Chapitre 1

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Littleton, une ville tranquille parmi tant d'autres. Chaque année, de nouvelles familles attirées par l'atmosphère sereine de la cité venaient s'installer dans ses lotissements aux teintes pastelles. Les trois lycées n'accueillaient pas moins de deux mille élèves chacun et leurs effectifs augmentaient chaque année. Les parcs, les écoles, les commerces, tout était fait pour que les habitants se sentent bien et en sécurité. Mais le danger était pourtant bien réel, comme partout ailleurs. Il se tapissait silencieusement dans l'ombre et attendait son heure. Un jour, sans crier gare, il frapperait fort. Il était donc important de rester sur ses gardes, au cas où... Et c'est ce que je m'appliquais à faire en cet instant.


Un conglomérat douteux, ponctué de taches rouges peu naturelles, encombrait ma vue. Une vision globale d'un orange écœurant, un aspect visqueux et très peu agréable à regarder... les petites touches vertes ne trompaient personne, et encore moins la chose molle et aplatie sur le bord, là. Ils avaient maladroitement tenté d'en faire quelque chose de beau, mais ce n'était pas encore ça... Si on essayait de former un beau pâté avec le tout, on ne rencontrait aucun problème. C'était collant et ça gigotait. Rien de nouveau donc...

  • Eh, Halsey !

  • Attends, tu vois bien qu'elle fait son étude annuelle !

Je levai les yeux, abandonnant sans trop de regret l'analyse de mon assiette de couscous, pour regarder le garçon blond et la jeune fille brune assis en face de moi qui m'observait d'un air moqueur.


  • Alors, quelle est la couleur cette année? Demanda le jeune homme d'une voix malicieuse.
  • Sans conteste, orange, marmonnai-je en aplatissant le contenu de mon assiette, plus ou moins comme tes pâtes à la Bolognaise, là. Un peu fluo.

Il éclata de rire devant mon air déconfit, mais je l'arrêtai en frappant la table du plat de ma main. Il changea tout de suite d'expression, redoutant ma colère. Je ne prenais pas les gens avec des pincettes lorsque j'étais hors de moi. Heureusement pour mon ami, ce n'était pas contre lui qu'allait mon indignation.


  • Non mais franchement, m'exclamai-je, arrête de rire, tu veux ? Comment veulent-ils que les adolescents apprennent à bien se nourrir s'ils servent des choses pareilles dans les cantines ! L'un de nous va finir par mourir d'indigestion ! Et c'est valable pour toi aussi, Payton !

La brune cessa immédiatement de pouffer et acquiesça en affichant l'air grave de celles qui sont conscientes de ces choses-là, mais je n'étais pas dupe. Je ne pouvais pas déverser ma colère sur Payton, elle était bien trop gentille, aussi trouvais-je un autre moyen d'exprimer ma mauvaise humeur.


  • Bon, il fiche quoi Chase ? Grognai-je. Si en plus je dois manger un plat dégueulasse et froid, ça va gâcher ma rentrée.
  • Tu as déjà eu une rentrée réussie toi ? S'étonna Brendan en faisant la grimace. À partir du moment où ce jour vient mettre un terme à deux mois de vacances, ça ne peut être qu'une journée pourrie.

Nous entrions cette année en terminal. Brendan, Chase, Payton et moi étions dans la même classe depuis la seconde, mais je connaissais les deux premiers bien avant notre entrée au lycée. En réalité, nous avions fréquenté les mêmes écoles maternelle, primaire et collège et nous ne nous étions que rarement quittés. Quant à Payton, nous l'avions rencontrée au lycée et elle avait tout naturellement rejoint notre groupe.


  • Bon, moi, je commence à manger, décrétai-je en observant sans réelle envie mon plat de semoule. Je ne sais pas ce que fabrique Monsieur Myers, il doit probablement encore traîner avec les petites minettes de la classe...

Je poussai un soupir de lassitude. Chase avait toujours été un très beau garçon – suffisamment, pour que je le considère comme mon amoureux pendant la majeure partie de mes années de primaire – mais, contrairement à ce que l'on pouvait croire, il ne s'en vantait pas. En fait, c'était plutôt l'inverse. Chaque année, des filles poussaient des cris de joie en découvrant qu'elles étaient dans la même classe que lui et s'empressaient de lui faire mille et un compliment dès notre premier cours. S'il essayait en général de se débarrasser d'elles rapidement, il échouait parfois devant la ténacité de certaines. Dans ces cas-là, il se retrouvait piégé pendant plusieurs minutes, encerclé par des filles toutes plus dérangées les unes que les autres.


