Chapitre 8

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Le lendemain matin, nous étions samedi. J'empilai quelques cahiers qui traînaient sur mon bureau, dégageai un peu d'espace en envoyant balader plusieurs papiers qui ne servaient à rien, m'assis sur ma chaise et sortis une feuille et un stylo à plume bleu. J'avais pensé que je prendrais moins de risque en envoyant une lettre à Chase qu'en l'affrontant directement, mais j'avais finalement admis que ce n'était pas non plus la solution , en supposant qu'il la lirait, ce qui était loin d'être sûr, il ne me répondrait jamais.


Après mûres réflexions, j'avais acquis la certitude que le premier pas consistait à faire part de ma décision à Seth. C'était donc à lui que je m'apprêtais à écrire à cet instant. J'avais même l'intention de changer mon écriture sur l'enveloppe au cas où Chase vint relever le courrier, bien que l'idée d'imaginer le nouvel individu qu'il était devenu en train d'ouvrir une boîte aux lettres me fasse doucement sourire.


Je posai ma plume sur le papier et entamai ma lettre, effectuant quelques pauses de temps à autre quand l'inspiration m'abandonnait. Finalement, je fus pleinement satisfaite du résultat et me relu une dernière fois pour admirer mon œuvre.


" Seth, écrivais-je,

Comment ça va chez toi ? Pas très bien, j'imagine... Je ne pense pas que Chase t'en ait touché un mot, mais cela fait quelque temps, trois mois environ, qu'il ne nous parle plus. Brendan et lui ne s'adressent plus du tout la parole et de mon côté, malgré mes nombreuses tentatives pour relancer notre amitié, ce n'est pas vraiment mieux. Nous sommes au courant de ce qu'il se passe. J'ai découvert ce que Chase faisait à la rentrée, car, inquiétée par son comportement, je l'ai suivi. Nous avons bien essayé de le ramener à la raison, mais sans succès. J'imagine que de ton côté aussi tu as tout fait pour qu'il arrête de faire l'idiot.


Si je te contacte maintenant, c'est parce qu'hier, après les cours, alors que je tentais une nouvelle fois de renouer avec Chase, celui-ci a bien failli me taper dessus... Si Trévor ne l'avait pas retenu, j'aurais probablement à cette heure-ci un bel œil au beurre noir made in Chase. Et j'ai donc pris la décision de faire tout mon possible pour sortir ton frère de ce merdier – pardonne ma grossièreté – avant qu'il ne soit trop tard. Qu'il essaye encore de me cogner, s'il l'ose, ça ne me fait pas peur. Je ne peux pas le laisser foutre sa vie en l'air.


Le but réel de ma lettre est de savoir quels sont, selon toi, les moyens qui pourraient le faire revenir en arrière. Je te demande ton avis, car tu as, disons le franchement et sans vouloir appuyer là où ça fait mal, davantage d'expérience que moi en matière de drogue.


J'espère te voir bientôt.



Halsey "

Je souris à pleines dents. Elle était très bien cette lettre, claire et directe, sans chichis. Peut-être employais-je un ton un peu trop familier. Seth avait tout de même sept ans de plus que moi – mais peu m'importait. Ce qui comptait, c'était que le message passe.

Je quittai mon bureau et descendis les escaliers à la hâte puis me dirigeai vers l'un des meubles du salon pour tirer un tiroir qui devait contenir...


  • Ah aah ! M'extasiai-je en extirpant un carnet de timbres coincé entre deux dossiers bleus.

J'appliquai le timbre sur la surface appropriée d'une enveloppe, remontai dans ma chambre et entrepris d'inventer une écriture qui ne fasse pas trop lycéenne. Au bout d'une demi-heure d'efforts, je finis par obtenir un résultat acceptable et inscrivis l'adresse de mon ami, ancien ami, sur l'enveloppe. J'admirai le fruit de mon travail, descendis une nouvelle fois les escaliers en trombe, enfilai mes chaussures en maintenant la lettre dans ma bouche et fonçai dans la rue jusqu'à la boîte postale du coin.


 Mon courrier partirait avec le ramassage de 9 h du matin, Seth l'aurait peut-être donc aujourd'hui même, sa factrice passant dans sa rue aux alentours de 13 h. Avant de glisser la lettre dans l'ouverture prévue à cet effet, j'effleurai sa surface de mes lèvres et la serrai contre moi, deux marques d'espoir qu'elle n'avait pas intérêt à trahir. Lorsque je vis Mme Hantz , une vieille dame qui vivait seule depuis que son mari était décédé l'année précédente, m'observer d'un air attendri, je compris que j'avais l'air d'une petite ado qui envoyait une lettre à son chéri. Si elle savait... Je rejoignis ma maison en gambadant sous le vent qui ne s'était pas calmé depuis la veille. J'étais parfaitement convaincue que Seth saurait ce qu'il faudrait faire.


