Chapitre I : Un froid mordant

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Le vent soufflait fort sur les cimes des conifères enneigés en cette fin de soirée. Ce rude paysage s'étendait à perte de vue sur des lieux de forêts denses. La neige les recouvrait partiellement, et l'on pouvait entrevoir à travers les épines des sapins le tapis blanc qui colore la terre en cette saison si froide.

En regardant attentivement vers le nord, il était possible de remarquer les sommets des montagnes infranchissables, si hautes et si dangereuses qu'aucun homme ne les avait jamais franchies. Étant par ailleurs infestées de dragons de toute sorte, de loups géants et de yétis, elles n'étaient guère accueillantes.

Ce vent si insistant venait actuellement de l'ouest, là où la mer infinie dépose son écume sur les rivages rocheux du royaume de l'Eau.

Loukas observait la végétation qui s'étendait en dessous de lui. Il portait un plastron de cuir léger avec un vêtement en fourrure duveteuse par dessous, histoire de ne pas attraper froid. Ses jambières en acier cernaient ses jambes jusqu'à ses bottes.

Il portait également des gants renforcés ainsi qu'une cape noire, bouclée d'une épingle en forme de chardon, probablement faite en argent. Sa capuche était relevée sur sa tête mais laissait percevoir un visage de marbre, mangé par une barbe d'une semaine.

Il y avait dans ses yeux, d'un gris clair assez commun dans son royaume, la marque douloureuse due à des événements passés. Ils étaient plissés sous la pression du vent, ses cheveux bruns mi longs tombant des deux côtés de son visage. Malgré la capuche, ils ondulaient près de ses épaules.

Il chevauchait son fidèle compagnon, Claod – un dragon de la race mythique des éclairs invisibles – depuis environs deux jours, voire plus, la mémoire commençait à lui faire défaut sur ce genre de détails.

Ledit dragon se déplaçait au-dessus des nuages avec de grands battements d'ailes, les propulsant à une vitesse fulgurante, caractéristique primaire de ce dragon. En effet, une fois en vol, il était si rapide qu'il ne pouvait être vu. Cette race de dragon était nommée ainsi du fait de la célérité de son attaque dévastatrice, comme pour la foudre, on entendait toujours la détonation avant de voir venir le coup de son souffle de plasma.

D'un léger mouvement de talon sur les flancs de la bête, Loukas fit signe à sa monture de descendre se poser sur un petit promontoire rocheux qui dépassait d'une colline des environs. Docilement, elle décrivit un rapide cercle au-dessus de l'endroit en question, avant de plonger en rabattant ses ailes le long de son corps. Loukas du s'accrocher aux lanières de cuir de sa selle pour tenir en place tellement le changement d'allure était brutal.

Puis, dans une déflagration de neige et de branche morte, la créature se posa violemment, creusant de profonds sillons dans la roche. La neige s'envola dans un nuage de flocon, par le déploiement soudain de ses ailes. Un vrombissement émana de sa gorge lorsque Loukas défit ses attaches pour se dégourdir les jambes sur le promontoire ; il sauta à terre et s’étira en quelques petites foulées. Claod lui adressa un ronronnement de mécontentement en hochant sa tête de reptile, semblable à celle d'un gecko.

« Mais non tu n'es pas inconfortable enfin, c'est juste que ça fait longtemps que nous sommes là-haut » répondit Loukas en pointant du doigt le dos scellé de son ami. « Alors arrête de ronchonner et baisse-toi un peu, la route royale n'est pas loin et des voyageurs pourraient te voir ! Dépêche-toi ».

Claod s’exécuta et se mit à plat ventre en repliant complètement ses ailes, non sans exprimer une vive insatisfaction, dans un ultime ronronnement.

Le garçon, ou plutôt le jeune homme car il semblait avoir plus que la vingtaine, contempla le paysage couvert de neige qui s’étendait devant lui. En regardant le plus à l'ouest, il lui sembla presque voir la mer sur la ligne d’horizon, seulement ce n'était qu'un mince filet bleuté à peine visible à cette distance.

