Chapitre 9

10 minutes de lecture

Je passai le reste de la journée à établir un plan d'action. Mais je ne fus malheureusement pas très efficace. J'avais beau retourner la situation dans tous les sens, je ne voyais pas comment procéder. C'était une chose d'avoir pris ma décision, c'en était une autre que de la mettre en pratique... J'étais au moins certaine d'une chose, j'agirais seule, hors de question de mêler les autres à tout ça. Inutile de procéder à un suicide collectif. Je préférais laisser Brendan et Payton dans leur petite bulle. Ils étaient d'une telle maladresse l'un envers l'autre que c'en était comique. Quand Payton trouvait le courage d'exprimer ses sentiments devant Brendan, celui-ci ne saisissait pas la subtilité et répondait à côté, ce qui mettait Payton dans tous ses états. À l'inverse, quand c'était au tour de Brendan de se montrer avenant en invitant Payton, celle-ci prenait tout simplement la fuite, prétextant des rendez-vous plus improbables les uns que les autres. À ce rythme, ces deux-là ne sortiraient pas ensemble avant plusieurs années... Aussi, je ne tenais pas particulièrement à ajouter le problème Chase à leurs préoccupations du moment. Quant aux autres, je ne pouvais malheureusement pas les mettre dans la confidence si j'excluais Brendan et Payton.


Non, je serais toute seule sur ce coup-là. Et c'était mieux, car il me faudrait être discrète. Seth ne devait surtout rien savoir de mes projets, le risque de le voir tout raconter à ma mère était trop grand et cette dernière était parfaitement capable de m'enfermer à la maison pendant deux années entières s'il le fallait. Il me faudrait être très discrète de façon à ce que personne ne me remarque... Impossible ! Comment agir efficacement dans l'ombre ? Je n'étais pas un agent secret, moi, et encore moins un ninja !


Je soupirai. Tout s'avérait déjà difficile alors que je n'en étais qu'à l'étape de la réflexion. Je sortis une feuille blanche et saisis mon fidèle stylo-plume dans la main droite. Il me fallait procéder par ordre. Je traçai deux colonnes sur ma feuille. J'inscrivis « Crips » au sommet de la première et « Chase » au même niveau dans l'autre colonne. Pour atteindre mon objectif, il me faudrait prendre en considération ces deux points le premier, c'est de convaincre Chase qui semblait peine perdue et ensuite l'éloigner des Crips ce qui est encore pire. Je me concentrai sur la colonne réservée à Chase et écrivis .


  • Le harceler jusqu'à ce qu'il daigne m'écouter vraiment 

  • L'amener à se rendre compte que la vengeance ne sert à rien

  • Aller lui jeter l'ours en peluche rose criard qu'il m'avait offert pour mes huit ans à la figure. Pas très utile, mais ça détend

  • Changer de tactique à la place de la bonne copine enthousiaste, adopter une attitude de jeune fille éplorée.Pas sûr que ce soit efficace...

  • Le faire culpabiliser par tous les moyens possibles, mais comment ?

  • Lui dire clairement d'aller se faire f...

Je rayai cette dernière phrase en souriant légèrement. Il valait mieux se contenter du plan « ours en peluche » pour ce qui était des provocations... Bon, rien de tout cela ne tenait de l'idée miraculeuse... Je posai ma plume du côté « Crips » de la feuille en tremblant légèrement. Cette partie allait être définitivement moins drôle. Que pouvais-je faire toute seule contre une bande de caïds ? D'un geste lent, j'écrivis la première chose qui me passa par la tête.


  • Prévenir la police

Mais ce n'était pas franchement une bonne idée... Après tout si la police avait pu faire quelque chose contre eux, elle l'aurait déjà faite depuis longtemps. Et puis, dans le cas extrêmement hypothétique où elle accepterait de m'aider, comment leur faire comprendre que Sasuke avait été manipulé? Les policiers le considéreraient comme un membre de la bande et je n'étais pas certaine qu'il chercherait à les détromper. Non, décidément ça n'allait pas... Je barrai et inscrivis juste en dessous:


  • Obtenir des infos à leur sujet

Ça, c'était déjà mieux. Je pourrais toujours trainer par là-bas – l'idée de retourner dans ces rues me donnaient envie de renoncer tout de suite – et demander aux gens des tuyaux sur leur groupe. Encore fallait-il que les gens parlent... Je haussai les épaules et poursuivis:


  • Trouver leurs points faibles (s'ils en ont...)