Enfin, je reconnus sa silhouette dans le flot d'élèves affamés occupés à remplir leurs plateaux repas et son visage dépeignait clairement l'épreuve qu'il avait dû affronter. Derrière lui, une jeune fille rousse portant des lunettes ovales essayait de lui faire la conversation en le dévorant des yeux, mais il ne prenait même pas la peine de faire semblant de l'écouter. Lorsqu'il nous rejoignit, elle lui demandait gentiment si elle pouvait s'attabler avec nous, mais celui-ci lui répondit sèchement qu'il était dans son habitude de déjeuner seulement avec ses amis les jours de rentrée. La pauvre fille s'éloigna en traînant les pieds, penaude.


  • Pfff, sérieux ça me soûle, soupira Chase en s'asseyant en face de Brendan, sur la chaise à côté de moi.
  • Non mais regardez moi ce bellâtre qui se plaint d'avoir toutes les filles à ses pieds, railla ce dernier. Tu devrais t'estimer heureux, penses à ceux qui n'ont pas ta chance, comme ce pauvre Porter là-bas.

Le pouce tendu, il pointa une table à laquelle étaient assis trois élèves de notre classe. Venait enfin, Mathis, que l'on pouvait qualifier de beau garçon avec ses yeux gris qui vous détaillaient sans pudeur, son air mystérieux et ses longs cheveux noirs et lisses qui lui tombaient jusque dans le dos, mais son apparence générale avait plutôt tendance à effrayer les filles. En face de lui, se tenait Harper, une jeune fille aux cheveux châtain foncé qui n'avait pas sa langue dans sa poche. Venait enfin, Mathis que l'on pouvait qualifier de beau garçon avec ses yeux gris qui vous détaillaient sans pudeur, son air mystérieux et ses longs cheveux noirs, mais son apparence générale avait plutôt tendance à effrayer les filles. C'était le cousin de Payton, mais ils n'étaient pas très proches.


  • Ne les montre pas du doigt, Brendan, dit timidement Payton en baissant ses yeux, qui étaient identiques à ceux de Mathis.
  • C'est ton cousin Payton, fit remarquer Chase en passant une main dans ses cheveux épais et noirs c'était ce genre de gestes qui lui valait son succès .Il ne va pas te manger.

Mon amie ne tenta même pas de se défendre, mais rosit légèrement. Elle avait tendance à craindre son cousin, pour une raison qui m'échappait un peu. Elle avait essayé de nous expliquer un jour que c'était un problème de famille, mais son discours était si ponctué de bégaiements et sa voix si faible que je n'avais rien compris à l'époque. Soucieuse de préserver sa santé, j'avais depuis lors évité le sujet. Cette année, Mathis était dans notre classe, ce qui mettait Payton dans tous ses états.


À la fin du repas, nous nous levâmes et Chase agita une main agacée devant les yeux d'une jeune fille blonde qui s'était empressée de venir lui demander s'il était vrai qu'il était le meilleur élève du lycée. En effet, en plus d'être un mec qui n'avait rien à reprocher à dame Nature, Chase était un nerd. Bon, de ce point de vue là, nous étions en concurrence. Chaque année, c'était à celui qui passerait devant l'autre. L'année passée, je l'avais battu de 0,06 points. Mais ça, bien sûr, ses admiratrices avaient tendance à l'oublier.

Nous prîmes la direction du portail du lycée et je regardai ma montre pour m'apercevoir que nous avions plus d'une heure devant nous avant la reprise des cours. Je savais déjà ce que cela voulait dire...


  • On va fumer, Chase ? Demanda gaiement Brendan.
  • Ouais, répondit celui-ci en sortant son paquet de tabac à rouler.
  • Vous commencez bien l'année, vous, grommelai-je.

Chase me lança un regard taquin et je lui répondis en lui tirant la langue. Puis je m'approchai de Payton .

- Si tu veux mon avis, Payton, dis-je, nous ne devrions pas traîner avec ces mecs, ça nuit à notre réputation. C'est à cause de ça qu'aucun garçon ne nous approche.