Il repéra un escarpement plus au sud de sa position, près de la route royale. Un sentier menait à ce qui semble être une sorte de grotte, difficile à dire exactement pour l'instant. La nuit commençait à tomber, ils devaient trouver un abri où dormir rapidement, le soleil se couchant très vite à cette période de l'année.

« Parfait, allons voir là-bas si tu veux bien... à moins que tu n'aies envie de dormir ici ? », questionna Loukas en s'agenouillant près de son compagnon, toujours allongé dans la neige froide, attendant qu'un autre ordre lui soit donné. Celui-ci releva la tête et effleura du menton l'épaule du jeune homme en grognant.

« Je te taquine, allez, laisse-moi monter », Loukas remonta en selle après que Claod se fut relevé et ajusta les lanières convenablement, car même pour un trajet aussi court étant donné la vitesse du dragon, il ne voulait pas prendre le risque de chuter ou de se blesser. Il en avait déjà fait le douloureux apprentissage.

Une fois bien attaché, il donna un coup de talon sur le flanc de son compagnon, et lui indiqua la zone où il devait se rendre. Le dragon déploya ses ailes, et en un seul mouvement fluide de ses pattes, il bondit dans les airs et s'envola en même temps que la majeure partie de la neige encore présente sur le promontoire.

En quelques secondes ils étaient déjà presque au-dessus des nuages. Claod effectua un grand virage vers la gauche en pivotant presque à quatre-vingt-dix degrés sur son axe horizontal et en se penchant en direction du sol.

Un instant plus tard, il se posa, presque sans un bruit cette fois, au milieu d'une petite clairière bordée par un minuscule lac gelé et une grande colline rocheuse, où était creusée ce qui semblait être une sorte de mine.

Des poutres et des chariots de minerai éparpillés, ainsi que des restes de charbon et d'outils de mineurs, attestaient cette hypothèse.

Loukas descendit prudemment de sa monture et inspecta les lieux plus en détails. L'endroit était dans un état anormal, les mineurs semblaient avoir abandonné la mine précipitamment. Tout leur matériel était brisé et gisait au sol, rien n'était à sa place. Un des chariots était même renversé sur le côté, déversant un tas de gravats sans valeur dans la neige molle. L'entrée de la galerie en elle-même paraissait tout à fait normale, tout était calme, Loukas continua donc sa fouille, en restant tout de même sur ses gardes. Il arpenta la zone à la recherche d'indice mais ne trouva rien d’exceptionnel, le sentier reliant la mine à la route royale n'était pas encombré, rien n'indiquait que les travailleurs reviendraient.

Cependant, quelque chose attira son attention, une tache de sang, près d'un petit tas de bois devant l'entrée. Elle devait dater d'environs trois jours, selon l'expertise du jeune homme, des bandages ensanglantés gisaient aussi à proximité. Il dut se résigner à prendre une décision difficile, autant pour lui que pour son compagnon, qui, il s'en doutait, le prendrait très mal.

« Bon je suppose que je n'ai pas le choix, je vais y entrer », déclara Loukas à son ami en prenant en main le manche d'une pioche.

La créature draconienne grogna de colère et se plaça devant l'entrée pour lui barrer le passage, mais il n’eut pas l'air de s'en soucier et continua de fabriquer sa torche de fortune à l'aide d'un morceau de tissu qui traînait non loin. Il alluma ensuite un petit feu au milieu de la clairière, et déboucha un flacon d'huile à l'odeur étrange, qu'il sortit d'une de ses poches. Il aspergea le bois et le tissu et approcha le tout du feu ; la torche se mit à flamber dès que les flammes léchèrent le tissu. Le dragonnier contempla son œuvre puis se releva lentement.