  • Faire semblant de les aborder pour en savoir plus sur leur véritable objectif

Ce dernier point était intéressant, mais potentiellement dangereux. Peut-être que les Crips  savait déjà que j'étais une amie de Chase  . Si je les joignais directement, je prenais le risque qu'il soit au courant, ainsi que son frère... Mais d'un autre côté, c'était une manière directe d'obtenir ce que je voulais. Je tremblais déjà à la perspective de me retrouver devant ces gars. Je ne savais même pas à quoi ils ressemblaient d'ailleurs, ni combien ils étaient. J'entourai la phrase d'un fin trait bleu et dessinai un gros point d'interrogation à côté. Je laisserais ça de côté pour le moment et commencerais par chercher des informations de façon plus prudente.


Je pliai la feuille et la glissai sous le tas de paperasses inutiles qui remplissaient mes tiroirs; aucune chance que ma mère aille fouiller la dedans. Puis je m'emparai de mon jean et d'un t-shirt à manches longues, enfilais une veste zippée à capuche par-dessus et glissai mes pieds dans de grosses chaussettes avant de descendre au rez-de-chaussée. Ma mère était vautrée sur le canapé, occupée à lire un épais bouquin qui semblait la passionner. Elle leva les yeux en m'entendant approcher et haussa un sourcil.


  • Tu vas quelque part? Demanda-t-elle.
  • Oui, chez Brendan , inventai-je en enfilant mes bottes, il organise une grosse bataille de boules de neige dans son jardin.

Par chance, j'étais naturellement capable d'inventer des mensonges et de les énoncer d'un ton tout à fait honnête. Ma mère sourit tandis que je passai mes bras dans les manches épaisses de mon manteau noir et le fermai d'un coup de fermeture éclair.

  • Amusez-vous bien alors, dit-elle. Profitez de cette journée d'école buissonnière offerte par Dame Nature !

Je ris tout en posant un bonnet sur mes cheveux que je n'avais même pas pris la peine de coiffer – pour cause ils seraient couverts de neige dans moins de dix minutes – et la saluai en lui assurant que je ne serais pas partie longtemps.

  • Fais attention aux voitures, elles glissent, ne te fais pas écraser!, me cria ma mère alors que je claquais la porte d'entrée.

Je levai le pouce devant la fenêtre pour lui signifier que je prenais sa mise en garde au sérieux et pris la direction de la zone industrielle en écoutant le grincement familier de la neige sous mes pieds. Je suivis mon chemin tant bien que mal, essayant de ne pas glisser sur les plaques de neige écrasée qui gelaient déjà au contact de l'air glacial. En passant devant la maison de Chase , je jetai un coup d'oeil à sa fenêtre. Les volets étaient fermés. Au moins, il ne me verrait pas. Non pas que passer devant chez lui signifiât forcément que je me rendais à la zone industrielle de façon à découvrir des trucs sur la bande qu'il fréquentait – je pouvais tout aussi bien aller chez Brendan – mais je préférais quand même passer inaperçue.

Mon coeur fit une embardée lorsque j'entendis la poignée de la porte s'abaisser mais je poussai un soupir de soulagement en voyant Rachel Myers sortir  . La mère adoptive de Chase était une petite femme brune d'une quarantaine d'années, très maternelle et extrêmement gentille. Elle me fit un sourire en se dirigeant vers sa boîte à lettres et me lança:

  • Bonjour Halsey , comment vas-tu?

  • Très bien Rachel , et toi?

Depuis le temps que nous connaissions le couple Myers , Brendan et moi avions pris l'habitude de les tutoyer, sur leur demande.


  • Ça peut aller, me répondit-elle. Tu veux entrer, je t'offre quelque chose?

    Elle n'y pensait pas? Je ne pouvais décemment pas entrer chez eux!

  • C'est gentil, mais...

  • Chase n'est pas là, me coupa-t-elle en adoptant soudain une expression de tristesse. En fait, je suis toute seule aujourd'hui et j'aimerais bien que l'on discute un peu, si tu veux bien.

  • Je..., hésitai-je. Dans ce cas, j'accepte.

J'avais baissé les bras devant son expression torturée. Qu'avait-elle l'intention de me dire? En tout cas, l'air grave de son visage ne me disait rien de bon...

  • Assieds-toi, je t'en prie, me dit-elle en me désignant le canapé. Qu'est-ce que je t'apporte, un thé, un chocolat?

  • Je veux bien un chocolat, merci, acceptai-je.

Elle m'abandonna quelques minutes durant lesquelles j'entrepris de regarder autour de moi. Avant que Chase ne change si brutalement, il ne se passait pas une semaine sans que je vienne dans cette maison. Et pourtant, trois mois s'étaient écoulés depuis ma dernière visite... Rien n'avaient changé depuis mais l'ambiance paraissait différente. Peut-être parce que mon dernier souvenir dans cette maison était la bagarre entre mes deux meilleurs amis et le sachet de poudre blanche sur la table basse. Les images de cette scène étaient si ancrées dans ma mémoire qu'être en ce lieu me la faisait presque revivre. Je me tordis les mains en jetant un coup d'oeil derrière moi. Rachel était là, portant dans chaque main un mug dont s'échappait une fumée épaisse. Elle posa le chocolat chaud sur la table basse devant moi et prit place à mon côté. Pendant un instant, nous restâmes silencieuses, chacune soufflant sur sa boisson fumante. Elle prit la parole la première:


  • Comment ça va à l'école? Demanda-t-elle pour engager la conversation.

