Une question de liberté

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 Les jours qui suivirent, la Feuille de chou parla beaucoup de ce qui était arrivé ce samedi-là. « La Galerie hantée », comme ils l’avaient titrée, fit couler beaucoup d’encre. L’exposition de M. Lemona fut bien sûr annulée et les tableaux renvoyés aux quatre coins du monde, à leur propriétaire respectif ou dans le musée qui les accueillait habituellement. On parla aussi de l’arrestation de Judith. C’était une surprise pour beaucoup, l’une des rares humaines de la ville n’en état finalement pas vraiment une. Et puis, même si la gazette n’avait su tirer tout au clair, il y avait la rumeur selon quoi une bande d’enfants était responsable de ces découvertes.

 Il apparut aussi rapidement que le Comte du Cheshire avait disparu. Mis au courant des dessous de l’affaire par Juliette et Agatha via webcam, celui-ci avait semblé particulièrement troublé. Il les avait remercié d’avoir élucidé l’affaire avant de mettre fin à la conversation. Clarisa avait expliqué à sa fille que le Comte devait désormais être apaisé. Il n’avait plus de raison de rester sur terre sous forme de fantôme.

 Avec l’annulation de l’exposition, M. Lemona leur avait laissé choisir un cadeau dans la boutique souvenir. Agatha avait choisi une simple tasse, sur laquelle apparaissait le visage du Chat du Cheshire, mais uniquement lorsqu’elle était pleine. Un simple accessoire qu’elle avait posé au-dessus de son bureau, à côté d’une poupée vaudou, d’un os de rongeur et d’une vieille cassette vidéo. Les trophées de ses enquêtes passées.

 Trois jours après, la sorcière frappa à la porte de M. Lemona. Le peintre lui ouvrit et lui adressa un faible sourire sous sa barbe hirsute.

 — Entre, Agatha. Lisa est en train de se changer.

 La sorcière le suivit à l’intérieur. Dans le salon, elle eut la surprise de voir deux tableaux accrochés au mur, l’un à côté de l’autre : Drake et Corelli. Ils jouaient aux cartes sans faire attention à ce qui les entourait.

 — Je n’ai pas eu l’occasion de te remercier…, soupira leur peintre en se tournant vers la petite détective. Mais il faut reconnaitre que je me sens encore un peu chamboulé par tout ça.

 — Il n’y a pas de soucis, M. Lemona, affirma la sorcière. À vrai dire, je craignais que vous soyez en colère contre moi…

 — Je l’ai sûrement été un instant. Judith… Ou je ne sais plus comment l’appeler, elle a partagé ma vie si longtemps…

 — Vous ne vous êtes jamais douté de rien ?

 — Oh, sûrement que si… Mais j’étais trop amoureux pour le reconnaitre. Trop lâche aussi.

 Il porta son regard autour de lui. La tristesse se lisait sur son visage.

 — Ça va être très différent, maintenant qu’elle est partie. J’ai peur de me sentir seul.

 — Vous avez toujours Lisa.

 — Oui… Tu sais, Agatha, Lisa, je l’ai peinte la dernière fois que Judith a disparu. Elle n’est réapparue dans nos vie que quelques mois plus tard. Mais pour combler ma solitude, j’ai peint Lisa… Et je pense l’avoir un peu trop laissée de côté ces dernières années… Mais tout ça va changer. Je suis son père, après tout. Je dois me comporter comme tel, pour tous ceux à qui je n’ai pas laissé cette chance.

 — Uno ! s’écria fort Corelli, faisant sursauter le peintre.

 — Damnation !

 — Vous jouez Uno ? s’étonna la sorcière avec un rire franc.

 — Oh, bonjour, petite sorcière, nous ne t’avions pas vue !

 — Oui, c’est Lisa qui nous a expliqué les règles, hier soir. Depuis, on ne peut plus s’en passer.

 — Si je continue de perdre, c’est ce qui risque d’arriver, pourtant…

 — Monsieur Lemona, pouvez-vous mettre un peu de musique ? Vous savez laquelle !

 Le peintre sourit et actionna un vieux tourne-disque. Agatha reconnut immédiatement la mélodie qui s’en échappait.

 — C’est la musique de la galerie, non ?

 — Exactement, acquiesça Corelli. Une œuvre de mon illustre modèle. Ça s’appelle « La Folia ».

 — Et vous allez rester encore longtemps à Halloween ? demanda la sorcière.

 — Je leur ai promis qu’ils pouvaient rester le temps prévu pour l’exposition. Avec tout ce qu’ils ont fait pour vous aider, ils méritaient bien ça.

 — Agatha ? Tu es là ? Je suis prête !

 C’était la voix de Lisa qui venait de la pièce à côté. La sorcière se dirigea vers elle et ouvrit la porte. En face, contre un mur, son tableau était adossé à côté de sa brouette. Lisa avait revêtu une nouvelle robe d’un vert éclatant, peinte par son père. Elle s’était débarrassée du voile qui recouvrait ses cheveux et les avait manifestement lissés. Elle semblait très excitée.

 — Super ! Tu es toute jolie !

 Sans attendre plus longtemps, Agatha avança et se baissa pour entrer plus facilement dans le tableau, toujours avec la même étrange sensation que la première fois. Dans le monde des peintures, elle s’approcha de son amie et lui frappa dans une main tendue pour lui laisser le relais. Lisa fit alors quelques pas en avant, prit une grande respiration, puis sortit de son tableau.

 — Alors ? Qu’est-ce que ça fait ? demanda la sorcière.

 Lisa ne répondit pas tout de suite. Elle prit le temps de laisser tous ses sens découvrir le monde réel pour la première fois. Les odeurs, les bruits, le plancher sous ses pieds, le petit courant d’air… Elle n’avait jamais eu que des avant-gouts de toutes ces sensations. Puis elle se tourna vers son amie dans le tableau, une larme aux yeux.

 — Merci, Agatha. Merci.

 — Je te dois bien ça ! J’ai un peu gâché l’exposition où tu devais faire guide. Tu t’en réjouissais tant…

 — Tu ne peux pas savoir à quel point je préfère ça à la galerie !

 Pour la première fois, c’est Lisa qui attrapa la brouette. Elle poussa une exclamation de surprise sous l’effort qu’elle devait prodiguer pour la pousser. Voilà bien une chose dont elle ne se doutait pas. Puis elles sortirent, toutes les deux, saluant M. Lemona et les deux autres tableaux au passage. Elles avaient prévu de rejoindre Romulus et Juliette dans le parc pour jouer. Chacun son tour, ils prendraient place dans le tableau. Au programme, marcher en équilibre sur des murs, grimper aux arbres, cueillir des fleurs… Tant d’activités banales, mais si spéciales aux yeux de leur amie Lisa.

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