Claod n'avait pas bougé, il semblait prêt à tout pour l'empêcher d'entrer. Loukas le regarda de haut en bas avec une expression lasse.

« Écoute, si on veut pouvoir dormir ici je dois m'assurer qu'il n'y a pas de danger, tu comprends bien ça ? ».

Le dragon, têtu, balaya le chariot renversé d'un revers de la queue et rugit de plus belle. Celui-ci alla s'écraser contre un pan de la colline dans un bruit de métal presque aussi assourdissant que le cri de la bête. Satisfait, Claod se calma légèrement et s'allongea devant l'entrée de la mine, toujours aussi résolu à lui en barrer l'accès.

Le jeune homme, un peu secoué par cette réaction, s'approcha de l'animal et s'assit contre sa patte avant gauche en soupirant.

« Allez ! Ce n'est pas la première fois que je rentre tout seul dans une grotte ! ». Il réalisa alors son erreur et rectifia.

« Bon oui la dernière fois ça ne s’est pas très bien passé, je te l'accorde ».

Le dragon acquiesça et entreprit de nettoyer ses griffes à l'aide de sa langue râpeuse, d'une couleur orangée ; il avait l'air fier d'avoir raison.

En effet, la fois précédente, son maître était malencontreusement rentré dans le repaire d'un vampire ; il en était ressorti deux jours plus tard, couvert de sang, et arborant trois cicatrices. Une énorme lui barrant presque tout le dos d'un bout à l'autre, une plus petite sur l'avant-bras gauche, et une marque de crocs derrière la nuque. Le dragon, fou d'inquiétude, avait quant à lui commencé à creuser la grotte à l'aide de ses griffes et de son souffle plasmique puissant, à tel point que l'endroit avait été totalement dévasté.

« Mais je dois y aller quand même ! Tu sais, si quelqu'un était blessé en entrant là-dedans ça serait ma faute, et la tienne aussi », rétorqua-t-il sur le ton de la réprimande.

« Laisse-moi rentrer, je reviens dans une minute » promit le dragonnier ; il ressemblait à un enfant essayant de persuader ses parents afin d'aller jouer avec ses amis dehors.

Claod s'ébroua et pencha la tête pour regarder le garçon. Ses yeux d'un bleu azuréen faisaient reluire les écailles autour de ses paupières, on aurait également dit un parent sur le point de céder à son enfant.

Au bout de plusieurs longues secondes, Claod se leva et alla se poser un peu plus loin, près du chariot, à présent tout cabossé. Puis il continua sa toilette sans même regarder son maître. Loukas souffla un « merci » à la créature et détacha un paquet de sa selle, il en tira trois épées. L'une d'elle était assez courte et avait une garde renforcée, la deuxième, plus longue, n'avait aucune garde et ressemblait plus à un glaive ou à une épée elfique. Enfin la troisième était très large, avec elle aussi une garde épaisse. Deux de ces lames avaient l'air d'êtres forgées à partir d'un métal magique, voire d'un acier enchanté. La deuxième en revanche était en argent, au vu de l’éclat cristallin de la lame.

Loukas soupesa les armes, et choisi la première, plus adaptée au combat rapproché, surtout dans un environnement souterrain. Il rajusta son plastron et détacha sa cape, qu'il rangea dans une autre sacoche pendue à la selle.

« Je n'en ai pas pour longtemps » déclara-t-il avant de ramasser sa torche. Il commença à avancer dans la pénombre de la mine, suivi du regard par Claod.

Bientôt, seule sa faible lumière lui permit de mettre un pied devant l'autre, l'obscurité s'épaississait.

Malgré le vent qui s'engouffrait à l'intérieur, l'air de la mine était bien plus chaud, le froid mordant de l'extérieur n'avait pas sa place dans les entrailles de la terre.

Son compagnon poussa un feulement de félin ; Loukas sourit, c'était le bruit que Claod faisait lorsqu'il regrettait.

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