Mais j'ai du vite déchanter. Le lundi suivant, en rentrant des cours, je me précipitai dans ma chambre et tendis une main avide vers l'enveloppe posée sur mon bureau. Ma mère avait l'habitude de procéder ainsi lorsqu'elle trouvait du courrier pour moi dans la boite aux lettres. Je reconnus l'écriture nette et adulte de Seth Myers et l'ouvrit fébrilement. J'en extirpai une toute petite feuille sur laquelle était écrit.


"Halsey ,

Ne t'occupe pas de ça, ça craint beaucoup trop. Chase est trempé dans des trucs encore pires que ce que tu imagines. Je ne veux pas que tu tentes quoi que ce soit, ne te met pas en danger. Je trouverai le moyen de le sortir de là, alors ne t'inquiète pas. Merci quand même. Bonnes fêtes. 

                           

                                                                                                                                                          Seth "




Là aussi, pour le coup, c'était clair et direct. Un peu trop direct même... Il devait être sous pression lorsqu'il m'avait écrit ça... Et il comptait m'apaiser avec ce genre de propos ? Qu'est-ce que ça voulait dire « des trucs encore pire que ce que tu imagines »?? Qu'est-ce que Chase avait pu faire de pire ? Se rallier aux Crips ? Ah, ah, ah, la bonne blague, ça ne... Mais... En fait, c'était sûrement ça!! S'il ne voulait pas que je fasse quelque chose, c'est parce que des mecs dangereux étaient liés à cette affaire ! Et les Crips étaient l'exemple même du gang de mecs qui craignent ! Mince...


Et maintenant, Halsey ? Cela m'était intolérable et j'avais très envie de leur mettre mon poing dans la figure, mais... J'avalai ma salive et fixai la lettre de Seth, mes mains tremblant tandis que les mots « Chase », « pires que tu imagines » et « danger » me sautaient aux yeux. J'étais dans une rage folle. Ces gars-là se servaient de la rancœur de Chase à leurs propres fins. Ils étaient prêts à gâcher sa vie comme ils gâchaient la leur et comme ils avaient failli gâcher celle de Seth. Cela m'était intolérable et j'avais très envie de leur mettre mon poing dans la figure, mais... J'étais seule, je ne savais pas me battre et je n'avais aucune idée de leurs pratiques, douteuses à mon avis. D'un autre côté, Seth connaissait le milieu, savait à qui il avait affaire et avait de l'expérience en matière de bagarre... Mais je ne pouvais me résoudre à ne rien faire. Il fallait que j'agisse ! Mais comment... ?


Cette nuit-là, la neige tomba avec tant de force qu'au petit matin, trente centimètres de poudreuse blanche recouvraient les trottoirs et les routes. Pour les automobilistes, c'était l'apocalypse. Les seules personnes assez courageuses pour prendre leur véhicule zigzaguaient sur le macadam transformé en patinoire pour auto. Ma mère décréta que nous resterions à la maison et retournâmes se coucher sans demander son reste.


Pour ma part, je restai sur mon lit, plongée dans mes pensées, cherchant toujours un moyen d'être utile à Chase sans prendre le risque de finir morte ou violée. Ma mère était une vraie marmotte et je suivais habituellement son exemple, mais les circonstances de ces derniers mois m'avaient empêché de dormir plus de sept heures de suite... Il était onze heures. Ma mère était une vraie marmotte et je suivais habituellement son exemple, mais les circonstances de ces derniers mois m'avaient empêché de dormir plus de sept heures de suite... Je quittai ma chambre à mon tour, m'enveloppai dans ma robe de chambre rose et descendis à la suite de ma maternelle.


  • Ça te dit un petit-déjeuner repas ? Demanda-t-elle d'une voix ensommeillée.
  • Si tu veux, marmonnai-je en prenant place sur une chaise de la cuisine.

