Par de-là le pinceau

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 Lisa regarda ses trois amis en sa compagnie. C’était la première fois qu’il y avait tant de monde dans sa toile. Lorsque d’autres œuvres de son père passaient, c’était souvent seuls et ça ne durait jamais longtemps. Même si elle rêvait de sortir, les voir ici, avec elle, lui réchauffait le cœur tant mis à mal par cette dernière heure.

 Restait à explorer son monde de peinture. D’un pas décidé, elle se dirigea vers l’unique porte de son décor. Elle la déverrouilla et l’ouvrit lentement pour s’assurer que personne ne leur tendait d’embuscade derrière.

 — La voie est libre. Après vous !

 Fidèle à elle-même, Agatha passa devant. Au moment de franchir la porte, elle jeta un coup d’œil circonspect sur l’horizon. Tout était sombre, un espace vide de toutes couleurs ou lumières. Comment allaient-ils se repérer là-dedans… ?

 Elle eut la réponse en faisant quelques pas. Elle ne l’avait pas de suite remarqué, mais ce qu’elle avait pris pour un espace vide était en fait un long couloir. Ses murs s’y fondaient à la perfection et n’étaient visibles qu’à condition d’en être proche. Heureusement, le chemin semblait partir en ligne droite, direction la tâche de couleur qui se trouvait plus loin.

 Juliette, Romulus puis Lisa la suivirent dans cet étrange espace. La sorcière avançait prudemment dans cet endroit dont elle ne connaissait rien. Seule Lisa y était parfaitement à l’aise pour l’avoir traversé de nombreuses fois. À mi-chemin, la sorcière remarqua que d’autres tâches de couleurs étaient apparues, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, comme s’ils se trouvaient dans une intersection. Mais ce n’était pas ça qui l’avait fait se figer. C’était le bruit.

 La première idée qui vint à l’esprit d’Agatha, c’est que quelqu’un devait être endormi pas loin d’elle. C’était une sorte de respiration, lente et un peu fatiguée. Le souci, c’est qu’il n’y avait manifestement personne à qui attribuer ce son. La sorcière en était arrivée à la conclusion que, ce qui inspirait ainsi, c’était le couloir lui-même. Mais pour ne pas alarmer ses camarades, elle décida exceptionnellement de garder ses réflexions pour elle.

 Au bout du couloir, elle put constater qu’ils étaient arrivés à l’entrée du tableau présentant les dromadaires chargés de marchandise dans le désert. Elle put même y faire entrer sa tête quelques secondes, suscitant la curiosité d’un animal. Lisa en profita pour prendre la tête du cortège.

 — C’est peut-être mieux si c’est moi qui mène, je connais le chemin. Restez bien groupés, j’ai l’habitude maintenant, mais les premières fois, ça peut vite devenir un vrai labyrinthe !

 La sorcière approuva. Une fois Lisa devant, ils purent avancer bien plus vite car elle se déplaçait avec assurance, sans craindre de se cogner. Mais au bout de quelques minutes, elle se figea et écarta les bras pour empêcher ses amis d’aller plus loin. Devant eux, trois cartes armées passèrent au trot. Ils ne firent cependant pas attention à eux.

 — Bien, ici, il y a trois chemins, expliqua Lisa. Celui de gauche mène à la Mare de larmes et à la Chenille, celui de droite à la forêt du Cheshire et à la maison des fous. Si on va tout droit, il y aura deux chemins pour aller voir le Roi, les cartes, le lapin blanc et… Et la Reine.

 — Tu crois qu’on peut toujours rentrer dans celui de la Reine de Cœur ?

 — Franchement ? Aucune idée… La toile déchirée n’appartient peut-être plus à ce monde…

 — Du coup, direction la maison du lapin blanc !

 — La Chenille, Ju’. S’il est devenu gigantesque, faudra le rétrécir pour sortir.

 La gorgone qui avait déjà fait trois pas en avant fit aussitôt demi-tour et se retrouva derrière ses trois camarades qui marchaient déjà dans le bon couloir. Comme prévu par Lisa, le chemin se sépara en deux directions plus loin. Ils avaient le choix entre une tâche plus sombre et une autre verdoyante. C’est vers cette dernière qu’ils se dirigèrent.

 Lisa fut la première à poser un pied dans le décor de la Chenille. C’était comme entrer par un portail sans protection. L’espace vide rempli de ténèbres fit ainsi place à une verdoyante forêt aux proportions gigantesques. Au centre de cette étrange endroit, la Chenille bleue attendait sur son gros champignon, fumant sa pipe turque sans se soucier d’eux.

 — Woaw, laissa échapper Romulus. C’est plus impressionnant d’ici que depuis la Galerie…

 — C’est fou comme ton père peut créer tout ça avec de la peinture…

 — Oui. Il est doué…

 Même si elle était encore fâchée pour ses cachoteries, Lisa avait de la fierté plein les yeux. La voir ainsi rassurait Agatha. Sa colère ne serait pas éternelle.

 — On doit prendre des morceaux du champignon… Mais j’ignore où.

 — Comment ça, où ?

 — Un côté vous fera grandir, l’autre vous fera rapetisser !

 La Chenille ponctua sa réplique d’un rond de fumée. Il l’avait lancée négligemment, comme si ça lui avait échappé. C’était l’exacte réplique du livre, aussi cela fit sourire la petite sorcière.

 — Je suppose qu’on va devoir tester, dit-elle en s’approchant et en arrachant sans problème un petit bout du gros bolet. Un volontaire ?

 Elle se tourna vers les autres qui perdirent leur sourire. Agatha les comprenait. Elle-même n’avait pas trop envie de devenir minuscule ou gigantesque…

 — Donne ! s’exclama Juliette en s’approchant finalement, une main dans ses serpents.

 — Sûre ?

 — T’inquiète, c’est lui qui va tenter !

 Elle tendit un crotale qu’elle avait arraché de son crâne. Le reptile restait docile, inconscient de ce qu’on s’apprêtait à lui faire vivre. Agatha lui donna le produit à tester et l’animal l’avala sans difficulté. Aussitôt, il fondit comme neige au soleil, pour devenir pas plus gros d’un ver de terre.

 Satisfaite de l’expérience, Agatha préleva d’autres morceaux qu’elle partagea avec ses camarades. Juliette alla de l’autre côté du champignon, afin de collecter de quoi inverser les effets et se servit de gros morceaux. Ainsi équipés, ils étaient prêts à déloger le pauvre Alain dans la maison du lapin blanc.

 — Tiens tiens tiens… On dirait que le Pays des merveilles à de nouveaux visiteurs !

 Les enfants sursautèrent. Ils avaient reconnu cette voix. Depuis leur monde, dans la galerie, le Chat du Cheshire les observait avec son grand sourire jusqu’aux oreilles. Ses yeux pétillants de malice semblaient éclairer la pièce comme un soleil. Savoir le chat présent n’était déjà pas rassurant. Mais le pire, c’était peut-être qu’il venait d’attirer l’attention du Roi de Cœur.

 — Attrapez-les !

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