? Alors dégaine charogne ! Je vais te mettre une correction si violente que ta propre mère ne te reconnaîtra pas, aller ! ».

Yann sorti son épée courte d'un mouvement rapide et frappa à l'horizontal, vers le bas ventre de son ami, qui rigolait toujours.

Celui-ci esquiva d'un bon en arrière et dégaina une de ses lames, un glaive long en argent, pourvu d'une poignée assez large pour pouvoir y placer deux mains. Il riposta ensuite en piquet vers la jambe de Yann, qui para facilement, une expression de défi se lisait sur son visage.

Leur petit duel amical dura plusieurs minutes, seul le tintement de l'acier ainsi que le bruit du vent soufflant parmi les conifères était perceptible. Essoufflé, les deux hommes rengainèrent leurs armes d'un signe de tête entendu.

« Tu te bats mieux qu'avant j'ai l'impression » lui fit part Loukas.

« C'est plutôt toi qui te bats moins bien, tu as l'esprit ailleurs, mais bon je ne peux pas t'en demander plus pour le moment ».

Le dragonnier hocha la tête, il est vrai qu'il n'avait pas le cœur à combattre.

Les heures se suivaient alors que les deux compagnons marchaient, la plupart du temps en silence, mais avec quelques moments de bavardages quelconques.

Comme l'avait prédit le chasseur, en début de soirée, ils aperçurent enfin les torches et les toits de la ville. Le visage de Yann s'assombrit à mesure qu'ils approchaient de la porte.

« Tout va bien ? » le questionna Loukas.

« Ne t'inquiète pas pour moi », répondit l’intéressé.

Perplexe, le jeune homme fronça les sourcils, « Très bien, si ça ne va pas parle moi, j'imagine qu'on peut tout se dire, entre Maître ».

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