Ma mère entreprit de sortir lait, jus de fruits, céréales, biscottes, pain, beurre, fromages, confitures, sirop d'érable, cacao, biscuits de diverses sortes, bols, cuillères, fourchettes, couteaux et verres. Elle déposa le tout sur la table, puis sortit deux œufs du frigo et les ouvrit avant de les jeter pêle-mêle dans une poêle qu'elle avait préalablement mis à chauffer sur le gaz. D'ordinaire, j'aurais froncé le nez, je détestais l'odeur du saler au réveil, mais cette fois-ci, cela ne me gêna pas. Peut-être parce que j'étais réveillée depuis plus de quatre heures...


  • Tu t'es recouchée ? Demanda ma mère.

  • Oui, répondis-je. Enfin, façon de parler, je n'ai pas dormi. Je me suis juste allongée.

Étrangement, cela sembla l'affecter plus que de raison. Elle soupira et posa sur moi un de ces regards que seules les mères peuvent faire, laissant croire qu'elles ne disent rien, font semblant de ne rien voir, de ne rien entendre, mais qu'au fond elles savent tout. Je tachai d'adopter la mine la plus innocente dont je fus capable de faire.


  • Je comprends que ça n'aille pas bien, tu sais, me dit-elle. Mais tu ne dois pas te rendre malade simplement parce que Chase ...

  • Simplement ? M'indignai-je. Maman, c'est mon ami depuis la maternelle ! Depuis quatorze longues années ! Tu ne peux pas dire « simplement »!

  • D'accord, de ton point de vue, c'est long, quatorze ans, concéda-t-elle. Mais tu sais, certaines personnes sont déçues par leurs amis d'enfance alors qu'elles les connaissent depuis cinquante ans... Ça arrive tous les jours, Halsey !
  • Je ne suis pas déçue, me rebiffai-je. Je suis inquiète, ce n'est pas pareil.
  • Avoue quand même qu'il n'a pas un comportement irréprochable.
  • Il a des circonstances atténuantes, le défendis-je.

Elle sourit tendrement en me voyant lui tenir tête, un air effronté peint sur le visage.

  • Quand je te vois comme ça, dit-elle, j'ai l'impression de revenir des années en arrière, quand je ne pouvais rien dire de mal sur Chase parce qu'il était à tes yeux le garçon le plus formidable du monde.

Je rougis et lui tirai la langue.

  • Il est l'un des deux mecs les plus géniaux de cette fichue planète, proclamai-je. Aujourd'hui, je mets simplement Brendan au même niveau que lui.
  • Mmmh, n'empêche que ce mec si génial, il t'empêche de dormir et manque de te taper dessus à la sortie du lycée...

Je la regardai, bouche bée. Comment avait-elle pu savoir ? Qui était le traître qui avait vendu la mèche ? Quel était le responsable de cet...

  • C'est Seth qui a appelé, expliqua ma mère en souriant tristement. Hier. Il a dit que je devais faire attention à toi, que Chase n'était pas dans son état normal.
  • Pas dans son état normal, ricanai-je, quel euphémisme ! Je dirais plutôt «complètement déranger Oui .
  • Ne rigole pas Halsey, c'est très sérieux. Me réprimanda-t-elle. Si Chase t'avait touchée, j'aurais été obligée de...

  • De quoi, maman ? Demandai-je d'un ton de défi.
  • De t'interdire de le voir, tout simplement.
  • Ne te donne pas cette peine, il l'a déjà fait lui-même... Grommelai-je. Et Seth m'a aussi mis en garde ...
  • Tu vois, conclut-elle.

Je restais silencieuse. Oui, même Chase avait fait en sorte que je ne l'approche plus. Avait-il vraiment viré de bord à ce point-là ? Et si Chase avait fait ça pour me protéger ? La drogue, était-elle capable de changer si radicalement une personne, en si peu de temps? Lentement, une autre réponse s'insinua dans mon esprit. Et si Chase avait fait ça pour me protéger ? Maintenant que je savais qu'il traînait avec des mecs peu fréquentables, peut être ne tenait-il simplement pas à ce qu'ils approchent de trop près de ses amis ? Et pour cela, il avait fait en sorte de ne plus avoir d'amis du tout. C'était une explication qui me plaisait beaucoup plus que la précédente, mais peut être n'était-ce que douce illusion... Au fond, je m'en fichais.


  • Vous pourrez dire ce que vous voudrez, dis-je d'une voix forte qui fit sursauter ma mère. Je ferai tout pour aider mon Chase, point !
  • « Ton » Chase, hein ? Railla ma génitrice.

Peut-être avait-elle pris ça sur le ton de l'humour, en tous cas, moi, je n'avais jamais été aussi sérieuse.


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