Payton rigola doucement. En réalité, Payton et moi n'étions pas les filles les plus moches du lycée, loin s'en faut. Mon amie avait un regard tendre en permanence, de longs cheveux noirs lui tombaient en vagues douces sur les épaules et de jolies formes qu'elles savaient mettre en valeur dans de beaux vêtements de marque que lui offrait son père, riche propriétaire d'une entreprise familiale qui produisait du vin.


Pour ma part, je n'étais pas aussi riche, mais je n'étais pas mal non plus, sans me vanter. J'avais des cheveux châtains cuivré, ce qui m'avait toujours valu des problèmes dans mon cursus scolaire, les professeurs étant persuadés que je les teignais. Ils m'arrivaient légèrement en dessous des épaules et n'étaient pas aussi lisses et souples que ceux de Payton, mais je n'avais pas à m'en plaindre. J'avais de grands yeux verts jaune qui juraient avec la couleur de ma chevelure et une peau plutôt pâle pas autant que celle de Chase en revanche. J'avais toujours été mince et je faisais de la natation deux fois par semaine depuis toute petite, ce qui me valait une silhouette équilibrée et fine.


On ne pouvait donc pas nous qualifier de laiderons, cependant, en dehors de quelques flirts de temps en temps, nous n'avions pas eu d'histoire sérieuse. Comme nous étions toujours avec Brendan et Chase, deux des garçons les plus respectés du lycée, on n'osait pas trop nous approcher... D'autant moins depuis que, l'année précédente, un mec avait approché Payton d'une façon peu respectueuse et que Brendan lui avait fracassé le nez devant le prof de maths...


Lorsque je réveillai le souvenir de cet épisode, Payton rougit tout en lançant un regard furtif à Brendan, qui avait ralenti pour entendre ce que nous disions.

  • Dégage, c'est une conversation de filles ! M'exclamai-je. Va fumer ton pétard et fous nous la paix !

Il s'éloigna sans demander son reste. Nous poursuivîmes notre marche pour rejoindre le coin qui était devenu "notre" coin, dans un parc proche du lycée. Deux garçons y étaient déjà assis, l'un étant adossé à l'arbre que nous appelions communément "le Chêne" alors qu'il s'agissait en réalité allez comprendre d'un tilleul.


  • Tiens, vous voilà, dit le jeune homme en question d'une voix ensommeillée.
  • Trévor, tu as des feuilles ? Demanda Brendan en les rejoignant.

Clyde et Trévor avaient été dans notre classe en seconde, mais si Clyde était dans la même filière que nous – scientifique – il était dans une autre classe. Payton était occupée à interroger Clyde, le jeune homme endormi au visage intelligent, sur sa rentrée. Clyde et Trévor avaient été dans notre classe en seconde, mais si Clyde était dans la même filière que nous scientifique il était dans une autre classe. Trévor, quant à lui, était en économique et sociale.


  • Ma classe est à chier, se plaignit Clyde. Il y a constamment un silence de plomb et tout le monde a l'air content d'écouter le discours ennuyeux des profs.
  • Tu es quand même en terminale, précisa Payton, c'est normal d'écouter les profs, non ?
  • Je m'en suis toujours très bien sorti sans, répliqua celui-ci.

Il était vrai que Clyde était lui aussi un nerd, mais un nerd paresseux, ce qui ne lui valait pas d'aussi bonnes notes qu'à Chase ou à moi. En passant le plus clair de son temps à dormir en cours, il était toujours parmi les trois premiers de sa classe. C'était un génie au repos.

Brendan avait achevé de rouler sa cigarette magique et s'appliquait à faire des ronds de fumée en affichant un air béat. Les quatre garçons fumaient tous les jours de la beuh – cannabis sous forme naturelle lorsqu'ils pouvaient s'en procurer. Lorsque ce n'était plus la saison et qu'il devenait difficile d'en trouver, ils se rabattaient sur le shit, à contrecœur. Payton et moi ne fumions pas, à quelques exceptions près. Il nous arrivait de tirer quelques bouffées en soirée, mais cela s'arrêtait là.

Je n'avais jamais rien trouvé à redire, n'étant pas de l'avis de ceux qui disent que le cannabis est le premier pas vers "autre chose". Je ne me faisais pas de soucis pour mes amis. À ce moment-là, sans que je le sache, le destin avait déjà tendu la corde qui me ferait tomber dans les profondeurs les plus sombres de Littleton.

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