  • Bien, répondis-je, on ne va pas tarder à passer le bac blanc.

  • Tu te sens prête?

  • Je pense, il faut que je revoie quelques trucs, mais ça devrait aller, dis-je en souriant.

  • Je ne me fais pas de souci pour toi, m'assura-t-elle en me rendant mon sourire. Tu as toujours été une bonne élève.

Je ne sus quoi répondre. Chase aussi était bon élève, un peu moins depuis quelque temps – au deuxième trimestre, je l'avais battu de 1,2 point – mais il restait brillant. Seulement, je ne me voyais pas lancer le sujet... Ressentant ma gêne, Rachel me souhaita bonne chance pour mes examens et relança elle-même la conversation sur toute autre chose. Nous bavardâmes ainsi durant de nombreuses minutes et, plus le temps passait, moins je comprenais les raisons qui l'avaient poussée à m'inviter. J'avais cru qu'elle avait quelque chose de précis à me dire. Enfin, après un nouveau silence, elle sembla trouver le courage.


  • Tu sais, déclara-t-elle dans un souffle, Seth m'a parlé de ce qu'il s'était passé entre toi et Chase à la sortie du lycée, vendredi.

  • Oh..., fut la seule chose que je trouvai à répondre.

  • Chase ne se rend pas compte de la chance qu'il a d'avoir des amis comme Brendan et toi, continua-t-elle. Il est aveugle en ce moment. Je te suis très reconnaissante de vouloir l'aider, mais s'il te plait ne prend pas de risques inconsidérés.

  • Tout le monde me dit ça, grommelai-je. Seth , maman, puis toi...même mes autres amis! Mais Chase n'est pas un danger public.

  • Je n'ai pas dis ça, s'expliqua-t-elle, mais tu dois comprendre qu'il peut réagir violemment, tu en as eu la preuve. Tu n'as pas oublié...

Sa voix trembla légèrement lorsqu'elle prononça la fin de sa phrase:

  • ...ce qu'a fait Seth lorsqu'il était dans le même état.

  • C'est différent, contrai-je, c'est...

  • Non, Halsey , nia-t-elle, ça ne l'est pas. Chase est peut-être plus sérieux que son frère, ce qui explique qu'il parvienne encore à maintenir sa tête hors de l'eau, mais ça n'exclut pas la possibilité qu'il puisse un jour ne plus se contrôler. Dans un mois, dans une semaine ou peut-être même demain, qui sait?

  • Je baissai la tête, retenant les larmes que les paroles de Rachel avaient fait revenir.

  • Alors toi aussi tu me demandes de rester sagement dans mon coin à attendre?, demandai-je d'une voix faible.

  • Oui, c'est ce que je te demande, affirma-t-elle. Tu ne peux rien faire, inutile de te torturer. Fais comme Brendan , adopte un profil bas.

  • Pour Brendan c'est facile, grognai-je, la simple vision de Payton suffit à cacher tout ce qui se trouve autour!

  • Halsey !, s'indigna Rachel . Brendan s'inquiète tout autant que toi, il appelle régulièrement à la maison pour demander des nouvelles. Simplement, il a visiblement compris quelque chose que tu as du mal à accepter!

  • Je le sais bien, pardon, je me suis laissé emporter, m'excusai-je en baissant de nouveau la tête.

  • Ce n'est pas grave, nous sommes tous un peu sur les nerfs ces derniers temps... En tout cas, j'espère que tu m'as comprise.

  • Oui, j'ai compris, dis-je docilement en reposant ma tasse. Excuse-moi, je dois y aller, je vais justement chez Brendan . Bataille de boules de neige.

Elle sourit et acquiesça.

  • Alors je ne te retiens pas, dit-elle en se levant. Passe le bonjour à tes amis de ma part.

  • Bien sûr.

  • Et écoute les conseils des autres!, insista-t-elle. Promets-moi que tu ne feras rien désormais qui puisse te mettre en danger.

  • Promis, dis-je en souriant.

Je saluai Rachel avant de passer la porte d'entrée, que je claquai derrière moi. Je ne me retournai pas et murmurai simplement pour moi-même:

  • Désolé, Rachel , mais je ne peux pas...

Et je retirai mes doigts croisés de la poche de ma veste, un sentiment de culpabilité me rongeant les entrailles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sitraka Tiavina ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0